À propos de ce livre électronique
L'Union soviétique tombait, avec elle, le mur de Berlin, la sphère géopolitique se voyait transformée. En France, François Mitterrand restait président. Jacques Delors, président de la Commission des Communautés européennes portait la libéralisation aux nues, avec l'idée de la monnaie unique. La Suisse hésitait sur sa place à venir dans ces imbroglios. Cette fiction se déroule à partir de 1989.
Cassandre, une jeune fille de quinze ans, arrive au lycée. Elle est aussitôt prise en charge par Victoire, du même âge qu'elle. Lorsqu'elle rencontre Mark par son intermédiaire, elle comprend que sa vie est sur le point de changer.
Machine à soupirs, le premier volume de Fleurs des nuits, est une odyssée dans le milieu de la prostitution des mineures. Quasi-indéfinissable, il allie dialogues cinématographiques, personnages trop réels pour être anodins et structure narrative articulée entre plusieurs points de vue.
L'originalité de Machine à soupirs comme de Fleurs des nuits, c'est d'être à la fois un récit, un documentaire, un témoignage, une oeuvre théâtrale et parfois, le scénario d'un film sans précédent.
Lotis
Lotis est une autrice franco-suisse. Elle consigne depuis l'âge de 9 ans de nombreux évènements de sa vie. Elle est active sur les réseaux sociaux où elle apporte son éclairage sur les réseaux de prostitution de mineurs, les conséquences des violences envers les enfants et adolescents.
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Aperçu du livre
Machine à soupirs - Lotis
1
J’en ai marre. Ras-le-bol de ces pluies de mots, de mes obsessions. ça ne m’appartient pas, toutes ces images entrevues, floues dans ma tête. Ce n’est pas mon histoire. Appelez-moi comme vous voudrez, témoin, acteur. Ni l’un ni l’autre de ces termes ne m’est applicable. Je n’étais que spectateur parfois, tout au plus.
Bon, si je raconte, je ne m’investis pas. J’essaie seulement de rendre compte de ce que je sais. De ce que j’apprends. De ce que je pressens. ça me brûle la gorge, raconter. Certains points me touchent de près. Peut-être que des éléments m’échappent. Pas assez présent, trop proche ou trop lointain, le point de vue. C’est suivant. Il y a la voix de Cassandre, une robe rouge. Le corps de Lina. Il y a Annabelle. Les autres, et Mark. Surtout lui.
Une foule de personnages. Des personnalités marquantes, qui m’ont marqué en tout cas. Je me tords le cerveau à force d’y penser, mais je ne peux pas. Commencer ? Par quoi, d’abord, par Mark et par Cassandre ? Alors que ce n’est pas clair ?
Cette histoire pourrait commencer par une fille en noir. Qui fumait sa cigarette.
Saint-André – C’était un jour de rentrée scolaire dans un lycée public. Les derniers instants de liberté des élèves avant de découvrir les classes. Une jeune fille plutôt petite, vêtue de noir, méditait sur le rassemblement. Elle fumait. Ses longs cheveux, leurs ondulations de bistre encadraient un visage de madone. Une madone grimée aux lèvres pulpeuses, au nez fin à l’arête un brin cassée. Ses gestes s’articulaient comme autant d’affirmations. Ses yeux, deux émeraudes expulsaient son caractère. Une palette les enflammait, des nuances virginales à la perversité. Une extraversion les dominait, les sublimait. Ils désorientaient, oppressaient, dynamitaient les nondits en arme de précision rodée sous leurs sourcils bien dessinés. Leur cynisme était cuisant. Il perçait le masque trop pointu de son maquillage.
La fille en noir était belle. Volcanique. Les mecs de son âge louchaient sur elle. Elle, elle les méprisait, elle balayait toute indulgence à leur égard : ils bêlaient déjà en choeur. Et leurs parents se débattaient une fois par an, à la tonte, devant un avis d’imposition. Ils représentaient la société, son futur. La fille en noir s’excluait de leur banalité. Elle se jugeait le grain de riz du rouage, contre le système et fière de l’être.
Après deux premières heures de présentation des cours, elle savourait une blonde dans son coin, observait toujours. Parmi le troupeau, elle déterra le détail. Elle assimila, cota la plastique, intéressante. Le détail, une élève de sa classe, jolie brune au charme pétillant, répondait au prénom de…
« Salut, je m’appelle Cassandre.
