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Mirages: Recueil de nouvelles
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Livre électronique202 pages3 heures

Mirages: Recueil de nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Du Portugal à la Hongrie, de la Suède au Canada, les protagonistes de ces nouvelles sont des femmes surprises dans des expériences décisives qui révèlent tout à coup un destin, à la manière d’épiphanies.

Confiantes en la force du désir, soutenues par une même attente de rachat, ces vies se jouent des « mirages » du quotidien sur un mode léger et ironique, en suspens entre le rêve et la réalité. L’intensité dramatique s’atténue dans une prose incisive, épurée, qui n’est pas sans rappeler l’écriture de certains films de Truffaut.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Napolitaine, Elena Basile a vécu en Afrique, au Canada, au Portugal, en Hongrie et en Suède. Elle réside actuellement en Belgique, à Bruxelles. Elle a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles et un roman, Una vita altrove (2014), qui figurait parmi les finalistes du Premio Roma. Elle a reçu deux prix littéraires.
LangueFrançais
ÉditeurWeyrich
Date de sortie9 avr. 2021
ISBN9782931112113
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    Aperçu du livre

    Mirages - Elena Basile

    Mirages_cov_1600.jpg

    Nous sommes de l’étoffe

    dont sont faits les rêves,

    et notre petite vie

    est entourée de sommeil…

    William Shakespeare

    Préface

    Mirages… Les dix nouvelles du recueil d’Elena Basile s’inscrivent dans une grande et vive tradition italienne. Ces récits, courts, qui, selon la formule de Pierre Mertens, entendent « faire bref et en dire long », transportent le lecteur dans dix univers différents : du Portugal au Canada en passant par la Suède ou la Hongrie, sans oublier l’Italie du Sud. Tous ces lieux, évoqués au fil de voyages ou de séjours liés au travail de la narratrice, tantôt journaliste, tantôt fonctionnaire, permettent l’ancrage de fictions qui déploient subtilement la complexité de la vie d’une femme d’aujourd’hui, que ce soit dans sa douleur, sa recherche du rachat et ce désir inaltérable d’être heureuse. C’est un bel exemple d’écriture qui épouse les méandres du dire et du mi-dire. Elle privilégie l’ellipse et la phrase brève. Elle s’aventure à dévoiler « une parcelle de réalité encore inconnue », c’est « un levain d’émancipation et de progrès », pour reprendre les termes de Nathalie Sarraute.

    Si chaque nouvelle aborde, de façon originale, un aspect particulier de l’écriture au féminin, ne pourrait-on s’interroger sur l’incidence du titre ? Ces « mirages » ne seraient-ils – comme c’est le cas dans Tu te rappelles encore, ou dans Ce n’est qu’un mensonge – qu’une « légère illusion d’optique au service d’une apparence séduisante et trompeuse » ? Ce serait sans tenir compte de la complexité de l’univers d’Elena Basile ! Elle aime, en effet investiguer dans des zones d’ombre n’invitant pas impunément au voyage. L’exemple d’Un étrange rêve magyar est révélateur. Lors de son séjour à Budapest, la grande question qui travaille la protagoniste, isolée dans cette ville, c’est « l’inévitabilité du mal », « l’impossibilité du rachat ». Une mise en perspective de ces dilemmes va s’opérer grâce à une rencontre amoureuse vécue à l’intérieur du Musée de L’Holocauste. Cet étrange cheminement va l’amener à une constatation sans appel : « La victoire du bien qui finalement nous berce. C’est le mirage. » Une prise de conscience bien douloureuse qui n’arrête toutefois pas le mouvement de la vie. Mais lui donne, qui sait, une autre résonance ? Autant de légères amorces de méditation…

    Mirages est un livre multiple et fascinant où peut pleinement résonner la citation de La Tempête de Shakespeare qu’Elena Basile a mise en exergue : « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. »

    Marie-France Renard

    Le mystère d’Alfama

    Je ne savais pas comment j’avais pu me retrouver au Portugal. Cela s’était passé rapidement. Au journal, on avait besoin d’un volontaire et j’avais moins à perdre que les autres.

