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Agriculture et paysage: Aménager autrement les territoires ruraux
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Livre électronique473 pages5 heures

Agriculture et paysage: Aménager autrement les territoires ruraux

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À propos de ce livre électronique

L'intérêt croissant porté aux paysages constitue une nouvelle avenue pour le développement des territoires ruraux. Largement créés par l’agriculture, les paysages ruraux sont cependant marqués par une uniformisation, souvent interprétée comme une dégradation. Comment aider à façonner l’avenir de ces paysages afin qu’ils deviennent un moteur de nouvelles dynamiques de développement rural?

En faisant appel à des chercheurs d’un ensemble de disciplines complémentaires (aménagement, écologie, agronomie, économie) et à des professionnels porteurs d’initiatives nouvelles sur le terrain, ce livre apporte une lecture inédite dans un domaine de recherche d’une importance considérable pour l’avenir.
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2014
ISBN9782760633018
Agriculture et paysage: Aménager autrement les territoires ruraux

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    Aperçu du livre

    Agriculture et paysage - Julie Ruiz

    ePub: claudebergeron.com

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Vedette principale au titre:

    Agriculture et paysage: aménager autrement les territoires ruraux

    (Paramètres)

    Comprend des références bibliographiques.

    ISBN 978-2-7606-3299-8

    1. Paysages agricoles - Québec (Province). 2. Aménagement du territoire - Québec (Province). I. Ruiz, Julie. II. Domon, Gérald, 1957- . III. Collection: Paramètres.

    GF91.C3A37 2014       333.7309714       C2013-942465-2

    Dépôt légal: 1er trimestre 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2014

    ISBN (papier) 978-2-7606-3299-8

    ISBN (ePub) 978-2-7606-3301-8

    ISBN (pdf) 978-2-7606-3300-1

    Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    IMPRIMÉ AU CANADA

    AVANT-PROPOS

    Agriculture et paysage, premier regard

    Lionel Levac

    Quelles sont les images que nous projette le Québec rural? Comment et pourquoi sont-elles aujourd’hui différentes et parfois désolantes? Avant de plonger dans la lecture d’analyses plus techniques et scientifiques de ces deux questions, il peut être utile de proposer un point de vue plus «impressionniste» et faire part d’observations issues de plusieurs années passées à parcourir le Québec rural, à rencontrer les gens qui y vivent et à observer ce qui se passe dans les fermes.

    Insistons d’abord sur la différence entre environnement et paysage, deux notions à ne pas confondre. Respecter l’environnement ne signifie pas du tout, pas automatiquement du moins, offrir à l’œil un environnement agréable, évocateur des richesses du milieu et respectueux des éléments du patrimoine dans lequel ont évolué les générations précédentes. Il y a un grand nombre de fermes qui se conforment en tous points aux règles environnementales mais qui offrent un paysage triste, dénudé, pas du tout harmonieux.

    Malheureusement, dans nos politiques gouvernementales, dans les mesures d’appui et de soutien, dans l’organisation et la régie d’une ferme, comme dans tellement d’autres secteurs d’activités dans notre société, très peu d’actions sont synchronisées, sont harmonisées. Et d’ailleurs, comment en arriver à influer positivement sur le paysage simultanément à la mise en place de nouveaux équipements, de nouvelles façons de faire. Une «belle» ferme du point de vue d’un agriculteur ne sera souvent pas agréable à voir pour le promeneur. À l’inverse, des fermes belles, aux décors bucoliques, qui projettent de véritables images d’Épinal aux touristes, aux urbains, seront souvent perçues comme archaïques par des exploitants agricoles qui ne conçoivent pas que l’on puisse faire de la production agricole à travers des fleurs, des haies, des bosquets, des bâtiments aux couleurs assorties à celles de la maison sur des parcelles entourées de fossés eux-mêmes bordés d’arbres, avec des vaches qui se promènent librement. Pour un certain nombre d’agriculteurs, tout cela constitue plutôt des problèmes, des contraintes, des difficultés.

