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L'autre Pantoufle
L'autre Pantoufle
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Livre électronique303 pages5 heures

L'autre Pantoufle

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À propos de ce livre électronique

Et si Cendrillon n'était pas la seule à se retrouver avec une pantoufle de verre le soir du bal ?

Lorsque Jo trouve une pantoufle de verre solitaire le soir du bal royal, elle se rend compte que cet objet en apparence ordinaire a plus à offrir qu'il n'y paraît. La recherche de sa propriétaire la conduit au palais où la princesse l'entraîne dans un voyage qui la propulse dans un monde inattendu de magie et d'illusions. Il devient vite évident que sa mission ne s'arrête pas là, tandis qu'elle découvre des secrets surprenants sur son passé et se bat pour rencontrer son destin.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie16 avr. 2021
ISBN9781071596395
L'autre Pantoufle
Auteur

Kenechi Udogu

Kenechi lives in London and enjoys writing fantasy fiction and short stories (some of which she posts on her blog). She also hates the cold and hopes to one day figure out how to hibernate in winter.

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    Aperçu du livre

    L'autre Pantoufle - Kenechi Udogu

    REMERCIEMENTS

    À ma famille.

    Qui est toujours là pour moi.

    Un grand merci à Monique Baron pour sa traduction soignée qui me permet de proposer l’histoire de Jo à un nouveau public. Et à mes lectrices, Kat Che Nin et Anne-Lorraine Imbert, vous avez été vraiment formidables. Merci beaucoup pour toute votre aide.

    CHAPITRE UN

    Un énorme fracas suivi d’un cri tout aussi assourdissant ne surprirent pas la plupart des gens dans le désordre frénétique de la cuisine du palais. Une ou deux personnes tournèrent la tête vers la réserve, un peu inquiètes, mais se remirent au travail en voyant que personne ne semblait se soucier du bruit. Pas le temps de traîner aujourd’hui, encore moins que les autres jours ; la vaisselle cassée pourrait être balayée plus tard.

    Jo surgit de la réserve, rougissante et silencieuse. Ses grands yeux noirs cherchèrent sa mère parmi les nombreuses personnes qui s’empressaient dans la cuisine, mais heureusement, elle n'était pas en vue. Tant mieux. Cela lui éviterait de devoir expliquer son deuxième accident en moins d'une semaine. Elle faisait probablement perdre plus d’argent à sa famille en travaillant ici qu'en tenant un étal au marché et en distribuant tous leurs salaires. Ces assiettes n’étaient certes pas la vaisselle la plus chère du palais et une fois disparues, elles ne manqueraient à personne, mais elles valaient toujours plus qu'elle ne pourrait jamais rembourser.

    « Ne t’inquiète pas, je ne le dirai à personne. »

    Cette voix toute proche, à côté d’elle, surprit Jo. Une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.

    « Je n’ai pas fait exprès de les briser », commença-t-elle à se défendre en se tournant vers son frère. « J’étais en train d’attraper le bocal et je n'ai pas remarqué que l'étagère était déséquilibrée, ensuite j’ai entendu un grand bruit... »

    Son frère aîné, Ron, répondit à son embarras par un sourire moqueur. Le vase qu'elle avait cassé quelques jours auparavant tandis qu'elle aidait la fleuriste du palais avait également été au mauvais endroit au mauvais moment. Jo fit une grimace à son frère et lui donna un petit coup dans les côtes. Ron venait d'avoir dix-sept ans et bien qu'il n'ait qu'un an de plus que Jo, il était beaucoup plus grand et en paraissait au moins trois de plus. Tentant d’imiter sa mine d’enfant renfrognée, il ne réussit qu’à la faire rire aux éclats, attirant le regard de ceux qui s’activaient autour d’eux.

    « Vous n'êtes pas censés faire quelque chose ? Nettoyer quelque chose ? Aller chercher quelque chose ? », marmonna un vieil homme, mais il ne s’arrêta pas pour attendre une réponse.

    La réprimande suffit à les remettre tous deux au travail. Avant l’incident, Ron était en train d’aider à apporter quelques tonneaux de vin dans la cuisine et Jo de courir chercher du sel pour la cuisinière. Elle serrait toujours le grand bocal entre ses mains et savait que la cuisinière attendait impatiemment son retour. Elle devait vraiment apprendre à mieux gérer son temps. Elle était heureuse d'avoir son emploi d’aide au palais, emploi qu'elle avait obtenu uniquement parce que sa mère travaillait en cuisine et ses deux frères sur les terres, mais si elle continuait ainsi, elle risquait fort de perdre ce privilège. Le cas échéant, elle devrait probablement rejoindre sa cousine qui vendait des fruits frais sur le marché local. Il n'y avait pas beaucoup d'emplois disponibles pour des mains non qualifiées et maladroites comme les siennes. La plupart des gens préféraient des travailleurs qui ne leur coûtaient pas plus d'argent qu'ils ne les payaient.