La brunette était là, devant elle, sans prévenir. La fille en noir consentit à la gaieté. Pour la coïncidence, pour la mignonne aussi.
– Et moi, Victoire. »
La brune bouillait de surprise. Elle était séduisante. Ses mirettes immenses s’écarquillaient.
VICTOIRE : Ouais, c’est un drôle de prénom.
Son timbre à peine nasillard vibrait sous la cordialité. En écho, la brunette admirait le bout de femme, lui enviait sa splendeur de pin-up.
VICTOIRE : Allez, j’t’offre un café, on pourra papoter.
Elles évacuèrent la cour sans complexe. La fille en noir marchait. Elle les épatait tous sur son passage, ce qui impressionnait encore plus la brune Cassandre.
En trois semaines, Victoire conquit sa camarade de classe. Elles instaurèrent un rendez-vous tous les matins, autour de deux cafés. Au fil des échanges, des blagues, des confidences parfois, elles se rapprochèrent, s’apprivoisèrent. Elles adoraient les mêmes musiques, se passionnaient pour les mêmes auteurs.
Elle baratinait, devisait fringues, descendait les profs, épiait les réactions. Sa nouvelle copine l’intriguait un peu. Cassandre était élancée, gracieuse, grande, un mètre soixante-dix en tout cas, bien foutue. Ses prunelles marron débordaient de paillettes. Sertie par des fossettes, la moue pillait l’enfance. Avec les frisottis bruns en ressorts, la frimousse rosée…
VICTOIRE : Une poupée, tu ressembles à une poupée. Comme celles avec les froufrous, tout ça.
CASSANDRE : Une poupée ?
Son nez retroussé, sa bouche ourlée sous une pointe de brillant se fâchèrent.
VICTOIRE : J’te jure, ça te va bien, ça y est, j’t’ai trouvé un surnom !
CASSANDRE : Quoi ?
VICTOIRE : Poupée ! Sinon, Blanche-Neige, c’est pas mal !
CASSANDRE : Oh non !
VICTOIRE : Là, avec cette gueule, t’as tout de la poupée boudeuse.
CASSANDRE : T’as pas autre chose ?
VICTOIRE : Ben non, c’est le bon ! Moi, j’en ai deux : Lola…
CASSANDRE : Ah oui, comme « Lolita » ¹?
VICTOIRE : T’es inculte, toi, comme Lola Montes, la danseuse² !
CASSANDRE : Et l’autre, c’est quoi ?
La fille en noir se posta en face d’elle :
« Mes ennemis et quelques-uns de mes amis m’appellent : l’Énervée. Mais ça reste entre nous ».
Le temps s’effilochait à force de dialogue. Il fallait subir les maths. Les deux heures s’annonçaient barbantes. Victoire cogitait : irait-elle, sècherait-elle ? Et si elle allait dévaliser les boutiques aujourd’hui ? Ça lui changerait les idées. Elle s’éloigna de sa camarade à contrecoeur, plongea dans un bar, commanda son demi. Ce soir-là, elle devait honorer un rencard. Elle ne rentrerait pas chez elle. De toute façon, elle n’y était pas attendue.
1 Elle pensait au roman de (Vladimir) nabokoV, Lolita, Paris, Olympia Press, 1955. Lolita fit scandale à sa publication.
2 Lola MONTÈS : (1818-1861) Maria Dolores Eliza Gilbert, danseuse, aventurière, courtisane, comptait dans son tableau de chasse plutôt éclectique : Louis Ier de Bavière, Franz Liszt, Richard Wagner.
2
VICTOIRE
[…] Welcome to the jungle
We take it day by day
If you want it you’re gonna bleed
But it’s the price to pay
And you’re a very sexy girl
That’s very hard to please
You can taste the bright lights
But you won’t get them for free
In the jungle [...]
GUNS N’ROSES – Welcome to the jungle
(Axl Rose/Slash) – « Appetite for destruction »,
Geffen Records 1987.
La jeune fille entamait la seizième année d’une vie très particulière. Son monde déraillait, elle ne l’ignorait pas. C’était à elle pourtant, sa vie infecte. L’adolescente se cataloguait née pour souffrir. Elle avait été accablée dès sa naissance, affublée d’un ersatz de prénom à la sonorité de bataille. Elle exécrait ce « Victoire ». Elle avait construit sa bulle, sa scolarité se combinait sans accroc. Les problèmes, eux, étaient l’apanage de son foyer. Elle les occultait à la minute où ses semelles dépassaient le portail. Seulement, il fallait les rechausser à la sortie.
