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Moi, Jeanne, reine de Naples
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Livre électronique247 pages3 heures

Moi, Jeanne, reine de Naples

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À propos de ce livre électronique

La belle Jeanne est pour nous autres Provençaux, ce que Marie Stuart est pour les Écossais : un mirage d'amours rétrospectives, un regret de jeunesse, de nationalité, de poésies enfouies. (E. Mistral). Véritable héroïne de tragédie, Jeanne a tout vu, tout supporté : un mariage obligé à huit ans, le soupçon pour le crime de son mari, les coups, les humiliations, le viol, la trahison. Comment vécut-elle le grand schisme qui bouleversa le monde chrétien et dont elle fut, bien malgré elle, l'instigatrice ? Certains l'ont rabaissée au rang d'une femme frivole et stupide, incapable de régner. Mais qui était réellement celle que Boccace a encensée, et dont Pétrarque a fait sa « Reine douloureuse » ?-
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie8 mars 2023
ISBN9788728573204
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    Aperçu du livre

    Moi, Jeanne, reine de Naples - Ghislaine Riccio

    Ghislaine Riccio

    Claude Garcia

    Moi, Jeanne, reine de Naples

    SAGA Egmont

    Moi, Jeanne, reine de Naples

    Image de couverture : Shutterstock

    Copyright © 2004, 2022 Ghislaine Riccio, Claude Garcia et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788728573204

    1e édition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l’accord écrit préalable de l’éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu’une condition similaire ne soit imposée à l’acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d’Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d’euros aux enfants en difficulté.

    PROLOGUE

    Forteresse de Muro, Juillet 1382

    Cette nuit, j’ai rêvé que je retournais chez moi.

    Cette nuit, j’ai rêvé de Castelnuovo.

    Cette nuit, j’ai rêvé de mon château.

    L es rêves sont choses étranges, ils peuvent tout à la fois embellir, rassurer, faire revivre un passé tant chéri, tant aimé, mille et un petits détails que la mémoire, au fil des ans, au fil des pleurs, des peurs et des tempêtes, semblait avoir oubliés et qui resurgissent à l’instant précis où l’on s’y attend le moins, comme une bourrasque d’orage, au moment pile où l’horreur de la situation présente est sur le point de nous faire basculer dans le néant.

    Castelnuovo, mon havre, mon refuge, lien si ténu et pourtant si fort qui me relie désormais aux souvenirs heureux de mon enfance, lorsque le roi Robert, mon grand-père, m’apprenait à humer le parfum des fleurs en fermant les yeux pour mieux me pénétrer de leur suavité.

    Castelnuovo, orgueil et fierté de ce cher aïeul qui, tout au long de sa vie, s’efforça d’embellir son château, sa maison, l’agrémentant de nombreuses arcades où on voyait réunis, de chaque côté, offices et magasins. Au fond, les appartements du monarque et de ma grand-mère, la pieuse Sancia, faisaient face à la Méditerranée. Quant aux miens, ils jouxtaient ceux de la reine d’où je pouvais également voir le joyeux mouvement des bateaux sur le golfe.

    Castelnuovo, si cher à grand-père Robert, avait été construit par notre aïeul Charles 1er , lorsqu’il s’était établi à Naples. Véritable forteresse réputée inviolable, c’était un gros mastodonte flanqué de neuf tours d’inégale grandeur, impressionnant édifice surveillant la mer. Son intérêt défensif ayant perdu de son importance, grand-père Robert s’efforça de le rendre le plus agréable possible, et je dois reconnaître qu’il y parvint. La salle du Tinel qui autrefois servait aux fêtes et banquets, fut ainsi amputée pour y aménager les appartements de mon père Charles de Calabre, mort trop tôt d’une fièvre pernicieuse contractée dans les marais dont je ne garde, hélas, aucun souvenir.

