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La peur dans les yeux: Amour et Peur à Gavert City, #2
La peur dans les yeux: Amour et Peur à Gavert City, #2
La peur dans les yeux: Amour et Peur à Gavert City, #2
Livre électronique369 pages4 heuresAmour et Peur à Gavert City

La peur dans les yeux: Amour et Peur à Gavert City, #2

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À propos de ce livre électronique

Sa sœur a été kidnappée il y a des années. Il vient d'échapper à un culte apocalyptique. Leurs passés terrifiants ne les lâchent pas. Seront-ils capables de sauver les gens qu'ils aiment avant qu'il ne soit trop tard ?

Six ans plus tôt, la sœur de Tessa, Mellie, a disparu. Âgée maintenant de dix-sept ans, Tessa est toujours rongée par la culpabilité et habitée par le désir de retrouver sa sœur. Malgré tout, elle fait de son mieux pour garder le cap. Mais quand son béguin d'enfance, Luke Simon, revient vivre dans leur petite ville texane, il menace sérieusement l'équilibre si fragile qu'elle a réussi à trouver. Il l'attire, il sait la faire sourire, il est le seul qui semble la comprendre... Mais lui aussi traîne un lourd passé derrière lui...

Luke Simon s'y connaît en culpabilité. Il a emménagé chez son oncle pour oublier son passé, mais ses souvenirs le hantent. Il fait ce qu'il peut pour contenir sa colère et fait taire ses pensées en séduisant une fille après l'autre — mais Tessa, avec ses longues jambes, ses sourires rares et sa gentillesse, est la seule fille qui compte à ses yeux. Il pourrait passer des heures à lui parler, il pourrait passer des heures à faire n'importe quoi, avec elle. Mais il craint que son passé la fasse fuir... ou pire.

Tessa et Luke ont beau s'efforcer de vivre dans le présent, leurs passés respectifs ne sont jamais loin, tapis dans l'ombre et plus liés qu'ils ne pourraient l'imaginer. Et il est peut-être trop tard pour sauver la sœur de Tessa... ou même pour se sauver eux-mêmes.

LangueFrançais
ÉditeurElodie Nowodazkij
Date de sortie17 janv. 2018
ISBN9781386172949
La peur dans les yeux: Amour et Peur à Gavert City, #2
Auteur

Elodie Nowodazkij

Elodie Nowodazkij crafts sizzling rom-coms with grumpy book boyfriends and the bold, funny women who win their hearts. Sometimes, she even writes stories that scare the crap out of her. Raised in a small French village, she was never far from a romance novel. At nineteen, she moved to the U.S., where she found out her French accent is here to stay. Now in Maryland with her husband, dog, and cat, she whips up heartwarming, hilarious, and hot romances. Ready to take the plunge? The water’s delightfully warm.

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    Aperçu du livre

    La peur dans les yeux - Elodie Nowodazkij

    ​Chapitre Un – Mellie

    « LE CERCLE VOUS PROTÈGE du Mal. »

    (Livre de la Vérité du Cercle – Neuvième règle)

    « Le Mal ne dort jamais, ne se repose jamais, n’oublie jamais. »

    La voix apaisante de Jeremiah contraste avec la gravité de son avertissement sur le mal qui nous entoure, toujours prêt à nous tomber dessus et nous mettre à l’épreuve. Le Livre de la vérité (le seul livre que j’ai le droit de lire) nous rappelle que le Cercle sera toujours là pour nous. On peut compter l’un sur l’autre, car le Cercle est fait d’amour et de compréhension. Le Cercle nous attend, et nous pourrons le rejoindre dès que Maître Abram nous jugera prêts. Alors nous serons pris en charge. Nous serons sauvés.

    Jeremiah est beaucoup plus grand que moi, et moins maigre, mais il approche avec une certaine grâce. Il vient si près que nos épaules se frôlent.

