Chroniques des sept âges du monde: Récit mythologique – Conte illustré
Par Vincent Milhou
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À propos de ce livre électronique
Voici le récit des conflits éternels entre l’eau et le feu, la terre et le ciel, l’amour et la mort, le pouvoir et le temps ; et la chronique d’une fin annoncée, pour un monde oublié et lointain, mais pourtant très semblable au nôtre.
Voici donc la légende des temps, ronde comme le monde, sans morale aucune, inventée sans but ni raison autre que celle de vous divertir un peu, en attendant la mort.
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Aperçu du livre
Chroniques des sept âges du monde - Vincent Milhou
Chroniques des sept âges du monde
Vincent Milhou
Chroniques des sept âges du monde
Récit mythologique – Conte illustré
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
L’ange déchu Éditions du net, 2021
Textes et illustrations : Vincent Milhou
© Les Éditions du Net, 2023
ISBN : 978-2-312-13396-6
Prologue
img1.jpgAu grand commencement, aux temps d’avant le monde,
D’avant le temps compté qui fait naître et mourir,
Qui engendre au hasard et retire à coup sûr,
Le temps maître de tout, souverain de nos âmes,
Qu’y avait-il ?
Qu’y avait-il avant ? Qu’y aura-t-il après ?
Ces deux questions nous sont à jamais interdites,
Mais les êtres humains, toute leur vie durant,
N’ont de cesse, angoissés, d’interroger le vide
Jusqu’à ce que la mort tranche enfin la réponse.
Et ne pouvant savoir, alors l’homme inventa
Puis, dans la déraison, il crut à son fantasme
Qu’il fit dogme de foi… Cependant l’existence
Des dieux reste improbable.
Seul un fait est certain :
Nul ne peut ici-bas deviner l’au-delà.
Heureusement le rêve échappe à la raison
Et voici ce récit, la légende du temps,
Un conte qui décompte les sept âges du monde
Jusqu’à sa destruction ;
Car tout est à jamais amené à périr,
Car tout commencement nous conduit à la fin,
Chaque amour en naissant nous entraîne au trépas.
Voici donc ce récit, la légende du temps,
Ronde comme le monde
Et sans morale aucune,
Créée sans autre but
Que de vous divertir
En attendant la mort.
Poème 1 : Les temps d’avant le temps
CHANT 1
Bien avant les tourments du monde,
Aux temps d’avant le temps,
Était l’Harmonie.
L’Harmonie, hiératique, souveraine,
Le bonheur éphémère et figé,
Le temps dans sa course arrêtée,
Prisonnier de l’amour dans l’univers absent.
Le mâle et la femelle, la lumière et les ombres,
Et tous les éléments ne faisaient qu’un seul corps.
Les passions opposées formaient un seul esprit,
La parfaite Harmonie régnait sur le néant.
Mais tout passe et trépasse, même l’amour,
Et l’Harmonie fut rompue.
Les tout premiers amants du monde,
Qui n’étaient qu’un seul corps,
Qui n’avaient qu’un seul cœur
Et qu’une seule volonté,
Cessèrent soudain de s’enlacer.
Ils se déchirèrent en un violent baiser
Et dans la douleur naquit le monde.
Crachés dans le vide, augurant les malheurs à venir,
Naquirent alors les deux premiers dieux, Mayda et Mordod,
La vie et la mort, Le jour et la nuit,
L’ordre et le chaos.
img2.pngCHANT 2
img3.jpgMordod était roi sur la terre, sur le roc infini, sur l’horizon sans vie du tout début des temps. Il régnait sans partage sur son trône de pierre tout au milieu du monde. Sombre et sévère, il demeurait là, assis, impassible, regrettant le temps de l’Harmonie, de l’amour perpétuel. Et il se lamentait :
– Seul le bonheur suffit. Tout le reste est folie.
Mayda, c’était elle qui avait brisé l’Harmonie, pour créer mille choses sur l’univers. Le bonheur éternel ne lui suffisait plus. Elle avait voulu connaître la beauté du souvenir, la fragilité de l’éphémère présent, la promesse de l’avenir. Elle avait détruit l’Harmonie, pour créer le Temps.
Et sur son trône de pierre, tout au milieu du monde, Mordod se lamentait :
– Seul le bonheur suffit. Tout le reste est folie.
Mayda créait et Mordod détruisait.
Elle était la vie et lui le trépas.