À la sortie, il y avait d’abord sa mère : Emma, antithèse de la responsabilité, de l’affection maternelle. Une alcoolique chronique. Elle se gavait de cures, de traitements, de fainéantise. Rechutait par cycle, se gargarisait de ses litrons, de ses caprices. Elle exerçait encore son métier de coiffeuse quand son état l’autorisait. Victoire essuyait le statut ardu de fille unique. Son demi-frère avait détalé pour survivre ailleurs. Il ne donnait plus de nouvelle. Il y avait aussi le père dont Victoire ne gardait aucun souvenir. Un simple géniteur au loin, sans matière, sans qualité, sans défaut. Enfin, il y avait le beau-père. Celui-là, elle le connaissait trop bien.
L’anglais prévu après les maths avait fini de la convaincre. À chaque halte de sa virée entre bars et magasins, elle sirotait son houblon. Revisitait son contexte familial :
« Père : absent ; mère : neurones vaseux ; plus de frère, tac, évaporé ; beau-père : version trop câlin ; total : schéma d’un fiasco annoncé. »
Le beau-père de Victoire était un homme respectable, un employé exemplaire. Ses patrons l’encensaient, les voisins l’estimaient, il était si dévoué à la guérison de son épouse ! Inoxydables, le portrait, la version officielle claironnaient. Depuis des années, Victoire était chez elle, et elle tremblait de trouille. Elle était rompue au manque de sommeil. Longtemps, le beau-papa l’avait rejointe la nuit dans sa chambre. Pendant ce temps, Emma, somnifères dans le sang, boules Quiès dans les oreilles, ronflait.
La jeune fille rejetait le terme de victime en bloc. Elle vomissait sur les journaux, nourris par les intrigues du même acabit. La société vendait, dilapidait, orchestrait son déshonneur, ses cicatrices, sa purulence. Les faits divers dépecés étaient fournis en pâture à la masse des bien-pensants. Et tous, ils arbitraient, ils cacardaient :
« Quelle horreur ! Chez moi, ça n’arriverait pas ! »
La vérité était muette, la mise en scène triste à chialer étouffait la décence, les martyrs anonymes. Il y en avait partout, Victoire en était sûre. Ils étaient calomniés. L’un d’eux tiré au sort, son calvaire était communiqué, dédouanait. Les autres pouvaient crever, le quota était atteint. Persuadée par le ça n’arrive que chez les autres, le public, la presse somnolaient à nouveau. À l’image d’Emma avec ses boules Quiès, paisibles :
« Ouf, il n’y pas de déséquilibré de ce genre chez moi. »
Pour Victoire, aucune assistante sociale n’était intervenue. Pas de Zorro, rien, ni son courage de gosse, ni sa détresse extrême ne l’avait sauvée de lui. Personne ne s’était interposé. Elle, elle avait serré les dents, elle était une petite fille obéissante. Il était revenu. Son beau-père la violait moins souvent. Peut-être à cause de son âge. Et puis, tant qu’elle le pouvait, elle se préservait seule. Elle restait le moins possible à la maison, chez les deux larves, ses parents présumés.
Elle creusa sa mousse. Elle n’avait pas eu d’enfance. C’était son bilan, son intimité, son identité. Maintenant, elle avait quinze ans, elle se vantait d’avoir de la chance. Ses semblants de vieux n’empiétaient plus sur ses projets. D’accord, le vice devait s’être tatoué dans ses gènes. Elle s’en fichait. Elle était libre. Mieux, elle savait où elle allait. Son oxygène, son phare dans la tempête, c’était son pognon, celui qu’elle gagnait. Elle ne voulait plus s’en passer. Lui seul bichonnait son indépendance, colmatait son cocon. Elle en jouissait sans se lasser jusqu’au dernier centime depuis presque un an.