    « Le Mal ne dort jamais, ne se repose jamais, n’oublie jamais », répète-t-il, et je sais immédiatement que je dois répéter ses mots. Ils sont notre mantra, notre berceuse, notre prière avant d’aller dormir.

    « Maître Abram m’a parlé. Il m’a prévenu », murmure-t-il comme si Abram lui-même nous écoutait. Il tourne avec douceur mon menton vers lui. Ses doigts chauds ont l’odeur du basilic qu’il fait pousser dehors. Ses yeux fiévreux plongent dans les miens. « Ils sont proches. Tu sais ce que tu dois faire. »

    Je hoche la tête, et nous nous levons. Ses yeux courent de la petite table au milieu de la pièce jusqu’à la porte, comme s’il craignait que des gens entrent et nous arrachent l’un à l’autre. Ou peut-être s’inquiète-t-il de voir Abram débarquer pour nous crier dessus, comme il le fait souvent. La dernière fois, il a hurlé sur Jeremiah parce qu’il m’avait apporté un exemplaire de Anne, la maison aux pignons verts. Je lui avais confié que c’était mon roman préféré avant d’être sauvée. Quand Maître Abram a vu le livre, il m’a frappé au visage avec jusqu’à ce que je saigne du nez, obligeant Jeremiah à assister à la scène, impuissant.

    « Le Mal sait. » Ses doigts effleurent ma joue et il me tire doucement vers lui. Je lui arrive à peine à l’épaule. Sa chemise a une odeur de linge fraîchement lavé, tout le contraire de la blouse qu’il m’a apportée la semaine dernière. « Le Mal sait comment nous mettre à l’épreuve. » Ses lèvres sont tout près de mon oreille.

    Il fait glisser le vieux tapis rouge et attrape la poignée de la trappe dissimulée dans le parquet, révélant l’entrée de ce qui, depuis plusieurs mois, est devenu mon chez moi.

    « Je ne les laisserai pas te tuer. » Sa promesse apaise mon cœur qui bat à cent à l’heure, mais ne m’empêche pas de frissonner. Cet endroit détient mes secrets les plus sombres. Jamais ce que j’ai fait ne pourra être défait.

    « Je sais », je murmure avant de descendre, centimètre par centimètre, jusqu’à ce que mes pieds touchent le sol irrégulier, mélange de terre et de graviers. La cachette est trop petite pour que j’y tienne debout, et même assise, le haut de ma tête frotte le plafond. Je m’allonge et enfonce mes doigts dans la terre. Sous mon dos, le sol semble dur comme de la pierre. Une panique insidieuse fait couler des gouttes de sueur le long de mon échine. Je me force à inspirer puis expirer.

    Avant, cette odeur de renfermé me donnait la nausée. Maintenant, je ne la sens même plus.

    Je peux le faire.

    Sa main caresse mon front. « Tu me fais confiance. » Ce n’est pas une question. Il me tend un couteau que je pose près de moi. Mes doigts caressent la cicatrice sur mon poignet droit, un rappel gravé dans la chair des conséquences qu’entraîne la rébellion contre Maître Abram.

    Jeremiah m’a sauvée du monde, de Maître Abram, et de moi-même.

    Ces premiers jours où je le craignais sont bien loin.

    « Et elle ? » Ma voix est à peine un murmure. Mon esprit est envahi d’images de ma sœur en train de mourir. Il faut la sauver, elle aussi, avant qu’il ne soit trop tard, trop tard comme pour mes parents. Maître Abram m’a dit et répété qu’il n’y avait plus aucun espoir de rédemption pour eux. Pourtant, même si j’ai découvert qu’ils ne tenaient pas à moi, ils continuent à me manquer.

    « Je te l’ai promis. Je tiens toujours mes promesses. »

    Il me fait un signe de tête encourageant et sourit, de ce sourire rassurant qu’il a souvent pour moi, même si Maître Abram lui a ordonné de se montrer plus sévère. Ses yeux s’attardent sur moi quelques secondes, comme pour graver dans sa mémoire le moindre trait de mon visage.

