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La crique de la terreur
La crique de la terreur
La crique de la terreur
Livre électronique352 pages5 heures

La crique de la terreur

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À propos de ce livre électronique

La dernière fois, c’était du pur hasard : une excursion de classe nature qui a horriblement mal tourné. Un instant, Ian, Kendra et PJ étaient perdus dans une forêt de montagne et, l’instant d’après, ils étaient face à une horde de zombies dévoreurs de chair. Pour survivre, les amis ont dû se montrer plus malins que les morts-vivants et découvrir un moyen de les bannir de notre monde. Par chance, ils ont réussi… … mais cette fois, il n’y a pas de hasard. Le mal cherche les Fossoyeurs nouvellement baptisés et ils sont plus que prêts à se battre de nouveau (du moins, c’est ce qu’ils
pensent). Ian, Kendra et PJ sont en vacances avec leurs familles dans les tropiques quand on les met en garde contre une île nommée la Isla Hambrienta, où un gros bateau de croisière a coulé au large des côtes il y a des années. Le karma là-bas est si sombre et menaçant que la Gardienne O’Dea aux pouvoirs surnaturels les suit alors qu’ils enquêtent. Ce à quoi aucun d’eux ne s’attend, c’est de trouver une colonie de zombies plus forts que ceux qu’ils ont vaincus sur la montagne… et une autre présence sur l’île bien plus dangereuse que les créatures dégoûtantes censées devenir poussière. Les lecteurs qui ont follement envie d’action, de frayeurs et de sensations fortes adoreront ce deuxième tome de la série les Fossoyeurs.
LangueFrançais
Date de sortie5 mai 2014
ISBN9782897338268
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    Aperçu du livre

    La crique de la terreur - Christopher Krovatin

    Un

    Ian

    V ite, Ian ! crie mon père. Ils te rattrapent !

    Mais il est trop tard. Je viens juste de me faire avoir.

    Mes mains se resserrent sur le bord du vieux sac à patates en toile, et je saute, si vous saviez, je saute aussi vite que mes jambes me le permettent, mais c’est inutile, car je peux la sentir arriver derrière moi, je peux entendre son souffle quand elle me dépasse de quelques centimètres. Elle fait ce mini-saut, cinq petits sauts par rapport à mon seul grand saut et, tout à coup, du coin de l’œil, je vois ce nuage de cheveux noirs fondre sur moi et me devancer tandis que nous sommes à moins de dix mètres de la ligne d’arrivée. En la voyant prendre la tête, me dépassant allègrement, et en entendant mon père crier comme s’il était victime de meurtre, je ressens une poussée d’adrénaline. Je me mets à bondir en avant en faisant des sauts super puissants, mais je dois avouer que c’est la dernière chose que je devais faire. Le sac est bien trop serré, et je finis par trébucher dedans. C’est alors que je lève mon genou dans le morceau de toile serré, que mes pieds s’entremêlent, puis que je heurte le sol en tombant tête la première dans le gazon, m’écorchant les mains pour me retenir.

    Tandis que je me redresse, je regarde les autres enfants, Tom Richter, Franklin Simms et Katey Price, passer à côté de moi en sautant, faisant de leur mieux pour retenir leurs sacs en toile miteux, mais ils étaient loin d’atteindre Kendra et moi… En fait, juste Kendra, maintenant.

    Tandis que je m’extirpe du sac en toile et que je sors du gazon, je regarde Kendra franchir la ligne d’arrivée. L’entraîneuse Arnholt lui prend la main et la lève haut dans les airs. Elle proclame :

    — La gagnante est mademoiselle Kendra Wright !

    La foule l’acclame, et Kendra, alias Super Cerveau, s’incline poliment, un petit sourire discret se dessinant sous sa masse imposante de cheveux. Au début, je ressens ce sentiment d’aigreur au plus profond de moi. C’est comme si le regard de mon père pesait des tonnes et que ses yeux se retrouvaient quelque part dans mon ventre. Je n’ai plus qu’à marcher jusqu’à la ligne d’arrivée et les sentir. Je ne suis qu’un perdant. Pas un loup, un caniche.

    Tandis que je la rejoins, Kendra croise les bras et relève le menton, son sourire étincelant ressortant sur sa peau couleur café.

