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Aventures de papillons: Histoires mythiques d'un écologue
Aventures de papillons: Histoires mythiques d'un écologue
Aventures de papillons: Histoires mythiques d'un écologue
Livre électronique507 pages4 heures

Aventures de papillons: Histoires mythiques d'un écologue

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À propos de ce livre électronique

Le papillon sous toutes ses coutures !

Botanistes, excellents gestionnaires du temps et parfaits connaisseurs des saisons, pacifistes, discrets mais efficaces, et d’une beauté à couper le souffle, les papillons fascinent, les papillons suscitent le mystère. Si les hommes leur vouent une admiration quasi-secrète, c’est peut-être parce que ces créations de la Nature maîtrisent à la perfection l’art de la métamorphose, chose dont nous sommes incapables... Lysandra coridon ou le bucolique berger de l’été, Scolitantides orion, la constellation d’un chasseur né d’une simple peau de vache, Maculinea arion, la chenille et la fourmi, Ascalaphe le cheval de Troie, Araschnia levana, la Carte de géographie, les Nacrés, miroir mon beau miroir, le Sphinx tête de mort de Turin, Parnassius apollo, le roi de la montagne, le Flambé, le Papilio planeur... Papillons de France, si proches de nous, si visibles et pourtant si inaccessibles, l’auteur vous raconte ici leurs aventures et tout ce que vous devez savoir tant sur leurs caractéristiques, leur alimentation, leur écosystème, leurs amours, jusqu’à l’origine mythique de leur nom.

Plongez dans un ouvrage complet, qui vous fera découvrir tout ce que vous devez savoir sur les papillons : leurs caractéristiques, leur alimentation, leur écosystème, leurs amours, jusqu’à l’origine mythique de leur nom.

EXTRAIT

Aphrodite, furieuse de trouver un jour Arès, son amant, dans le lit d’Éos, la condamna à de continuelles amours avec de jeunes mortels. Timide et rougissante, bien qu’elle fût déjà mariée à Astraeos qui était de la race des Titans, elle se mit donc en secret à séduire des jeunes gens, les uns après les autres. D’abord Orion qu’elle emmena à Délos, ce qui causa sa mort. Puis Céphale, puis Clitos, petit-fils de Mélampous. Enfin Éos fit la conquête de Ganymède et Tithonos, fils de Tros (ou d’Ilos). Grande amoureuse, et elle était condamnée pour l’éternité à séduire les jeunes gens ! Un grand bonheur pour l’être humain curieux est de pouvoir observer la cour que se font deux Aurores posées sur des cardamines. Le jeune mâle, lui, est tout innocent. Il ignore les plaisirs de l’amour, tout absorbé qu’il est par l’odeur entêtante des phéromones dont il fait la découverte envoûtante. La femelle, elle, en vraie professionnelle, relève son abdomen en l’air, entre les quatre ailes rabattues. Elle frémit de tout son petit corps, diffusant à plein débit les fameuses phéromones, étourdissant le prétendant, lui ôtant toute capacité de libre arbitre, le poussant vers la seule impulsion du désir. Le mâle vole sur place, au-dessus d’elle. Il l’aborde, il ne peut faire autrement. Ils font connaissance assez rapidement, les préliminaires raccourcis au maximum. Les corps se touchent ; ils s’accrochent, tête-bêche, les deux papillons inversés. Et amarrés tous les deux, il s’envolent gauchement, ne pouvant voler facilement, leur tandem exigeant une trop formidable synchronisation ; ils se traînent de fleur en fleur, « bateau ivre qui va où ses voiles le mènent », dit le poète.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Il nous fait partager leur univers, découvrir ces fabuleux botanistes qu'ils sont, à la fois visibles et inaccessibles. Il nous conte leurs aventures, leurs caractéristiques, leurs amours, leur alimentation et même l'origine du nom de chacun. Le monde des papillons n'a pas fini de nous surprendre... - Blog de Marie Mainvielle

À PROPOS DE L'AUTEUR

Yvon Nassiet est ingénieur agronome INA et ingénieur général honoraire des Ponts et des Eaux et Forêts. Écologue passionné et fervent défenseur des papillons depuis plus de quarante ans, il nous transmet pour la première fois ses connaissances en lépidoptérologie.
LangueFrançais
Date de sortie22 mai 2018
ISBN9782366960808
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    Aperçu du livre

    Aventures de papillons - Yvon Nassiet

    Papilio machaon, le Machaon

    VOUS AVIEZ DÉJÀ REMARQUÉ qu’ici on parle latin ! Les premiers chercheurs et scientifiques qui observaient la nature et tentaient de classifier tout ce qu’ils découvraient avaient décidé d’utiliser la langue latine pour une meilleure compréhension entre les différents pays.

