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L’Art du Diable
L’Art du Diable
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Livre électronique415 pages8 heures

L’Art du Diable

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À propos de ce livre électronique

« C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! » (Charles Beaudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857)
Satan, Belzébuth, Lucifer… Le Diable possède de multiples noms et visages qui, toujours, furent une grande source d’inspiration pour les artistes. Longtemps commanditées par les instances religieuses, pour en faire, selon les civilisations, un objet de crainte ou de vénération, les representations du monde des ténèbres eurent souvent vocation à instruire les croyants et à les guider dans le droit chemin. Pour d’autres artistes, tel Hieronymus Bosch, elles étaient un moyen de dénoncer la dégradation des moeurs de leurs contemporains.
Parallèlement, au fil des siècles, la littérature offrit une nouvelle inspiration aux artistes qui souhaitaient exorciser le mal par sa représentation imagée, notamment au travers les oeuvres de Dante ou de Goethe. À partir du XIXe siècle, la période romantique, attirée par le potentiel mystérieux et expressif suggéré par un tel sujet, exalta, elle aussi, cet attrait pour le maléfique. La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin, oeuvre d’une vie, monumentale et tourmentée, est la parfaite illustration de cette passion pour le Mal et nous permet également d’entrevoir la raison de cette fascination. Car en effet, quoi de plus envoûtant pour un homme que d’user de son meilleur savoir-faire pour représenter la beauté de la laideur et du diabolique ?
LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2015
ISBN9781783108657
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    Aperçu du livre

    L’Art du Diable - Arturo Graf

    Auteur : Arturo Graf (extraits)

    Traduction : Pierre Baril

    Mise en page :

    Baseline Co. Ltd

    61A-63A Vo Van Tan Street

    4ème étage

    District 3, Hô Chi Minh-Ville

    Vietnam

    © Parkstone Press International, New York, USA

    © Confidential Concepts, Worldwide, USA

    Image-Bar www.image-bar.com

    © Max Ernst Estate, Artists Rights Society (ARS), New York, USA/ADAGP, Paris

    Tous droits d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays.

    Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition.

    ISBN: 978-1-78310-865-7

    Arturo Graf

    L’Art du Diable

    Table des matières

    Introduction

    I. Le Diable

    La Personne du Diable

    Le Nombre, les séjours, les qualités, les ordres, la hiérarchie, le savoir et le pouvoir des démons

    II. Les Actes du Diable

    Le Diable tentateur

    Amours et descendance du Diable

    Les Pactes avec le Diable

    III. La Magie

    Histoire de la magie et de ses pratiques

    Sorciers et sorcières

    L’Inquisition : la magie persécutée

    IV. L’Enfer

    Un Peu Plus d’Enfer

    V. Les Défaites du Diable

    Conclusion

    Bibliography

    Index

    Notes

    Francisco de Goya y Lucientes, La Lampe du Diable,

    scène provenant d’El Hechizado por Fuerza

    (« L’Ensorcelé »), 1798. Huile sur toile, 42,5 x 30,8 cm.

    The National Gallery, Londres, Grande-Bretagne.

    Introduction

    Anonyme, L’Esprit monstrueux,

    entre 5000 et 3000 av. J.-C.

    Tassili-n’Ajjer, Algérie.