Elle avait fait la lumière, mais lui l’avait drapée dans son manteau de nuit. Seules restaient les étoiles dispersées sous la voûte, comme l’espoir qui persiste et qui nargue la mort.
– Seul le bonheur suffit, tout le reste est folie.
Mordod demeurait là, assis seul sur son trône, tout au milieu du monde, ressassant sa tristesse. Et ses pensées prenaient chair. Du venin de ses paroles, des routes sinueuses de son esprit, du feu de sa colère, naissaient les serpents. Ils se faufilaient partout sur la lande, s’insinuaient dans chaque recoin du monde pour aller chasser les créations de Mayda. Ils avalaient tout, gobaient tout, ne recrachant que sable et poussières. Rien n’échappait à leur voracité. Rien, sauf le feu des étoiles, hautes et souveraines, que les monstres rampants ne pouvaient attraper.
– Seul le bonheur suffit, tout le reste est folie.
Mordod était hanté par des passions funestes, rancune, colère et jalousie. Mais à ses yeux, lui était raisonnable et Mayda l’insensée, la seule coupable de tous les maux du monde. Elle avait rompu l’Harmonie par pure vanité et reportait son amour sur les milles choses qu’elle engendrait. Mais lui les annihilait toutes, désireux de rester coûte que coûte l’objet unique de sa passion. Et il avait remplacé l’amour, pour toujours évanoui, par la haine vive et tenace. Il ne pouvait se passer d’elle, et il la violentait.
Mayda avait perdu l’éclat de sa beauté d’antan. La douleur et la détresse avaient terni son corps. Elle n’était plus qu’un monstre blafard pleurant la souffrance du monde, elle qui n’était que splendeur aux temps de l’Harmonie.
Et la reine engendrait les enfants de Mordod, les fils du viol, les géants, difformes et sans esprit. Les enfants du chaos subsistaient dans la lande, errant dans le désert. Ils chassaient les serpents pour en manger la chair, et ils tuaient le temps avec des jeux barbares.
Ils lançaient de longs javelots d’os dans le ciel ombrageux, et parfois parvenaient à perforer une étoile qui tombait en filant dans la nuit froide pour venir agoniser à leurs pieds. Les enfants de Mordod alors contemplaient ébahis le feu qui mourait, en se délectant de la chaleur des flammes sur leurs peaux épaisses. Mais toujours le feu se dissipait et bientôt il ne restait plus que des cendres dans le désert. Alors la meute des géants hurlait de rage, et leurs cris affolés déchiraient la nuit froide.
CHANT 3
img4.jpgOr, après une éternité de vains efforts, Mayda se mit à douter.
« À quoi sert de créer, si tout meurt à l’instant, si chaque nouvelle vie porte le sceau du malheur ? » pensa-t-elle, pour la toute première fois.
« Seul le bonheur suffit, tout le reste est folie. »
Mayda répéta plusieurs fois les mots de son époux, et, caressée par l’ombre du doute, s’endormit sur le sable froid. Elle se mit à rêver aux temps de l’Harmonie.
Une lumière intense l’éblouit soudain. Elle se réveilla en sursaut. De ses songes était née une nouvelle étoile, la plus brillante de toutes, qui monta lentement dans le firmament. C’était l’étoile du Nord, celle qui aide les voyageurs perdus à trouver leur chemin.
Mayda se laissa guider par l’étoile qui l’amena jusqu’au trône de son époux, tout au milieu du monde. Mordod était là, endormi. Il était sombre, il était laid, mais Mayda, aveuglée par la lumière, ne vit qu’une silhouette étincelante. Silencieusement, elle défit le manteau de son époux, et sans le réveiller, elle le laissa pénétrer dans sa chair. Elle fit l’amour au vieux roi endormi, qui lui fit l’amour aussi, dans les songes, sans lever les paupières. L’Harmonie réapparut un temps, avant de s’évanouir, réminiscence éphémère des temps d’avant le temps.
L’un contre l’autre, les deux vieux amants venaient d’engendrer un enfant, le fils de l’Harmonie. En le portant, Mayda n’avait pas cogné son ventre, comme elle le faisait pour chacun de ses odieux rejetons, et le nouveau-né était plus petit que ses frères les géants, car il avait refusé de grandir pour ne pas blesser sa mère en naissant.
