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Histoire esthétique de la nature
Histoire esthétique de la nature
Histoire esthétique de la nature
Livre électronique470 pages6 heures

Histoire esthétique de la nature

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À propos de ce livre électronique

"Histoire esthétique de la nature", de Maurice Griveau. Publié par Good Press. Good Press publie un large éventail d'ouvrages, où sont inclus tous les genres littéraires. Les choix éditoriaux des éditions Good Press ne se limitent pas aux grands classiques, à la fiction et à la non-fiction littéraire. Ils englobent également les trésors, oubliés ou à découvrir, de la littérature mondiale. Nous publions les livres qu'il faut avoir lu. Chaque ouvrage publié par Good Press a été édité et mis en forme avec soin, afin d'optimiser le confort de lecture, sur liseuse ou tablette. Notre mission est d'élaborer des e-books faciles à utiliser, accessibles au plus grand nombre, dans un format numérique de qualité supérieure.
LangueFrançais
ÉditeurGood Press
Date de sortie6 sept. 2021
ISBN4064066336721
Histoire esthétique de la nature

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    Histoire esthétique de la nature - Maurice Griveau

    Maurice Griveau

    Histoire esthétique de la nature

    Publié par Good Press, 2022

    goodpress@okpublishing.info

    EAN 4064066336721

    Table des matières

    Le règne animal

    Passage de la flore à la faune. — L’apparition de la laideur. — Classification du laid

    Le laid anormal

    Genèse du sentiment esthétique inspiré par les animaux Enquête sur l’enfant

    Enquête sur l’enfant

    Description des types animaux

    Les Imperceptibles

    Les Etoilés

    Apodes et Polypodes

    (Vers et Crustacés)

    Les Polypodes (Crustacés)

    Les Insectes

    Les métamorphoses des Insectes et leurs mœurs

    Classification des Insectes

    Les abeilles

    Les guêpes

    Les fourmis

    Mouches de galles, et insectes «insectophages»

    Papillons de jour

    Les «Microlépidoptères»

    Mollusques

    La Coquille

    Variétés de Coquilles chez les Gastéropodes

    LES VERTÉBRÉS

    Vertébrés aquatiques

    Classification des Poissons

    Famille des Gades

    Famille des Labres

    Famille des Mulles

    Famille des Spares

    Famille des Vives

    Familles des Sciènes et des Squammipennes

    Famille des Scombres

    Famille des Gobies, des Blennies et des Muges

    Famille des Saumons

    Famille des Perches

    Famille des Esox

    Familles des Cobites, des Silures et des Gaster osteides

    Famille des Ganoïdes

    Poissons vermiformes

    Poissons plats ou «foliacés»

    Batraciens

    Reptiles Sauriens

    Reptiles Ophidiens

    Reptiles Chéloniens

    Vertébrés aériens

    Reproduction

    Classification

    Rapaces diurnes

    Rapaces nocturnes ou «Crépusculaires»

    Oiseaux plongeurs

    Grands voiliers de mer

    Les Echassiers (paludéens)

    Les Coureurs

    Les Impennes

    Conclusion

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    Il a été tiré de cet ouvrage dix exemplaires numérotés de I à X sur papier de luxe, hors commerce.

    Cliché Archives photographiques, Paris

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    Le règne animal

    Table des matières

    Passage de la flore à la faune. — L’apparition de la laideur. — Classification du laid

    Table des matières

    EN passant de la flore à la faune, le naturaliste constate un progrès; l’esthéticien note, au contraire, — au moins momentanément, une déchéance. Cela vient d’un contraste assez singulier entre la vie qui monte et qui s’étend, tout de suite, et l’élégance des contours qui décline. Ces massifs de verdure bien ajourés, partout présents à notre vue, ces feuillages légers, harmonieux de forme et de voix tout ensemble, ces attitudes gracieuses ou fières de fleurs qui se penchent, de tiges qui se dressent ou s’enroulent, le parfum de ces fleurs, l’arôme et la saveur des fruits, l’ombre même qui s’épand de là pour nous défendre du soleil, — tout concourt à faire de la flore une sorte de paradis matériel... A ce point que, nous promenant sous les arbres, et détachant les corolles pour un bouquet, il ne nous vient pas vite à l’idée que ces choses si décoratives soient des êtres occupés de vivre, en définitive, ou des organes dont le jeu perpétue la vie, rien que la vie.