    Nul n’ignore le mythe poétique de la rébellion et de la chute des anges. S’il inspira à Dante certains des plus beaux vers de l’Enfer et à Milton un épisode inoubliable du Paradis Perdu, il fut soumis par les Pères et les Docteurs de l’Église à des variations multiples. Ce mythe ne se fonde pourtant que sur l’interprétation d’un verset d’Isaïe[1] ainsi que sur quelques passages assez obscurs de l’Ancien Testament[2]. Un autre mythe, de nature radicalement différente quoique tout aussi poétique, et qu’on retrouve aussi bien chez les écrivains hébreux que chrétiens, raconte comment les anges de Dieu, après s’être épris des filles des hommes, se livrèrent au péché ; et comment ce péché valut à ces mêmes anges d’être boutés hors du Royaume des Cieux et changés en démons.[3] Dans leurs vers, Byron et Moore[4] devaient consacrer ce dernier mythe de façon plus durable. Chacune de ces histoires représente les démons en anges déchus et établit un lien entre leur chute et un péché : l’orgueil et l’envie dans le premier cas, l’adultère dans le second. Mais il s’agit-là de la légende, et non de l’histoire de Satan et de ses compagnons. Les origines de ce dernier, en tant que personnification universelle du Diable, sont beaucoup moins épiques, quoiqu’en même temps bien plus lointaines et profondes. Satan ne précède pas seulement le Dieu d’Israël, mais tous les dieux qui, par leur puissance et par la crainte qu’ils inspirent, marquèrent l’histoire de l’humanité. Il n’est pas tombé du Ciel tête la première. Il a surgi des tréfonds de l’âme humaine, de compagnie avec ces vagues déités des premiers temps, dont ni les pierres ni les hommes n’ont gardé le moindre souvenir. Contemporain de ces déités et souvent confondu avec elles, Satan commence à l’état d’embryon comme tout être vivant. Ce n’est que petit à petit qu’il grandit et devient une personne. À l’instar de tous les êtres, il n’échappe pas à la loi de l’évolution.

    Quiconque a reçu une éducation scientifique rejette l’idée que les religions primitives proviennent de la corruption ou du déclin d’une religion plus élaborée. Il sait même très bien que c’est le contraire qui s’est produit et que c’est donc dans les religions rudimentaires qu’il faut rechercher les origines de ce personnage lugubre qui, sous différents noms, devient le représentant et le principe du mal. Si les hommes existaient déjà au cénozoïque, pendant le miocène, dans ce que l’on nommait l’ère tertiaire de l’histoire de notre planète, ils eussent sans doute été dépourvus de tout sentiment religieux proprement dit. Les premiers hommes du Quaternaire connaissent déjà le feu et les armes en pierre. En revanche, ils abandonnent leurs morts, ce qui indique clairement que leurs idées religieuses, pour autant qu’ils en aient, ne sont guère élaborées. Il nous faut remonter à ce que les géologues appellent le paléolithique moyen (au moustérien) pour découvrir les premières traces d’un sentiment religieux digne de ce nom. À quoi ressemblait la religion de nos ancêtres ? Nous manquons de documents en la matière. Mais nous pouvons l’inférer en observant la religion que pratiquent nombre de races sauvages encore présentes sur la surface du globe et qui reproduisent fidèlement les conditions de l’humanité préhistorique. Le fétichisme a-t-il précédé l’animisme dans l’évolution historique des religions ? Ou bien est-ce l’inverse ? Reste que les croyances religieuses de nos ancêtres durent être en tous points semblables à celles que professent, partout dans le monde, les communautés tribales. La preuve en est que la terre, en plus des traces de leurs habitations, de leurs armes et ustensiles, a aussi préservé leurs amulettes. Nos ancêtres concevaient le monde comme un endroit peuplé par les esprits, par les âmes des choses et des morts, auxquels ils attribuaient toutes leurs bonnes ou mauvaises fortunes. L’idée que parmi ces esprits certains soient bienveillants, d’autres malveillants, certains amicaux, d’autres hostiles, c’est l’expérience même de la vie qui le suggérait ; la vie où pertes et profits alternent sans cesse, et de telle sorte que très souvent, les causes de ces pertes et de ces profits sont identifiées comme diverses. Le soleil qui dispense la lumière, celui qui, le printemps venu, fait reverdir et refleurir la Terre, ou fait mûrir les fruits, fut sans doute considéré comme une puissance avant tout bienfaisante. Le tourbillon qui noircit le ciel, déracine les arbres, détruit et emporte les huttes fragiles, comme une puissance surtout malfaisante. Les esprits étaient regroupés en deux grands groupes selon que, après observation, les hommes en recevaient des bienfaits ou des fléaux.