    — Tiens donc, dit-elle, mon adversaire vaincu !

    « Du calme, du calme ! »

    C’est Kendra, mon amie, à qui je dois plus que je peux me souvenir. Me forcer à sourire. Prendre de grandes respirations comme PJ. Voir le bon côté des choses : j’ai fait de l’exercice et je viens d’illuminer la journée de Super Cerveau. L’entraîneuse dirait : « Un sacrifice pour l’équipe. »

    L’entraîneuse Arnholt avance lentement avec ses shorts d’un blanc immaculé, sa visière et son grain de beauté sur la lèvre. Elle tend le prix à Kendra : un gros éléphant rose en peluche. Kendra le lève haut dans les airs comme un trophée.

    — Au vainqueur les mains pleines, dit Kendra. Regarde !

    — Tu dois te sentir vraiment brillante, lui dis-je, à tenir un énorme éléphant stupide en peluche !

    Elle le serre fortement contre sa poitrine.

    — Je pense que le mot que tu veux dire est plutôt « magnifique » ou peut-être « divin ».

    Je veux dire « stupide ».

    PJ Wilson, le troisième de la bande, se trouve sur les gradins, caméra en main, à côté de mes parents. Mon père est vêtu pour une allée — polo, casquette et lunettes de soleil, shorts kaki, chaussettes blanches et Reebok, moustache ridicule —, mais à voir comment il regarde ses pieds, on dirait qu’il a perdu notre maison et notre voiture dans un pari. Ma mère, blonde et à la silhouette particulièrement mince, me sourit à côté de lui, mais c’est le sourire contrit BCBG qu’elle fait toujours comme pour excuser mon père. Mon meilleur ami, tout maigrichon et pâle dans tout ce noir comme un genre d’« artiiiiiste », se gausse avec enthousiasme tout en regardant dans sa caméra.

    Pouvez-vous croire à quoi je fais face ? C’est l’his-toire de ma vie, perdre une course en sac à une fête. Attendez que je reprenne le basket et que je manque un lancer franc. Mon père va me tuer (je pourrais m’estimer heureux).

    Tandis que Kendra et moi les rejoignons, mon père interrompt son histoire d’amour avec ses chaussures et lève la tête pour la hocher en signe de félicitations à Kendra, tout en faisant un rictus sous sa moustache.

    — Beau boulot, Wright, dit-il. Tu as gagné cet… éléphant.

    Il me regarde, et même s’il porte ses lunettes d’aviateur, je peux lire sa désapprobation.

    — On va devoir travailler ta vitesse, si tu veux jouer au ballon cette année. Ça laissait à désirer.

    — Merci, papa. Je n’avais pas remarqué.

    — Vince, arrête, dit ma mère. Chéri, tu étais très bien.

    — J’ai perdu, maman.

    — Gagner n’est pas important, dit-elle avant de se lancer. Kendra, chérie, belle course. Tu les as terrassés.

    Fantastique. Je lance un regard furieux à PJ, espérant au moins un signe de solidarité entre garçons, mais mon compère joue les savants fous. Ses grands yeux brillants étincellent pendant qu’il s’affaire sur les milliers de boutons de sa caméra.

    — Je t’en prie, dis-moi que tu n’as pas filmé ça, lui dis-je.

    — Pas seulement ça… dit-il avant de tourner l’écran de l’appareil vers nous.

    Il appuie sur un bouton, et un gros plan de moi qui trébuche et tombe se met à jouer dans un super ralenti. On peut voir chaque contraction de ma bouche quand je me rends compte que je tombe, chaque « Oh non ! » qui me passe par la tête. Quand je heurte le sol, on entend le son d’une bombe qui explose.

    Kendra ricane, ce qui est généreux de sa part.

    — Classique.

    — Quand on sera rentrés, j’ajouterai une musique d’opéra très triste et je vous l’enverrai, les amis, dit-il en riant.

    Puis il scrute mon visage, et son sourire rétrécit.

    — Désolé, vieux, tu t’es vraiment bien débrouillé, pour être honnête.