    Tandis que la faune, elle, dès ses débuts, nous apparaît monstrueuse, — et je dirais presque infernale. Au moins peut-on dire, sans hyperbole, qu’il survient là comme une école réaliste, dénonçant les actes vitaux essentiels sous un jour suspect et fâcheux: les fonctions digestives ou respiratoires, à peine soupçonnées dans ces jolies palmes ou pennes foliaires, s’exercent désormais au prix d’instruments disgracieux, de viscères, — si sordides et répugnants que leur évasion fortuite hors de peau devient effroi, presque scandale. Les secrétions ne sont plus ici des arômes; et rien, dans le règne animal, qui corresponde aux nectars, aux essences odoriférantes et balsamiques. Dès lors, une pudeur, naissant avec l’horreur, a souci, dirait-on, de masquer tous les rouages et les rôles fondamentaux de la vie; les fonctions qui conservent cette vie, l’entretiennent, n’osent plus se manifester au grand jour; non plus, a fortiori, celles qui doivent la perpétuer: plus de feuille qui s’étale; plus de fleur qui s’épanouisse; mais des appareils d’aération, de fructification bestiale qui s’invaginent, suivant la langue des savants, c’est-à-dire qui rentrent au dedans, se cachent sous un repli d’épiderme.

    Problème saisissant, — qui ne figure pas, néanmoins, sur la liste officielle des problèmes. Moi le premier, peut-être, je l’aborde; je me demande, au seuil de la faune, ce qui change les couleurs, naguère encore tout idéales, du tableau, — et comment s’introduit le laid parmi tant de grâce.

    Le LAID, — c’est bientôt dit. Mais il faut s’entendre sur ce mot. Car, sous son apparence unitaire, il cache une multiplicité surprenante. Comme vous l’allez voir, il n’exprime pas un fait définitif, immuable, mais toute une série graduée. Le laid comporte des degrés, et des modes; il est susceptible d’une classification.

    Et d’abord, le laid s’offre sous deux aspects très distincts: il est normal — ou anormal. — Un hippopotame, aussi bien venu que vous le voudrez, aussi sain, aussi léché que possible par ses parents, n’est pas «joli», vous en conviendrez. Non plus, une araignée, fût-elle de l’espèce qu’on appelle, de son nom savant, «Epeire diadème »... Non plus, un singe, et le mieux doué d’entre les singes... Voilà le laid normal.

    Comparé, d’autre part, au pur-sang qui sort de nos haras, avec ses prunelles de feu, ses jarrets d’acier, sa crinière et sa queue soyeuse, le cheval de fiacre fourbu, l’œil terne et la tête pendante, fait piètre figure. Ce n’est plus un «coursier», c’est une «haridelle» ; — et pourtant, c’est toujours, en somme, un cheval. Voilà le laid qui doit se qualifier d’anormal.

    Arrêtons-nous, d’abord, au laid «normal». Je sais bien qu’on peut dire, à la rigueur, un beau singe, un magnifique hippopotame, une superbe araignée... Je connais la distinction des philosophes entre le beau «générique» et le beau «spécifique» : tout être est beau, déclare-t-on, s’il réalise intégralement le type, et l’idéal de sa race. D’accord; mais faut-il encore reconnaître que s’il existe des individus laids dans une race belle, il se trouve aussi des races laides dans une tribu, — des tribus laides dans une famille, — enfin des familles moins douées, esthétiquement, que d’autres, dans l’ensemble du règne animal.

    Vous dites que la beauté d’un individu consiste strictement à reproduire l’idéal de l’espèce (idéal, dans le sens d’idée, de plan préconçu). — Soit; mais n’est-il point, à ce compte, un idéal infime, au même titre qu’un sublime? Le charbon peut atteindre la perfection; c’est la perfection du charbon. Le diamant possède une perfection supérieure.

    Que si vous dressez l’échelle des perfections animales, j’aurai le droit d’inscrire, sur les échelons les plus bas, le mot laideur, tout comme j’écrirais, à la limite des états physiques du sol, le mot de boue. Le philosophe a besoin, parfois, de laisser ses subtilités, et de parler comme tout le monde.

    Remettant à plus tard l’étude du laid «anormal», résultat, toujours individuel, d’ailleurs, soit de monstruosité, soit de maladie, je m’occupe aussitôt de la laideur normale; et d’emblée, j’y reconnais des espèces et des variétés fort nombreuses.

    Et tout d’abord, ce laid normal, qui est de règle en la Nature, il se manifeste au regard, — ou se cache; il est patent, — ou latent. Vous verrez, d’ailleurs, que, d’une manière ou de l’autre, il n’en est pas moins compatible avec la beauté.