    Cette classification, cependant, ne constituait pas un dualisme véritable et absolu. Esprits bienfaisants et malfaisants n’étaient pas encore des ennemis jurés. Les premiers ne faisaient pas toujours preuve de la plus grande bonté. De même que la malfaisance n’était pas toujours systématique chez ces derniers. Le croyant ignorait parfois les dispositions dans lesquelles se trouvaient les esprits qui le tenaient sous leur emprise. Il craignait autant d’offenser les esprits amis que les ennemis, et par des pratiques semblables il cherchait à se les rendre tous favorables, en ne plaçant en chacun d’eux qu’une confiance mitigée. Entre les bons et les mauvais esprits, il n’existait aucune contradiction morale à proprement parler, mais simplement un contraste dans leurs œuvres. Ils pouvaient difficilement posséder des traits moraux qui, jusqu’ici, faisaient défaut à des adeptes tout juste sortis de l’état animal. Et ce n’est que dans une certaine mesure qu’on peut parler de bons et de mauvais car aux yeux de l’homme primitif, tout ce qui lui vient en aide lui semble bon, tout ce qui lui nuit, mauvais. Ces sauvages adeptes les concevaient, à tous égards, comme eux-mêmes : inconstants, esclaves des passions, tantôt gentils, tantôt cruels ; ils ne tenaient pas davantage les bons esprits pour plus nobles ou plus dignes que les mauvais.

    Anonyme, Statuette inscrite

    du démon Pazuzu, Ier millénaire

    av. J.-C. Bronze, 15 x 8,6 x 5,6 cm.

    Musée du Louvre, Paris, France.

    Il est vrai que chez les méchants apparaît déjà l’ombre de Satan, l’esquisse de l’esprit du mal, mais d’un mal purement physique. Le mal est ce qui blesse, et l’esprit malin, celui qui brandit la foudre, réveille les volcans, engloutit les terres, sème la famine et la maladie. Il ne personnifie pas encore le mal moral, car les hommes d’alors ne faisaient pas encore de distinction manichéenne. De ses deux visages, le destructeur et le pervers, Satan n’en montre qu’un. Aucune idée d’ignominie ne lui est rattachée ; il n’est soumis à aucune autorité.

    Mais peu à peu, la conscience morale se fait jour. La religion revêt alors un caractère éthique dont elle ignorait tout auparavant. Le spectacle même d’une nature où les forces s’opposent, où l’une détruit ce que l’autre produit, suggère l’idée de deux principes opposés qui se nient et se combattent l’un l’autre. L’homme, alors, ne tarde guère à percevoir qu’il existe un pendant moral au bien et au mal physique. Et il croit reconnaître en lui-même ce contraste qu’il observe dans la nature. Il se sent bon ou méchant, il se conçoit meilleur ou pire. Mais bonté ou méchanceté, il ne reconnaît pas ces caractères comme siens, comme l’expression de sa propre nature. Habitué à attribuer le bien et le mal physique à des puissances divines et démoniaques, il rend aussi ces dernières responsables de son bien et de son mal moraux. Dès lors, le bon esprit ne produit pas seulement la lumière, la santé et tout ce qui améliore la vie, mais aussi la sainteté, en ce qu’elle réunit toutes les vertus. Quant à l’esprit malin, il n’engendre pas uniquement les ténèbres, la maladie et la mort, mais aussi le péché. Ainsi, par un simple jugement subjectif, en divisant la nature entre le bien et le mal, et en mélangeant ce manichéisme physique au bien et au mal moral qui leur est propre, les hommes façonnent les dieux et les démons. Naturellement, la conscience morale, déjà éveillée, affirme la supériorité du bien sur le mal et aspire au triomphe de celui-là. Le démon semble alors subordonné au dieu et marqué du sceau d’une ignominie qui s’accentue à mesure que la conscience s’affirme. Le Diable, confondu à l’origine avec le dieu dans un ordre unique d’esprits neutres, capables de faire le bien comme le mal, va peu à peu se différencier de lui pour en être complètement dissocié. Il va devenir l’esprit des ténèbres, l’adversaire de celui de la lumière ; lui, l’esprit de haine, l’autre, celui d’amour ; lui l’esprit de mort, et l’autre, celui de vie. Satan habitera les abîmes, Dieu le royaume des Cieux.