    « Tu as pris ton temps pour revenir », l’admonesta la cuisinière mais elle n’attendit pas les excuses de Jo. Il n’y avait pas de temps à perdre, elle aurait droit à une remontrance appropriée une fois la tension retombée.

    Sa tâche accomplie, Jo s'éloigna discrètement des fourneaux brûlants chargés de grandes marmites bouillonnantes et partit chercher quelque chose de moins stressant à faire.

    Ce n'était pas une tâche aisée. Le palais accueillait son premier bal depuis plus de cinq ans et la pression était immense pour que tout se passe comme prévu. Tout le monde s’affairait fébrilement aux préparatifs. Les meilleurs ingrédients de tout le royaume avaient été acheminés jusqu’aux cuisines du palais ; les fleuristes royaux avaient passé des mois à cultiver des plantes sous serre afin de s'assurer que les fleurs soient au meilleur de leur floraison pour le grand jour et tous les tailleurs réputés du pays s’étaient présentés avec leurs splendides étoffes pour livrer des vêtements appropriés à la Reine et au jeune Prince Carlton. Chaque projet digne d’intérêt avait été présenté, étudié et exécuté. Tout devait être parfait.

    Jo réussit à s’échapper de la fournaise de la cuisine et partit à la recherche de sa mère qui avait été désignée pour aider les décorateurs à tendre de fines tentures de soie sur tout le plafond de l’entrée. Lorsqu'elle vit les échelles calées contre les hauts murs de pierre lisse de la pièce, elle décida de rester à l'écart et d'attendre que sa mère la remarque. Elaine, perchée en haut d'une échelle, tournait le dos à sa fille, mais Jo l’avait reconnue, même à cette distance. Leur épaisse tignasse de cheveux bouclés caractéristique, alliée à des membres dégingandés, avait toujours permis de distinguer les membres de sa famille des autres gens. Rien de particulièrement inhabituel, sauf que la taille moyenne des hommes et des femmes du royaume de Forne était d’environ un mètre soixante. Avec son mètre quatre-vingts, Jo était la plus petite de la famille et commençait à peine à s'habituer à ses longs membres, raison pour laquelle elle laissait constamment échapper les objets. Sa mère affirmait toujours qu'elle avait été pareille durant sa jeunesse, mais en regardant Elaine soulever gracieusement une tenture et l'attacher autour d'une tête de colonne, Jo comprit qu'elle avait inventé cette histoire afin de la rassurer.

    Elaine tourna enfin la tête vers la porte et sourit à sa fille. La douce lumière du soir scintillant à travers les grandes fenêtres teintées diffusait une ombre douce sur son visage aux traits délicats ; sans ses quelques cheveux gris apparus au fil des années, elle aurait pu facilement passer pour la sœur aînée de sa fille. Jo sourit à sa mère en retour et esquissa un timide signe de la main. Elle savait qu'elle aurait dû être en train d’aider quelque part au lieu de traîner, mais elle gênait plus qu’elle ne rendait service à qui que ce soit aujourd'hui.

    « Qu’est-ce qu’il t’arrive, cette fois ? », demanda Elaine d’une voix douce. Il était difficile de dire si elle était accusatrice ou simplement curieuse.

    « Rien d’extraordinaire, répondit Jo, en tentant de fuir le regard de sa mère.

    — Ce n'est pas très rassurant car tout le monde sait que l’ordinaire, c’est de devoir balayer derrière elle », ajouta l’une des femmes dans la pièce, un peu durement, et toutes les autres gloussèrent. Jo fit la grimace. Manifestement, ses mésaventures étaient plus connues qu'elle ne le pensait.

    Elaine les ignora et descendit retrouver sa fille. « Je n'aurais pas dû dire cela à haute voix, consola-t-elle Jo à voix basse.  Ignore-les. Ça te passera. Je te le promets.

    — Dans cette vie ou dans la prochaine ? », marmonna Jo, mais elle souriait à présent. Elle savait que sa mère changerait de sujet après que tout le monde avait ri à ses dépens.