    À la place de cette salle du Tinel, grand-père Robert fit édifier une salle plus somptueuse encore, qu’il dédia aux preux de l’Antiquité. La décoration en fut confiée au peintre Giotto qui représenta sur les murs les neuf héros : Hercule, Achille, Pâris, Hector, Enée, Salomon, Samson, Alexandre et César, et je me souviens que la renommée de cette salle s’étendit jusqu’au royaume de France. C’est à son extrémité que se trouvaient les appartements du roi auxquels on ajouta une petite chapelle, appelée aussi chapelle secrète, dont les fresques étaient du peintre Montano d’Arezzo.

    Mes appartements, de même que ceux de grand-mère Sancia, avaient aussi leur chapelle vouée à Saint Martin de Tours, mais ce n’étaient pas les seules. La grande chapelle, que l’on appelait aussi chapelle Palatine, avec ses hautes voûtes et son abside qui débordait du mur extérieur pour former une sorte de tour, semblait couper en deux cette partie du château. Un chef-d’œuvre d’architecture, embelli par les peintures de Giotto. Au-dessus de chacune des longues et fines fenêtres qui l’éclairaient, il avait dessiné des médaillons où alternaient des têtes humaines et les armes de France et de Jérusalem, rappelant ainsi les origines de la maison d’Anjou et ses prétentions sur le royaume de Jérusalem. Le maître autel était orné d’une superbe statue de la Vierge à laquelle le sanctuaire était dédié. La richesse du mobilier et des tentures, la beauté des pièces d’argenterie, l’élégance des grilles en fer forgé, la lumière dispensée par les vitraux, luxe d’une suprême rareté, en faisaient un des plus remarquables et plus riches édifices du temps. Son chapelain était logé dans une gloriette située à côté, en haut du rempart. Ensuite venait la tour Brune à l’intérieur de laquelle le souverain gardait son trésor, dont une partie était entreposée dans une tour voisine, appelée du joli nom de Grotte Marine.

    Grand-père adorait la mer, si belle, si bleue, les vagues, les tempêtes même, et il m’apprit à l’aimer. Je crois que la plus belle réussite des transformations qu’il avait apportées à Castelnuovo, fut l’aménagement des jardins. Au pied de la grosse tour s’étendait le Beverello. C’était une grande terrasse dominant la mer avec un jardin dans lequel on pouvait admirer de minuscules bâtiments avec des auvents, sortes de fabriques, ainsi que de petites grottes artificielles et des enclos où étaient élevés chèvres et lapins, faisans et autres oiseaux rares que mon grand-père m’emmenait caresser.

    Un autre jardin prolongeait le Beverello, jardin auquel on avait directement accès par un pont couvert qui descendait de la chapelle au parc. Ce pont de bois, aux murs égayés de peintures, était éclairé par une série de fenêtres. Dans sa partie qui ne donnait pas sur la mer, ce jardin était protégé par un mur qui le séparait de la demeure de nos cousins les Duras. Son charme résidait dans les fontaines, les bassins et le bain dont l’eau était amenée par de petits aqueducs. Sept tonnelles dont l’une en forme de pavillon, contribuaient avec de nombreux arbres, à en faire un lieu de repos et de fraîcheur bien agréable l’été. Une grande salle avec quelques chambres regardant vers la pointe de Santa Lucia servait à accueillir des hôtes de passage.

    À la mort de mes parents que je n’ai pu pleurer car peu connus, grand-père Robert nous prit, ma petite sœur Marie encore dans les langes et moi, sous son aile protectrice. Par la suite, j’appris que mon père Charles, duc de Calabre, se trouvant un jour d’automne à la chasse à l’oiseau dans les marécages, fut pris de malaria et vint en peu de jours à passer de ce monde dans l’autre.

    À cette époque, ma mère, Marie de Valois, était grosse lorsque son époux vint à trépasser. Après avoir fait sonner les cloches de toutes les églises, chanter des messes, répandre des aumônes pour le salut du défunt, grand-père Robert ordonna de dire des oraisons dans tout le royaume de Naples et dans ses terres de Provence afin que sa bru mît au monde un enfant mâle. Mais ma mère accoucha d’une petite Marie, puis suivit le chemin de son époux. Grand-père nous combla de cadeaux. Je me souviens encore des deux petits chevaux de bois qu’il nous offrit, à Marie et à moi, tout harnachés, avec selles, rênes, mors, et recouverts d’une très riche couverture, de même que nous croulâmes bientôt sous les nombreux surcots, capuches, capelines, fourrures et robes. L’une de mes préférées était une robe de velours violet ornée de clochettes d’argent qui faisaient bien rire ma naine Luchina lorsqu’elles tintaient.