    Anonyme, Shiva Nataraja, Tamil Nadu,

    période Chola (860-1279), XIIe siècle.

    Bronze. National Museum of India,

    New Delhi, Inde.

    Anonyme, Démon ailé.

    Céramique à figure rouge.

    Bibliothèque nationale de France,

    Paris, France.

    Abû Ma’shar,

    Livre des nativités, Kitab al-mawalid.

    Bibliothèque nationale de France,

    Paris, France.

    Voilà comment ce dualisme fut établi et déterminé. C’est ainsi qu’à la faveur d’un lent labeur du temps, sa conception s’est développée à partir de la manière dont les hommes concevaient la nature et se concevaient eux-mêmes. Toutefois, cette histoire à laquelle j’ai fait allusion, est, pour ainsi dire, schématique et idéale ; il ne s’agit pas de l’histoire concrète et véritable du dualisme. On trouve ce dernier, qu’il soit complètement développé ou embryonnaire, explicite ou implicite, dans toutes – ou presque toutes – les religions. Mais il évolue sur plusieurs niveaux, prend des formes diverses et s’exprime de différentes manières, conformément à la diversité des civilisations.

    On a vu que si les esprits malfaisants étaient déjà présents dans les religions les plus rudimentaires et les moins différenciées, ils restaient mal définis et pour ainsi dire, diffus parmi les objets. Dans les religions plus nobles, qui voient leur structure organique se circonscrire et s’achever, les esprits malfaisants montrent des contours plus nets, commencent à acquérir des attributs et une personnalité. Parmi les grandes religions historiques, celle de l’Egypte ancienne nous est la mieux connue. Face à Ptah, Ra, Ammon, Osiris, Isis et autres – les divinités bienfaisantes qui accordent vie et prospérité – se dressent le serpent Apepi, personnification de l’impureté et des ténèbres et l’effroyable Seth, le ravageur, l’agitateur, le père de la dissimulation et du mensonge. Les Phéniciens opposèrent Baal à Ashera, Moloch à Astarté ; en Inde, Indra le créateur et Varuna le conservateur se voyaient opposés à Vritra et aux Asuras. Le dualisme est même parvenu à pénétrer la Trimûrti ; en Perse, Ormuzd dut disputer à Ahriman le pouvoir sur le monde ; en Grèce et à Rome, toute une race de génies malfaisants et de monstres se souleva contre les divinités de l’Olympe (pas toujours bienfaisantes elles-mêmes). C’est ainsi qu’apparurent Typhon, Méduse, Géryon, Python, des démons de toutes sortes, des lémures et des larves. De la même manière, on retrouve cette dichotomie dans la mythologie germanique, slave et dans toutes les mythologies en général.