    Mais attention, je ne peux aucunement trancher aussi radicalement entre ce qui est beau et ce qui ne l’est pas. Des fermes ultramodernes offrent aussi à l’occasion des décors fort agréables et s’harmonisant bien avec l’environnement, avec le décor avoisinant. Il faut probablement faire du cas par cas si l’on veut qualifier une ferme et une autre.

    Abordons donc la question par le biais des pratiques agricoles, des façons de cultiver la terre et d’élever les animaux. Ce sont d’ailleurs ces pratiques qui ont influencé le paysage agricole québécois, sinon carrément modelé le paysage agricole, depuis que la terre a ici une vocation agricole. Les maisons, le bungalow urbain, le «pavillon» de banlieue transposés en décor champêtre, ce n’est souvent pas très heureux. Mais cette maison de banlieue est apparue pour nombre de familles agricoles comme une façon de se rapprocher de la vie de la ville qu’elles enviaient. Mais à vouloir copier la ville, on en reproduit les fautes. La brique rose, la tôle orange vif, le petit «clin» fade appliqué à tous les bâtiments et qui en dissimule tout détail, toute particularité architecturale, tout cela détonne souvent.

    L’évolution de l’agriculture

    Du temps où il y avait encore 150 000 fermes au Québec, et ce n’est pas si lointain, 1940-1950, il y avait des familles, des enfants, des animaux, des bâtiments pour faire un peu de tout. Des potagers, des pâturages, des pacages, des céréales… Dans les rangs, chaque rang avait sa beurrerie ou sa fromagerie. C’était «l’autarcie», l’autosuffisance. Est-ce que le paysage agricole à cette époque était plus beau? Et si on remonte un peu plus loin dans le temps, à l’époque de la colonisation, est-ce que le paysage était plus beau à ce moment? Plus beau qu’aujourd’hui? Non, probablement pas. Il était probablement assez désolant. Le monde agricole n’était pas riche et ce qui primait était de nourrir toutes les bouches et de bûcher de nouvelles parcelles de terrain pour les enfants qui voudraient à leur tour tenter de vivre de la terre.

    Opération rationalisation

    De décennie en décennie, on grossit, on absorbe la ferme du voisin. Des rangs qui comptaient autrefois 20-25 fermes n’en comptent aujourd’hui que 3 ou 4. Il y a quelques années encore, si on voulait savoir où avait déjà existé une ferme, aujourd’hui disparue parce que fondue dans celle du voisin, on cherchait au printemps les lilas en fleurs. Chaque maison avait ses lilas. D’ailleurs si vous visitez le parc national Forillon, cherchez les lilas, vous verrez où étaient les maisons des familles déplacées ou qui avaient déjà laissé la terre avant que la zone ne devienne parc. Dans le Québec agricole, on voit de moins en moins ces talles de lilas parce que même les quadrilatères où s’élevaient jadis d’humbles maisons ont été nettoyés et nivelés pour agrandir les parcelles de culture.

    On est en voie de faire la même chose avec les vieilles granges de milieu et de fond de terre que l’on utilisait comme entrepôts hors saison pour différents équipements. Ces bâtiments n’ont souvent pas été entretenus et tombent en ruine, enfin ceux qui restent encore. Ces granges entrepôts ont fait fortement partie du décor agricole des dernières décennies, mais leur règne achève. Tout comme celui des vieilles granges étables, en bois vieilli, plus grandes, situées à proximité des maisons et que l’on a dramatiquement négligées au fil des années, alors que l’on construisait souvent juste à côté de nouveaux bâtiments plus fonctionnels, mieux équipés, certes, mais qui se trouvaient aussi dans la logique, parfois discutable, qu’un bâtiment désuet pour ses fonctions d’origine ne pouvait qu’être abandonné. Dans la perception de plusieurs familles agricoles, il n’est pas conforme à une agriculture moderne, contemporaine, de conserver et d’intégrer à une ferme efficace de vieux bâtiments. Ou bien, si on le fait, c’est la plupart du temps au mépris de la valeur et des caractéristiques des bâtiments en question.

