La suprématie de l’affect
l y eut ce passage à tabac d’un homme par des policiers incapables d’arrêter leurs bras, meute frénétique. Scène filmée. Scène de film. Puis il y eut, place de la Bastille, ces lueurs vertes et ces feux d’incendie dans la nuit, ces écrans de fumée où se découpent des silhouettes guerrières, ces hommes en cuirasse roulant au sol, se relevant,, de John Boorman. Les mêmes corps-à-corps ivres de haine à la lueur des torches, la même mort qui rôde, les mêmes cris, les mêmes coups, et ce sang. 2020: bienvenue dans les temps obscurs. Au printemps 1981, au moment même où Boorman sortait son film d’ombres et de magie, François Mitterrand arrivait au pouvoir. Dans son sillage se formait un groupe de réflexion, la Fondation Saint-Simon. A la Table ronde du roi Arthur chez Boorman répondait le cercle de la raison d’Alain Minc. Résultat: quarante ans après, nous sommes plus proches des maléfices de Brocéliande que de la philosophie des réseaux. Nous nous sommes crus contemporains du triomphe de la démocratie, du dialogue social, de la globalisation à visage humain, du libéralisme régulé, et nous nous retrouvons dans un univers marécageux que dominent la croyance en la magie, la défiance à l’égard des savants, la foi en des dieux vengeurs, le culte du clan, l’angoisse de la fin des temps, le goût de la guerre, la mystique du chef, la soif de vengeance. La pandémie semble réveiller des instincts enfouis. Le combat central devient un combat pour la survie. Or on ne survit pas par la raison, mais par la ruse, la brutalité et une méfiance viscérale des uns vis-à-vis des autres.
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