Elle fumait un paquet par jour. D’un oeil, d’une ardeur, elle s’attachait à chaque bout de tabac. Elle se diagnostiquait intoxiquée, ça l’amusait. Elle négociait des planes : ecstasy, mushies, n’importe quoi d’exclusif. Une ou deux amphés en bonus. Le principal, ses armoires se blindaient de fringues. Son look s’élargissait selon sa fantaisie, sa convoitise, au gré de l’inspiration. Sa carte de visite, sa couleur, c’était le noir. Son pire cauchemar, c’était d’abîmer la pièce suprême de sa collection, un blouson en cuir. Tout ce qu’elle désirait, elle en disposait. Une chope fraîche se posa devant elle. Ce soir, elle bossait. Elle dédicaça une aigreur à son beau-papa, lui, il n’avait jamais pris la peine de la payer pour lui rendre ce service, assouvir ses envies. Elle se le reprocha. Ce job, c’était la suite logique. Elle avait lu le cliché quelque part : fille de la nuit. Elle l’utilisait pour elle-même, elle se camouflait mieux sa réalité. Pute, c’était moins propre, moins avenant. Seuls les actes et leurs résultats se chiffraient. Prostituée, c’était une étiquette, une note scientifique, avec le vocable du proxénétisme derrière. Escort-girl, ça sonnait creux, sans âme, un slogan de marchandise pour les papys américains. Elle relativisait en spécialiste ès prestations sexuelles. Avec de l’obstination. Elle se vendait une fois, deux fois, trois fois par semaine, rien de dramatique. Son pseudonyme, vu son âge, s’était imposé, Lola pour Lolita. Elle se détachait des détails quand elle empochait son salaire. Elle se pressa d’ingurgiter le demi. Au loin, les enseignes l’aguichaient à coups de camelote. Carpe Diem ?
L’automne s’établit sur la ville, flamboya. À l’époque, Saint-André se développait au ralenti. Une ferme, un îlot du passé agricole, émergeait par endroits. La périphérie amassait les grandes surfaces. Dans le centre, les bâtiments s’alignaient contre les canaux, face au lac, contre les hectares de pelouse. Les montagnes cernaient les horizons. Les eaux alpines se couchaient au creux de la plaine. Les voiliers croisaient les barques, s’acoquinaient près des rivages avec les pédalos, les baigneurs. Autour, en l’honneur de chaque saison, des variétés de fleurs foisonnaient dans les jardins. Au-dessus des pavés, maintes traces d’histoire, des épisodes artistiques, des noms illustres ressuscitaient à coup de plaques. En chaque parcelle des anciens quartiers jusqu’aux coeurs des squares, de la basilique jusqu’au château sur leurs crêts, le romantisme, l’héroïsme s’étaient gravés. La zone des canaux, les pourtours du lac se dédiaient au tourisme. Les restaurants se disputaient les emplacements, les appareils photo flashaient à point nommé, qui les grèves bétonnées baptisées plages, qui la vieille prison sur le canal, qui les édifices, qui les arcades, qui le typique pont des Amours.
La localité vieillissait, se vidait selon la période de l’année. Les étudiants la réanimaient alors, dépensaient leur jeunesse dans les rues piétonnes, les centres commerciaux.
Les deux copines déambulaient aussi. Victoire déboursait toujours pour les cafés, gadgets. Au milieu des breloques d’une échoppe, Cassandre hochait sa bouille.
VICTOIRE : Ce sera génial, tu verras.
CASSANDRE : Je ne sais pas si j’aurais la permission.
VICTOIRE : Mais si ! Et même ?
CASSANDRE : Je ne suis pas sûre…
VICTOIRE : Bouge-toi le train, faut s’éclater dans la vie !
Elle gratifia l’autre d’une oeillade. Objectif du jour : soigner la timidité de sa copine.
CASSANDRE : Je viendrai, OK.
VICTOIRE : Tu vas voir, tu vas rigoler.
Et elle le pensait réellement.
Verre après verre, le parterre de jeunes gens BCBG se muait en réunion d’alcooliques. Des joints circulaient. Deux ou trois rabatjoie s’éclipsaient. Victoire profitait avec modération. Elle jaugeait l’autre fille. Cassandre supportait bien la beuverie. Elle chahutait, dansait, fredonnait. Et ne s’arrêtait pas aux regards masculins sur ses basques.
VICTOIRE : Eh la star, on se casse ?
CASSANDRE : Ben… Où ?
VICTOIRE : Allez, accompagne-moi. Tu verras bien.
L’autre récupéra sa veste, lui emboîta le pas sans broncher, acquise à l’ivresse.
Annabelle mourait d’ennui. Son chevalier servant renouvelait sa flûte pour la troisième fois. Il énumérait les stations de ski les plus sympathiques, adresses de restos incluses, de la lettre A à la lettre Z. Le pseudo chef n’était pas là. Il devait être encore pendu à son téléphone. Lina, pas guillerette, rétrogradait vers les balcons. Elle échangeait trois banalités avec une métisse.