    C’est un peu comme les tracteurs. Un très fort pourcentage des tracteurs de ferme au Québec, lorsqu’ils sont remplacés par des véhicules neufs, auraient encore eu une vie utile de plusieurs années. C’est connu, les agriculteurs québécois sont des acheteurs de tracteurs. Les Américains le savent, les agriculteurs des autres provinces aussi puisqu’ils sont souvent acheteurs de tracteurs usagers québécois. Donc, au Québec, il faut pouvoir stationner un tracteur neuf à côté d’un bâtiment neuf, ou moderne en tout cas.

    Bien sûr, pour ce qui est des bâtiments, de nouvelles normes sanitaires ont souvent été à l’origine de l’abandon des vieilles structures. Les allées devaient être plus larges entre les rangées de vaches, les laiteries mieux équipées et plus isolées des troupeaux. Les tas de fumier, la tuque, comme l’appellent encore certains agriculteurs, devaient être éloignés un peu du bâtiment. Et rapidement, on a vu les fosses à fumier, sous gestion liquide, remplacer les tas de fumier. Les fosses de lisiers se sont aussi multipliées près des porcheries alors que des milliers de familles délaissaient la production laitière pour élever des porcs. Plus facile et plus payant disait-on. Aujourd’hui on ne tient plus le même langage, mais l’apparition des porcheries a aussi, très souvent, accéléré l’abandon des granges étables. S’est donc accéléré le mélange des genres dans l’architecture agricole. Le souci d’harmonisation du décor, du paysage n’était assurément pas une priorité.

    Aussi, depuis les années 1970 environ, on a vu progressivement disparaître les vaches des champs. Parce que plusieurs familles élevaient maintenant du porc, mais également parce qu’on a jugé plus efficace une régie de troupeau de bovins laitiers gardés en permanence à l’intérieur.

    Les silos, pour entreposer les grains avant que le marché ne soit intéressant pour écouler les récoltes, se sont multipliés. Ces structures, métalliques pour la plupart, se sont ajoutées aux silos un peu plus anciens et dont la construction avait marqué l’adoption de la pratique de l’entreposage de fourrages hachés, l’ensilage. Beaucoup de producteurs avaient alors remplacé le foin sec par l’ensilage. Malheureusement diront plusieurs fromagers qui prônent le retour à l’alimentation des bovins au foin sec. Donc fini les vaches au champ.

    Les cours de ferme sont désormais conçues pour la manœuvre des camions, toujours de plus en plus gros. L’entreposage extérieur des balles rondes ou carrées (surtout rondes) est une pratique qui pèse très lourd sur le décor. Près des bâtiments, des maisons et sur des parcelles de terre avoisinantes, on étend sur des centaines de mètres ces grands sacs plastiques — une façon économique d’entreposer du fourrage.

    Comme on a acheté la terre du voisin de droite et souvent aussi la terre du voisin de gauche, et que l’équipement est de plus en plus gros, parce que moins de bras sont disponibles pour les travaux, il faut remodeler le découpage des terres. On coupe les haies naturelles, on remplit les fossés, on égalise le sol, les clôtures disparaissent — on n’en a plus besoin, les vaches étant dans l’étable 12 mois par année.

    Le paysage s’ouvre de plus en plus. L’horizon jusque-là «dentelé» par des arbres, des clôtures, des bâtiments et des animaux s’étend sur des kilomètres, sans obstacle. Ces changements ne sont pas qu’esthétiques. Ils influent sur l’irrigation, sur l’assèchement des sols, sur l’érosion hydrique et éolienne, sur la faune de plus en plus absente. Le lièvre et la gélinotte sont de plus en plus rares, par exemple en Montérégie.

    Le phénomène de «grossissement» des exploitations agricoles s’étend. Il s’accompagne pendant plusieurs décennies d’un déboisement soutenu. Heureusement le gouvernement du Québec a pu freiner ce mouvement en imposant des conditions à l’ouverture ou l’agrandissement de parcelles. Mais la disparition des massifs boisés avaient déjà eu ses effets. Au Centre du Québec, par exemple, il est de plus en plus fréquent de voir des nuages de terre par temps sec. Il faut à l’occasion traverser de tels nuages, sur l’autoroute 20, un peu avant et un peu après Drummondville.