    Le laid que je qualifie de «patent», peut être permanent, définitif, — ou bien temporaire et d’existence transitoire; — il peut, au premier cas, s’accompagner du beau; il peut, au second, en être suivi. Ce n’est donc pas un vice irrémissible. Je m’explique.

    Un animal adulte, que la Nature adapte à des milieux infimes ou bien exceptionnels subit, par là-même, une série de déformations, lesquelles sont logiques, et régulières. Il nous semble laid, justement, parce qu’il est bien adapté au milieu. En effet, ce dernier étant bas, le rabaisse: exemple d’idéal relatif, et sans gloire. Nombre d’animaux s’offrent, sous ce rapport, comme des modèles. Parmi les Mammifères, je citerai le type pachyderme; soit le porc, ou pourceau, — et, parmi les Oiseaux, le pingouin. Ce dernier se distingue surtout par l’excès de tissus adipeux, qui fait de son ventre un magasin de graisse: trait d’accommodation merveilleuse aux climats polaires, — mais, en même temps, trait de disgrâce et de déchéance esthétique. On admire la prévoyance du Créateur, en cette occasion, tout en préférant, à bon droit, la mouëtte légère qui vole si gracieusement, en rasant les vagues.

    Or le pingouin, masse de chair emplumée lourdement, — capitonnée, plutôt, de duvet, non pas aptère, absolument, mais — ce qui est pis, — portant des sortes de moignons qui nous font regretter les ailes, — il est, ce palmipède obèse, définitif; tel il est, tel il restera. — D’autre part, l’adaptation, chez lui, étant complète (je n’ose dire «parfaite»), sa laideur embrasse le corps tout entier; elle est totale.

    Tournons-nous, à présent, du côté du Soleil levant. Voici le flamant, au plumage tout rose, du ton d’une aurore orientale. Mais voilà : c’est un échassier, c’est-à-dire un oiseau de marais; aussi ses pattes sont-elles allongées démesurément. — je veux dire: hors de la mesure de nos yeux; car elles sont conformes au mode d’existence. Je le définirais, le flamant: beau plumage sur laid quillage... N’allez point penser ici que je blâme; faut-il donc répéter qu’il y a laideur et laideur? Celle-ci, notez-le bien, n’est que partielle; elle affecte les jambes et laisse indemne le reste du corps; en effet, le milieu déformant n’est plus ici l’air froid enveloppant tout l’être, mais le sol, seulement, qui s’enfonce, et qui fait foncer.

    Couple de flamants.

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    Or si, de ce flamant, encore critiquable par endroits, je passe à des types jugés parfaits, auxquels l’idéaliste le plus pointilleux ne trouverait rien à reprendre, voici qu’en cet impeccable extérieur se découvre une dissonance. Eh oui! l’harmonie la plus achevée, dans les contours comme dans les sons, n’est pas absolue. Dans un être que nous proclamons beau, d’un cri, sans restriction, tel le paon, la colombe, l’algazelle du Sénégal, c’est l’ENSEMBLE qui nous prend d’emblée, et nous garde; car le détail n’est pas toujours, en soi, parfait; même, il ne peut l’être, absolument, puisque l’animal a des fonctions, en somme, à remplir; or, parmi tant de rôles organiques, s’il en est de supérieurs, — de grands premiers rôles, il en est d’autres subalternes, et même infimes. Les pattes des plus séduisants voiliers sont à leurs plumes, un peu, ce que les racines, sèches et parcheminées, sont aux fleurs.

    Aussi la distinction s’impose impérieusement, pour notre Esthétique, d’une adaptation aux milieux, — et d’une adaptation aux fonctions. Vous pressentez que la seconde sera moins pressante que la première, et plus tolérante pour la plastique; car, dans un milieu tempéré, l’acte fonctionnel se tempère; l’animal n’a plus à s’engoncer de grossières fourrures, ou de duvets touffus, à s’alourdir de pannes graisseuses, à s’étirer les jambes en échasses... Mais il lui reste à vivre, après tout; et manger suppose une mâchoire, un bec; — marcher, des doigts et des ongles, — guerroyer, des cornes, des aiguillons, des ergots. — Je sais bien que de tout cela, la Nature tire, quand elle veut, des ornements. Il n’en est pas moins vrai qu’on s’éprend surtout, chez l’Oiseau, des ailes; des yeux, de l’encolure et de la crinière chez le cheval; enfin, chez l’animal humain le plus achevé, chez la femme, seuls, des juges sensuels ou de mauvais goût s’arrêtent aux parties du corps que dissimule, — non sans profonde raison, et nécessairement, — le costume. — J’ajoute même: esthétiquement, car à mes yeux, le nu, ce culte des âmes païennes, reste insuffisant, comme indigent, et pénible à fixer.