    Me faire plaindre par PJ, voilà un sort pire que la mort. De nouveau, je ressens ce sentiment désagréable au plus profond de moi, comme si j’étais si contrarié que je pourrais balancer la caméra de PJ à l’eau mais, là encore, je dois me détendre. Ça, c’est l’ancien Ian, le Ian qui ne savait pas combien il était bon d’avoir Super Cerveau et Wilson le trouillard à ses côtés.

    — Je suis affamé, dis-je en essayant de faire fi des mauvaises vibrations en provenance de mon père et de l’extrême faiblesse que cela représente de perdre.

    — Des beignets ?

    — Certainement, dit PJ.

    — Vince, tu devrais peut-être aller avec eux, dit ma mère.

    Elle essaie de sembler décontractée, mais sa voix est un brin autoritaire.

    — Ils restent sur le site de la fête, Emily, dit-il. Ça ira.

    Mais il se tourne et me lance un autre regard noir derrière ses lunettes de soleil. Je peux presque entendre ce qu’expriment ses yeux plissés : « Peu importe la taille du cerf. Pigé ? »

    Holà ! J’en reste bouche bée. À côté de moi, PJ se mordille la lèvre et Kendra hoche lentement la tête.

    Trop tôt. Beaucoup trop tôt.

    La fête de l’Indépendance du 4 juillet est tout un événement dans notre ville. Une fois par an, notre école transforme sa vaste cour en fête foraine pour récolter des fonds. C’était auparavant assez quelconque, mais voilà que maintenant tout le monde en ville veut faire quelque chose de plus gros et de plus sympa chaque année, alors on se retrouve soudain avec le Dr Sherman, le dentiste, qui fait de la barbe à papa, et Mme Todd, la coiffeuse, qui dit la bonne aventure dans une tente avec un turban sur la tête. Ils ont ajouté des attractions, alors on peut en faire de plus grosses — une grande roue, un Gravitron. Bref, c’est devenu un super endroit pour manger une tonne de bonbons, faire une tonne de manèges, se donner mal au cœur et rentrer chez soi heureux.

    Voilà qui est suffisant pour faire oublier le commentaire de mon père, et en plus nous sommes affamés. On ne sait pas par où commencer. Devant nous s’étend plus d’un kilomètre de stands de nourriture équipés de lumières clignotantes et de banderoles rouges et bleues.

    Funnel cake ou des beignets frits ? demande PJ, qui lit dans mes pensées.

    — Un funnel cake est plus un genre de dessert, dis-je. Prenons un hot dog, et ensuite un beignet frit.

    — Un hot dog enveloppé dans un beignet frit, dit PJ.

    — Vous êtes dégoûtants, dit Kendra. Les parois de votre estomac doivent être…

    — Attends que j’aie mon hot dog, lui dis-je. Après, on pourra parler de parois d’estomac.

    Elle sourit.

    — Dans la plupart des hot dogs, la viande contient des parois d’estomac.

    — Merci, Kendra, lui dit PJ. Tu as réussi à gâcher les hot dogs.

    C’en est trop pour moi, et Kendra se met à rire. Bientôt nous rions tous aux éclats, mais le commentaire de PJ était juste : les hot dogs me semblent à présent infects, alors nous nous dirigeons directement vers les beignets frits.

    Peu de temps après, ma bouche est pleine d’un beignet dégoulinant recouvert de cannelle, et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous avançons vers la grille, regardant les baraques et discutant de ce que nous voulons faire. PJ parle d’un film en plein air qu’ils vont passer plus tard, Kendra veut parler physique et comment fonctionne le Tilt-A-Whirl, et je cherche un stand de tir. On est bien, même si nous optons tous pour des directions différentes. Il y a là un genre de parfait équilibre à trois.

    Je m’aperçois que c’est la première fois que nous participons à la fête ensemble. Je veux dire qu’on ne se connaissait pas vraiment avant…

    Alors que nous tournons au coin d’un stand de maïs soufflé et de limonade, il apparaît, bondissant presque sur nous. On s’arrête tous les trois net, et je sens la panique s’insérer au bout de mes doigts, créant des picotements. Puis elle se diffuse dans mon cœur et va se loger au creux de mon estomac.

    PJ murmure :

    — Oh bon sang.

