Semences de l’Unité: Voix orthodoxes
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Converti au christianisme et baptisé à Moscou à l’âge de 29 ans, Vladimir Zelinsky a participé à la vie intellectuelle clandestine des chrétiens de Russie à l’époque soviétique. Habitant en Italie depuis 1991, il a été professeur de langue et civilisation russe à l’Université catholique de Brescia. Prêtre orthodoxe depuis 1999, il a fondé en l’an 2000 une paroisse du Patriarcat de Constantinople. Il a écrit plusieurs ouvrages en quatre langues, et a collaboré notamment à La Croix, France catholique, Les Études, Istina et la Nouvelle revue théologique. Il a traduit des œuvres d’Henri de Lubac, de Louis Bouyer, d’Olivier Clément et de Tomas Spidlik. Il est marié et père de quatre enfants.
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Aperçu du livre
Semences de l’Unité - Vladimir Zelinsky
Du même auteur
du même auteur
(publications en français)
Ceux qui entrent en Église (dans : Histoire de l’Église russe), Éd. Nouvelle Cité, 1989
Afin que le monde croie, Nouvelle Cité, 1989
À la découverte de la Parole, Parole et Silence, 2004
Révèle-moi Ta face, Parole et Silence, 2006
L’Enfant au seuil du Royaume, Parole et Silence, 2018
Dédicace
À Denis Lensel
dont l’amitié a donné naissance
à ces deux volumes jumeaux
Préface
Entrer dans un monde spirituel qui conjugue la mémoire du passé et anticipe l’avènement d’une humanité, transfigurée par la présence divine, telle est bien l’invitation de ce livre. À la lecture de ces textes, on perçoit un peu mieux quelques constantes qui habitent le cœur du P. Vladimir Zélinsky. Né en Union soviétique, converti au christianisme et baptisé dans l’église orthodoxe à l’âge de 28 ans, celui qui est maintenant professeur émérite de langue et civilisation russes à Brescia n’en reste pas moins prêtre de l’archevêché des paroisses russes d’Europe occidentale qu’il rejoignit après avoir quitté Moscou en 1991.
Au fil de ces pages, un univers, des visages, des influences se dévoilent. Des noms résonnent : le Père Boris Bobrinskoy – qui m’a tant marqué durant mes années à l’Institut Saint-Serge de Paris –, Vladimir Soloviev, Jacques Maritain, Serge Boulgakov, le patriarche Athénagoras, Olivier Clément, Vladimir Lossky, Pavel Evdokimov, Serge Averintsev… Mais la lumière qui se révèle concerne d’abord le mystère de Dieu, un Dieu ami des hommes, comme le présente l’anaphore de saint Basile, centrée sur la philanthropie du Père. S’il est source de vie, le Père conduit ses enfants à la plénitude de vie. Devenir homme spirituel n’est-ce pas entrer, en communion avec ses frères et sœurs, dans la connaissance du Père, une connaissance qui se mue en adoration ? Il n’existe pas de connaissance qui ne soit prière, qui ne soit offrande de soi dans l’offrande du Fils bien-aimé. Ces pages sont une invitation à l’expérience. L’homme prend un risque, il accepte d’être habité. Avant même le premier combat de l’homme, la Trinité est présente, « abîme transparent qui se reflète dans l’homme, dans sa vie, dans son cœur, même dans ses efforts de la connaître ».
Le fil d’or qui réunirait ces études échelonnées dans le temps, ne serait-il pas la réconciliation ? La réconciliation des fils avec leur Père, une réconciliation eucharistique qui se fait « à travers la transmutation des priants en Christ en tant que son Église ». Et qui dit réconciliation ne signifie pas réajustement, rapprochement, mais plénitude. Le mystère d’Israël y participe. Pour le P. Zélinsky, la présence du Christ se lit dans l’histoire du peuple juif, tel que Soloviev, Maritain et Boulgakov ont pu la mettre en lumière. Pour ce premier, « la plénitude du Christianisme embrasse aussi le judaïsme ». Pour que Dieu entre dans l’histoire, il a élu la chair du peuple juif.
Ce mystère d’Israël est porté dans la mémoire du cœur par le peuple croyant. Il lui permet de laisser circuler librement dans ses veines la vie d’une Tradition qui est mémoire et qui anticipe l’avenir. En retrouvant la vie que le silence de Dieu fait jaillir du cœur de Marie, la réconciliation, n’est-elle pas aussi le partage d’une Tradition qui « prend son départ et se développe à partir d’une mémoire qui trouve son origine dans le cœur de Marie » ?