    Philippe, le directeur de la revue Cronache dal mondo, Français et alcoolique, avait dit brièvement : « Ici tu fais peu de choses et il nous serait utile d’avoir quelqu’un là-bas. Tu dois seulement écrire chaque jour ce que tu vois, mais attention, seulement ce que tu vois. Épargne-nous les commentaires. »

    Le soir même j’avais mon billet en poche. Je laissai un message à ma fille sur son répondeur téléphonique : « Je pars quelque temps, un travail à l’étranger. Tu peux me joindre sur le portable. » Je savais qu’elle ne m’appellerait pas, je l’entendais rarement et j’étais la seule à me manifester. Elle habitait avec un ami, un photographe, m’avait-elle dit, dans une mansarde au Trastevere où, m’avait-elle fait comprendre, elle préférait que je ne mette pas les pieds. Nous nous voyions d’habitude à l’angle de sa rue, dans un bar, sombre et un peu sale, comme elle aimait. Elle demandait de l’argent et je lui en donnais, si j’en avais. Je ne me risquais pas à poser de questions, c’était inutile.

    Il faisait déjà nuit quand j’arrivai à Lisbonne. Par le hublot de l’avion, la ville apparaissait semblable à toutes les autres, une étendue de lumières dans l’obscurité. Je regardai le ciel noir, déjà ennuyée. Je ne m’attendais à rien. J’étais toutefois contente d’avoir échappé au torride été romain.

    L’aéroport n’était pas petit comme je l’imaginais, mais il avait un air exotique, presque comme si on n’était pas en Europe. J’étais déjà allée au Portugal, comme touriste, de nombreuses années plus tôt. Je me rappelais à peine les plages, l’écume blanche des vagues, un ciel pur, continuellement balayé par le vent.

    Maintenant tout apparaissait différent, l’american way of life avait transformé le Pays, qui semblait avoir perdu son identité. Je fus frappée par les Noirs des anciennes colonies qui semblaient glisser, légers, sur le sol en marbre brillant dans le hall des arrivées. Leurs visages immobiles, terriblement sérieux, contrastaient avec leurs vêtements traditionnels très colorés. Dans le festival des publicités et des Africains multicolores, on distinguait, de-ci de-là, des Portugais qui apparaissaient comme des hybrides. Dans leurs regards, j’avais l’impression de percevoir le sud, violent comme toujours, primitif, mais c’était seulement un flash de quelques secondes. Le peuple semblait discret et réservé. Grâce à son éloignement, l’Atlantique éteignait le feu de la Méditerranée, pensais-je, et je me réfugiai aussitôt dans un taxi. L’hôtel « quatre étoiles », avait souligné Philippe pour me donner envie, était dans un des bairros historiques les plus selects de Lisbonne. J’allais devoir y rester quelque temps et je fus contente de l’architecture coloniale, du luxe orientalisant du hall, et surtout de l’air pur, de l’azur des jacarandas et du parfum de jasmin qui dominait l’odeur du Tage.

    Je frissonnai dans la brise du soir tandis que je cherchais l’argent. Patient, le taximan semblait avoir fermé les yeux et attendait.

    Je ne défis pas ma valise, et je ne regardai pas la chambre, mais comme j’en avais désormais pris l’habitude, j’éteignis la lumière et plongeai dans le sommeil. Je me retrouvais nel mezzo del cammin et je n’espérais pas pouvoir m’en sortir. Les autres, eux aussi, ne m’apparaissaient pas si différents de moi, pantins d’une mise en scène inconnue.

    « C’est seulement un peu de dépression, pourquoi n’essaies-tu pas le Cloxan ? C’est très bien, aussi fort que le Prozac, mais pas trop excitant, enfin, tu ne risques pas d’insomnies. » C’est ainsi que m’avait répondu Marco, un vieil ami, reporter, lui aussi, la veille de mon départ, quand j’avais essayé de lui en toucher deux mots tandis que nous buvions une bière dans un bar en terrasse sur la Piazza Navona.

    J’avais alors décidé de ne plus lui en parler. Beaucoup de choses ne gagnent pas à être dites. C’est comme arrêter le jeu tandis que l’on est en train de jouer. « Tu as raison, Marco, je vais essayer les médicaments », lui avais-je souri, en lui donnant un baiser sur la joue tandis que je faisais un clin d’œil à une jeune Française, assise juste à côté de lui et qui semblait rechercher de la compagnie : j’étais partie pour lui laisser le champ libre.

    « Le jeu, maudit jeu », étais-je en train de répéter tandis que je réalisais des acrobaties sur les pavés avec des talons aiguilles que j’avais décidé, Dieu sait pourquoi, de porter ce jour-là. Et d’un coup, j’avais eu l’impression de comprendre que ce n’était pas si important, au fond, rien n’était important : je mourrai, comme tout le monde, comme ma tante qui, jusqu’au dernier moment, avait fait des grimaces à la vieille Ukrainienne de garde, condamnée à lui servir d’infirmière.