    Elle lui caressa affectueusement la joue avec la paume de la main, puis lui tendit des tentures de soie à déplier. Elle savait que Jo était venue la voir parce qu'elle n'avait rien d'autre à faire. La jeune fille n'avait plus de raison de rester au palais, car la plupart des travaux étaient sur le point de s'achever, mais elle voulait rester sur place jusqu'à ce que les invités commencent à arriver, car elle ne pourrait pas revenir une fois le bal commencé. Jo n'était jamais allée à un bal auparavant. En fait, la plupart des jeunes du royaume n'avaient jamais assisté à un bal royal de cette importance et même maintenant qu'un tel bal était organisé, seule une petite élite avait été invitée. Les enfants des ouvriers du palais ne figuraient bien sûr pas sur la liste.

    Après quelques minutes passées à démêler de nombreuses tentures de soie, Jo étouffa un bâillement.

    « Tu devrais rentrer à la maison. Si le souhait de la Reine se réalise, il y aura bientôt un autre bal et peut-être auras-tu plus d’énergie pour rester éveillée pour celui-là. » Le bâillement n'avait pas échappé au regard attentif de sa mère.

    Tout le monde savait que la reine organisait le bal afin de trouver une épouse à son fils de dix-huit ans. Le jeune prince avait passé de nombreuses années à l'étranger avec des hommes de grand savoir pour apprendre à se préparer à son rôle de roi et n'était revenu que récemment à Forne. La recherche d'une épouse n'était probablement pas sa première préoccupation, mais sa mère était impatiente de montrer son jeune et robuste fils et de se nantir d’un petit-enfant aussi rapidement que possible. Jo plaignait un peu le garçon, mais pas assez pour oublier que les gens comme elle n'avaient pas le privilège d'assister au bal. Elle n’était pas naïve au point de croire que n’importe quelle jeune fille du royaume avait une chance d’être choisie comme épouse du prince, mais elle aurait aimé aller au bal pour le simple plaisir d'y assister. Bien sûr, dans ses rêveries, elle faisait abstraction du fait qu'elle aurait eu du mal à trouver une tenue convenable pour l'événement.

    « J'ai déjà promis aux autres de les retrouver plus tard , protesta Jo. Je ne peux pas rentrer maintenant. »

    Les autres étaient ses frères, Ron et Frank, sa cousine Sera et deux autres jeunes ouvriers du palais. Ils avaient passé des jours à chercher le point de vue parfait qui leur permettrait de regarder les invités arriver ce jour-là et d'apercevoir la salle de danse où se déroulerait le bal. Ron l'avait trouvé deux jours auparavant.

    « Eh bien, tu devrais aller les rejoindre maintenant. Je pense que nous pouvons nous débrouiller avec ce qui reste à faire ici. » Elaine la congédiait uniquement parce qu'elle savait que Jo s'ennuyait déjà. Sa concentration était notoirement courte lorsqu'il s'agissait de travailler.

    Jo n'eut pas besoin d'encouragements supplémentaires. Elle se releva du sol en pierre sur lequel elle s'était installée et partit en courant à la recherche de son frère. Le premier endroit où elle alla voir fut le grand chêne de l'aile nord du palais. Ron était assis en tailleur sur l'herbe fraîchement coupée au pied du grand tronc, regardant dans le vide, comme souvent. Il était le rêveur de la famille, ce qui était dommage car bien que beaucoup plus beau que la plupart de ses pairs, il restait étrangement insensible aux attentions des filles qui battaient constamment des cils pour ce gentil géant. Il n'avait jamais eu d'yeux et d'oreilles que pour sa famille.

    « Tu es là de bonne heure, dit Jo en s'installant à côté de lui.

    — On dirait que tu aurais bien besoin d'aller au lit », déclara Ron comme en écho à leur mère un peu plus tôt, mais il ne semblait pas vouloir insister. Il se baissa même un peu afin que Jo appuie la tête contre son épaule.

    Jo bâilla et haussa les épaules. « Dormir, c'est pour les faibles. Je ne vais pas manquer ça ; on attend cette soirée depuis des mois. Je ne vais pas laisser la fatigue tout gâcher. » Elle bâilla de nouveau. « Je peux peut-être faire une petite sieste. Il est encore trop tôt pour que les invités commencent à arriver. Tu me réveilleras, n'est-ce pas ? » Tout en parlant, elle se sentit partir à la dérive. Ron ne répondit pas, mais il savait combien c’était important pour elle, et il la réveillerait sûrement. C'est pourquoi elle l'avait cherché, lui, en particulier. Frank ne comprenait pas vraiment pourquoi tout le monde était si excité et aurait privilégié son bien-être plutôt que cette étrange obsession à vouloir regarder l’événement.