    La «Tête de Cire» du Musée de Lille.

    Cl. Revue Encyclopédique, Larousse.

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    Sous l’évidente hiérarchie des régions du corps et des traits du visage, est une échelle de fonctions. Si déjà le visage, dans le type humain, prime tout le reste, — en ce visage lui-même, les lèvres — aussi charmantes qu’on voudra, — le nez aux lignes les plus pures, la volute la plus harmonieusement enroulée des oreilles, — tout cela se subordonne, en beauté comme en rôle vital, aux yeux, «miroirs de l’âme», faits pour voir — et faits aussi pour être vus.

    Quel intérêt on prend à suivre ainsi l’Adaptation dans sa marche, ou dans son essor, si l’on veut: d’abord tyrannique, puis de plus en plus douce, et souple dans sa discipline; déformant d’abord, pour conformer ensuite; faisant des ventres de pingouins, puis des joues d’enfants, — des pattes grêles de flamants et des jambes fines de chevaux.

    J’étais donc bien fondé d’admettre des degrés pour le laid, qui, lors même qu’il est manifeste et définitif, s’atténue, du tout à la partie, jusqu’à devenir, en quelque sorte, le commensal du beau. Dès lors, on ne l’aperçoit plus; il se fond dans l’ensemble, et la symphonie d’un beau corps en utilise, en quelque sorte, les dissonances pour réaliser ses cadences, ses mouvements de lignes nécessaires. Notez donc ceci, que la dissonance, en Plastique, autant qu’en Musique, n’est qu’un état d’équilibre instable. Instabilité nécessaire, sans laquelle rien ne serait en somme, réalisé, tout dormirait dans le néant de l’équilibre stable, indifférent, stérile. Pour qu’un mouvement sonore, ou générateur de contours, s’accomplisse, il faut que l’équilibre, d’abord, soit rompu: le coup de balance est fatal; seulement, les grandes oscillations du début, atteignant les pôles extrêmes, vont se restreignant toujours davantage; l’écart excessif de la vie perd de son amplitude; il ne cesse pas: ce serait l’inertie, le néant des formes; il se fait seulement plus mesuré : c’est un «minimum favorable». Cette idée d’oscillation plastique justifiait déjà la variation dans le règne végétal, à peu près intégralement harmonieux. En celui, plus tourmenté, des animaux, elle justifie la variation autrement hardie, — même, à ses débuts, téméraire. L’être, en progrès d’organisation, de sensibilité, de conscience intime de soi, devient plus impressionnable aux forces extérieures. L’ambiance retentit davantage sur un organisme moins passif, et qui réagit énergiquement. Alors se manifestent ces excès de croissance — ou ces atrophies — qui nous scandaliseraient peut-être, sans l’attente, et le ferme espoir que nous gardons d’un tempérament futur à cette vie sauvage, emportée...

    Cette attente n’est pas trompée. Ce qui vient d’être établi pour l’espace vaut pour le temps. Le beau n’accompagne pas seulement le laid dans une espèce, il lui succède. La gradation du moins pur au plus pur, perceptible simultanément chez l’adulte, se laisse observer successivement, dans la transition de l’embryon à l’adulte, de la larve informe, rampante et répugnante, à l’insecte parfait, ailé, vif, attrayant.

    A ce compte, ce que nous appelons la «beauté » serait fonction d’une limite: limite d’espace au cas du laid qualifié par nous de permanent; limite de temps, au cas du laid défini comme transitoire. — De «belles» lignes, ce sont des lignes qui dévient, comme les mauvaises, mais en des bornes plus restreintes, — ou mieux établies. Ce sont aussi des lignes dissonantes, mais qui se résolvent heureusement. Et ces «résolutions plastiques» actuelles, qui, dans un être beau, fondent l’harmonie définitive, des traits, ce sont effectuées, pour ainsi dire, musicalement, dans la série des états larvaires. La chenille, comparée au papillon qu’elle doit engendrer, est un monstre; mais n’est-ce pas un monstre, également, qu’un papillon dont on vient d’arracher les ailes ou dont les ailes, naturellement, sont plus ou moins atrophiées? — Ainsi, pour parler strictement, le papillon, — l’oiseau, — le cheval, ne sont point des «beautés» ; ce sont des échelles harmoniques montant de laideurs en beautés, du minimum de perfection si vous préférez, à son maximum.