    Heureux souvenirs des temps anciens, heureux souvenirs de mon enfance, venus du plus profond de ma mémoire. Aujourd’hui, moi Jeanne, reine de Naples, comtesse de Provence et de Forcalquier, suis retenue prisonnière dans cette sombre cellule de Muro depuis le mois de mars, forteresse perdue au milieu de la chaîne des Apennins, fief de mon félon neveu Charles de Duras, dans le plus pauvre dénuement, avec pour toute compagnie, Nina, ma dévouée dame de parage provençale, que mes geôliers m’ont laissée, ainsi que trois esclaves tartares dont je me méfie comme de la peste. De la petite meurtrière renforcée de barreaux, je ne puis apercevoir que la haute ligne des montagnes et un coin de ciel. Ici, pas de mer bleutée dont la réconfortante vision apaise le cœur, seuls mes souvenirs et le farouche espoir de voir surgir de derrière ces montagnes, mon fils adoptif, Louis d’Anjou, venu me délivrer.

    Mais mon histoire ne commence pas là…

    1

    J e ne sais ce que les chroniqueurs et autres historiens diront de moi, lorsque je ne serai plus là. Parleront-ils de ma jeunesse, de mon inexpérience lorsque je montai sur le trône de Naples ? Parleront-ils de ma beauté ? Vanteront-ils ma longue chevelure blond cendré, l’éclat de mes yeux de châtaigne mordorée ou le velouté de mon teint ? Me compareront-ils à mon grand-père Robert, que certains surnommèrent le Sage après l’avoir traité de presque libertin parce qu’il avait quelque peu batifolé en son jeune temps ?

    En vérité, je ne sais ce que l’Histoire retiendra de moi ; l’image d’une vile pécheresse excommuniée par l’Église ? Celle d’une reine sans courage, inapte à prendre des décisions importantes au moment opportun, ou bien la malheureuse victime d’une couronne bien trop lourde à porter ? Mais, tout au long de ces pages, je tâcherai de me montrer honnête, sans me parer de fioritures pour tenter d’atténuer les erreurs de mon règne, de ma vie même. Peut-être que çà et là, au détour d’un souvenir, d’une image surgie du passé, ma mémoire, facétieuse, ne sera pas très fidèle, embellira certains épisodes de ma vie ou accentuera la noirceur d’autres. En tous cas, je me décrirai sans fard, telle que je suis, telle que je me sens, pour ne pas devenir un numéro coincé entre mon aïeul Robert de Naples et mon successeur. Tout au long de ma vie, de mon règne, je fus, et suis encore, une femme avec des peurs, des craintes, des passions, des émotions bien ancrées au fond de mon cœur, de mon corps et de mon âme. Les joies, les douleurs profondes m’ont souvent accompagnée. J’ai vibré, j’ai aimé et parfois détesté, j’ai pleuré, blessée dans mon cœur de femme, de reine, et dans mon corps. J’ai vécu comme tout être doté de chair et de sang, avec mes bonheurs, mes espérances, mes craintes et mes souffrances. Ma naissance fut entourée d’un flou des plus artistique. Nul ne s’en souvint exactement. Était-ce par un sombre soir d’orage balayé par des vents violents et des éclairs zébrant une nuit de décembre 1325, ou bien dans les premiers frissons de l’année suivante ? Nul ne me l’a jamais dit, et on ne le savait probablement pas. Comme j’étais une fille, cela revêtait en fait fort peu d’importance, rien ne fut donc noté.