    Une brise fraîche réveilla Jo. Il faisait nuit ; trop sombre pour que sa sieste n'ait duré que quelques minutes ni même une heure. Sa tête n'était plus droite, soutenue par une épaule, mais formait à présent un creux dans une cape posée sur l'herbe. On avait aussi jeté une autre cape sur elle pour la protéger du froid. Pour ne rien arranger, elle entendait de la musique au loin. Il ne devait pas y avoir de musique avant que les premiers invités n’arrivent. Il n’en fallut pas plus à Jo pour comprendre qu’elle avait dormi trop longtemps. Elle se leva d’un bond et chercha ses frères du regard.

    « Oh regardez, elle s’est enfin réveillée ! »

    La voix venait d'au-dessus. Jo leva les yeux vers l'arbre et fronça les sourcils. Ses frères, sa cousine et environ quatre autres personnes étaient déjà là-haut, profitant de toute évidence du spectacle sans elle.

    « Avant que tu ne dises quoi que ce soit, on a tous essayé de te réveiller mais tu n'as pas cessé de nous repousser », s’empressa de dire Ron. Il lui tendait déjà la main pour l'aider à grimper. Son air contrit semblait sincère.

    « J'ai tout raté ! » Jo avait du mal à ne pas hausser le ton. Elle savait qu'elle réagissait de manière excessive et qu'elle avait certainement été trop fatiguée pour répondre à toutes les tentatives pour la réveiller, mais elle était quand même contrariée. Ils auraient dû insister.

    « Tu n'as pas manqué grand-chose », grogna Frank, minimisant les événements de l’heure écoulée. Il avait deux ans de plus que Ron et ressemblait de façon tout aussi frappante au reste de sa famille. « Des centaines de calèches, des femmes trop bien habillées et quelques hommes à l'air suffisant. J’ai du mal à croire qu'ils nous aient fait travailler si dur pendant des semaines pour ça. »

    Jo ne fit pas attention à lui. Elle se tourna plutôt vers sa cousine Sera après s'être enfin installée sur une branche, à côté des autres. « La vérité, s'il te plaît. »

    Avant que Sera n’ait pu commencer à déverser les commentaires passionnants qu'elle avait retenus à son intention, l’une des filles perchées sur une branche à côté de Ron sursauta et pointa un doigt en avant : « Une retardataire, une retardataire ! »

    Jo faillit tomber de la branche en se décalant pour mieux voir l'entrée. La fille avait raison, une calèche solitaire s’arrêtait au pied des marches. Même à cette distance, la voiture paraissait toute neuve et très exotique, pas du tout le style de calèches que Jo avait vues dans le coin. Elle se demanda si cette invitée venait de loin pour assister au bal. Cette pensée l’agaçait à juste titre. Pourquoi des gens venus de si loin avaient-ils été invités et pas eux ? Elle chassa rapidement de son esprit l’idée qu’ils étaient moins favorisés.

    Personne ne semblait particulièrement s’intéresser à la retardataire, à part Jo et la fille qui avait repéré la calèche. Apparemment, elle n’était montée dans l'arbre que quelques minutes avant le réveil de Jo et avait également raté les premières arrivées. Les deux filles regardèrent en silence le laquais ouvrir la portière de la calèche et sa passagère en sortir.

    « Renversante ! »

    La remarque venait de Ron. C'était la première fois que Jo entendait son frère qualifier ainsi quelqu’un et elle ne pouvait pas le contredire. La jeune fille qui descendit de la voiture était tout simplement magnifique, l’alliance ravissante d’un teint sans défaut et de traits délicats. Ses cheveux étaient maintenus au sommet de sa tête par des colliers de perles brillantes et sa robe, comme la calèche, était d'une finesse exquise et d’une grande élégance. Ils eurent peu de temps pour la contempler avant qu'elle ne soit introduite dans le vestibule. Le groupe se déplaça légèrement pour essayer de la voir pénétrer dans la salle de bal.

    « Qui est-ce ? », demanda l’un d’eux sans obtenir de réponse.