    Figures extraites des Métamorphoses des Insectes, par Maurice Girard (Hachette).

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    Du laid qui se montre au grand jour, pour le temps de la vie larvaire, ou toute la vie, passons à celui qui se dérobe constamment au regard: le laid latent.

    Tout comme le premier, celui-ci se montre définitif ou temporaire. Parlons d’abord du transitoire. Il ne s’agit plus, ici, de larves, mais d’embryons. L’être nouveau qui doit perpétuer une race supérieure et plus fine, n’est plus lancé, prématurément, «lâché » dans le vaste monde à l’état d’œuf, ou de chenille; il quitte l’organisme maternel au dernier moment; et, bien avant ce terme, il vit d’une existence secrète, souterraine, pour ainsi dire. Cette gestation, plus ou moins prolongée, sauve de tous hasards le rejeton d’une race précieuse; — elle épargne, du même coup, à notre œil, les appréhensions et les répugnances d’une vie louche encore, d’une forme lente à se préciser. Ici, la Nature fait d’une pierre deux coups; elle atteint deux buts d’un seul effort: en dissimulant ainsi ses travaux, elle ne vise, sans doute, qu’à les couvrir, comme on habille de planches un édifice en construction; or il se trouve qu’elle respecte, à la fois, nos susceptibilités esthétiques. Elle sauve donc, simultanément, d’un échec, la Vie — et la Beauté. Celle-ci naît, en ce cas, d’une limite de temps; quelques lunaisons s’échelonnent entre le fœtus et l’enfant, — entre le monstre et l’ange.

    Mais l’ange, eût dit Victor Hugo, garde encore le monstre enfermé dans lui... Cet enfant, dont vous caressez les cheveux fins et les joues pleines, qui vous séduit par la pureté de ses traits, l’unité tranquille de son teint, — n’est-il pas, au fond, un système inextricable, inquiétant, d’os, de muscles sanglants, de viscères imbibés d’humeurs?... Un millimètre, en lui, sépare le charmant de l’horrible... Encore ici, le beau se révèle fonction d’une limite, — cette fois non de temps, mais d’espace.

    Peut-être trouvez-vous pénible que je vous arrête sur cette idée. Mais, à mon sens, c’est un devoir dont une Esthétique virile doit s’acquitter. Et puis, si le fait vous révolte, prenez-vous en à la Nature. — Celle-ci, pourtant, — ne l’oubliez pas, — vous respecte; elle a pitié de vos scrupules: elle le cache si bien, ce laid troublant, qu’il ne vous trouble guère, d’habitude. Même, pour que vous vous avisiez qu’il existe, il faut un accident, ou bien cette espèce de viol que seul, un ordre venu de la Science peut légitimer. A ce propos, je me souviens qu’un jour, en cette revue d’alcôves douloureuses qu’ils appellent clinique, le cortège des tabliers blancs s’était arrêté devant une petite malade. La fièvre qui l’avait couchée là, sous un numéro, paraissait fléchir, et l’enfant aux paupières lourdes encore, souriait sous son béguin, se laissait reprendre à la vie... Mais tout mal peut avoir de cruels retours; et lorsque nous revînmes, au lendemain, le lit était vide... Sitôt la visite achevée, nous fûmes, nécessairement, à l’amphithéâtre. Là, son corps de fillette, pur de lignes, immobile, aux tons de statue, s’allongeait, nu, sur la dalle des autopsies. Sa chevelure de quinze ans, délivrée du bonnet d’hôpital, balayait de ses mèches folles le sein qui ne battait plus... Un instant, l’interne hésita; mais il fallait en finir. Alors la peau fine, homogène, robe de chair sans couture, impeccable en son enveloppante unité, fut entamée par un scalpel; les rouages profonds dont l’arrêt avait rendu cette belle horloge de vie désormais hors d’usage, furent découverts, et gâchés. Ce furent d’abord les muscles rouges, embus de sang, puis le squelette ingrat des arcades costales; enfin le trou béant, encombré d’organes étranges, repoussants.....

    Quelle leçon d’Esthétique je pris là, moi si peu médecin! Laissant les autres attentifs au texte anatomique, à ses altérations soudain révélées, à sels maculatures, je méditai longtemps, stupéfait, sur ce passage vraiment brutal de la grâce rassérénante à l’horreur. Je compris alors une loi qu’aucun maître, aucun traité n’enseignait: LE BEAU PATENT, LE LAID LATENT; l’harmonieuse et tranquille simplicité des contours entourant la complication discordante, — la pureté couvrant la souillure, — la noblesse oisive des lignes encadrant l’activité plébéïenne des appareils.