    Puis il referme la trappe, et la serrure claque.

    L’obscurité m’entoure.

    J’inspire profondément, et je fais la seule chose qui me calme à tous les coups. Je chante la chanson qu’il m’a apprise il y a des années, celle qu’on chantait parfois ensemble, celle qui me rappelle que je ne suis qu’une partie d’un tout gigantesque.

    Nous étions perdus

    Mais le Cercle nous a trouvés

    Nous étions perdus

    Mais le Cercle nous a sauvés.

    ​Chapitre Deux -Tessa

    MA SŒUR MELANIE A DISPARU il y a exactement six ans, deux semaines et trois jours.

    La semaine dernière, c’était son dix-neuvième anniversaire. Notre mobile-home est encore décoré de ballons roses et violets. Maman avait acheté un gâteau à la carotte, et on a chanté « Joyeux anniversaire » à une chaise vide. Ma mère n’a pas abandonné l’espoir de la retrouver en vie un jour ; seul cet espoir la fait aller de l’avant. Chacun de ses souffles n’est que pour Melanie.

    C’est ce qu’elle a dit à mon père juste avant qu’il ne parte, il y a trois ans.

    « Il faut que tu te fasses soigner », avait-t-il dit avant de me serrer fort dans ses bras et de me murmurer à l’oreille :

    « Tu peux venir avec moi.

    — Je peux pas... » avais-je répondu, le visage ruisselant de larmes. Il s’est éclairci la gorge plusieurs fois, dans une lutte acharnée pour contrôler ses émotions. Je n’oublierai jamais l’expression sur son visage, ce bouleversement mêlé de résignation.

    La tête de ma mère surgit à la porte de ma minuscule chambre.

    « Tessa, je vais au travail. »

    Sa voix rauque trahit son abus de cigarettes — elle a bien essayé d’arrêter, mais ses dix tentatives en six ans n’ont jamais porté leurs fruits.

    Je n’ai jamais fumé. C’est mauvais pour les cordes vocales, et je tiens à prendre soin de ma voix.

    « Tu travailles tard, aujourd’hui ? » 

    Ses horaires varient sans cesse. Parfois parce qu’elle décide au dernier moment qu’elle doit rentrer à la maison ; d’autres fois, elle se souvient combien notre situation est précaire.

    « Je devais finir à deux heures, mais je vais essayer de faire aussi le service du soir. »

    Elle passe ses doigts dans sa queue de cheval. Ses cheveux bouclés, roux comme les miens, sont encore mouillés, et sous ses yeux noisette, parfois presque verts, les cernes me semblent plus foncés qu’hier. Elle a probablement encore passé la nuit au téléphone avec Miss Irma, la médium des stars, une arnaqueuse hors pair. Elle flotte désormais dans le jean bleu foncé qui embrassait autrefois si bien ses courbes, et son t-shirt vert est fripé ; personne ne le remarquera sous l’uniforme.

    Ce petit boulot au supermarché est le premier qu’elle réussisse à garder, uniquement parce qu’ils sont plutôt souples en termes d’horaires. Son regard glisse instinctivement sur le mur de l’autre côté de la pièce, mais ne s’y attarde pas. Si elle se laisse aller à regarder les photos de Mellie, elle ne partira jamais. « Je prendrai un petit déj’ sur le chemin. »

    Elle ne demande pas ce que moi, je vais manger.

    Elle ne demande pas si je suis prête pour mon importante répétition d’aujourd’hui. Elle se contente de tortiller ses mains comme si elle mourait d’envie de fumer, puis esquisse un sourire. « N’oublie pas de sortir Buster avant de partir. » Notre chien, un croisé beagle, entre en trottinant et saute sur mon lit en secouant sa petite queue marron et blanche. Je l’attire vers moi pour le câliner, mais il a une autre idée en tête et entreprend de me baver sur tout le visage. Je le repousse gentiment et j’éclate de rire en le voyant tourner la tête sur le côté. C’est son fameux air « je-ne-comprends-pas-je-suis-trop-mignon ».