    Le groupe passa les heures suivantes à observer ce qu’il se passait à l'intérieur. Tout le monde avait remarqué l’arrivée de la retardataire, en particulier le prince. Dès qu’il put s'arracher à ses interlocuteurs, il fut à ses côtés, sous le charme. Et il restait là, à bavarder, danser et rire. Près d'une heure s'écoula avant que quelqu'un ne s'approchât pour lui rappeler ses devoirs envers les autres invités. Il s’éloigna à contrecœur. Personne n'osa s'approcher de la jeune fille tandis qu'il dansait avec d’autres. Elle était assise seule, silencieuse, gracieuse. Le prince retourna près d’elle dès qu'il lui parut avoir rassuré suffisamment de gens. Cela donna le ton pour le reste de la soirée. La retardataire, quelques invitées, puis retour auprès de la retardataire.

    Au bout d'un moment, cette routine perdit de son intérêt pour les grimpeurs. A moins que la fatigue n’ait commencé à prendre le dessus. Même Jo, qui avait fait la sieste un peu plus tôt, tomba dans le piège des bâillements lorsqu'ils commencèrent. A la longue, les étouffer devint impossible et Sera fut la première à quitter le groupe. Sa maison se trouvait sur le chemin de celle de deux commis de cuisine et leur petit groupe se réduisit ainsi de près de moitié. Peu de temps après, Frank et Ron durent partir pour sortir les tonneaux vides de la cuisine et les remettre à la cave.

    « Je devrais d’abord te raccompagner à la maison, dit Ron.  Il est presque minuit et maman va piquer une crise si elle voit que tu es encore là. »

    Jo leva les yeux au ciel. « Ne sois pas bête, je peux rentrer à la maison toute seule. Je te promets de ne pas m'empaler sur un énorme rocher en cours de route. »

    — Ce n'est pas ce qui m'inquiète ; il est trop tard pour te laisser faire le chemin toute seule. » Ron prenait toujours son rôle de grand frère très au sérieux. Frank avait déjà disparu vers les cuisines.

    Jo aurait préféré être escortée pour ses dix minutes de marche de retour, mais elle savait que Ron était censé travailler et elle ne voulait pas qu'il ait d’ennuis. Si elle avait vraiment tenu à être accompagnée, il aurait fallu qu’elle parte au moins une heure plus tôt. « Les routes seront très fréquentées ce soir, Ron, il ne m’arrivera rien. Ça va bien se passer. Il vaut mieux que tu aides en cuisine plutôt que de raccompagner en vitesse ton ingrate de sœur. »

    Un instant, Jo pensa qu'il allait insister, mais l'air était si vivant avec la musique et les lumières, que rien d’inquiétant ne semblait pouvoir arriver une nuit comme celle-là. Ron secouait la tête involontairement en se mordant la lèvre inférieure, se demandant que faire. Comme pour appuyer les propos de Jo, la lune décida à ce moment-là de sortir de derrière un banc de nuages et d'éclairer davantage le ciel.

    « Il devrait y avoir beaucoup de monde sur les routes cette nuit, Ron finit par céder.  N’oublie pas de rester près de la route, mais pas trop près pour éviter de te faire écraser par un cocher endormi. » Il donna une tape affectueuse sur la tête de Jo avant de courir rejoindre Frank.

    Jo quitta le palais un petit peu à regret. Les jours précédant le bal avaient été les plus trépidants qu'elle ait jamais connus dans l'enceinte du palais et sa sieste n'avait été qu’un court répit. Ses frères étaient probablement plus épuisés qu'elle et s'ils le pouvaient, ils seraient sur le chemin du retour avec elle, mais le travail les appelait. Ils ne faisaient que travailler, travailler, toujours travailler. Sans père à leurs côtés, les garçons avaient mûri beaucoup plus vite que la plupart de leurs pairs et acceptaient toutes les heures supplémentaires qui se présentaient afin que la famille puisse continuer à vivre dans la maison confortable qu'ils occupaient près du palais. L'un des nombreux avantages de vivre si près faisait que le travail du soir ne leur posait jamais vraiment de problème.

    Jo quitta les hauts murs de pierre du palais par l'entrée de service utilisée par la plupart des domestiques et entama son petit trajet de retour en empruntant le chemin poussiéreux qui longeait la chaussée. Elle avait eu raison de laisser entendre à Ron que les routes seraient fréquentées. Dès les premières minutes, elle croisa trois calèches vides qui se dirigeaient vers le palais, soulevant derrière elles un nuage de poussière et de feuilles bruissantes. Comme il était près de minuit, les cochers revenaient attendre les invités susceptibles de quitter le bal à tout moment durant les heures suivantes. Quand bien même certains invités auraient adoré passer la nuit entière au palais, le bal devait bien se terminer à un moment donné et il n'y avait pas assez de chambres dans l’édifice pour accueillir tous les invités.