    On retient aujourd’hui la date majeure de 1735, avec la publication de Systema Naturae, de Caroli Linnaei (Carol Linné). De là découle l’acronyme ésotérique : EGFOCER, qui donne la structure de tout classement biologique : espèce, genre, famille, ordre, classe, embranchement et règne.

    Nous allons donc parler un peu latin, mais à très petites doses, rassurez-vous !

    Le premier de nos papillons va être Papilio machaon. Papilio est le nom de famille, car nous sommes déjà dans l’embranchement des invertébrés ; dans la classe des insectes ; l’ordre des lépidoptères. Les Papilio forment une famille connue mondialement pour les grandes queues qui ornent les ailes postérieures. Le genre Machaon n’échappe pas à cette caractéristique, avec la subtilité que quand il ferme ses ailes pour goûter aux délices d’une fleur de lavande par exemple, les postérieures laissent apercevoir le corps, car il manque la dernière nervure. Familièrement, car tout le monde ne parle pas latin, on l’appelle « le porte-queue ».

    © Orchi

    Pourquoi les naturalistes lui ont-ils donné le nom de Machaon, celui du médecin d’Alexandre de Macédoine ? je l’ignore ! Nous n’avons pas fini de trouver en permanence en entomologie une allusion systématique à la mythologie. L’étude de ces noms, inventés par Linné, grand amateur de mythologie, se nomme la « zoonymie », domaine rarement étudié ! Ce qui est amusant, c’est que Machaon régna avec son frère Podalirios sur trois villes thessaliennes. Prétendant d’Hélène, il prit part à l’expédition contre Troie et, ayant reçu de son père le précieux don de guérir les blessures, même les plus graves, il se mit au service des héros. Il soigna Ménélas, blessé par une flèche de Pandaros, et Philoctète, rongé par une plaie faite dix ans plus tôt par une flèche d’Héraclès. Il fut enfin l’un de ceux qui s’introduisirent dans les flancs de cheval de Troie.

    En entomologie, Machaon a bien un frère, grand porte-queue lui aussi, qui est Podalirius, le Flambé, dont la chenille vit sur le prunellier.

    L’espèce, c’est la française classique, mais si vous allez au Maroc par exemple, vous risquez de tomber sur Papilio machaon saharae, qui a de nombreuses de petites différences avec le nôtre. On ne va pas entrer dans ces subtilités, qui passionnent cependant les collectionneurs, avides des différences d’évolution observées par Darwin, et qui fleurissent dans tous les papillons des îles, chacune ayant son espèce et parfois sa sous-espèce ! Le découvreur ajoute ainsi son propre nom et peut, sans avoir fait la guerre ou avoir écrit un livre, devenir immortel et passer ainsi à la postérité !

    Vous me direz qu’aujourd’hui on parle tous anglais. Eh bien, en Grande-Bretagne, on dit aussi Papilio machaon pour le Machaon qui ressemble au nôtre comme deux gouttes d’eau. Mais on le nomme familièrement Swallowtail, qui se traduit mot à mot par « queue d’hirondelle ». Comme chez nous, sa chenille vit sur Daucus carota, appelé là-bas wild carrot. Elle est magnifique avec sa robe vert persil, barrée de raies noires latérales, elles-mêmes ponctuées de points rouges. Je vous le disais : dans un bouquet de fenouils, elle est invisible ! Si on la trouve toutefois et si on la dérange, elle se recroqueville et laisse apparaître au-dessus du nez un petit Y orange, qui dégage une odeur nauséabonde. Réflexe d’éloignement de l’intrus par jet de boule puante !