C’est Marie qui rend notre regard iconique, c’est-à-dire capable de percevoir l’au-delà de chaque personne. Olivier Clément, ami du P. Zélinsky, a mis en mots l’expérience de celui qui passe de l’icône à la vérité-beauté du visage de tout être humain. La réconciliation est bien de puiser à la source de l’émerveillement : le Père qui se donne à nous dans le visage de son Fils.
Les pages consacrées à Olivier Clément s’ouvrent sur une autre réconciliation : la réconciliation du monde moderne avec sa vocation à la plénitude en Dieu. Mais non pas une réconciliation par le bas, une réconciliation à bon marché, mais un éblouissement, un émerveillement dans la beauté du Verbe, une réconciliation « dans la grâce de l’humanité de Jésus dont la lumière illumine tout ce qu’Il a consacré par Son Incarnation ». Un timide acquiescement venant de nous, et nous sommes débordés de toute part de la présence du Verbe. La réconciliation vécue par Olivier Clément, et son histoire personnelle, le laissent bien transparaître : elle conduit à une doxologie qui rend tout mur, toute exclusion, tout exclusivisme inopérant, car nous nous mouvons dans l’univers de la grâce, de l’univers gracié, nous anticipons le réveil du monde dans le Verbe qui repose dans le cœur du Père.
Que veut-on signifier en parlant de réconciliation ? Cette réconciliation n’est-elle pas une démarche de l’esprit, une construction de l’esprit, généreuse certes, mais qui se heurte à chaque coin du réel de l’histoire, de l’histoire des cultures, de l’histoire des existences privées de sens ? Le P. Vladimir le reconnaît : « L’Europe refondue dans une seule pièce qui manifeste ses conquêtes sur les plans financier, juridique et militaire, cache aussi ses défaites spirituelles qui commencent par des trous de mémoire. »
Mais que valent toutes ces réconciliations si elles ne sont animées par la réconciliation fondamentale : la réconciliation des Églises ? Ici, les textes oscillent entre réalisme et prophétie. L’œcuménisme est en train de mourir : en Occident par désintérêt et contentement paisible d’un plus petit dénominateur commun que l’on trouvera toujours, mais suffit-il ? Il meurt immolé sur l’autel de la tolérance charitable. Dans les pays orthodoxes, qui assimilent l’Église latine avec le mode de vie occidental, plongé dans une décadence évidente, on constate un repli identitaire très fort. La constatation du Père Vladimir est sans appel : « Une folie de la purification et du monopole de la vérité rejette tout ce qui provient de l’Occident, qui pense en Occidental, et qui développe l’héritage de l’Église indivise au nom d’une orthodoxie plus ouverte au monde et à l’avenir. »
Ces lignes ont été écrites en 1999, bien avant les événements d’Ukraine et les ravages de la doctrine du « monde russe ». Relevons que cette doctrine a été fortement condamnée par de nombreux théologiens, penseurs et intellectuels orthodoxes, vivant souvent dans des pays occidentaux, mais pas uniquement. Relisons ces lignes particulièrement fortes : « Nous condamnons comme non-orthodoxe et rejetons tout enseignement qui encourage la division, la méfiance, la haine et la violence entre les peuples, les religions, les confessions, les nations et les états. […] Il est particulièrement pervers de condamner d’autres nations par des demandes liturgiques spéciales de l’Église, élevant les membres de l’Église orthodoxe et de ses cultures comme spirituellement sanctifiés par rapport aux hétérodoxes
perçus comme charnels et séculiers. »
Face à cette situation quelle voie le Père Vladimir dessine-t-il ? On a souvent mis en avant les différences historiques, anthropologiques, christologiques, pneumatologiques, ecclésiologiques… existant entre le monde occidental et le monde oriental. L’essai du Père Yves Congar¹ continue à conserver toute sa justesse et sa pertinence. Mais une fois cette situation constatée, que faire ? La réponse du Père Vladimir se résume en quelques mots : celui de kénose, de don, de transfiguration. Pour avancer sur ce chemin, « je ne vois franchement pas d’autre possibilité de rapprochement dans la situation actuelle que d’entrer dans les conditions de foi de l’autre, ou se transfigurer pour l’autre et dans l’autre, dans sa vie spirituelle, dans l’Esprit saint qui vit en lui. » Les harmonisations de doctrines, les accords, pour autant importants qu’ils soient, sont de peu de poids s’ils ne sont portés dans une expérience commune de Dieu, de sa grâce, de son Esprit. Là se trouve la place de Marie. Cette vie, cette sagesse ne sont-elles pas la vie et la sagesse de Marie ? Si la vie en séparation produit une dogmatique de séparation, que produit une vie dans le même Esprit, une vie où ce qui touche mon frère me touche également, ce qui le transforme me transforme ?