    Trois ou quatre autres voitures passèrent à côté de Jo, puis la route se fit silencieuse ; un peu sinistre, même. Il n'aurait pas été inhabituel que la route soit aussi calme un autre jour, mais après l'agitation de la journée, elle se sentit un peu seule en grimpant la petite butte qui séparait le palais du reste de la ville. Jo regrettait un peu de ne pas avoir accepté la proposition de Ron, mais la lune était toujours visible et elle croiserait sûrement encore une calèche se dirigeant vers le palais avant d'arriver au sommet de la butte.

    Cette fois pourtant, le bruit de la calèche arriva dans son dos. Le bruyant cliquetis de roues fatiguées et le hennissement bruyant de chevaux qui d’ordinaire évoquaient pour Jo un attelage pressé, la firent se retourner précipitamment. On aurait dit que la calèche et son invité s’enfuyaient du palais au lieu de le quitter après une soirée d’amusement et de danse. La poussière soulevée par la calèche était telle que Jo put à peine la distinguer lorsqu'elle passa à côté d’elle. Le peu de visibilité lui permit de reconnaître les élégants motifs de l’étrange calèche qu'ils avaient vue quelques heures auparavant. Elle se couvrit le nez avec la manche longue de sa robe, mais la poussière lui déclencha malgré tout une quinte de toux.

    « Quel manque de respect ! », murmura-t-elle dans un souffle tandis que l'attelage disparaissait par-dessus la petite colline. Comme si cela ne suffisait pas aux passagers de rentrer chez eux à bord d’une calèche confortable plutôt qu’à pied ; il fallait qu’ils remuent le couteau dans la plaie. Les paysans couverts de poussière étaient toujours une bonne distraction.

    A cet instant, se produisit une chose des plus surprenantes. Juste après que la calèche eut disparu de sa vue, ce fut le silence, presque comme si elle s'était arrêtée. Alors que Jo atteignait pratiquement le sommet de la butte, il y eut un brusque éclair de lumière bleue, suivi d'un bruit de sonnerie aigu qui dura une dizaine de secondes. Jo avait été témoin d'un ou deux accidents de calèches dans sa vie et savait que ce qui venait de se produire n’était pas une collision, mais peut-être ce qui arrivait lorsqu'une voiture prenait feu tout à coup. Sans réfléchir, elle souleva légèrement sa robe et escalada en courant la butte, s'attendant au pire.

    Rien.

    Il n'y avait rien de l'autre côté, si ce n'est un peu plus d'arbres bordant les chemins poussiéreux qui longeaient la chaussée de part et d’autre. Tout était normal, comme si elle ne venait pas à l’instant de voir passer la calèche, ni été témoin de l’éclair lumineux. Il n'y avait même aucune trace du nuage de poussière qu’elle aurait dû soulever en roulant à toute vitesse. Rien, rien du tout. C’est ce qui la terrifiait le plus, ce silence écrasant.

    Mais s’il n’y avait pas eu cet étrange silence, elle n'aurait pas entendu couiner au bord de la route. Elle eut juste le temps d’apercevoir les souris qui disparaissaient dans l'épaisse obscurité des arbres, puis elle remarqua la citrouille. Il était étonnant qu'elle ne l'ait pas vue en arrivant de ce côté de la butte, mais cherchant l'attelage, elle regardait trop en hauteur pour la voir tout de suite. Hormis le fait qu'il se trouvait presque au milieu de la route, ce légume de belle taille n'avait rien de particulier. C'était la saison des citrouilles, peut-être était-elle tombée de la charrette d'un fermier négligent qui n'avait pas bien attaché ses marchandises. Jo n'arrivait pas à oublier la calèche disparue, l’éclair lumineux ni le bruit de sonnerie. Quelque chose ne collait pas. Mais quoi ?

    Elle s'approcha de la citrouille avec une petite appréhension, s’attendant un peu à la voir disparaître elle aussi. Elle n'était pas aussi superstitieuse d’ordinaire. Bien qu'elle ait entendu de nombreux contes traitant d’objets enchantés et de créatures mystérieuses de la bouche de sa mère et de pratiquement tout un chacun dans le royaume, elle n'avait encore jamais été témoin de quoi que ce soit qui la convainquît pleinement. Si elle cessait de laisser vagabonder son imagination maintenant, rien n'alimenterait la crainte inhabituelle qui grandissait en elle.

    « Ce n'est

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