    « Regarde ! » dis-je à ma mère, sachant que les pitreries de Buster sauraient la faire sourire. Mais elle est déjà partie.

    Je devrais avoir l’habitude.

    Mais comme elle, je ne peux pas m’empêcher d’espérer.

    Buster s’étire, et je lui caresse le ventre avant de me lever et de faire les trois pas qui me mènent au bout de ma chambre. Notre mobile-home est bien plus petit que notre ancienne maison. Papa nous aide autant qu’il le peut, mais les médiums et les charlatans coûtent une fortune.

    J’inspire profondément, puis je choisis un jean boyfriend et un haut noir dans le petit placard débordant de vêtements — les miens et ceux de Melanie. Il y a tous ses vieux vêtements, plus les tenues que ma mère lui achète chaque année au cas où elle reviendrait. Son odeur hante également la pièce ; ma mère a fait tout un stock de son parfum au bubble-gum, et en vaporise tous les jours sur l’oreiller de Melanie.

    Comme tous les matins, je me hisse sur le lit de ma sœur. Buster bondit à côté de moi et pose sa tête sur mes genoux. Ses grands yeux bruns sont pleins de chagrin. Imitent-ils les miens ?

    Je passe la main sur la couette violette que Melanie avait réussi à convaincre mes parents de lui acheter.

    « Hier soir, je suis restée étudier tard avec Luke à la bibliothèque. » J’imagine Mellie qui sourit et qui me taquine en disant qu’il sera mon premier baiser. « Luke commence à bosser au Flying Pig demain. Je dois le former et lui montrer comment tout fonctionne. Ce qui signifie passer encore plus de temps avec lui... »

    Mon regard se pose sur les photos de cet été-là accrochées au mur. Luke et moi en train d’échanger un sourire malicieux. C’était le premier été qu’il passait chez son oncle, et nous sommes immédiatement devenus amis. Nous avions dix ans et nous cherchions toujours de nouveaux moyens d’enquiquiner nos sœurs. Ce jour-là, nous avions décidé de glisser une grenouille dans le t-shirt de la sienne. J’ai pleuré durant des heures lorsqu’il est parti sans me dire au revoir. Il avait promis de m’écrire, mais je n’ai jamais reçu la moindre lettre. J’en ai envoyé trois à l’adresse qu’il m’avait donnée, mais elles sont toutes revenues. Et presque sept ans plus tard, le voilà de retour à Gavert City, de retour dans ma vie, et de retour dans mon cœur.

    Sur la photo d’à côté, Mellie sourit à pleines dents, un bras passé autour de mes épaules. Nous portons toutes les deux le même t-shirt rose disant  « Sœurs pour toujours ».

    Ma gorge se serre, mais je reprends. « Je me demande si on sera plus qu’amis un jour. Ou même si on redeviendra vraiment amis. On se retient, tous les deux. Quand on avait dix ans, il voulait devenir magicien. Maintenant il veut travailler dans le social, mais quand je lui ai demandé pourquoi, il s’est fermé. Comme toujours. » Je fixe une autre photo montrant Mellie en train de chanter, les sourcils froncés par la concentration. « Tu me manques », murmuré-je. Mon cœur se serre et je cligne rapidement des yeux.

    Mellie me manque toujours, mais parfois son absence me frappe soudainement, me fauche comme une vague inattendue. Elle me submerge, me coupe le souffle  et me tire vers le fond.

    Buster couine et colle son museau contre ma jambe. Je porte les mains à mes lèvres puis les pose sur l’oreiller de Melanie. « Il faut que j’y aille. J’ai une répétition et ensuite, rendez-vous avec Mme Reymer. Elle va me dire si je fais partie des trois élèves sélectionnés pour la bourse. » Je ferme les yeux pour essayer de me souvenir de la voix de ma sœur. On avait l’habitude de chanter ensemble. Ma mère regarde régulièrement de vieilles vidéos des spectacles qu’on inventait pour nos parents toutes les semaines. Mellie chantait encore mieux que moi, mais elle, ce qu’elle voulait, c’était de devenir astronaute. Pour nager avec les étoiles. Certains soirs, on grimpait sur un toit et on chantait pour elles.