    Le paysage, question politique

    Je pourrais chercher encore tellement d’autres exemples d’impact des pratiques agricoles sur le paysage. Mais je vais maintenant aborder la question autrement, en affirmant que le paysage agricole est une question éminemment politique.

    Depuis 122 ans, on tient en alternance à travers les régions du Québec le Concours de l’Ordre national du mérite agricole. Il semble que ce concours ait été jusqu’à tout récemment le seul programme gouvernemental accordant de l’importance au décor, au paysage des fermes. Non seulement les entreprises doivent-elles être bien gérées, être efficaces, respecter l’environnement, mais elles doivent aussi être agréables à voir et à visiter. Mais c’est là une contribution bien sobre au paysage agricole.

    En 2011, Québec a lancé un programme d’appui à la multifonctionnalité de l’agriculture. Le ministre Pierre Corbeil disait alors: «nos entreprises agricoles constituent un moteur économique important pour les régions. Elles dessinent aussi nos paysages ruraux en plus d’occuper et de mettre en valeur nos territoires.» Certains ont pensé ou souhaité que le soutien à la multifonctionnalité des fermes pouvait constituer une politique du paysage agricole. Ce n’est pas une politique du paysage. C’est une politique de développement et de diversification s’adressant aux petites entreprises et encore là dans des zones (municipalités régionales de comté) économiquement désavantagées.

    Un paysage bonifié sera le résultat des activités que l’on aura pu créer ou implanter. La politique de multifonctionnalité veut stimuler de nouvelles productions, diversifier les activités et aussi permettre la protection d’éléments du patrimoine, en plus d’insuffler et de reconnaître l’apport de l’activité agricole à la vie des communautés. Et en ce sens, pour une fois, une politique marque une préoccupation pour le paysage ou à tout le moins vient influer positivement sur le paysage.

    C’est comme ça que le voit Bernard Maltais, maire de Saint-Aimé-des-Lacs et préfet de la MRC de Charlevoix-Est. Je le cite: «Ça cadre avec notre vision de développement agrotouristique, de préservation des paysages et du patrimoine. Mais il est certain que la fonction agricole doit être à la base de ce programme de multifonctionnalité.» On l’a vu au cours des différentes époques de l’agriculture québécoise, le choix des productions et la réorientation périodique des activités ont beaucoup influé sur le paysage. Et soyons très réalistes, l’innovation et la diversification agricoles ne seront jamais les mêmes dans les régions périphériques et dans la zone agricole intensive constituée surtout de la Montérégie, du Centre-du-Québec et de Lanaudière.

    Le Québec n’ayant toujours pas adopté sa politique agricole globale, marquant des orientations claires pour ce secteur, c’est malheureusement encore dans le désordre que se dessine le paysage agricole. Il apparaît donc urgent d’établir cette politique agricole et de définir les voies de développement ou de poursuite des activités. Dans de grandes régions comme la Montérégie, nous avons maintenant à une assez grande échelle ce que moi j’appelle une agriculture d’imitation. Le modèle qui a guidé bon nombre de producteurs est américain. On veut produire les mêmes choses que les agriculteurs du Midwest américain et de la même façon. Les grains, surtout le maïs et le soya, sont devenus les objets d’un culte et comme tout a été standardisé dans les fermes, on n’envisage même plus de produire autre chose.

    Pourtant, la revitalisation, par de petites productions, malgré ce qu’on en dise, constitue une voie réelle d’avenir. Et je citerai cette fois Jean-Louis Buër, directeur de l’INAO, l’Institut national des appellations d’origine, en France. Il participait en avril 2011 à un colloque sur les appellations réservées tenu à l’Université Laval. Considérons tout d’abord que le potentiel pour des productions de créneaux à valeur ajoutée et des produits d’appellation réservée est énorme chez nous. Je cite donc Jean-Louis Buër: «L’appellation et le signe de qualité constituent un modèle économique très structurant et comme tout modèle économique très structurant, il a un impact sur le paysage.» Il donne l’exemple des vignobles qui ont peint nombre de paysages de France mais aussi fait revivre des communautés dévitalisées. Il parle de la production laitière sous signe de qualité avec prépondérance de l’élevage à l’herbe des animaux aux champs. Tout cela avec grande attractivité touristique, dit-il. Mais, en parallèle, avec une amélioration de la situation et des revenus des agriculteurs. Il y a donc place pour une grande diversification de notre agriculture et, du coup, nous y gagnerons une amélioration de notre paysage agricole.