    © Hectonichus

    Cultivez quelques plants de fenouils au soleil de votre jardin. Je dis cela pour ceux qui habitent le Sud. Mais au Nord, vous pouvez vous contenter de carottes ou de persil : qui sait si une femelle ne pondra pas quelques œufs proches des fleurs ? Si vous avez l’œil avisé, vous verrez l’œuf d’un diamètre d’un millimètre. Il devient gris, et en sort un tout petit bout de chenille toute noire. Interdit de l’écraser ! Surtout qu’aux premiers stades, figurez-vous qu’elle se déguise en… « chiure » d’oiseau ! Peu à peu, elle grossira, et changera de peau. Notons qu’elle déambule sur la tige à la recherche des pousses neuves, comme le ferait un engin à… chenilles… Les Anglais (qui ont le sens de l’humour) disent d’ailleurs : caterpillar ! Of course !

    © Chai

    Ce qui est étonnant quand elle mue pour la dernière fois pour se transformer en chrysalide, c’est qu’elle attache d’abord son extrémité à une tige par un petit coussinet de soie. Les spécialistes parlent à ce propos « d’apex ». Puis elle s’enroule dans une boucle, comme pour s’encorder afin de ne pas tomber !

    © Entomolo

    Dernier tour de magie : elle jette sa dernière peau de chenille froissée et apparaît subitement transformée en chrysalide : d’un seul coup, on devine par transparence la forme des petites ailes du futur papillon ; le tout est de la couleur du support, toujours pour se camoufler des prédateurs.

    Si ce miracle s’est passé fin juin, l’éclosion aura lieu un mois plus tard, en juillet, et la femelle pondra à nouveau à la fin du mois. On suppose bien entendu qu’elle aura rencontré l’âme sœur, qu’ils auront convolé, que le monsieur sera parti vaquer à ses occupations, et que madame cherchera à créer une descendance… Les chrysalides résultant de cette deuxième génération passeront l’hiver, et l’adulte naîtra au printemps suivant.

    © Michael H. Lemmer

    Dans cette affaire, le rôle des carottes est déterminant. Il vaut mieux qu’elles ne soient pas imbibées d’insecticides, sinon la nourriture sera devenue poison. Voilà une raison de plus de cultiver un jardin biologique et de ne pas pulvériser de pesticides à mauvais escient, en négligeant les ombellifères !

    © Bernd Haynold

    Parnassius apollo,

    le roi de la montagne

    SI L’ON VEUT DÉCOUVRIR le monde des papillons, naturellement on va acheter des livres spécialisés. Ce qui n’empêche pas de surfer sur Internet, qui nous offre des photos merveilleuses. Mais les livres, du moins au début, facilitent l’accès au sujet, parce que l’ordre y est immuable et que les espèces sont classées : diurnes pour les gens qui, comme vous et moi, vivent le jour ; nocturnes pour les noctambules (on peut difficilement faire l’un et l’autre, et la majorité néglige les nocturnes). Bon.

    Dans ce classement des papillons, les livres commencent généralement par les Papilio. Je suppose que c’est parce que ce sont les papillons les plus spectaculaires ? L’exception confirmant la règle, ils n’ont pas tous des postérieures ornées de queues ! C’est le cas d’Apollo.

    Nos amis Anglais, qui nous ont montré fièrement dans leur Butterflies book le seul Papilio qui vit chez eux, le Swallowtail (le seul qui supporte la pluie), nous montrent ensuite l’Apollo. Il est classé à cet endroit car il lui manque aussi la fameuse nervure aux ailes postérieures qui, le papillon ayant les ailes fermées, dévoile le corps dans sa nudité.

    Vous savez tous que le mont Parnasse est, dans la mythologie grecque, le lieu de résidence d’Apollon et des neuf Muses. Apollo, le papillon roi des montagnes, a donc été nommé Parnassius apollo, ce qui est un hommage mérité à sa beauté.

    C’est le seul de nos papillons aux ailes transparentes. Il est tout blanc, couleur de glacier, le blanc étant rehaussé par de gros points noirs aux antérieures. Aux postérieures, deux lunules rouges font le meilleur effet, tout en servant de leurre, comme d’habitude ! Pour les poètes, ce sont des soleils d’un rouge éclatant qui rappellent l’Olympe ! De la soie blanc et gris enveloppe le corps, comme pour le tenir au chaud. Les antennes sont grises, ornées de petits cercles superposés de gris. Très spectaculaire, je vous dis.