Annabelle distribuait ses sourires en mode automatique. Le brouhaha avec les arômes des cigares lui assénait une fichue céphalée. Le salon se brouillait. Elle esquissa trois foulées en arrière, entrebâilla une porte-fenêtre. Lorsqu’elle rappliqua vers son cavalier trop loquace, l’Énervée pénétrait dans la pièce.
Victoire n’était pas seule ; une brune, une ado piquante, enrobée dans un tee-shirt fuchsia et un patte d’éléphant noir, la talonnait. Annabelle sentit l’irritation nouer son estomac. L’objet de son animosité embrasait une blonde, satisfaite de sa trouvaille. Elle se joignait à l’assemblée, haranguait sa copine.
VICTOIRE : Assieds-toi. J’en ai pas pour longtemps.
CASSANDRE : Si t’en as pas pour longtemps, je vais t’attendre dehors.
Annabelle réintégra par degré son euphorie de façade ; spontanée, la brune compagne de Victoire s’en allait.
Cassandre regrettait d’avoir suivi son amie. Elle fonçait dans le couloir, droit vers l’issue.
Il dit :
« Bonsoir.
Elle envoya la politesse sans réfléchir :
– Bonsoir.
Il demanda :
– Que faites-vous ici, mademoiselle ? »
La jeune fille pivota. Elle se heurta contre des yeux très verts, appuyés sur elle.
Elle n’avait jamais vu des iris de cette couleur. Ils supplantaient le jade, en énigme, en profondeur. Ils revêtaient un langage. Pour elle seule, ils tournoyaient dans une joie, ils l’interloquaient, si calmes. Ils se logèrent d’entrée de jeu dans son horizon. Elle pensa :
« Trop beau pour être honnête… »
Il était grand. Plus d’un mètre quatre-vingt en tout cas. Il avait une trentaine d’années. Les motifs d’une cravate s’harmonisaient à son costume anthracite, coupe impeccable. Chez lui, la prestance ne se calculait pas, l’élégance validait le naturel, une distinction. La carrure accusait l’athlète. Les cheveux bruns, souples, courts, flattaient les expressions. Le regard intensifiait la physionomie, le nez énergique, le menton carré, le rasage de près. Pour fignoler, sur sa beauté se greffait davantage, une séduction aiguisée, envahissante : le charisme. Ce trait-là ne se déguisait pas. L’homme était très conscient de son impact sur les autres. Souvent par instinct, il se cantonnait à la sobriété voire à l’austérité. Pour amplifier ses atouts qu’il mesurait, d’ailleurs. Grâce à eux, il obtenait ce qu’il voulait, non par défi, mais par routine.
Cassandre se matérialisa sur la terre ferme. Là, elle constata qu’il guettait encore sa réponse. Elle ne vacilla pas, se maintint à portée des deux jades. Et se risqua :
« J’accompagne mon amie Victoire… Je… Je vais l’attendre dehors.
Elle explorait chaque tiroir de sa boîte crânienne sans rien pouvoir prononcer de plus. L’homme démasquait ses incisives très blanches de pub pour dentifrice. Trop de perfection, ce n’était pas concevable, pas en vrai, à peine dans les séries télés. Cassandre était effarouchée, désarçonnée. Perdue.
Il chuchota :
– J’espère que nous nous reverrons.
Elle admit :
– Peut-être.
Les jades brillaient devant elle. Comment s’en séparer ? Comment leur plaire ? Elle devait se décider. Ses muscles ne fournissaient plus le moindre mouvement, son intellect s’était vitrifié. Elle était immobile et aphone. Enfin, elle élabora, articula un piètre :
– Bonne soirée.
Dès le seuil franchi, elle se maudit. Elle injuria sa nervosité, ses répliques de nulle, sa laideur, sa copine Victoire, le hasard et toute la création.
Cinq minutes plus tard, l’Énervée l’attrapait par la nuque.
VICTOIRE : J’en reviens pas, c’est génial, il veut te revoir ! Tu lui as tapé dans l’oeil !
CASSANDRE : Quoi ? T’es folle ? De qui tu parles ?
VICTOIRE : Le mec que t’as croisé dans le couloir ! Mark, le rêve de toutes les femmes ! Le canon ! Exceptionnel !
CASSANDRE : S’il t’enthousiasme tant que ça, pourquoi toi, t’essaies rien ?