    INTRODUCTION

    Connaître, comprendre et agir sur les liens agriculture et paysage: quelques points de repère

    Gérald Domon

    Un projet d’Hydro-Québec soulève la grogne dans les Laurentides.

    Le Devoir, 14 juin 2013

    Agriculteurs et architectes dénoncent la conversion de terres agricoles.

    Radio-Canada, 30 mai 2013

    Projet de loi sur les mines: concert de réactions… cacophoniques.

    Le Soleil, 29 mai 2013

    Île d’Anticosti: un organisme s’adresse aux tribunaux pour faire cesser les forages.

    Le Soleil, 18 mars 2013

    Les partis s’unissent contre le projet de Val-Jalbert.

    Le Devoir, 16 février 2013

    À l’évidence, l’aménagement du territoire traverse une période de turbulences au Québec. S’il peut être tentant de les associer aux syndromes du «pas dans ma cour» et de l’immobilisme qui marqueraient la société québécoise, ces turbulences paraissent bien davantage témoigner des transformations sociales en cours. Reflet des difficultés que pose l’actualisation de nos visions et de nos actions envers le territoire, elles semblent, du coup, être annonciatrices d’une période de renouveau.

    Ce renouveau, les travaux des différentes commissions indépendantes d’experts qui, à l’aube des années 2000, ont été appelées à se pencher sur les enjeux liés tantôt à l’eau, tantôt à la forêt, tantôt encore à l’agriculture en avaient montré le caractère incontournable. Plus encore, ils avaient permis de tracer la voie à emprunter. La Commission d’étude sur la forêt publique québécoise constatait par exemple que «[p]our réaliser la transition entre la forêt gérée principalement en fonction d’une ressource – la matière ligneuse – à un tout, […] il importe d’intégrer les nouvelles valeurs de la société concernant le développement durable, l’environnement et la conservation de la biodiversité[1]». De même, la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire du Québec était amenée à signaler que «[l]’agriculture peut contribuer de façon significative à l’atteinte d’objectifs sociétaux qui débordent ses activités propres comme la préservation de certains milieux naturels, l’aménagement d’espaces propices au tourisme et la préservation de certains patrimoines[2]». C’est donc à la fois à la prise en compte de nouvelles valeurs, de nouvelles pratiques, de nouveaux rapports aux territoires et à une nouvelle façon d’aborder leur mise en valeur qu’en appelaient les conclusions des travaux de ces commissions.

    Ces constats et ces recommandations ont largement contribué à l’amorce de l’imposant exercice d’actualisation du cadre législatif au tournant des années 2010. De la Loi sur les forêts à celle sur l’aménagement et l’urbanisme, en passant par la Loi sur les biens culturels, la Loi sur les mines et celle sur la protection du territoire et des activités agricoles, c’est la quasi-totalité des outils et des règles entourant l’aménagement du territoire et la gestion des ressources qui a alors été soumise à révision ou à discussion.

    Bien que la portée effective de cet exercice reste à mesurer, son ampleur tout comme celle des débats soulevés témoigne du fait qu’en matière d’aménagement du territoire et de gestion des ressources, le Québec se trouve aujourd’hui dans un contexte de renouveau. Un contexte qui génère des turbulences mais qui est aussi porteur de nouvelles opportunités.

    Ainsi, ce contexte nous amène à découvrir certaines potentialités jusque-là méconnues, voire occultées. C’est le cas du paysage, une dimension historiquement marginale en matière de développement qui s’avère aujourd’hui une ressource déterminante pour bon nombre de communautés rurales. Il nous amène aussi, à travers la multifonctionnalité des territoires, à reconnaître que les ressources présentes sur un même territoire peuvent être interdépendantes et que leur mise en valeur peut être complémentaire.