Les Églises d’Orient et d’Occident succombent certaines fois à la tentation d’être pleines d’elles-mêmes, d’être auto-suffisantes, par ce qu’elles ont de meilleur : leur tradition spirituelle, la présence du Christ qui transfigure de tant de façons l’expression de leur amour et de leur adoration. Mais ont-elles vraiment besoin l’une de l’autre pour vivre ? Or, « le vrai besoin de l’autre naît quand nous le découvrons au fond de nous-mêmes, dans notre foi ou plutôt dans la plénitude du Christ dont chacun de nous possède un abîme de richesse
(Rom 11, 33). »
Ces pages sont un appel, né de la contemplation du Christ glorieux en Croix, à vivre en ne regardant que Lui, en laissant sombrer à tout jamais la mondanité, spécialement dans sa forme ecclésiastique ou spirituelle. Elles sont un encouragement à vivre de la richesse de l’autre, qui transfigure dans le don et l’accueil, ma propre richesse. C’est cette vie en commun, peut-être balbutiante, avec des pas en avant et des pas en arrière, qui nous permet d’écrire le nouveau chapitre d’une histoire prête à recevoir le don d’une unité reçue d’en-haut.
Chacun, en son milieu de vie, est appelé à revenir à la sève spirituelle des retrouvailles, si bien exprimée il y a plus de cinquante par le patriarche Athénagoras dans cette lettre du 21 mars 1971 à Paul VI :
« Nous nous sommes séparés de l’amour réciproque et nous avons été privés de bien des bénédictions. […] La très sainte cause de l’unité visible de l’Église et de la pleine communion des fidèles en elle n’est pas une œuvre assujettie à des raisonnements et à des désirs humains, car les conceptions des hommes sont incertaines, mais une expérience vécue dans la vie du Christ qui est son Corps, c’est-à-dire dans l’Église. De même qu’au cours de l’histoire nous avons avancé négativement vers la division, de même par une nouvelle expérience de vie, nous sommes positivement appelés à cheminer vers l’unité parfaite dans la concélébration et dans la communion au précieux Sang du Christ dans le saint calice commun »².
fr. Patrice Mahieu³
1 Yves
Congar
, « Neuf cents ans après. Notes sur le schisme
oriental », in 1054-1954, L’Église et les Églises, neuf siècles de douloureuse séparation entre l’Orient et l’Occident. Études offertes à Dom Lambert Beauduin, Chevetogne, Éditions de Chevetogne, 1954, pp. 3-95.
2 Tomos Agapis, Vatican-Phanar 1958-1970, Rome-Istanbul, 1971, n. 284, pp. 618-623 (pp. 621-623).
3 Moine de Solesmes ; membre du comité mixte catholique-orthodoxe de France ; auteur de : Paul VI et les Orthodoxes, Éditions du Cerf, 2012 ; Se préparer au don de l’unité. La commission internationale catholique-orthodoxe 1975-2000, Éditions du Cerf, Collection Patrimoines, 2016 ; En quête d’unité. Dialogue d’amitié entre un catholique et un orthodoxe, avec le P. Alexandre Galaka, Éditions Salvator, 2021.
1998
La présence de Marie :
source d’unité
Je voudrais présenter quelques méditations qui, plus encore que de mon expérience personnelle, naissent de l’expérience spirituelle « mariale » de l’Église orthodoxe, qui est la mienne. Je suis de plus en plus convaincu de la nécessité du dialogue, justement dans le domaine de cette expérience qui unit les chrétiens dans la prière devant la Mère de Jésus. Cette conviction, fruit de ma réflexion, si insuffisante soit-elle, sur les deux grandes traditions de l’Église universelle que sont celles de l’Orient et de l’Occident, revient à ceci : la réconciliation entre chrétiens doit trouver sa source vivante dans le mystère maternel vécu ensemble qu’est la présence de Marie. Il ne s’agit pas là d’une réconciliation immédiate au plan dogmatique, mais d’abord d’une rencontre spontanée dans un acte de foi enraciné dans le Christ, vécu en Église et ressenti