    Oh! ce regret d’une force agissante et charmante, ce deuil de la beauté, même chez les plus insignifiants des êtres animés qu’on dépouille!... Oiseaux, hier si glorieux, qu’on dégrade de leur plumage, — Ruminants si doux et si fiers qu’on découronne et qu’on scalpe, — chefs-d’ œuvre sculptés des coquilles, d’où l’on arrache le germe qui les modela... Au moins, qu’en commettant ces crimes nécessaires, on sache ce qu’on fait, — ce qu’on défait, plutôt; et qu’on s’arrête un instant, ému comme moi, à l’idée qu’on délivre le Laid captif...

    Mais le mot d’ordre qui de retient prisonnier, ce Laid, hors de vue, est plus général qu’on ne pense. Il s’étend au tout comme à la partie, s’impose aux organismes aussi strictement qu’aux organes. Je m’en rendis compte à l’Exposition, qui se fit naguère, de la pêche du Talisman et du Travailleur: pêche miraculeuse, peut-on dire, faite expressément pour augmenter le trésor de Science, — faite, insciamment, pour servir quelque jour de document esthétique. Car ces araignées d’eau aux pattes prodigieuses, ces crustacés aveugles agitant des moignons, ces pieuvres qu’on ne croyait toucher qu’en cauchemar, ces poissons improbables, tout en épines, en verrues, — cela nageait, grouillait, se tordait — loin des regards humains, dans les lointains bas et profonds, sous les plis nacrés de la mer. Lisse, homogène et souple, ainsi qu’un épiderme féminin, uniformément bleuâtre, opaline, ou laiteuse de teint, suivant les soleils, elle recouvrait, la mer, une faune contournée, repoussante aussi, comme viscérale.

    En surface comme en profondeur, la Nature adopte décidément ce parti. Remarquez, à ce propos, que son système de répartition des êtres suivant l’étendue ressemble aussi peu que possible à celui de règle en nos museums: Vous n’avez guère chance de retrouver, en plein air, les méthodes de Linné, de Jussieu... Mais vous y découvrez une classification esthétique. Les êtres s’associent, non point d’après leurs filiations, mais d’après leur adaptation. Un même milieu rassemble les types les plus dissemblables; ceux-ci ne se ressemblent que sur un seul point: la facilité qu’ils trouvent à s’accommoder: ainsi l’Océan, partout identique à lui-même, imbibe de son sel des polypiers et des méduses, des étoiles de mer et des coraux, des vers annelés à peau nue, des coquillages très durs en spirale, d’imperceptibles mollusques ailés, et des mammifères géants à nageoires. Le fluide aérien soutient les ailes emplumées des Oiseaux, les ailes parcheminées des Insectes. De l’humus fraîchement remué sortent des lombrics, des courtilières, et des taupes; enfin, la mare qui nourrit les larves de cousins, fait subsister en même temps les têtards.

    Puisque l’Adaptation domine la scène, il faut s’attendre à trouver, en pleine lumière, les bêtes vives et brillantes, dont la vie s’exalte à la lumière, qui (l’aiment et en sont aimés; — inversement, aux coins obscurs, les bêtes lentes, ténébreuses, ayant la haine du jour, qui les tuerait. Et c’est en réalité ce qui est, ce qui s’observe couramment. Provisoire ou définitive, toute laideur se cache, parce que, précisément, elle ne peut affronter cette splendeur ambiante, qui fonde la beauté. Si, dans vos excursions en prés, en forêts, vous ne rencontrez jamais d’embryons, ni de chrysalides, — c’est qu’embryons et chrysalides ont besoin d’ombre et d’immobilité qui protègent; ce n’est pas leur laideur qui se cache, mais leur faiblesse. De même, en la prairie, les fleurs adultes seules se montrent; les trop jeunes, les mal formées encore, sont en boutons; de même l’Oiseau, quand vient l’époque de la mue, sent le danger de se répandre, et demeure. Les chauves-souris ne sont pas honteuses de voler en plein jour; elles en sont peureuses. — Dehors, au contraire, à la franche clarté du soleil, et sous un ciel de fête, les papillons tout blancs, bleus d’azur ou rouges comme un couchant, les libellules au corselet métallique, aux ailes de guipure, les mouches gaies, hardies, vibrent avec une sonorité musicale; ils se font entendre et voir, s’imposent à nous; ces êtres beaux et gracieux peuplent l’atmosphère avec une sorte d’ostentation, qui n’est que l’exubérance de vie: c’est l’éclat de vie, d’ailleurs, qui les rend si gracieux, et si pleins d’attraits. Songez que d’énergie vitale il faut en surcroît pour triompher de la pesanteur, et monter dans l’espace...