    Sur la base de ces constats, ce chapitre propose en guise d’introduction générale au présent ouvrage un certain nombre de points de repère. Dans un premier temps, il présente un bref rappel des études qui ont fait ressortir l’importance du paysage en tant que ressource majeure pour les milieux ruraux. Dans un second temps, puisqu’en milieu rural, les caractéristiques de cette ressource sont étroitement liées aux pratiques agricoles, il relève les principales tendances ayant marqué celles-ci, et ce, de manière à pouvoir identifier les principaux enjeux que soulèvent les rapports entre agriculture et paysage. Enfin, puisque ces enjeux renvoient à une grande diversité de connaissances disciplinaires, il propose un cadre commun de lecture, d’analyse et d’intervention, soit un cadre apte à permettre de mieux saisir la contribution des uns et des autres à l’aménagement et à la mise en valeur des paysages agricoles.

    Le paysage, ressource essentielle pour les territoires ruraux

    Si l’importance du paysage pour les territoires ruraux est déjà ancienne, son ampleur et la diversité des formes qu’elle emprunte demeurent à la fois récentes et méconnues. De fait, cette importance trouve son origine dans le développement du tourisme et de la villégiature. Ainsi, les collections de cartes postales anciennes sont là pour nous rappeler que de nombreuses municipalités rurales ont connu très tôt des croissances démographiques saisonnières liées aux dimensions qualitatives des territoires. C’est le cas notamment de Cacouna, de Métis-sur-Mer et des abords du lac Memphrémagog qui, bénéficiant du développement du réseau ferroviaire à la fin du XIXe siècle, se sont depuis longtemps avérés des destinations estivales prisées.

    Ayant connu un développement constant au fil des ans, l’industrie touristique est aujourd’hui devenue une composante importante de l’économie de plusieurs régions; les quelque 62 708 000 visiteurs, dont plus de 60% se dirigent vers les régions autres que celles de Québec et de Montréal, générant des recettes de 10 688 M $[3]. Or, comme le relevaient déjà Zins et Jacques[4], les paysages constituent le premier facteur qui motive le choix d’une destination de voyage. L’offre d’activités, de circuits et d’autres produits récréotouristiques est donc étroitement liée à la qualité non seulement des expériences offertes mais aussi des paysages[5].

    Si le rôle des paysages comme soutien au tourisme en milieu rural est aujourd’hui connu et reconnu, le fait qu’ils soient à la base de l’installation permanente d’individus à la campagne et, du coup, qu’ils agissent sur les dynamiques sociodémographiques des milieux ruraux l’est beaucoup moins. Or, au cours des dix dernières années des études menées à différentes échelles et dans différents contextes géographiques sont venues révéler l’ampleur de ce phénomène.

    À l’échelle locale d’abord, dans une étude sur la municipalité de Havelock, municipalité représentative de plusieurs communautés rurales du sud du Québec, Paquette et Domon[6] se sont penchés sur la localisation des nouveaux résidents. Après avoir caractérisé chacun des 254 lots quant au type de paysage offert à partir de la résidence (lots boisés avec vue fermée, versants supérieurs avec vue panoramique, plaine agricole avec vue restreinte, versant inférieur avec vue potentielle), les auteurs se sont penchés sur les caractéristiques sociodémographiques (âge, scolarité) et l’histoire résidentielle (lieu de naissance, résidence antérieure) des individus. La mise en relation des deux ensembles de données a tout d’abord révélé que la population ne se distribuait pas uniformément sur le territoire, des différences significatives sur le plan sociodémographique pouvant être relevées entre les quatre contextes paysagers. D’autre part, l’origine urbaine, l’occupation libérale et l’appartenance au groupe des 45-64 ans étaient liées aux lots présentant des contextes paysagers spécifiques, soit des lots boisés présentant des vues fermées, soit encore des lots localisés sur le versant supérieur et offrant une vue panoramique. Par conséquent, à l’échelle locale, deux archétypes de paysage guideraient aujourd’hui les migrations liées aux aménités naturelles: la grande vue et la «nature», soit la proximité d’un cadre naturel.