Mayda garda en secret le nom de l’enfant, Potestor, qui signifie dans une langue oubliée « celui qui devient sage ». Mordod, en voyant ce petit si chétif, se prit d’un rire énorme. Mais en remarquant que son épouse choyait amoureusement le nourrisson, il l’arracha, jaloux, de ses bras, et lui interdit de s’approcher de sa progéniture. La reine s’en fut alors à l’autre bout de la lande pour installer sa demeure dans une grotte secrète, au-delà de l’horizon.
L’enfant fut jeté dans la meute de ses frères les géants. Il devint vite la risée de tous, le souffre-douleur, la victime choisie de tous leurs jeux cruels, lui si petit et si beau parmi les fils de la laideur.
Mais Potestor ne réagissait guère. Il ne gardait pas de rancœur, nulle haine ni colère ne venait voiler son cœur ni éteindre l’innocence de ses yeux. Tout juste s’enfuyait-il de temps à autre dans la lande, loin de la horde. Il courait à en perdre haleine dans le désert, libre, insouciant, puis, éreinté, s’allongeait pour contempler les étoiles suspendues dans la voûte. Il avait donné un nom secret à chacune d’entre elles, et aimait leur parler, car elles étaient ses seules amies.
Or, une fois, au cours d’une de ses fugues, l’enfant s’éloigna plus encore, et découvrit une grotte. Il entra, attiré par une lueur qu’il devinait tout au fond du roc. Là, au plus profond de la pierre, se tenait une jeune femme fort belle. Ses cheveux de lumière éclairaient la caverne.
– Bonjour, Potestor, mon fils, lui dit-elle d’une voix douce. Je savais que tôt ou tard tu viendrais me rendre visite.
– Qui es-tu ? répondit l’enfant apeuré.
– Je suis Mayda, ta mère. Viens m’embrasser, mon fils.
– Non, tu n’es pas ma mère ! clama le garçon. On dit que ma mère est vieille et laide, et qu’elle nous déteste tous. Et toi tu es belle.
– Je peux aussi être laide, poursuivit la femme… Je suis la dame aux deux visages, tout dépend de la manière dont on me regarde. Si tu as de l’espoir, si tu crois en l’avenir et n’as pas peur de périr, je suis belle et jeune, et je te sourirai toujours. Mais je suis mauvaise et plus laide que la mort si tu me violentes ou me retiens prisonnière. Je ne suis que le reflet du regard qu’on me porte. Et si toi, tu m’as trouvé belle, c’est que tu portes en toi la promesse du monde que je veux faire naître. Potestor, mon enfant, tu es ma seule espérance. Tu détrôneras ton père et deviendras le roi des nouveaux âges, celui des harmonies légères, éphémères et changeantes.
– Mais… Comment ?
– Tu dois tuer ton père et monter sur le trône.
– Non ! cria l’enfant. Je ne veux la mort de personne. Et toi, tu es encore plus mauvaise que mon père !
Le garçon épouvanté sortit de la grotte aussi vite qu’il le put, et se mit à courir, courir dans la lande, fuyant son destin.
img5.jpgCHANT 4
De retour parmi les siens, Potestor, perdu dans ses pensées, bouscula Oynog le borgne, le plus craint parmi tous les géants, le plus fort, le fils chéri de Mordod. En guise de réponse, le colosse asséna au gamin un formidable coup de poing qui projeta l’enfant dans la poussière, dans la risée générale.
Du revers de la main, Potestor essuya le filet vermeil qui coulait de sa lèvre. Dans sa bouche le goût du sang appelait le sang, et pour la première fois, il ressentit la haine. L’enfant ramassa au sol un caillou tranchant et se relevant d’un bond, le lança de toutes ses forces à la gueule du géant. La pierre atteint le seul œil valide d’Oynog, et déchira son orbite.
Le silence se fit. Les géants n’en croyaient pas leurs yeux. Le colosse aveuglé hurlait comme un dément et son cri faisait trembler le monde en ses moindres recoins. Le petit souffre-douleur se tenait fier et farouche debout au milieu de la meute.
On amena séance tenante l’enfant jusqu’à son père Mordod, sur son trône de pierre tout au milieu du monde. Le roi des ombres dévisagea le plus petit de ses fils, incrédule.
– Voici donc le dernier d’entre nous qui devient téméraire ! Tu as blessé mon fils préféré. Tu es fou ! Crois-tu vraiment que je vais pardonner ?