    Ils faisaient toujours un train fantôme — une de ces attractions conçues selon le thème des châteaux, où on se déplace dans des chariots et où des monstres fantomatiques sifflent et nous sautent dessus. Parfois, une sirène puissante retentit ou une lumière stroboscopique clignote. Cette année, la façade en bois peinte à la bombe représente un décor de montagne avec « MONTAGNES DE L’ENFER » écrit dessus en lettres sanglantes. Sur les montagnes sont peints des vampires avec des capes, des loups-garous dans de la flanelle en lambeaux… et des morts-vivants, leurs corps en décomposition, les mains tendues, hurlant silencieusement aux spectateurs. Sur la porte battante qui mène aux rails est peint un crâne putréfié rieur.

    C’est juste un peu trop récent pour qu’on se sente à l’aise. Parce qu’à l’époque — bon sang, ce n’était qu’en mars ? —, je ne l’aurais même pas remarqué.

    Mais maintenant, cela me ramène directement à ce bref souvenir, cet éclair dans mon esprit, une simple représentation qui me revient presque toutes les trois, quatre heures, celle du moment où l’on quitte la cabane, et où là, à la lumière, des morts nous entou-rent avec leurs yeux blancs ressortant de leur crâne verdâtre putréfié et leur sang noir ruisselant sur leur menton. Pendant une seconde, ils ne font que me regarder comme s’ils n’avaient jamais rien vu comme moi avant puis, d’un seul coup, leurs mains se tendent, leurs dents se dressent en avant, et je peux entendre ce gémissement profond venu de quelque part ailleurs que d’un poumon.

    Je ne sais pas ce qui est le pire : combien cela me terrifie, ou combien cela m’excite.

    — On dirait qu’ils savent, marmonne PJ.

    — Ils ne peuvent pas savoir, dit Kendra comme si elle essayait de se convaincre.

    Elle passe une main dans sa masse de cheveux.

    — Ils ne peuvent pas. Impossible.

    Je demande :

    — Est-ce que l’un de vous… veut y aller ?

    L’idée me fait ressentir un malaise, mais un bon malaise, le genre de malaise qui précède un match, comme si je maîtrisais totalement ce qui m’attendait.

    — Sûrement pas, dit immédiatement PJ.

    — Non, dit Kendra après réflexion.

    — Ouais, mentis-je, résistant à l’intense excitation. Moi non plus.

    Les deux autres se tournent et partent d’un pas lourd. Je réussis à m’arracher au train fantôme. Après quelques minutes de silence, Kendra demande à PJ :

    — À quand remonte la dernière fois où tu as vu un film d’horreur ?

    PJ hausse les épaules.

    — Quel est le problème ? dit-il. C’est juste pas vraiment agréable, quand on sait que ça existe en vrai.

    PJ regarde furieusement les restes de son beignet frit comme s’il insultait sa mère. C’est le nouveau PJ, le mec qui est revenu de la montagne — moins terrifié, plus irrité, pas paniqué, mais agacé par tout ce qui marche, vole, nage ou rampe.

    — Il est sept heures et quart, dit Kendra en regardant son téléphone. On devrait aller à la scène principale pour la tombola.

    — Pourquoi participez-vous à ça ? demande PJ alors que nous nous dirigeons vers le centre du site.

    — Tu rigoles ? lui dis-je. Le grand prix, c’est une semaine à Porto Rico ! À nager, à se faire bronzer… Pourquoi, toi, tu ne participes pas ?

    — Premièrement, parce que la toxicité du soleil et les morsures des mille-pattes ne sont pas ce qu’il y a de plus excitant pour moi, dit PJ en levant un doigt. Merci bien.

    À l’écouter, même la plage est son ennemie. La nature, comme tout le reste, ne fait plus que le mettre à fleur de peau, maintenant.

    — Deuxièmement, et c’est encore plus important parce que je me souviens de ce qu’O’Dea a dit. Les forces du mal vont se rappeler de nous. Nous sommes identifiés. Marqués. Mis en lumière. Alors, je ne bouge pas.

    Il croise ses bras fièrement.

    — Je ne laisserai pas l’univers saisir l’occasion.

    — Profite de ton été au centre commercial, lui dis-je, et je souris à Kendra.

    Elle essaie de me sourire en retour, mais je peux lire l’inquiétude sur son visage, et oui, je suppose que PJ a raison.