    À l’échelle nationale, McGranaham[7] s’est, pour sa part, penché sur les dynamiques démographiques des zones «non métropolitaines» américaines pour mieux en saisir les dynamiques démographiques. En mettant en relation les recensements de 1990 et de 2000 avec certaines caractéristiques telles que l’importance des superficies boisées, le type de culture, la topographie et la présence de plans d’eau, et tout en prenant soin d’intégrer au modèle d’analyse différentes données socioéconomiques (revenu par ménage, taux de chômage, niveau d’éducation, etc.) afin de s’assurer que l’influence éventuelle de ces caractéristiques n’était pas indirectement liée à d’autres facteurs (ex.: augmentation de l’emploi), il a ainsi pu mesurer l’influence du paysage sur les changements démographiques. Or, à cette échelle encore, cette influence s’est avérée significative. Ainsi, les régions rurales qui attirent de nouvelles populations se sont révélées être celles qui offrent une combinaison de paysages ouverts et boisés, une topographie variée, des plans d’eau et des superficies limitées d’agriculture intensive. Ces résultats rejoignent ceux d’autres études qui, comme celle menée par Talandier, ont montré l’importance déterminante des aménités naturelles sur le développement économique des communes françaises[8].

    Si, à l’évidence, d’autres facteurs (ex.: proximité des centres urbains, configuration du réseau routier) influent sur les dynamiques démographiques, ces études révèlent que, tout comme la qualité des terres et l’abondance de la ressource forestière l’ont été par le passé, le paysage est devenu une des principales ressources pour le développement des communautés rurales. L’importance de cette ressource est d’autant plus grande que, par-delà l’implantation résidentielle, elle sert aussi de levier pour un ensemble d’activités. Par exemple, elle agit comme soutien de nouvelles activités agricoles, comme base pour la mise en place de circuits agrotouristiques, comme source de «mise en marché» des tournages cinématographiques, etc.

    De fait, l’importance du paysage en tant que ressource paraît aujourd’hui telle que traiter de paysage, c’est inévitablement traiter de l’avenir des territoires ruraux. Or, cette ressource demeure étroitement liée aux pratiques agricoles qui l’ont façonnée et qui continuent de la façonner.

    Le paysage, une ressource façonnée par l’agriculture

    Une visite à la campagne pourra étonner quiconque n’est pas familier avec les tendances qui ont traversé et continuent de traverser les milieux ruraux. On pourra ainsi s’étonner de l’absence d’animaux dans les champs, de la taille de ceux-ci, de l’omniprésence du maïs, de la taille des bâtiments, etc. Or, au rythme des mutations des pratiques agricoles, les paysages ruraux ont, ces dernières décennies, connu des transformations profondes.

    Nos représentations de la campagne québécoise demeurent aujourd’hui encore fortement liées au type d’agriculture qui prédominait au cours de la première moitié du siècle dernier. Les fermes nombreuses (134 336 en 1951), de faible superficie (51 ha), se déployaient alors un peu partout sur le territoire, donnant un rythme singulier aux rangs qui le traversent. Présentes sur l’ensemble de l’écoumène, les fermes laitières (96 000 en 1951) concentraient non seulement la majeure partie des terres en culture mais aussi celle des autres élevages (porcs, poules, poulets, etc.). Avec ses bâtiments diversifiés de taille réduite (grange-étable, laiterie, poulailler, écurie, etc.) et son système de rotation des cultures (avoine, foin et trèfle, pâturage), cette forme d’agriculture diversifiée dominée par la production laitière allait donc façonner les paysages et marquer nos imaginaires.