    C’est un habitant des montagnes, et nous, en France, avons la chance de l’avoir partout où l’altitude dépasse les 1 200 mètres, principalement dans le Massif central, les Alpes et les Pyrénées.

    © Unterillertaler

    Les dessins offrent une grande variabilité, et le must, bien sûr, ce sont les habitants de l’Himalaya, où des sous-espèces super colorées existent, avec des points bleus en lisière des postérieures ; ou bien des bandes orangées ; ou bien encore des points rouges devant. Quand il y a beaucoup de gros points rouges, la variété s’appelle naturellement : cardinalis ! Quand il y a plein de gros points bleus, on y va carrément dans le titre : c’est Parnassius apollo imperator ! Moi, je suis fou de charltonius !

    Quand il y a une large bande jaune en lisière des ailes postérieures, c’est autocrator ! Quand on se rend tous les ans à Lyon, au rendez-vous des amateurs d’insectes qui se nomme Papillyon, on rencontre des collectionneurs qui viennent spécialement d’Asie pour nous présenter des Apollo prestigieux qu’on ne trouve qu’au-dessus de 5 000 mètres !

    Nous qui vivons près des Pyrénées et qui ne possédons pas de tels phénomènes recherchons toujours des aberrations, et il y en a de petites, qui grossissent, taches noires et rouges, et nous donnent le sentiment d’être tombés sur l’individu mutant.

    Nous avons en tous cas une satisfaction : la femelle est d’habitude différente du mâle car son corps est glabre. Et quand elle s’est accouplée, elle se revêt d’un onglet corné (le sphragis) sous son abdomen. Eh bien, dans notre sous-espèce pyrenaica, le pourtour des antérieures habituellement dépourvu d’écailles (ce qui crée cette transparence hyaline caractéristique) est suffusé de noir. On dit : « mélanisante ». Il ne faut pas m’en vouloir, j’utilise seulement les termes descriptifs utilisés par les entomologistes élevés par Linné à des descriptions anatomiques pointues !

    Le vol est très beau : le papillon plane dans les éboulis, et les ailes solides et sèches provoquent un battement caractéristique lors de la remise en route du moteur. Dans une pente entourée d’escarpements couronnés de sédum, c’est un spectacle d’une rare beauté.

    Cela devrait rester un spectacle car, protégé par la convention de Washington sur les espèces menacées, et inscrit si l’on peut dire à l’inventaire des monuments historiques du patrimoine européen, Parnassius apollo est interdit de chasse.

    On ne peut donc que le photographier, et relâcher les femelles pour perpétuer l’espèce.

    © Wenkbrauwalbatros

    L’auteur a succombé – faute avouée à demi pardonnée –, dans les années 1970, à l’élevage de ce bel animal.

    Pour cela, il faut trouver une femelle ayant fauté. On la reconnaît, vous avez compris, au sphragis qui dénonce ses amours récentes. Prise vivante dans le filet de soie du chasseur, elle est mise une heure environ dans une papillote. Une papillote est une petite enveloppe de papier transparent, celui qu’on mettait autrefois sur les bocaux de confitures (vous voyez bien, tout cela date d’une époque révolue). Quand on chasse les papillons autorisés dans la nature, chaque prise est mise dans une papillote pour la protéger. Eh bien, la femelle contenue dans la papillote pousse de toutes ses forces avec ses muscles, en tentant de battre des ailes, et lâche souvent, par mégarde, quelques œufs. De petits œufs bien ronds, gris blanc, d’une grosseur d’un voire de deux millimètres.

    Ensuite, on relâche la dame qui a bien travaillé, pour lui permettre de poursuivre sa ponte dans la nature. On s’est muni auparavant, naturellement, d’une petite culture de saxifrages et autres joubarbes, et on y pose les œufs. Il faut que tout cela soit humide sans l’être trop pour donner l’impression de se trouver à 1 500 mètres d’altitude. Il vaut mieux procéder à ce genre d’élevage à Megève, directement dans son propre chalet, sinon on s’ennuierait puisque c’est l’été ! Quelques semaines après peuvent naître de minuscules chenilles, qui subiront les mues habituelles pour devenir grandes. Elles sont assez grosses, gris foncé, ornées de petits points rouges. Rien de semblable à Machaon, ni rien de semblable aux parents ! Un cocon lâche posé directement sur le sol abritera la chrysalide sombre. C’est bizarre, nous sommes en montagne : eh bien aucun harnais, aucune dégaine ne viennent prévenir une chute. L’évolution a fait son office : la chrysalide, méfiante, se pose directement par terre !