    Cela ne m’avait pas vraiment surpris de découvrir qu’il existait des endroits maudits partout dans le monde — c’est le genre de choses qu’on apprend quand on est tout jeune : « Ne va pas là la nuit. L’endroit est maudit. » Mais le système entier derrière tout ça me laisse sans voix. Nous avons fini par duper les zombies qui nous attaquaient en en attaquant un autre — en fait, PJ et Kendra en ont fait fondre un —, et manifestement cela a perturbé tout ce vaste réseau d’énergie karmique.

    Autre chose d’étrange. Il y a quelques mois, quand O’Dea, la sorcière de la montagne qui nous a sauvés des corps ambulants mangeurs de chair, nous a dit que notre ingérence dans son champ de forces magiques et le fait que nous ayons détruit tous les zombies de la montagne faisaient de nous des espèces de chasseurs de zombies spéciaux qu’on appelle les « fossoyeurs », tout a eu un sens pour moi. Bien sûr que j’étais voué par le karma à être un tueur de zombies. Absolument. Mais maintenant, c’est étrange. Nous ne pouvons en parler à personne, et si je prétends que ce qui s’est passé sur la montagne était une aventure, c’est un peu comme si j’insultais PJ et Kendra.

    — Vous êtes paranos, dis-je, et je fais un signe de tête vers l’estrade. Le plaisir du soleil, les plages de sable, les guédilles au homard. Ça va être super !

    — Si être parano me garde en vie, alors ça me va très bien, dit PJ.

    La scène principale est une estrade blanche avec un énorme drapeau américain voletant derrière. Déjà, la foule s’étend sur six rangées, et nous devons pousser dou­cement pour nous faufiler entre les spectateurs et retrouver mes parents à l’avant. À l’instant où nous les avons rejoints, ma mère me saisit le bras et m’attire près d’elle, mais je réussis à me reculer. Cela n’aide assurément pas mon ego (Kendra dit que le mien est géant, et elle a probablement raison comme d’habitude).

    Le directeur Jones se tient sur une plateforme rudimentaire avec l’école parfaitement centrée derrière lui, vêtu de son déguisement d’Oncle Sam, les joues rouges et le front brillant de sueur. Il réussit tout de même à balancer son bras dans un mouvement théâtral pour que tout le monde regarde la scène alors qu’il rougit et sue. Cette fête est probablement trop lucrative pour l’école pour qu’il se sente embarrassé de son accoutrement ridicule, mais j’espère tout de même qu’il ne mourra pas d’un coup de chaleur juste là.

    — Et maintenant, dit-il dans son micro qui siffle, voici le moment que vous attendez tous… la tombola annuelle.

    La foule applaudit et crie.

    — Dois-je vous rappeler que les trois étudiants qui gagneront cette tombola et leurs familles recevront un voyage tout inclus à Porto Rico ?

    La foule tape des mains plus fort, siffle, crie. Partout, les enfants tout excités restent bouche bée tandis que leurs parents trépignent, remplis d’espoir.

    Ça y est. Voici venu mon moment de gloire, un peu de chance dans cette journée pourrie. La main de mon père s’abat sur mon épaule, mais ne la serre pas — pas encore, pas alors que je n’ai pas gagné. Je frappe des mains et marmonne :

    — Allez, il faut que je gagne. Porto Rico, me voilà ! Le gros lot, le gros lot !

    — Tes implorations n’augmenteront pas tes chances de gagner, dit Kendra.

    — Hé, on ne sait jamais, lui dis-je. Un peu d’interférence karmique pourrait bien être juste ce qu’il me faut.

    Kendra secoue la tête.

    — Ridicule, dit-elle.

    Le directeur Jones sort un morceau de papier de son seau et le déplie.

    — Notre premier gagnant est… Ian Buckley !

    « Enfin ! »

    Mon visage est envahi de froid et de chaud en même temps et, sans réfléchir, je lance mon poing dans les airs et je crie comme un fou. Mon père m’ébouriffe les cheveux.

    — Bravo ! grommelle-t-il.

    PJ secoue la tête et croise les bras, mais je l’ignore. Même lui ne parviendra pas à altérer mon humeur.

    Kendra roule des yeux, mais je la voix marmonner sous cape :

    — Il faut que je gagne. Allez, le gros lot, le gros lot.

