Je rentrerai avant la nuit: Le récit d'une famille
Par Sophie Barut
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À propos de ce livre électronique
Je rentrerai avant la nuit c’est un jeune couple avec ses hauts et ses bas, les petits tracas subitement balayés par le drame d’un soir. On ne peut pas mourir à 30 ans, pas quand on vient de se marier. On ne meurt pas de faire du vélo. Veuve à 25 ans, ce n’est pas possible. L’attente, l’angoisse, l’espérance folle, la réalité douloureuse, les doutes et les colères, les rêves… mais toujours l’amour, celui qui ne baisse pas les bras, dans ce pacte mutuel qui rend tout possible. Tu vas te battre pour moi et moi je me battrai pour toi. Le récit d’une famille qui évolue sous nos yeux, le témoignage bouleversant d’un couple que la souffrance rend perméable à leur humanité profonde, une vérité qui concerne chacun.
Plongez dans ce récit et découvrez le témoignage bouleversant d'un couple que la souffrance rend perméable à leur humanité profonde !
EXTRAIT
Hier, Jean est venu nous apporter ton pain préféré. J’étais encore à l’agence. L’auxiliaire de vie vous a laissés tous les deux dans ta chambre. Tu t’es effondré et n’as pu en expliquer les raisons à ton ami. Le soir tu me dis : « Je me suis vu soudainement en face de Jean tel que j’étais devenu. Je me suis rappelé ce que j’étais avant, quelles étaient nos relations, et j’ai réalisé que nous ne pouvions plus échanger comme avant, que je n’arrivais plus à me faire comprendre. » C’est bien, c’est douloureux mais tu te rapproches, tiens bon.
Beaulieu Médical vient de nous livrer la table de verticalisation. Aquasiège nous installe un fauteuil de douche ; nous recevrons une voiture adaptée dans quinze jours. Tout se met en place petit à petit… Pour combien de temps ? Combien de temps aurastu besoin de tout cet attirail pour vivre avec moi « normalement » ? Tu donnes des signes de ras-le-bol : trop de monde défile à ton chevet… Comment s’adapter à ton confort, tes envies, tes besoins ?
A PROPOS DE L'AUTEUR
Sophie Barut, architecte d’intérieur et artiste, est l’épouse de Cédric, devenu handicapé à la suite d’un traumatisme crânien. Elle signe ici son premier livre.
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Aperçu du livre
Je rentrerai avant la nuit - Sophie Barut
PROLOGUE
Cédric, ma rose et mon épine
Vingt ans, vingt ans déjà !
Tu es là, attablé devant moi. Je plonge dans tes yeux, tes yeux noisette, pétillants et rieurs, remplis d’affection, débordants d’amour. Tes yeux qui semblent me dire : « Sophie, je t’aime, je t’ai toujours aimée, mais j’ai si peu à t’offrir. »
Je la vois cette pointe de désolation dans ton regard si doux, comme si tu avais de la peine d’être devenu ainsi, comme si tu étais désolé de ne pas avoir été plus prudent ce soir de printemps. Désolé d’être en fauteuil roulant, désolé d’être si perdu au quotidien, désolé de tes amnésies qui mettent mes nerfs à rude épreuve. Désolé de ce drôle de papa que tu fais, de ce drôle de mari que tu es.
Mais voilà, cette pauvreté, cette fragilité, tu me les offres, tu me les offres avec un abandon total, une confiance si grande.
Tu caresses ma main en me souriant.
Ne sois pas désolé Cédric, mon amour, ma rose et mon épine, si délicat et si âpre parfois.
Aujourd’hui cela fait vingt ans que nous nous sommes donnés l’un à l’autre. Noces de porcelaine. C’est fragile, la porcelaine, mais c’est tellement beau.
Nous sommes sur la colline de Fourvière, dans un restaurant qui domine Lyon. Le panorama qui s’offre à nous est à couper le souffle. La vieille ville, ses places, ses églises, et au loin le quartier des affaires, le Rhône et la Saône, l’aéroport et ses avions qui vont et viennent, puis les champs, les forêts, l’autoroute et tout au fond, les Alpes qui s’élèvent, majestueuses et triomphantes.