    © Björn S...

    Fin juin, le papillon adulte sortira suivant la formule habituelle, en faisant sauter le cylindre de la chrysalide, séchant ses ailes à l’air, et s’adonnera à son passe-temps favori : les mâles chassant les filles en vol battant et planant, se réfugiant dès seize heures sur les fleurs de chardon du pré fleuri situé en contrebas. C’est là qu’il faut les observer, engourdis par la fraîcheur du soir : on peut les cueillir à la main un par un, car refroidis, ils sont peu capables des réactions rapides que leur donne la chaleur du soleil !

    Quant aux femelles, sûres de l’effet foudroyant de leurs habituelles phéromones, elles badent, immobiles sur un support. Survient un mâle, elles fusent verticalement, comme propulsées par un ressort ! La percussion se fait en vol et, l’un culbutant l’autre, le couple retombe enlacé dans la pelouse, pour une rencontre fusionnelle, disent les livres spécialisés dans les relations amoureuses !

    Suivant le mécanisme décrit précédemment, il arrive souvent que la jeune vierge toute fraîche (et c’est elle que recherche le collectionneur)... vous savez elle a attendu que les fleurs de sédum éclosent, manifestant l’existence d’un garde-manger garanti pour sa future chenille…

    …Et bien que la jeune vierge en question s’apparie avec un vieux mâle un peu dégarni, car il a patrouillé dans les rochers sans arrêt depuis quelques jours, où la seule compagnie d’Apollo était des mecs comme lui, sans la moindre nana à se mettre sous la dent !

    Quand enfin ils se rencontrent, ils se sautent dessus sans réfléchir du tout, et ne réalisent leur différence d’âge qu’ensuite, quand ils ont fini les consommations !

    Notre meilleur souvenir de Venise, il y a des années (c’était forcément avant 1976), c’était quand, pendant les vacances d’été, nous habitions Belluno, un petit village au sud des Dolomites, à une heure de voiture au nord de Venise. Il y avait là une petite colonie de Parnassius apollo, sous-espèce venitiae, avec de magnifiques ocelles rouges aux postérieures, et de petites aux antérieures ; c’est là que nous avons découvert l’activité des vieux messieurs (italiens forcément) avec de jeunes filles : ça n’aurait pu se passer chez nous, où nous sommes plus collet monté :

    on était au pays du carnaval,

    on était en Italie !

    © Kristian Peters - Fabelfroh

    Heodes dispar

    ou la logique du biotope :

    un trésor est caché dedans

    (La Fontaine)

    ou pourquoi faut-il sauver

    les zones humides ?

    J’AI COMMENCÉ À CHERCHER , vous vous en doutez bien, pourquoi Haworth, qui décrivait cette espèce qu’il considérait anglaise (mais qui occupe toute l’Europe), en 1803, avait repris ce nom latin de Heodes dispar . Lui l’appelait familièrement Large Copper (il y a des cousins cuivrés de Heodes qui se nomment small , sooty , violet , grecian Cooper …). De même que nous utilisons le nom de « cuivré des marais », les Allemands l’appelle Feuer falter  : une flamme rouge feu cuivré dans le vert des iris d’une zone marécageuse ! Ça se voit de loin !

    Heodes inclut d’abord le nom grec : eos, « l’aurore ». Et eidos, « ressemblant à ». C’est donc le « papillon semblable à l’aurore ». Dispar signifie en latin « différent », à cause de la différence entre les deux sexes. À vous de deviner lequel est le plus éclatant et fait penser à un lumineux lever de soleil !

    Ce qui peut nous alerter, c’est que le drainage de marais a été responsable du déclin de cette espèce en Grande-Bretagne. Et ce depuis la moitié du XIXe siècle !

    On draine ; le sol humide devient sec. Les plantes inféodées aux zones humides disparaissent. On a maintenant compris que les chenilles disparaissent de facto, donc l’adulte : la sous-espèce anglaise s’est éteinte il y a plus d’un siècle et a depuis été remplacée par la sous-espèce hollandaise batavus, introduite dans l’Est-Anglie aux alentours de 1927. Voilà ce que l’on trouve dans la littérature spécialisée anglaise. La Perfide Albion avoue !