    Je prends une profonde inspiration et me force à me lever. Je ne peux pas être en retard, pas aujourd’hui.

    « Je t’aime ».

    L’un des ballons roses de la fête d’anniversaire de Mellie heurte mollement le sol. Je le ramasse mais, plutôt que de le jeter à la poubelle, je le dépose dans un des tiroirs à bazar de la cuisine. Buster secoue la queue. J’attrape sa laisse, son harnais et nous sortons, tous les deux. Vendredi matin, quelques minutes avant 6 heures. Le soleil n’est pas encore levé, et l’air est imprégné des arômes mêlés du café et du gazon. Je presse le pas pour ne pas penser au jour où Mellie a disparu. Ce jour-là, l’air avait la même odeur.

    Heureusement, Buster déborde d’énergie le matin.

    « Tu veux un biscuit ? »

    Il parvient à peine à rester assis le temps que je sorte une friandise du sachet en plastique que je prends toujours avec moi. Je file à l’intérieur, constate avec bonheur que ma mère m’a laissé du café, j’attrape une barre de céréales et emballe le sandwich à la dinde que je me suis préparé hier pour mon déjeuner, avec une brique de jus de pomme.

    Devant le miroir, j’hésite une seconde : le mascara, c’est un incontournable, mais peut-être que je devrais aussi ajouter un peu d’eyeliner ?

    À quoi bon ?

    Les rencards ne sont pas à l’ordre du jour. Le seul garçon qui m’intéresse en ce moment ne m’envisage pas en ces termes et définir mon parcours sentimental comme catastrophique est un doux euphémisme.

    Mon seul vrai petit copain, Connor, m’a larguée quand ma mère lui a demandé de participer à une séance de spiritisme avec ses médiums, alors qu’on venait d’emménager dans le mobile-home. Tu parles d’une semaine merdique. Et puis il y a Kenneth. Kenneth et ses mensonges, Kenneth et son pari débile avec ses débiles de potes. Difficile de savoir pourquoi il tient tellement à me faire souffrir. Il y a des années de ça, je l’ai battu à un concours d’orthographe alors que son père avait raconté à tout le monde qu’il allait gagner, et Connor a battu son record personnel de natation alors qu’on sortait ensemble. Peut-être que Kenneth s’est imaginé qu’il avait une double revanche à prendre sur moi et qu’une bonne façon de se venger serait de me faire croire à un conte de fée le temps d’un soir.

    Quel gros con. Il ne mérite même pas que je me mette en colère. J’inspire profondément, je fais un gros câlin à Buster et je vérifie que j’ai bien verrouillé toutes les portes et les fenêtres avant de sortir.

    Il fait une chaleur écrasante pour un début de printemps — même au Texas.

    « Tu vas à l’école, Tessita ? » me demande Mme Fernandéz depuis son mobile-home, en face du nôtre. Ses cheveux gris sont relevés en chignon et elle porte une longue robe bleue sous une fine robe de chambre.

    Elle se lève toujours à l’aube. Son dos la fait souffrir depuis quelques temps, et le chiropracteur le plus proche est à une heure de route. Elle a rendez-vous la semaine prochaine.

    « Oui, mon ancienne prof de chorale m’aide à préparer une chanson pour ma candidature à une bourse.

    — Ah oui, la bourse des troisième année ? »

    Elle a meilleure mémoire que ma mère.

    « C’est ça. »

    Mme Fernandéz est devenue l’une de mes meilleurs amies depuis notre emménagement. Elle a plus de quatre-vingts ans et n’a plus vraiment de famille. C’est la grand-mère d’adoption de Diego, un ami du lycée qui travaille avec moi au Flying Pig. Ils fréquentent la même église et quand Diego était petit, elle le gardait les soirs où sa mère travaillait tard. La mère de Diego la supplie sans cesse d’emménager avec eux.