    Vivre, — ainsi les Reptiles, ou les Amphibies, tapis dans les fourrés, parmi les roseaux d’un étang, c’est ne vivre qu’à-demi, c’est végéter... Les rejetons des plus nobles races ne paraissent point, déjà, sur la scène, avant que leur crue ne soit achevée, qu’ils aient acquis la somme de vitalité suffisante. Même, les adultes de basse lignée, n’étant jamais achevés, restent confinés aux plans lointains et profonds. Il y a là comme une perspective d’ordre supérieur, et dont les lois règlent la répartition de la vie, comme ailleurs elles règlent la répartition de la lumière; et de là ressort un véritable clair-obscur de beauté. Plus vive est la lumière, plus chaude la couleur. Pâle et glauque est la faune des fonds d’Océan; si peu de lumière s’y tamise! Pâle aussi, mais d’une blancheur mate de neige, la faune polaire, éclairée d’un reflet de neige, ou des rayons obliques d’aurores boréales. Tandis que les roses, au soleil d’Orient, sont plus roses; les épis blonds blondissent encore; tout s’avive, les corolles comme les cristaux, les tests de mollusques comme les corselets d’insectes. Ainsi, dans la Nature, évidence et beauté s’associent; disgrâce et dissimulation vont de pair. C’est une loi de mimétisme esthétique, dont le langage a d’ailleurs l’intuition, puisqu’on qualifie le comble du beau de «splendide». Et, si l’on dit couramment «la belle Nature», c’est qu’on n’aperçoit, en somme, de la Nature, que ce qu’elle contient de beauté.

    Voilà donc le Laid singulièrement atténué, dans l’univers normal, par ce fait qu’il se dissimule, qu’il est latent. Je sais bien qu’on m’objectera: «pas toujours!... Il n’est point rare de rencontrer, s’offrant sans vergogne à la vue, des types d’une harmonie contestable, et se faisant remarquer, justement, par quelque trait excessif, d’une expression pénible, ou tournant à la charge...» A quoi je répondrai que le mot latent est très-vaste, et qu’il est toute espèce de degrés en «latence». Un être peu correct, équivoque de forme, peut fort bien passer, au regard esthétique, inaperçu. Pas n’est besoin qu’il rentre sous terre, au bruit de nos pas, ou qu’il plonge dans l’eau, qu’il gagne l’ombre à tire-d’ailes. Il lui suffit d’être à l’abri, physiologiquement, du regard; c’est-à-dire que, placé sous nos yeux, il ne serve pas de point de mire pour nos yeux. Et comment cela? — Par un certain rapport de convenance entre l’être et son habitat, entre l’acteur (ou figurant) et le décor. Le milieu dissimule encore ici l’animal, — mais cette fois en couvrant ses défauts, non plus sa personne. Et ce n’est pas le plus mauvais moyen, pour lui, de se dérober. On juge le chameau défectueux; mais, à le voir courant en ses déserts die sable, et sous son ciel, — ou bien agenouillé, dans un campement algérien, en longue file, — est-ce qu’on croit retrouver devant soi le triste bossu du Jardin des Plantes?... Les girafes n’étaient pas faites pour poser derrière les grilles d’un parc zoologique; il faut, pour les juger, les aller voir broutant, parmi les sorghos, sur ce sol africain dont elles ont la raideur, et la couleur.

    L’ara, solitaire et maussade, sur son perchoir, nous donne la joie d’une caricature somptueusement enluminée... Mais figurez-vous un essaim de ces perroquets orchestrant l’unisson de verdure des forêts brésiliennes avec les notes vives et variées de l’écarlate, de l’orangé, du bleu paon, du violet d’évêque...

    C’est pour cela qu’un museum est une mauvaise école de goût, et d’appréciation esthétique. A chaque pas qu’on fait le long des volières, ou des viviers, on entend prononcer les mots de laid, de difforme, de répugnant: tout un vocabulaire, en vérité, blessant pour le Créateur... Il faudrait qu’un homme, ici, se dévoue pour démontrer autre chose qu’une anatomie, qu’une physiologie spéciale et savante, — et qu’on réhabilite la Nature auprès de ces spectateurs épris d’Art. Comme on ne peut songer à reconstituer les milieux, qu’au moins on s’étudie à les évoquer; que l’imagination puisse rapatrier, en quelque sorte, l’être qui dégénère là, de nostalgie, se trouve dépaysé, hors de son cadre, déraciné...