VICTOIRE : Là, tu me déçois beaucoup, poupée.
CASSANDRE : Il est un peu vieux, non ?
VICTOIRE : C’que t’es rétrograde ! Relax, lâche-toi !
CASSANDRE : N’empêche, tu dis n’importe quoi.
VICTOIRE : Et toi, toi, tu fais ta fine bouche.
CASSANDRE : Tu es sérieuse ?
La fille en noir se dressa. Leva la paume droite, déblatéra, solennelle :
« En vérité, je te le jure : tu lui as tapé dans l’oeil, qu’il a fort joli, du reste. »
3
LE SPECTATEUR
C’est à ce moment-là que Victoire a fait tourner le vent dans son sens. Je ne pouvais pas l’encaisser, cette minette. Ses speechs me laissaient de marbre : trop arrogante, trop théâtrale, trop collante. Pas de structure sous le relief. Avec le recul, j’ai eu du flair, j’ai tout de suite capté sa nature profonde. Elle ne m’attirait pas. Oh, je la trouvais assez affriolante sans plus.
Elle aimait bien le clinquant, la frime, les mecs en Lamborghini avec la came dans la poche. L’un et l’autre ensemble, c’était encore mieux. Elle ne sélectionnait pas ses clients depuis ses quatorze ans, elle se rattrapait comme elle pouvait, c’est évident. Elle était caricaturale. Elle clamait partout : « je serai une star, je serai célèbre ».
C’était une pute. La seule célébrité à sa dimension, ça aurait été les studios du porno. Pas gagné, ses talents d’actrices étaient trop limités à mon avis.
Son dada déplorable, c’était de régenter la vie des autres. Quand j’ai appris ses antécédents, je n’ai pas su la plaindre. Ce n’est pas sain de se venger sur les autres de son beau-papa. Sa technique de survie, fêlée option dangereuse ne peut être absous. Il paraît qu’elle a eu de bonnes intentions. Pouvait-elle être attachante ? J’ai du mal à le croire.
D’un côté, il y a ceux qui souffrent, de l’autre, ceux qui sont nés pour monnayer leurs souffrances, c’était Victoire, simpliste et programmée. La société en deux catégories : vous tous les cons dans une. Et moi, je suis l’unique valable. Elle propageait ce qu’elle voulait. Ce qui était vrai, personne ne sait, derrière son cynisme bien destroy. Elle avait l’art et la manière de hurler au monde ses blessures, sa décadence. Non, j’ai beau faire, ça coince. Pour moi, elle représente la noirceur, les rabatteuses, l’appât du gain. C’était viscéral. Je me méfiais de cette désaxée. Je ne savais jamais ce qui risquait de lui passer par la tête.
You go to my head and you linger
like a haunting refrain and I find
you spinning round in my brain like
the bubbles, in a glass of champagne
[…]
Billie HoLidaY – You go to my head
(H. Gillepsie- J.F. Coots) – Warner Bros
Inc 1938.
Les rosaces de soleil trouaient les persiennes, se faufilaient dans le bureau, ricochaient sur l’ordinateur. Le propriétaire des lieux négligeait parfois son clavier pour consulter sa montre. Il avait emménagé ici après le mandat des décorateurs, environ un an avant. L’appartement occupait à lui seul le dernier étage d’un immeuble de standing. Les terrasses recelaient chacune un panorama : la chaîne de montagnes d’un côté, le Saint-André historique, ses canaux, les rochers de la basilique et du château de l’autre. Elles surplombaient au nord des allées coquettes, une rue toute en sérénité, au sud la promenade ombragée des bords du lac. Lorsque l’interphone chevrota sa sonnerie, le propriétaire partit ouvrir. Ses invitées entrèrent. La première, Victoire décochait son insolence sur sa camarade.
VICTOIRE : Cassandre, je te présente Mark. Mark, tu connais Cassandre ?
MARK : Nous nous sommes croisés. Dans un couloir.
VICTOIRE : Vous vous croisez encore du coup.
Il les débarrassa de leurs vestes. La compagne de Victoire, débardeur carmin sur sa poitrine équilibrée, jean pattes d’éléphant sur ses longues jambes, était très belle. Et c’était indéniable, très jeune. Ses iris marron disséquaient le hall.
MARK : Après vous, mesdemoiselles.
Deux vantaux coulissaient sur le centre d’une pièce. Les canapés en cuir noir crânaient autour d’une télévision écran géant, d’une stéréo