La vie ce soir semble nous faire un clin d’œil : « Contemplez le chemin parcouru depuis toutes ces années, soyez heureux, soyez fiers. Tout n’est pas parfait, rien n’est définitivement acquis, mais aujourd’hui réjouissez-vous du travail accompli. »
Tout semble si limpide ce soir, finis les tâtonnements, le brouillard, la pénombre. Place à la joie, profonde et tranquille.
Cet accident nous a fauchés en plein vol, stoppés net dans notre histoire d’amour naissante. Il a fallu construire sur de nouvelles bases, tellement inattendues et déroutantes. Tout était à découvrir.
Pas à pas nous avons avancé. Main dans la main. Yeux dans les yeux. Jour après jour.
Lorsque tu voulais tout laisser tomber, je te suppliais de te battre par amour pour moi, parce que nos vies étaient inexorablement liées et que mon bonheur était de te voir sourire. Ton désespoir m’aurait submergée. Alors tu te relevais et par amour tu reprenais le combat, pour me donner une belle vie, pour nous donner une belle vie.
Si nous avions su ! Si nous avions su il y a vingt ans toutes les batailles qui nous attendaient, nos nuits sans sommeil, notre énergie dépensée, notre travail remis cent fois sur le métier, nous serions peut-être tombés d’épuisement avant même de commencer. Mais nous aurions surtout sauté de joie en voyant quels cadeaux la vie nous réservait, et quelles belles victoires nous allions remporter…
Si nous avions pu voir où ce combat allait nous mener, nous l’aurions sans doute remporté avec plus d’ardeur et de force encore.
C’est cette ardeur, c’est cette force que j’aimerais transmettre maintenant, pour que jamais ne s’éteigne la petite flamme de l’espérance.
- 1 -
LE PRONOSTIC VITAL
EST ENGAGÉ
Vendredi 24 avril 1998
Dix-neuf heures. Ça y est ! Enfin, c’est l’heure. Je peux quitter l’agence. Vite, ranger les plans, les feutres, les rotrings. Éteindre l’ordinateur. Un salut rapide à mes collègues et je saute dans ma Clio. Je mets la radio, ma ceinture, je t’imagine au bout de la route les bras grands ouverts et je fonce.
C’est parti pour les quarante-cinq minutes de route qui séparent mon lieu de travail de notre maison. Ces quarante-cinq dernières minutes à vivre loin de toi sont toujours les plus longues.
Je repasse dans ma tête ma journée de travail, les clients, les artisans, mes projets en cours, les boulangeries, les restaurants, tous ces commerces à rénover, transformer, relooker…
Ça y est ! J’aperçois la petite maison de village dont nous occupons le dernier étage depuis cet été, depuis que nous sommes mariés.
Je gare la voiture, je monte quatre à quatre les escaliers, je mets la clef dans la serrure mais la porte s’ouvre toute seule : tu es là, tu m’attendais.
Tu prends mes mains, les presses, les caresses, les embrasses. Tu me serres contre toi, décoiffes mes cheveux en riant, prends mon visage, tes baisers sont si doux. Tu baisses les yeux et tu souris. Je t’aime tant.
Je pose mes affaires et nous discutons de tout, de rien, de nous, de l’avenir.
Tu t’assombris.
Ton travail actuel ne te plaît pas. Tu n’as pas confiance en toi, tu ne vois pas d’issue. Et voilà que mon cœur bat au rythme de ton chagrin. Je dois apprendre à taire mes conseils car ils te blessent. Tu es un tourmenté et moi une pragmatique. Nous allons devoir apprendre à nous accorder.
Tu es parti faire un tour de vélo, ça te fait du bien.