Potestor fixait son père, sans trembler. Il avait fait déjà fait couler le sang. Il avait donc cessé d’être un enfant. Il répondit, d’une voix ferme :
– Je suis là pour te détrôner.
Mordod se prit d’un rire tonitruant. La meute entière des géants rit avec lui.
– Au moins, tu ne manques pas d’audace, dit alors le roi. Tu as blessé Oynog et tu te crois grand sous les étoiles. Mais tu es le plus chétif d’entre nous. Ainsi donc tu oses me défier ? Soit. Je te montrerai ma toute puissance à travers trois épreuves. Si tu me surpasses dans ces trois épreuves, alors je te cèderai le trône. Mais si tu échoues à une seule d’entre elles, je donnerai ton corps à manger entre tous mes fils, et tes yeux à Oynog, pour qu’il recouvre la vue.
Le roi s’empara alors de son long arc d’os, taillé dans la côte du plus puissant dragon. Il le banda de tous ses muscles, et le trait se perdit dans la nuit. Sept étoiles tombèrent, perforées par la flèche. Elles brûlèrent sur le sol froid, et lorsqu’elles s’éteignirent, Mordod déclara :
– Si tu parviens, d’une seule flèche, à faire chuter plus de sept étoiles, alors tu auras gagné ma première épreuve.
L’enfant, pris de panique, recula. Il profita de l’inattention des géants pour s’enfuir, et se mit à courir. Et il courut, courut, courut encore dans la lande, refusant son destin. Mordod voulut l’occire d’un de ses traits, mais les étoiles soudain s’éteignirent, pour protéger le gamin dans sa fuite.
CHANT 5
Tous oublièrent bientôt cet enfant insensé qui s’était échappé. Seul Oynog l’aveugle gardait, marquée dans sa chair, une rancœur tenace.
Et pourtant… Potestor revint voir son père sur son trône de pierre tout au milieu du monde. Devant le roi, il déplia un étrange filet d’or, que sa mère Mayda avait tressé dans son cheveu. Il noua le filet à une flèche, s’empara de l’arc de son père, le banda et décocha la flèche en pointant les étoiles.
En retombant, le filet était rempli de lumière. Un être en sortit, puis un autre, un troisième, une multitude… Jusqu’au nombre de sept fois sept. Ils étaient petits, fluets et tristes, la chevelure d’argent ou d’or, et deux opales allumaient leurs visages de nacre.
– Quelle est cette magie ? hurla alors Mordod.
Un des êtres avança :
– Je suis Istaril, le prince des étoiles, et voici mes frères. Nous sommes le feu de l’espoir. Dispersés, minuscules, nous éclairons la Terre. Certains d’entre nous sont tombés sous vos traits et leur corps en mourant vous réchauffa la peau, mais pour qui sait nous apprivoiser, nous brillons pour lui d’un feu éternel.
Mordod dut alors accepter sa défaite, mais dans un sursaut d’orgueil, il déclara :
– Tu te prétends roi, mais tu n’es qu’un enfant. Or, un roi n’est rien sans ses fils, sans un peuple attaché à son père, un peuple fort, à l’image de leur chef qui les guide, les aime et les châtie. Engendre donc un peuple, avant de te prétendre roi, car les géants ne sont pas de ta race et ne t’accepteront jamais sur le trône. Pendant ce temps, mes enfants se préparent à la guerre, pour affronter les tiens.
Si ton peuple obtient la victoire, tu auras gagné ma deuxième épreuve, en attendant la dernière… Oui, engendre donc un peuple… Tu peux toujours essayer de t’accoupler avec ta mère, si tu le souhaites, mais dépêche-toi, sous peu je reviendrai pour tuer tes bâtards !
Mordod s’en fut alors, laissant l’enfant seul au milieu du désert. Le roi des ombres prépara les géants aux combats. À travers le désert, le long des défilés, ils s’entraînaient au jeu de la guerre. On entendait le fracas des armes jusqu’au creux de la pierre.
L’enfant demeurait seul dans la lande, abandonné de tous. Les étoiles avaient rejoint le firmament, et Mayda ne répondait pas à ses appels.
Potestor se mit à pleurer. Il était seul, il était nu. Comment pouvait-il donc engendrer un peuple ? Il demeura longuement à ressasser son malheur, quand soudain, il se rendit compte que de sa paume distraite, par hasard il avait caressé le sol, et là, il avait façonné une silhouette. Le sable mêlé de larmes