    Dans aucune autre religion, ancienne ou moderne, le dualisme ne possède une forme aussi complète et manifeste que celle qu’il a atteinte dans le mazdéisme, la religion des anciens Perses, telle qu’elle nous fut révélée par l’Avesta. Reste qu’il est perceptible dans toutes les religions. Dans toutes aussi, au moins dans une certaine mesure, le dualisme peut être lié aux grands phénomènes naturels, à l’alternance du jour et de la nuit, aux changements de saisons. Les différentes conceptions, images, évènements à l’intérieur desquels il prend forme et se révèle offrent un tableau, non seulement du caractère et de la civilisation du peuple qui accorde au dualisme une place dans son système de croyances, mais encore de son climat, de la nature de son sol et des changements qui marquèrent son histoire. L’habitant d’une région torride reconnaît l’œuvre du Malin dans le vent du désert qui rend l’air étouffant et détruit les récoltes de blé. L’habitant des rivages du nord l’identifie à la gelée qui engourdit tout à l’entour et menace sa vie. Là où la terre est secouée par de fréquents séismes, où les volcans recrachent cendres et laves destructrices, l’homme imagine volontiers des démons souterrains, des méchants géants enfouis sous les montagnes et les galeries des régions infernales ; là où le ciel est la proie de fréquentes tempêtes, il croit voir des esprits fendre l’air en hurlant. Qu’un ennemi envahisse un territoire, le soumette et le conquière, le peuple conquis ne manque pas de transférer sur l’esprit du mal, ou sur les esprits, les caractéristiques les plus odieuses de l’oppresseur. La religion apparaît ainsi comme le résultat composite de causes multiples parfois difficiles, il est vrai, à déterminer. Satan n’apparaît ni chez les Grecs, ni chez les Romains. Il peut d’ailleurs sembler étrange que ces derniers, qui déifièrent nombre d’idées abstraites, telles la jeunesse, la concorde ou la chasteté, n’aient jamais imaginé une véritable divinité et puissance du Mal. Même s’il est vrai qu’ils ont crée les déesses Robiga et Febris ainsi que d’autres figures d’un caractère analogue[5]. Les religions grecques et romaines, néanmoins, eurent leur lot de puissances et figures antagonistes, marquées par une certaine dichotomie. Et si l’on se penche un peu plus sur le caractère de ces deux peuples, leurs conditions de vie et leur histoire, on s’aperçoit que le dualisme n’aurait guère pu adopter une forme différente de celle qui fut la sienne. Par ailleurs, n’oublions pas qu’en Grèce comme à Rome, il n’existait ni livre de morale sacré, ni code théocratique proprement dit.

    C’est d’abord dans le Judaïsme, puis dans le Christianisme, que le dualisme prend une forme et des caractéristiques spécifiques. Et bien qu’il soit possible, dans d’autres religions, voire dans les primitives, de discerner une sorte de fantôme de Satan, une forme qu’on pourrait qualifier – pour emprunter un terme à la chimie – d’allotropique, une forme baptisée de noms divers, parfois grossie, le vrai Satan, lui, pourvu des qualités qui lui sont propres et qui sont partie intégrante de sa personnalité, n’appartient qu’à ces deux religions, et à la seconde en particulier.

    Le Diable n’occupe jusqu’ici qu’une position modeste dans le système mosaïque. Je pourrais ajouter que s’il y atteint l’enfance ou l’adolescence, il ne parvient pas à arriver à maturité. Dans la Genèse, le serpent n’est rien d’autre que la bête la plus subtile et la plus rusée[6]. Il faudra attendre pour qu’une nouvelle interprétation le transforme en démon. L’Ancien Testament dans son ensemble ne reconnaît en Belzébuth qu’une divinité des idolâtres[7]. Il vaut d’ailleurs d’être souligné que les Hébreux, avant de nier l’existence des dieux des Gentils – une décision à laquelle ils ne sont parvenus que très tard – ne doutaient pas qu’ils fussent en effet des dieux ; simplement, ils ne leur reconnaissaient ni la puissance ni la sainteté de Jéhovah, leur dieu national. En réalité, le premier commandement du Décalogue ne dit pas : « Je suis le Seigneur ton Dieu, tu ne croiras pas qu’il existe d’autres dieux que moi » mais plutôt « Je suis le Seigneur ton Dieu, tu n’auras pas d’autres dieux que moi. » On sait bien aujourd’hui que les Hébreux se sont laissés séduire par d’autres dieux que le leur. Azazel[8], l’esprit impur à qui fut envoyé, en plein désert, le bouc-émissaire chargé de tous les péchés d’Israël, relève très probablement de croyances antérieures à Moïse. Mais sa silhouette manque de clarté et de contours. Aussi n’est-il peut-être qu’un pâle reflet du Seth égyptien et le vestige des années d’esclavage qui sévirent sur la terre des Pharaons.