    Le directeur Jones retire un deuxième bout de papier et le déplie.

    — Le prochain est… Kendra Wright !

    Kendra brandit un poing dans les airs et crie de joie, mais ensuite elle baisse la main, inquiète, et regarde PJ. Quand je vois l’expression d’horreur absolue sur son visage alors qu’il baisse lentement sa caméra, je me sens blêmir.

    — Félicitations, Wright, dit mon père en lui donnant une petite tape dans le dos. Nous allons faire une sacrée fiesta !

    Ma mère sourit à PJ.

    — Espérons que tu seras le troisième, dit-elle. Ne serait-ce pas génial si vous gagniez tous les trois ce voyage ?

    — Non, regardez, dit PJ en faisant non à ma mère. Ça ne se peut pas. Je n’ai pas mis mon nom…

    — Et enfin, crie le directeur Jones, Peter Jacob Wilson !

    Les paroles de PJ s’interrompent net tant il est soufflé. Ma mère et mon père lui donnent une petite tape sur l’épaule et le félicitent, mais aucun de nous ne le remarque. PJ regarde Kendra et moi, et nous le regardons à notre tour, les yeux écarquillés. La fête autour de nous semble se troubler tandis que j’ai l’impression que de petits insectes de glace se répandent sur ma peau.

    Si PJ n’a pas mis son nom dans la tombola, c’est que quelqu’un d’autre ou quelque chose l’a fait, ce qui veut dire qu’aller à Porto Rico est probablement une mauvaise idée, parce que les forces du mal de l’univers nous tendent la main, nous réunissent et nous envoient dans un endroit sombre et maudit. Bien sûr, je sais que ça paraît complètement fou, mais si ces forces peuvent dérégler notre boussole sur une montagne maudite, si elles peuvent ramener les morts à la vie en en faisant des machines mangeuses de cerveau affamées, elles peuvent probablement écrire le nom de PJ sur un billet de tombola.

    Et tandis que PJ devient verdâtre et se dirige en titubant vers la poubelle la plus proche et que Kendra plaque une main sur sa bouche alors que ses yeux deviennent vitreux, je ne peux m’empêcher de me sentir comme lorsque j’étais sur la montagne, la dernière fois que je savais vraiment comment être Ian, quand j’ai escaladé les rochers et manipulé des capteurs de rêves magiques, que j’ai déchiffré des cartes et que je me suis montré plus malin que les zombies.

    Et alors que mon père nous demande ce qui ne va pas, je ne peux m’empêcher de penser que oui, PJ a raison. Il y a de la magie, ici. Je le savais.

    Deux

    Kendra

    I l n’y a pas de bonne façon d’expliquer à ses parents qu’ils courent un grave danger venant de l’occulte. Surtout quand des vacances gratuites dans les tropiques sont au programme.

    Toute la soirée, mon père arpente (quatre, cette semaine — à moins que ce soit trois ? « Allez, Kendra, c’était quand la dernière fois que tu as compté tes mots de vocabulaire ? Tu le sais bien ») la maison, s’assurant qu’il n’a rien oublié de nécessaire pour le voyage — les bons maillots de bain, ses médicaments contre les allergies, son « chapeau de pêche chanceux » —, alors que je fais les cent pas d’une pièce à l’autre, réfléchissant à un moyen de le convaincre que nous ne devrions pas prendre ce vol pour Porto Rico dimanche. Jusqu’ici, je n’ai élaboré que deux mensonges : le premier, c’est que je suis aux prises avec une horrible maladie ; le deuxième, c’est que je me suis récemment fâchée avec Ian et PJ et que je ne veux plus me retrouver en leur présence. Ces deux excuses semblent peu plausibles quand je les dis tout haut, et si elles sonnent faux pour moi, mon père, avec son esprit intuitif, n’y croira sans doute pas ou du moins les rejettera.

    Comment pourrais-je commencer ?