    J’observais l’enseigne lumineuse au néon d’une publicité tandis que je léchais une glace et, qui sait pourquoi, je pensais tomber là, raide morte, comme une absurde marionnette.

    Lisbonne était arrivée au bon moment et j’avais souri à ce bâtard de Philippe, Lisbonne, c’était très bien. Je connaissais le portugais et j’aurais bien trouvé quelque chose à gribouiller. Les lecteurs de Cronache dal mondo avaient le palais facile. Je me répétais cela sous la douche le matin suivant. J’avais ouvert les yeux dans la blancheur des draps brodés auxquels je n’étais pas habituée et j’avais mis un certain temps avant de me rappeler où je me trouvais.

    Je me fis porter un café dans la chambre. Ça allait coûter une fortune, mais d’une certaine manière Philippe me le devait bien. « Sinon, je n’aurais pas ouvert les yeux, et adieu les articles ! » : voilà, ce que je lui aurais dit, sans avoir peur de ses grognements auxquels j’étais tellement habituée.

    Au matin, le jardin de l’hôtel me parut, dans sa perfection, un artefact en miniature. L’air était encore frais, le vert des plantes était tout aussi intense et les arbres aux troncs gigantesques rappelaient la forêt amazonienne dans un contraste comique avec la piscine qui se devinait dans le lointain. Mais ce qui me toucha, ce fut le ciel, pur, comme on en voyait rarement à Rome. Les hirondelles arrivaient et je ne m’étais jamais rendu compte qu’elles étaient aussi rapides dans leurs folles volte-face, tant et si bien que plus d’une fois, quand j’étais à la fenêtre de ma chambre, je baissai la tête comme si vraiment elles pouvaient m’atteindre.

    Je mis du temps à défaire ma valise, à m’habiller ; mes rythmes ralentissaient selon les pays, pensai-je. Jorge Pereira, le directeur d’une agence de voyages auquel Philippe m’avait recommandée, était la première personne chez qui je devais me rendre dans la matinée. J’avais des baskets confortables et je fus contente quand le taxi, avec l’excuse du trafic, me laissa dans le centre d’Alfama, le quartier mauresque qui dominait la ville. J’escaladai des petites rues tortueuses, interrompues par de larges escaliers sur lesquels donnaient des maisons basses, pauvres mais dignes, et des églises anciennes. Depuis les miradouros, je regardais la ville qui s’ouvrait sur le Tage, une étendue de toits colorés et pentus qui descendait vers le fleuve bleu comme la mer ; les gens que je rencontrais et à qui je demandais des informations me répondaient avec une gentillesse rare, d’un autre temps.

    Pereira était debout, devant la porte de l’agence. Il fumait. « Vous êtes en retard ! je vous attendais. Philippe m’a parlé de vous », me dit-il. Il était trapu, le visage rond avec deux moustaches noires presque comme s’il était sorti d’un livre d’Eça de Queirós. Il me détailla de la tête aux pieds et il me sembla que j’avais réussi l’examen. Il ne me sourit toutefois pas en me tendant la main et, renfrogné, il demanda : « Vous voulez vraiment vous mêler à cette embrouille ? », et je me retrouvai en train de murmurer : « Je suis là pour ça. » Je le suivis sans souffler mot, il n’était pas bavard, um homem do campo, de la campagne, le visage vieilli par le soleil de l’Alentejo.

    « Je suis à Lisbonne depuis quelques années et j’aurais mieux fait de ne pas venir », me dit-il sombre tandis que j’admirais la façade romane de la Sé-Cathédrale. « Suivez-moi, ne faites pas de caprices, vous voulez voir les oiseaux ? », me demanda-t-il brusquement et je hâtai le pas.

    « Quels oiseaux ? », demandai-je distraitement et je me rendis tout à coup compte que Philippe ne m’avait même pas dit pourquoi on avait besoin de moi à Lisbonne et quel type de service on attendait de moi. « Seulement ce que tu vois, et épargne-moi les commentaires », sa dernière recommandation résonnait à mes oreilles. Je ne lui avais pas demandé grand-chose. J’étais habituée à ses sarcasmes, mais il continuait à m’agacer. J’avais ainsi préféré couper court et lui parler le moins possible.