    Or, au cours des dernières décennies, un ensemble de facteurs relevant tant de la sphère sociale que technologique et politique sont venus bouleverser ce modèle dominant et, du coup, générer une véritable mutation des paysages. Ainsi, le plafonnement de la demande en lait (28,2 MhL en 1966; 28,1 MhL en 2006) couplé à l’augmentation considérable de la production par tête (2 828 L en 1966; 7 329 L en 2006) et à celle du nombre de têtes par ferme (15 en 1996; 54 en 2006) ont conduit à une diminution spectaculaire du nombre de fermes laitières (62 000 en 1996; 7 082 en 2006) et généré des efforts constants pour trouver de nouvelles productions afin de désengorger ce secteur. Sur ce plan, le développement de variétés de maïs grain supportant de courtes saisons de croissance (2 500 UTM), la mise en place de structures de drainage des terres permettant un ensemencement plus hâtif de même qu’un appui financier considérable de l’État à travers différents programmes ont permis l’apparition et le déploiement rapide de certaines cultures traditionnellement absentes du paysage québécois. Enfin, sous l’impulsion d’une politique exportatrice très énergique, la production porcine, qui se pratiquait jusqu’alors comme auxiliaire de la production laitière, allait connaître au cours des années 1990 une croissance spectaculaire, le cheptel comptant quelque 4 000 000 de têtes au début des années 2000.

    Tout aussi succincte qu’elle soit, cette esquisse des principaux jalons de l’évolution récente de l’agriculture québécoise permet d’anticiper l’ampleur des transformations qui ont marqué les paysages ruraux. Pour mieux mesurer celles-ci, il importe toutefois de rappeler certains faits.

    Il importe d’abord de rappeler que si, au Québec, le nombre de fermes a diminué de manière spectaculaire (134 336 en 1951; 30 675 en 2006), la superficie totale des terres en culture a quant à elle connu une diminution nettement moindre (6,9 Mha en 1951; 3,5 Mha en 2006), traduisant ainsi une augmentation significative de la taille moyenne des fermes (51 ha en 1951; 107, 2 ha en 2006). Rappeler également que dans la foulée de la diminution spectaculaire du nombre de fermes laitières, certaines cultures comme l’avoine (1951: 565 000 ha; 2006: 111 500 ha), le foin (1951: 1 478 000 ha; 2006: 840 000 ha) et les pâturages (1951: 1 086 673 ha; 2006: 306 000 ha) ont subi des diminutions considérables. Rappeler enfin qu’à l’inverse, certaines cultures nouvelles comme le maïs grain (1951: 1 210 ha; 2006: 375 000 ha) et le soya (1951: 0 ha; 2006: 193 000 ha) ont connu des croissances remarquables.

    Cela dit, ces données masquent des réalités fortement contrastées à l’échelle locale et régionale. De fait, rejoignant en cela les conclusions des différentes études[9], l’influence des conditions biophysiques sur la distribution des activités agricoles s’est accentuée considérablement au cours des dernières décennies. Alors que la production laitière qui, comme souligné précédemment, a longtemps dominé l’ensemble du territoire agricole québécois, se déployait presque partout dans l’écoumène, une différenciation de plus en plus nette entre, d’une part, les basses-terres du Saint-Laurent et, d’autre part, les plateaux laurentidiens et appalachiens a ainsi pris forme au cours des dernières décennies. Deux principaux facteurs concomitants sont à l’origine de cette différenciation. D’une part, la culture du maïs et du soya, qui en 2006 représentait à elle seule les deux tiers des superficies en cultures céréalières (568 000 ha sur un total de 859 000 ha), est très largement concentrée dans les basses-terres[10]. D’autre part, alors que, par le fait même, l’agriculture s’est maintenue ou a accentué sa présence au sein des basses-terres, les régions au relief plus accentué ont quant à elles connu une importante déprise, l’essentiel de la diminution des terres cultivées (3,4 Mha entre 1951 et 2006) y étant concentré.

    Le territoire agricole québécois est donc aujourd’hui traversé par deux tendances lourdes, à savoir une intensification de plus en plus marquée des pratiques sur la partie sud de la plaine du Saint-Laurent et une déprise toute aussi marquée sur les secteurs à topographie plus accentuée situés à l’extérieur de celle-ci[11]. Tant dans les zones de déprise que dans celles d’intensification agricole, ces transformations ont induit une véritable mutation des paysages ruraux, mutations qui dans les faits sont le plus souvent perçues en termes d’uniformisation, de banalisation,

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