    « Papa, tu sais les cauchemars que j’ai faits les mois passés ? Eh bien, quand on s’est aventurés sur des terres maudites pendant notre excursion scolaire, en mars, on a rencontré une horde de corps réanimés — des zombies, si tu préfères — à qui nous avons dû échapper. Une sorcière nommée O’Dea nous a sauvés. Elle fait partie d’un vaste réseau de gardiennes, dont le travail consiste à protéger le monde entier de la menace des morts-vivants. Toutefois, après avoir altéré son espace de confinement magique, nous avons libéré une foule de morts-vivants et nous avons dû ensuite les détruire par la ruse, l’ingéniosité et l’eau chaude, ce qui apparemment fait fondre les revenants des montagnes tout secs. Mais en jouant un rôle dans leur destruction, nous nous sommes dévoilés comme participants au jeu de l’équilibre cosmique et à en voir combien notre destination est proche du fameux Triangle des Bermudes, je ne peux m’empêcher de me demander si ces vacances sont une tentative de la part des pouvoirs des ténèbres de nous prendre dans leurs bras en décomposition et de croquer dans notre gorge. »

    Même y penser me fait grimacer. Si quelqu’un me racontait une telle histoire, j’appellerais la police.

    Tâtonnant pour trouver une vérité plausible, je finis par bredouiller :

    — Papa, à propos de ce voyage. Peut-être qu’on ne devrait pas y aller.

    Le son de l’affolement s’échappant de la salle de bain cesse, et mon père sort la tête, le front ridé, les yeux plissés.

    — On ne devrait pas y aller, répète-t-il. À Porto Rico. Nos vacances toutes dépenses payées.

    — Je… ne suis pas sûre de vouloir… passer du temps avec Ian et PJ.

    C’est presque vrai, mais pas du tout ce que je veux dire. Me voilà maintenant forcée de jouer la carte de l’émotion. J’aurais vraiment dû opter pour l’horrible maladie.

    — Que veux-tu dire ? dit mon père en traversant sa chambre pour venir s’agenouiller devant moi.

    Son front est empreint de sévérité, mais sans colère, juste calme, intéressé. Mon père révèle un nombre incalculable d’émotions suivant les plissements de son front.

    — Vous sembliez être de très bons amis tous les trois, quand Vince Buckley est venu te chercher ici hier soir.

    « Allez, Kendra, réponds-lui. Tu as décidé de te mettre des bâtons dans les roues. Tu as intérêt à trouver une bonne raison pour tout mettre en place. Réfléchis. Quel est le contraire exact de la vérité ? Qu’est-ce qu’une fille normale de douze ans dirait ? »

    — C’est juste que… PJ a tendance à être… extrêmement ballonné, dis-je. Et j’ai peur qu’il me gêne. Sur la plage. Et Ian est couvert de taches de naissance étranges. C’est dégueulasse.

    « … Je ne sais pas quoi dire, Kendra. Incroyable. Vraiment brillant, ça. »

    Le front de mon père se plisse pour dire « Mon Dieu, elle est devenue folle ! », puis se détend sciemment.

    — Ma chérie, dit-il. Si tu voulais que ta mère et Herman fassent ce voyage avec toi au lieu de moi, tu aurais dû le dire à l’école quand tu as gagné le prix.

    Super. Depuis deux mois, rien que ça.

    — Ça n’a rien à voir avec le divorce, papa.

    Il hausse un sourcil.

    — Kendra, parle-moi. Tu sais que ta mère et moi t’aimons toujours énormément, n’est-ce pas ?

    Je rougis, et ma tête se balance en signe d’humiliation intense. Je pourrais m’immoler sur la pelouse des voisins, et mon père s’inquiéterait que ce soit à cause du divorce. J’ouvre la bouche pour essayer de lui dire quelque chose — peut-être même la vérité — et le mur de briques du divorce, ce dont il s’agit vraiment, m’arrête net.

    — Laisse tomber, voilà tout ce qui peut sortir.

    Voir son front peiné me hérisse, et je me détourne pour aller dans ma chambre.

    — Je vais bien. Tout va bien. Oublie ce que je t’ai dit.

    — Kendra, crie-t-il après moi.

    Alors que je monte l’escalier, je l’entends marmonner :

    — Est-ce que ce garçon Buckley a vraiment plein de taches de naissance ?

    Une fois dans ma chambre, je ferme la porte derrière moi et allume mon ordinateur. Au moins, sur le Web, je n’ai pas à m’inquiéter des forces du mal hors de mon emprise.

    Et de mon père ridicule. De ma mère aussi, tous les deux.

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