    L’idée qu’il fallut aux Hébreux attendre la captivité de Babylone pour qu’ils forment à l’endroit des démons des idées claires et précises, est une opinion assez répandue. Au cours de cette période, le contact continu, sinon intime, avec le mazdéisme donna aux Hébreux la possibilité de se pénétrer de certains préceptes, et de les adopter en partie. Parmi ces doctrines, celle qui concernait l’origine du Diable dut toucher une corde sensible, prédisposés qu’ils étaient par leurs récentes infortunes et par les craintes que faisait naître le futur. Une telle opinion peut laisser dubitatif et soulever moult objections. Il n’en demeure pas moins certain que si l’on trouve, chez les Hébreux d’avant l’exil, l’idée d’esprits malfaisants et une croyance en leurs agissements, Satan ne revêt vraiment la figure et les caractéristiques qui lui sont propres que dans les écrits postérieurs à l’exil en question. Dans le Livre de Job, Satan apparaît toujours parmi les anges du Ciel[9] et ne s’oppose pas encore à Dieu et à son Œuvre. Il remet en doute la sainteté et la constance de Job. Il provoque à cet égard l’épreuve consistant à le précipiter des hauteurs de la félicité vers la fange du malheur. Il n’empêche qu’il n’est ni un pousse-au-crime ni un artisan du malheur. Mais la sainteté lui inspire de sérieux doutes, et c’est à lui qu’incombent certains maux arrivés au patriarche innocent.

    Petit à petit, Satan gagne en épaisseur pour adopter peu à peu sa forme définitive. Zacharie le représente en ennemi et accusateur du peuple élu, qu’il cherche à frustrer de la grâce divine[10]. Dans le Livre de la Sagesse, Satan est un fauteur de troubles qui corrompt l’Œuvre de Dieu. C’est lui qui, dévoré par l’envie, poussera nos premiers parents à pécher[11]. Il est le poison qui souille la création. Dans le Livre d’Enoch, en revanche, surtout dans la partie la plus ancienne, les démons sont juste épris des filles des hommes et par là même, pris aux pièges de la matière et des sens. Comme s’il s’agissait, au moyen d’un récit de cette nature, d’éviter de reconnaître un ordre d’êtres originellement diaboliques. Tandis que dans la section la plus récente du même livre, les démons sont des géants issus de ces unions.

    Dans les enseignements des Rabbis, Satan acquiert de nouveaux traits et de nouvelles caractéristiques. Mais dans l’Ancien Testament, sa figure manque encore de relief et peut même être qualifiée d’évanescente comparée à celle qui sera plus tard la sienne. Plusieurs raisons à cela. La principale étant sans doute à rechercher dans le monothéisme juif dont la constitution est telle que les conceptions positives et dualistes peuvent difficilement y trouver une place. Jéhovah est un dieu absolu, un despote, extrêmement jaloux de son pouvoir et de son autorité. Il ne peut souffrir que des êtres, évidemment moins puissants, s’insurgent contre lui, se hasardent à le défier, se posent en adversaires et osent contrecarrer ses plans. Sa volonté est la seule et l’unique loi. Elle gouverne le monde et assujettit toutes les puissances, hormis, peut-être, ces divinités des Gentils dont l’existence n’est pas remise en cause mais qui n’ont pas valeur d’éléments vivants dans l’organisation de la religion juive. Dans le Livre de Job, Satan apparaît donc

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