    Le 13 avril 1327, la venue de mon petit frère Charles Martel, digne héritier du royaume de Naples, du comté de Provence, de Forcalquier et de Jérusalem, fut par contre, mentionnée. Hélas, huit jours plus tard, sa mort prématurée plongea mes parents dans le plus grand désarroi. Ils s’efforcèrent donc de concevoir un autre héritier mâle… et ma petite sœur Marie d’Anjou naquit deux ans après. Mes parents alors, partirent l’un après l’autre dormir avec les étoiles, laissant deux orphelines aux bons soins du roi Robert et de son épouse Sancia.

    Par un tragique concours de circonstances, je fus ainsi placée très tôt au premier plan.

    Mes premiers souvenirs furent des odeurs ; le délicat parfum des fleurs qui poussaient à foison dans les jardins et les terrasses de Castelnuovo, de même que l’air chargé d’embruns et de sel sous la poussée du vent lorsqu’il s’engouffrait dans nos appartements à Marie et à moi.

    Il m’arrivait souvent, à la pointe du jour, au moment magique où les premiers rayons du soleil teintaient à peine la surface de l’eau, de me lever en cachette. Pieds nus, en catimini, je quittais ma chambre pour me rendre sur la terrasse surplombant le golfe. Là, gonflant la poitrine, je respirais à pleins poumons, humant longuement cette odeur si particulière de mer et de vent salé que la fraîcheur du petit matin m’offrait en cadeau. À pas de loup, je retournais ensuite dans ma chambre, prenant bien soin à ce que personne ne me vît, et regagnais sagement mon lit pour rêver à ces merveilles jusqu’à l’arrivée de ma nourrice Filippa de Cabanis, chargée de me réveiller. Si dame Filippa avait eu connaissance de mes escapades matinales, elle m’aurait vertement tancée et vouée aux gémonies, voire à tous les démons de l’Enfer, plus quelques autres encore sortis tout droit de son imagination de Catanoise, me menaçant de ses longs bras noueux et forts.

    Chaque matin, le roi Robert, mon grand-père, avait pris l’habitude de m’emmener « voir la mer », comme il disait. Tenant ma main menue dans la sienne, nous nous promenions, sans garde aucun, dans les jardins de Castelnuovo où, de la terrasse, il me montrait la danse des bateaux dans le golfe. À mes yeux d’enfant, le roi Robert de Naples que d’aucuns surnommaient le Sage, était solide comme un roc, aussi indestructible que notre château de Castelnuovo édifié par notre aïeul Charles 1er lorsqu’il s’établit à Naples, et aussi indissociable de cet endroit. Chaque jour, se déroulait le même rituel ; le roi Robert déboulait dans nos appartements en criant :

    ‒ Comment se portent mesdames Jeanne et Marie, ce jourd’hui ?

    Les deux petites filles que nous étions, plongeaient alors dans une profonde révérence, mi-protocolaire, mi-enfantine, et déclaraient de concert :

    ‒ Elles se portent fort bien, Votre Majesté, fort bien.

    Juste avant de nous jeter au cou de ce grand-père gâteau qui nous serrait bien fort dans ses bras en nous couvrant de baisers. Dans les poches de son habit, je trouvais souvent des pâtes de coing, ma friandise préférée, que j’engloutissais de belle manière, tandis que Marie, toute jeunette dans ses deux ans, mordillait son pouce en sautant sur les genoux royaux.

    Comme nous les attendions, ces visites ! Comme nous les aimions ! Bien plus que celles de notre grand-mère et épouse du roi, la reine Sancia qui nous intimidait toujours un peu sous son regard sévère. D’ailleurs, nous la voyions peu, confinée qu’elle était dans ses appartements jouxtant les nôtres, et où elle passait le plus clair de son temps à prier dans son oratoire.

    Chaque jour, au cours de notre promenade, le roi Robert me racontait la mer.

    ‒ Quand on l’aime, disait-il, on la comprend. Elle est calme, rassurante ; elle m’aide à trouver le repos quand je plonge mon regard dans son immensité bleue. Ferme les yeux, Jeanne, sens-la…

    Obéissant, je baissais les paupières pour mieux « sentir » la mer.