    Et surtout, qu’on s’arrête sur l’idée d’harmonie totale, que j’émettais plus haut, — sur la pensée d’une orchestration plastique, mariant les dissonances de la ligne, ou de la couleur, à ses consonances, et fusionnant les détails, souvent ingrats, à-part, dans un ensemble qui ne laisse aucun regret à l’oreille..., — à l’œil, veux-je dire.

    L’œil, en effet, ne voit pas également, il s’en faut, tout ce qui se projette sous son rayon; on dit, en termes d’atelier, que le regard s’accroche à tel ou tel objet. Même, il est certains points, dans l’horizon visuel du plus attentif, qui, par leur position, échappent à l’enquête; ce sont, pour ainsi dire, des points aveugles. Je n’insisterai pas sur ce fait; c’est toute une science, à-peine ébauchée; je ferai seulement observer ceci. Ce qui vaut pour la partie, vaut pour le fout. Vous avez vu, déjà, que les dissonances plastiques se résolvaient, dans un beau corps d’animal, de manière à laisser subsister l’idée d’harmonie. — Haussez-vous d’échelle, à-présent: voyez les corps individuels comme de simples parties dans l’ensemble du paysage, des «parties d’orchestre» ; et rassemblez-les aussitôt; recomposez la partition. Alors, ce qui vous paraissait discordant, étant isolé, se révélera comme un élément d’accord opportun, même, souvent indispensable. Est-ce que, dans un accord musical de septième, si vous isolez la seconde, celle-ci n’est point, à part, intolérable? — Image de la libellule dont on sépare les ailes du corselet: il ne reste qu’un ver annelé fort désagréable à la vue. Pareillement, au fait de laisser l’oreille en suspens sur un accord de septième, équivaut celui d’exhiber tel type animal sans le substratum auquel il s’appuie. D’une manière plus précise, on peut assimiler chaque forme spécifique vivante à quelque timbre instrumental. Chacun die ces derniers, pris à part, a moins, en soi, de «beauté » que de caractère: le hautbois est naïf, mais nasillard; le cor, si velouté, devient, s’il se prolonge, pesant; le trombone est strident; la contrebasse, sourde; les cuivres exclusifs font un camaïeu de tons «chauds», les cordes, — un camaïeu de tons «froids». L’art d’instrumentation fond toutes ces sonorités, — ou les alterne — en un seul effort total, «résultant», où les extrêmes se tempèrent, et qui restitue l’harmonie.

    De même, voulez-vous juger la Nature? — Prenez-la de loin et de haut; n’écoutez que l’effet d’ensemble .

    Atténué, de la sorte, par l’ambiance, qui le voile idéalement — ou bien à la lettre, le Laid s’efface, degré par degré, de la Création. Et d’abord l’animal difforme se dissimule dans son milieu; puis, à y regarder de plus près, aucun animal n’est difforme, au sens absolu, dans son propre milieu, le milieu conforme. Ce résultat précis de notre Esthétique illustre ainsi, dans ses marges libres, le livre Darwinien, — Lamarckien plultôt, de l’Adaptation. A cette loi d’intérêt positif, «le milieu fait l’être vivant», — j’ajoute la suivante, d’un intérêt plus idéal: il fonde l’expression logique de l’être, et sa beauté.

    Seulement, les milieux variant, et dans les limites les plus étendues, les êtres varient dans leur forme, harmoniquement. La beauté prend dès lors toutes les valeurs imaginables; elle a ses degrés, comme l’ambiance. Aux milieux troubles correspondent des formes troubles, — aux milieux francs et découverts, des formes plus sincères, plus rassurantes. La notion d’idéal ne perd donc pas ses droits; mais, forcément, elle se gradue, se hiérarchise. L’habitat auquel un type donné s’accommode plus ou moins bien, ou mal, peut être lui-même infime — ou sublime. Et cette hiérarchie physique des milieux fait justement la hiérarchie tout esthétique des êtres: la faune aérienne des oiseaux, ou des insectes, est belle, de la beauté de l’habitat; la transparence et la légèreté des ailes, chez l’insecte, leur texture élastique et puissante à la fois chez l’Oiseau, ne se rattachent-elles point aux qualités de même nom chez le fluide subtil et diaphane, élastique lui-même et puissant? — Ainsi, nous revenons à la loi si curieuse de mimétisme. Il est un mimétisme purement protecteur:

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