    Je suivais cet étrange petit homme grognon et je regrettais maintenant de savoir aussi peu de choses et de dépendre complètement des réponses réticentes que me donnait Pereira. « Suivez-moi et vous les verrez de vos propres yeux », dit-il dans un souffle, tandis que je bénissais mes baskets qui me permettaient de marcher à son pas dans les escaliers étroits que, seule, je n’aurais jamais découverts : des raccourcis vers le centre de la ville, où j’avais l’impression de rester en équilibre sur le précipice et je me concentrais en vain sur les intérieurs pauvres des maisons, sur les femmes vêtues de noir qui se montraient à notre passage et nous regardaient avec des yeux comme des fentes d’où filtrait l’antique méfiance du Sud ; mais c’était en vain parce que me reprenaient les vertiges que j’avais éprouvés enfant à la mer sur les rochers et que je me rappelais toujours trop tard.

    « Attendez, ne courez pas, je ne suis pas habituée à ces escaliers ! », et Pereira, le grogneur, ralentissait.

    « C’est loin, vous ne le savez pas ? Nous devons arriver avant onze heures, après ils viennent les emmener », me chuchota-t-il d’un air mystérieux.

    « Ils viennent les emmener ? Qui vient les emmener ? », demandai-je, tout en regardant le panorama époustouflant : je distinguais dans le lointain la place du Commerce, son harmonieuse beauté classique.

    Mais c’était impossible, Pereira semblait ne pas m’entendre et peu après il accélérait de nouveau le pas. Nous arrivâmes en sueur et déjà fatigués dans une maison qui donnait sur un de ces nombreux sentiers d’Alfama. Dans l’entrée, on avait l’impression de rester dans le noir, mais une enfant de cinq ou six ans nous conduisit vers la lumière qui filtrait à la fin d’un long couloir.

    Sur la terrasse, en surplomb sur une campagne en friche, divers oiseaux morts gisaient, des pigeons et des mouettes pour la plupart, mais aussi des hirondelles et différents moineaux : une montagne de petits cadavres dont émanait une puanteur répugnante.

    « On les amoncèle ici et chaque jour, à onze heures, on passe les prendre. Ce sont des spécialistes de l’Institut de la Santé. » Pereira essuyait la sueur de son front et son visage rugueux exprimait une résignation sceptique. Il savait que l’Institut Supérieur de la Santé et les journaux racontaient des histoires, mais il ne croyait pas que nous puissions découvrir quoi que ce soit, vaincre la bureaucratie et les obscurs mécanismes dont le monde regorgeait depuis des siècles.

    « Qui ramasse les oiseaux ? », demandai-je étonnée.

    « Les gamins d’Alfama, ils en trouvent partout, dans les rues comme dans la campagne : ils ont été payés pour leur travail par ces messieurs avec un uniforme jaune à lignes rouges que tu vois maintenant en action. » Pereira avait à peine fini de parler que je vis deux individus qui avaient l’air d’éboueurs, mieux habillés que les autres. Ils ramassèrent les oiseaux dans des plastiques et disparurent avant que je puisse leur adresser la moindre question. Je courus à la porte : ils me semblèrent deux figures surréalistes, dans leurs nouveaux costumes, un peu courbés sous le poids des sacs d’ordures remplis de cadavres d’oiseaux.

    Le vent s’était tout à coup levé, comme cela arrive à Lisbonne et je respirai à pleins poumons la brise chargée de pollen et des senteurs de l’été.

    « Il n’y a pas de grippe aviaire au Portugal ? », demandai-je à Pereira qui était resté sur la terrasse au soleil, les bras croisés sur la balustrade et regardait le panorama comme un touriste qui se trouverait là par hasard.

    « On dit que non. »

    « Ah, autrement on ne laisserait pas à des gamins la tâche de ramasser des oiseaux morts, balbutiai-je en moi-même. « Et la télévision et la radio, elles en parlent ? »

    « Peu. Au début, elles ont dit qu’à Alfama les pigeons mouraient. Puis, plus rien. De temps en temps arrive un chroniqueur, je l’amène ici, comme j’ai fait avec vous et puis puff, il disparaît et rien ne se passe. »

    « Mais les gens d’Alfama n’ont pas peur, ils ne protestent pas ? »

    « Protester ? Ils sont contents comme des papes, leurs enfants gagnent des sous, même beaucoup ! Et le travail n’est pas lourd. » Pereira me regarda comme s’il ne me voyait pas, distrait par on ne sait quelles pensées. Puis, il s’ébroua, il valait mieux s’en aller, lui ne ramassait pas d’oiseaux et il devait joindre les deux bouts.

    Je le saluai ; je pouvais marcher vers le centre, en choisissant les raccourcis avec des marches auxquelles je commençais à m’habituer.

    « Vous allez disparaître, vous aussi ? » me demanda Pereira avec un sourire ironique. Et moi de lui répondre : « Je ne le crois vraiment pas

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