Avant de me mettre à la cuisine pour te faire un petit plat qui te remontera le moral, je relis ce poème que tu m’avais écrit il y a quelques mois lorsque nous étions fiancés et que je garde toujours jalousement dans mon sac. Je ne m’en lasse pas…
Sophie,
Je t’ai dit qu’un sourire dénoua mon angoisse
Qu’est le tourment de l’homme pour ton front si tranquille ?
Le vent, le vent nous aime, le vent, le vent qui passe
Mon baiser ne voulait que bénir ton calme
Adorer un instant le bonheur si fragile
Il faut bien s’approcher pour respirer les fleurs
Ne t’effraie pas trop vite du secours de mes paumes
Elles ne serrent pas le cou du diamant de ton âme
Regarde bien mes mains, regarde, elles sont ouvertes,
La liberté s’y pose mais rien ne l’y arrête
J’aime le jour qui vient et j’aime tes cheveux
J’aime le vent qui passe pour les défaire un peu
J’aime le ciel au loin et l’ici de tes yeux
J’aime quand tes mains lasses et fatiguées un peu
Tombent au bout de tes bras, ô servantes inutiles
Et moi qui les console et moi qui les embrasse
Est-ce que ma tête est folle ? Est-ce que je t’embarrasse ?
Il faut peu retenir de ces vers incertains
Seulement que je t’aime et qu’ainsi tout est bien
Cédric
(J’aime le désuet des poèmes d’amour et le regard inquiet que tu as sur ma cour)
Demain c’est dimanche et je sais que je serai seule à la maison : peut-être repasserai-je ou ferai-je un gâteau ? J’avancerai sur ce chemin d’épouse, de femme. Mon cœur se serre, car je sens que tu n’es pas pleinement heureux et aussi parce que tu me manques tellement souvent.
Et cet été qui approche, ce soleil qui va inonder le parc de touristes et te retenir encore plus longtemps éloigné de moi. Que faire ? Que dire ?
Samedi, tes copains viennent déjeuner, puis samedi prochain nous serons dans ma famille, ensuite dans la tienne, puis mes amies viendront. J’apprécie vraiment de tous les voir mais je n’en peux plus de cette vie à cent à l’heure. Pourquoi ? Pourquoi le temps file-t-il si vite ?
Samedi 16 mai 1998
J’ai 25 ans. Voilà huit mois que je suis mariée à Cédric. Huit mois que, dans la course folle de ces jours qui nous emportent, nous essayons tant bien que mal de construire notre couple.
Beaucoup de joies, beaucoup d’amour, mais aussi de heurts, de crises de larmes, de révoltes ! Qu’il est difficile de changer pour ne plus heurter, qu’il est difficile d’accepter l’autre et de l’aimer jusque dans ses faiblesses ! L’autre est libre, je l’accompagne, c’est tout. Je dois le soutenir, tenter de l’aimer pour que sa vie soit belle et c’est tout. Il ne m’appartient pas.
Je voudrais ne pas faire d’erreur, ne pas me tromper de vie.
Nos métiers nous prennent tout notre temps, y compris certains week-ends. Je suis architecte d’intérieur, lui est graphiste-serveur-maquettiste-vendeur – bref, multitâches – dans un parc touristique de la région. Mon travail me plaît mais je me sens trop souvent aspirée loin de chez moi. Cédric, quant à lui, aimerait en changer, trouver un emploi plus artistique, qui lui laisserait ses dimanches.
Est-ce que le bonheur, c’est de taire ses aspirations et se résigner ? Je ne le crois pas. Battons-nous pour changer ce qui peut l’être.
Les rendez-vous avec la chambre de commerce sont pris. Cédric souhaiterait travailler en libéral, peut-être comme illustrateur pour livres d’enfants… Il a rendez-vous dans quinze jours avec une grande maison d’édition parisienne qui est intéressée par ses dessins. Pourvu que ça marche !
Jeudi 28 mai 1998
Sept jours que Cédric est dans le coma.
Tout est arrivé si vite et pourtant le temps paraît s’arrêter. Me voici