    « Je travaille à la station-service ce soir, mais si vous avez besoin de quelque chose, je peux passer après l’école.

    — Je n’ai besoin de rien, merci. Passe une bonne journée. Et ne t’inquiète pas pour Buster. Je passerai le chercher pour qu’il ne passe pas toute la journée tout seul.

    — Merci beaucoup ! »

    Pas besoin de me forcer pour lui sourire. Elle s’occupe souvent de Buster, parce qu’elle sait qu’on ne peut pas se permettre de payer quelqu’un pour le promener durant la journée.

    « Il me tient compagnie, tu sais. Salue Diego pour moi, et dis-lui d’arrêter de s’inquiéter. Et Tessita, sois jeune pour moi, d’accord ? » me demande-t-elle comme d’habitude.

    Elle me dit toujours ça. Je hoche la tête et je la salue de la main tandis que je grimpe dans ma vieille Honda. Je jette un œil aux champs derrière notre mobile-home. Ce n’est pas si loin de notre ancienne maison, mais si Mellie était vivante, saurait-elle où nous trouver ? M’en voudrait-elle ? Me pardonnerait-elle de m’être cachée quand elle a été embarquée dans la voiture ?

    Je secoue la tête pour essayer en vain de clarifier les pensées qui m’encombrent l’esprit.

    Je ne peux pas me laisser aller à ce genre d’introspection. Je dois travailler, économiser, obtenir cette bourse. Sans elle, je ne pense pas que l’argent que ma mère a mis de côté pour mes études suffira pour m’envoyer à l’université.

    Je ne peux pas rester là à me demander comment les choses auraient pu se passer.

    Je ne peux pas changer le passé.

    Si j’en étais capable, je remonterais le temps pour sauver ma sœur.

    ​Chapitre Trois –Luke

    DES GOUTTES DE SUEUR dégoulinent sur son front. J’ai beau cogner le sac de frappe de plus en plus fort, je ne parviens pas à me calmer.

    Je me réveille toutes les nuits en hurlant, hanté par des cauchemars que je pensais loin derrière moi. Des cauchemars que je veux oublier. Des cauchemars qui ressemblent à des souvenirs.

    Encore un coup.

    Encore un.

    Mais les images ne disparaissent pas.

    Mon oncle, vêtu de son uniforme de shérif, entre dans la pièce. Il lève un sourcil mais ne fait pas de commentaire sur mon entraînement matinal.

    Avant, cette pièce était son bureau, mais un soir, quand je suis rentré du lycée, il m’a simplement dit d’arrêter de faire le con.

    Quand je l’ai remercié, il n’a répondu que par un grognement.

    « Tu as fini tes devoirs de maths ? » À sa voix, on dirait qu’il est énervé, mais c’est toujours le cas. Il faut que dire que je lui donne des raisons de s’énerver. La semaine dernière, un de ses agents m’a arrêté sur la route et a bien failli me filer une prune pour excès de vitesse. Deux semaines plus tôt, une fille que j’ai emballée a placardé des photos de moi barrées du mot « Connard » partout en ville. Et une semaine avant ça, le proviseur du lycée l’a appelé pour lui dire que mon comportement laissait à désirer.

    Il arrête le punching-ball.

    « Je t’ai posé une question.

    — Oui, j’ai fini », soufflé-je.

    Ça m’a pris des heures pour finir les feuilles d’exercices que nous a données le prof, mais j’en suis venu à bout. Grâce à Tessa.

    « Ne sois pas en retard en cours », me rappelle-t-il, avant de filer sans attendre de réponse.

    Typique.

    « Je suis jamais en retard en cours », dis-je à voix basse, avant de filer me préparer. J’ai boxé plus longtemps que je le pensais. Je résiste à l’envie de courir après mon oncle pour lui demander encore une fois si les Fédéraux ont du nouveau.