    Du coup, on peut comprendre qu’un collectionneur français se passionne pour cette espèce. Plus précisément pour la variété française rutila ! Et quand on saura que le collectionneur en question habite Montauban, dans les années 1970 (toujours avant 1976 !), dans une zone très au sud de l’épicentre des colonies connues, beaucoup plus au nord, dans les ex-marais de Saint-Quentin par exemple, on devine que l’espoir d’une découverte sera encore plus enivrant !

    Le mâle, frais, est donc rouge feu, un point de lumière flamboyante, encore rehaussé par la bordure noire des ailes et le bleu tendre et l’orange du dessous. Je vous l’avais déjà dit : où dame nature va-t-elle chercher des associations de couleurs aussi réussies ?

    Heodes dispar mâle.

    © Jeffdelonge

    Un dimorphisme sexuel plus grand que dans les espèces que nous venons d’évoquer existe : la femelle est un peu plus grande que le mâle et a les ailes fauves, envahies de points noirs. Les postérieures sont brun noirâtre, avec une bande subterminale fauve : il faut observer le mâle pour le fun. Et la femelle pour l’efficacité, car elle va transmettre l’espèce !

    Heodes dispar femelle.

    © Rosenzweig

    C’était le 27 juillet 1971. Il était dix-sept heures. Bien tard pour une première rencontre : à une date officiellement impossible, disent les livres spécialisés. Dans un endroit impensable : un verger de Moissac, ville plus connue pour son abbatiale romane et pour son chasselas, plantée depuis l’arrivée des rapatriés en 1962 de vergers de fruits, entretenus à grandes pulvérisations de traitements phytosanitaires au cours de toute la saison. Il y a une clairière avec un bouquet de fleurs. Il se pose : je le prendrai à la main ! C’est un éclaireur !

    « Il » est donc bien quelque part ?

    Mais où ?

    Je vais voir mon maître, car j’en avais un alors (il faut toujours un maître pour dominer toute discipline), un maître ès-papillons, collectionneur avisé, inventeur de boîtes de présentation innovantes et pleines d’astuces (une collection de papillons nécessite une mise en boîte sophistiquée), qui était dans une dialogie propre à nombre de maîtres : transmettre à des disciples oui ; mais former de jeunes concurrents qui vont devenir à leur tour maître à la place du calife, pas question. Alors le maître en question me lâche simplement :

    — « Il faut aller dans la vallée de la Barguelonne. »

    Il s’agit de la même rivière qui arrose la petite ville de Montcuq, qui a tant fait rire la France quand Jacques Martin animait Le Petit Rapporteur !

    On comprend le maître quand on sait qu’à l’époque déjà, c’était la ruée des collectionneurs en juin et août dans l’Aisne et l’Oise, les Parisiens collectionneurs (heureusement, ils ont disparu aujourd’hui et ne passent plus leur temps que devant la télé à regarder les émissions animalières) voulant tous mettre Heodes en boîte ! Le plus simple étant de cacher l’endroit où il vit pour le laisser bien tranquille !

    Car s’il en est un, c’est typiquement le papillon du biotope.

    Ce biotope, quand on l’a vu une fois, on ne l’oubliera plus jamais !

    Il faut des marais, et Dieu sait s’il en reste peu. Quoique… ! On dira aujourd’hui « zone humide ». Ils n’ont pas besoin d’être grands : un rectangle de cent mètres sur simplement dix peut suffire. Aucune station, que ce soit en Tarn-et-Garonne ou dans le Lot s’agissant d’autres espèces, n’est plus grande !

    Le phare de ce biotope : l’iris jaune.

    © Anne Nassiet

    © Myrabella

    Et tout devient simple : pour chasser Heodes, on prend sa voiture, et on longe la Barguelonne à la recherche de la tache jaune de l’iris dans un pré. Encore faut-il que ce soit au moment propice, quand le signal brille, c’est-à-dire en juin.