    À quel moment l’attitude du roi Robert changea-t-elle ? Je ne saurai le dire. Il est probable que la modification s’opéra par petites touches successives, jour après jour, au fil des mois et des premières années de ma jeune existence. Je me souviens qu’un matin d’automne, à l’approche de mes sept ans, je trouvai grand-père Robert fatigué. Au lieu de « m’expliquer la mer », il déambulait tristement dans les somptueuses allées du jardin. Autour de nous, le vent d’octobre soulevait les feuilles en tourbillons, dessinant les ravissantes figures d’un ballet aérien, sans que ce roi, qui aimait pourtant les belles choses, y prêtât la moindre attention. Son large front intelligent barré d’un pli soucieux, les yeux perdus dans le vague, Robert de Naples, roi de Jérusalem et de Sicile, duc des Pouilles et comte de Provence, n’était plus qu’un homme las, usé par la vie, serrant frileusement contre lui le manteau rapiécé de ses rêves détruits. Je regardai alors mon grand-père, cette montagne de solidité, et, pour la première fois, vis les sillons creusés par les rides sur son visage. De temps à autre, il hochait tristement la tête et poussait un gros soupir, comme rongé par un immense chagrin.

    ‒ Que faire ? murmurait-il parfois. Que faire ?

    Je serrai alors un peu plus fort sa main dans la mienne :

    ‒ Faire quoi, grand-père ?

    Mais, même en utilisant ce petit nom que d’ordinaire il affectionnait tant, le roi Robert ne me répondit pas, ses yeux jours fixés sur un point de l’horizon, comme s’il s’attendait à une menace, comme si, pareil à Cassandre, il voyait la mer se couvrir de voiles noires et hostiles. Alors, je pris la main de ce grand roi si fort et si fragile, et la pressai longuement dans la mienne.

    Un jour, au cours d’une de nos promenades quotidiennes, il me conduisit à la Tour Brune, de l’autre côté du Beverello, notre jardin. Après m’avoir fait grimper les hautes marches qui montaient au sommet, mon grand-père sortit une grosse clef ouvragée de son pourpoint tout en me regardant d’un air de conspirateur :

    ‒ Tu vois cette clef, me dit-il, elle ouvre la porte là, juste devant toi.

    J’écarquillai tout grand les yeux, ma curiosité piquée au vif :

    ‒ Et qu’y a-t-il, derrière ?

    Le roi Robert mit alors un doigt sur ses lèvres.

    ‒ Mon trésor. Un jour, il sera à toi.

    Éberluée, je questionnai :

    ‒ Pourquoi ?

    D’un ton royal et solennel, il répondit :

    ‒ Parce qu’un jour, Madame Jeanne, vous me succéderez. Un jour, vous régnerez sur ce beau pays.

    À cette époque, je ne compris pas tout de suite ce que cette simple phrase signifiait. La véritable importance des mots m’importait peu, voire m’indifférait totalement. Néanmoins, je souris à ce roi que j’aimais tant et qui me le rendait si bien. Changeant résolument de sujet, je déclarai malicieusement :

    ‒ Et maintenant, Votre Majesté, si on allait dire bonjour à Bianca ?

    Bianca était une petite chèvre blanche que j’affectionnais tout particulièrement car grand-père me l’avait offerte et confiée à mes soins dès sa naissance. Elle vivait tranquillement dans un enclos au milieu de ses congénères, ainsi que d’autres espèces d’animaux parfois fort rares. Mon grand-père partit d’un grand éclat de rire. Caressant ma joue, il acquiesça :

    ‒ À vos ordres, Madame Jeanne. Allons voir Bianca.

    Ravie de retrouver mon grand-père tout joyeux, je lançai :

    ‒ Et les lapins, et les faisans…

    Tout en redescendant les marches de la Tour Brune, je continuai :

    ‒ … Et les bassins, et les fontaines…

    ‒ Et les tonnelles, ajoutait-il

    En riant, nous traversâmes au pas de charge le pont de bois couvert qui reliait les jardins entre eux, ignorant superbement au passage les magnifiques

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