    Si c’était le cas, il me l’aurait dit.

    Alors je dégote des vêtements propres et prends une douche rapide.

    Mon comportement laisse peut-être à désirer, mais l’école, c’est important. Ma grande sœur Lacey voulait devenir prof.

    Lacey...

    Je secoue la tête sous le jet d’eau.

    Mes cauchemars.

    Je prends une profonde inspiration, mais mes pensées s’accrochent à moi comme mon t-shirt après un entraînement. Faire semblant. Je dois faire semblant que tout va bien.

    Tessa sera au lycée. Sa présence m’apaise toujours. Elle est toujours concentrée, toujours occupée à faire avancer les choses. Elle me rappelle un passé plus simple, et mes objectifs, du moins ceux qu’elle connaît : trouver un boulot à mi-temps, finir le lycée et décrocher une bourse.

    Une raison de plus pour oublier ce désir pressant de sentir ses lèvres contre les miennes. Ça ne vaut pas le coup de gâcher notre amitié déjà fragile juste pour le plaisir de la bécoter. Elle ne fera pas partie de celles dont les lèvres font office de thérapie contre mes cauchemars.

    Et puis, hors de question de la mêler à mes histoires. Je n’en ai pas le droit, de toute façon. Mon oncle pèterait un câble si je la mettais au courant de mon passé.

    J’enfile ma tenue habituelle : jean usé et t-shirt foncé.

    Mon regard capte mon reflet dans le miroir.

    Si ma mère était là, elle dirait qu’elle voit une tempête sourdre sur mon visage.

    Elle aurait raison.

    Je claque violemment la porte de la salle de bains.

    ​Chapitre Quatre - Tessa

    LE LYCÉE N’EST PAS très animé à cette heure matinale, tout juste quelques réunions de clubs ou d’équipes sportives. La plupart des élèves arrivera dans une heure. Mes pas résonnent dans les couloirs vides. Une affiche pour le prochain spectacle de la chorale est épinglée sur un mur. Je ne m’arrête pas. Ma dernière performance pour la chorale remonte au match de football de l’automne dernier.

    Je me souviens de toutes les sensations. Moi, debout devant la foule. La douce caresse du vent sur mon visage alors que la musique commençait. Mon abandon total à ce moment précis.

    Avant que j’aille prendre place, Luke m’avait aidée à me détendre. Il m’avait encouragée. Pas sûr qu’il s’en souvienne aujourd’hui.

    Je pénètre dans l’une des salles de répétition, et l’odeur de bois et les souvenirs me prennent à la gorge. Je me force à boire un peu d’eau. La pièce n’est pas très grande — pas comme l’auditorium où se retrouve la chorale et où certains événements ont lieu. Les trophées accrochés au mur me rappellent que j’ai contribué à de grandes choses dans ce lycée, autrefois.

    Mais puisqu’être absente aux répétitions à cause du travail ne constituait pas une excuse valable, j’ai dû quitter le groupe.

    Mon hymne national au match était en réalité mon chant d’adieu.

    Je m’échauffe la voix quelques minutes. Je commence par un très long « A », puis je modifie un peu la position de mes lèvres pour passer à « O ». Je continue à changer de voyelles en bougeant un peu ma langue pour faire « É » puis « I ». Je fais quelques autres exercices, puis j’entonne Hard Times Come Again No More.

    Arrêtons-nous sur les plaisirs du passé et ses larmes ;

    Partageons les chagrins des pauvres et leur faim ;

    Entêtant est l’amer air des drames ;

    Qh, que les temps durs nous épargnent enfin.

    Je me concentre sur les paroles et les notes, mais je n’arrive pas à chasser cette bourse de mes pensées. L’université est assez proche de chez moi pour que je m’y rende tous les jours sans déménager. Comme ça, ma mère n’aurait pas à rester seule. J’ai beau avoir un peu d’argent de côté pour mes études, ça ne suffirait pas pour le cursus qui m’intéresse. C’est un nouveau programme autour du chant

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