    Avec l’iris jaune pseudacaurus, il faut que l’on observe :

    le petit roseau Phallaris arondicacea ;

    le Carex paludosa ;

    le jonc effusus et sylvaticus ;

    la menthe aquatique ;

    le Polygonium amphibium ;

    l’Achillea ptearnica ;

    le Lythrum salicaria ;

    le Centaurea pratensis.

    Tout cet ensemble donne un paysage bien différent, avant, pendant ou après la floraison évidemment.

    Car la nature a donné une chance de rattrapage au collectionneur : il y a chez Dispar deux générations :

    la première début juin, bien nourrie au printemps et à l’été de la saison précédente, mais parcimonieuse à cause de la rigueur de l’hiver ;

    la seconde naît en août, après que la plante nourricière (nous n’en avions pas encore parlé) Rumex hydrolapatum (une oseille) a commencé de griller. Elle est plus commune mais, sous-alimentée, elle est plus petite, parfois naine.

    Les éclosions sont capricieuses, et le papillon apparaît presque cinq mois après, de mai à septembre, parfois même jusqu’à octobre.

    La petite chenille hiberne au pied de la plante nourricière, dans une bulle d’air qui lui permettra de respirer pendant les inondations de la mauvaise saison.

    Elle attaque les feuilles de rumex de manière caractéristique, creusant des canaux enchevêtrés qui deviennent carrément des trous oblongs, trahissant sa présence.

    Voilà pour la théorie, on en sait assez, il faut aller sur le terrain !

    Je vous passe les essais malheureux : dès la fin mars, la première année, vous recherchez les fameuses feuilles attaquées. Du rumex, on n’en voit pas. Est-il trop tôt ? On y retourne – mais est-ce le bon endroit ? – le 30 juin. Est-ce trop tard ? Le coup de l’artilleur : un coup trop court, le second trop long ! J’entr’aperçois quand même deux mâles et une femelle. Le premier couple. Mais rien n’y fait : les places de vol sont si circonscrites que l’on ne peut parler de station. On en est encore à subir le hasard. Il faut continuer à chercher.

    Deuxième année : nous sommes en 1973. Reprise des recherches précédentes le 17 mars, dans un périmètre un peu plus limité grâce aux tentatives précédentes. Tout est inondé. Des œufs, il y en a, mais de grenouilles ! De l’oseille, point, quelques rares petites pousses. Même chose le 24 mars. Il faut aller voir le maître !

    L’oracle tombe :

    — « La date de l’éclosion de la première génération, c’est le 31 mai ! »

    Ces fameuses dates sont la condition nécessaire de la réussite, et quelques jours de différence suffisent à faire rater une campagne.

    Le 31 mai (« encore heureux qu’il ait fait beau », dit la chanson et que ça ait été un jour férié), par un soleil magnifique, je remonte en voiture la Barguelonne, de Cazes-Mondenard depuis le confluent par la D57. Il y a des iris jaunes, et chacun est l’occasion d’une halte.

    Enfin !

    En face de la borne : 4 km avant Cazes, séparé par un fossé énorme plein de joncs et de ronces, dans un bourbier d’eau, brille un iris.

    Ils y sont…

    Il fait une chaleur de four, et je me liquéfie sur place, n’osant bouger, attendant, fébrile, la prochaine apparition. De dix heures à midi, tremblant, j’en prends quatorze, plaqués nerveusement par le filet de soie au sol. Vite : bocal de cyanure¹, papillote sur les genoux, boîte de Newman², sac.

    Même chose le 2 juin, dans une peupleraie toute proche, où les seules fleurs sont des chardons hauts comme un homme. Après une traversée hérissée d’épines, ils y sont encore, perchés sur les chardons, mâles et femelles. Ces dernières se cachent dans les joncs et se lèvent lourdement, comme des canards, quand on les dérange.

    Le samedi 9 juin, déjà les mâles se défraîchissent. Le 11, c’est la fin.

    Après ces exploits, ce n’est presque plus amusant : le rendez-vous pris, il suffit de s’y rendre à l’heure dite.

    Le 12 août, aux mêmes endroits, la végétation s’est transformée. Les fleurs innombrables : une féerie. Et Dispar, légèrement plus petit, est en nombre, un peu passé déjà. Pour l’année 1973, c’est fini.

    L’année suivante, retour au bon endroit au tout début du printemps, dans les mares remplies d’œufs de grenouille

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