Des souris et des âmes
Par Muriel Candela
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À propos de ce livre électronique
Ex-cryptographe désabusé et suicidaire, Charlie Fox, à la suite de l'inexplicable disparition dde ses trois mystérieux voisins, recueille la petite chienne qu'ils ont laissée derrière eux. Cette décision va bouleverser sa vie et sa vision de la réalité. Grâce à une série d'indices semée par les triplés, Charlie découvre un texte écrit en code: Des souris et des âmes, le manuscrit du roman futuriste qu'ils ont écrit. En lui se réveille alors le passionné de codes. Il se met au travail, déchiffrant avec acharnement le récit dérangeant qui naît sous ses yeux et sous ses doigts, malgré le malaise croissant que le texte lui inspire. Sidéré et fasciné à la fois, il réalise que le monde dans lequel il vit s'altère subtilement, devenant chaque jour un peu plus inquiétant, pour se rapprocher par touches imperceptibles de l'univers dystopique qui sert de toile de fond au roman des triplés.
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Aperçu du livre
Des souris et des âmes - Muriel Candela
Le cryptologue
La vie s'est remise à vaguement m'intriguer le jour où les triplés se sont volatilisés.
Pourquoi est-ce que je m'étais levé, cet après-midi-là ? Ça faisait au moins quarante-huit heures que j'étais roulé en boule sur le canapé avec l'intention d'y rester une bonne cinquantaine d'heures de plus, mais voilà, pour une raison quelconque, j'étais debout à ce moment-là, à traîner dans la cuisine.
De l'autre côté du couloir, le canapé me faisait des clins d’œil irrésistibles et si je n'avais pas entendu le jappement de Nouné et regardé par la fenêtre, j'aurais cédé à ses instances et serais retourné m'y recroqueviller.
Mais Nouné était la chienne des triplés, et elle ne les quittait jamais. Jamais. Pourtant je la voyais assise là-dehors, toute seule. Je suis d'habitude profondément indifférent à ma vie en général et à mon entourage en particulier, mais ça a excité ma curiosité de voir Nouné plantée comme ça devant ma porte, le bout de sa queue hésitante balayant la poussière. Nouné, qui regardait droit dans ma direction comme si elle attendait que je la fasse entrer.
Un coup d’œil à droite, un à gauche, et un dernier droit devant : la rue était vide.
Pour être honnête, je suis profondément indifférent à tout, c'est vrai... sauf à Nouné. La chienne de mes trois jeunes voisins, ce petit bâtard à poils jaunes qui ne ressemble à rien, exerce sur moi depuis le premier jour un attrait incompréhensible. J'épiais parfois les triplés quand ils sortaient avec elle, juste pour la voir passer, la regarder gambader, sautiller, l’œil vif et la truffe aux aguets.
En maugréant, je suis allé ouvrir ma porte à la chienne. Elle s'est faufilée à l'étage et je l'ai retrouvée couchée en rond sur mon oreiller.
En sa compagnie j'ai attendu plusieurs jours, après quoi j'ai commencé à m'inquiéter de l'absence manifeste des triplés. Depuis leur installation dans la villa d'à côté treize mois auparavant, je leur avais parlé en tout et pour tout une quinzaine de fois, mais je connaissais bien leur routine, que j'observais machinalement depuis ma tour d'ivoire. Ils étaient réglés comme du papier à musique, ces trois-là. Toujours debout avant l'aube, hiver comme été, ils emmenaient Nouné faire une longue balade silencieuse du côté de la rivière. Silencieuse, car on ne les entendait jamais parler ensemble. Quand je les ai vus pour la première fois converser en langue des signes, le jour de leur installation, j'ai cru qu'ils étaient sourds-muets, mais ils m'ont détrompé dès le lendemain en venant se présenter à ma porte et m'offrir un petit sachet de biscuits faits maison.
— Bonjour monsieur, nous sommes vos nouveaux voisins, m'a annoncé la blonde. Je m'appelle Marga, et voici ma soeur Marwyl et mon frère Marlo ; on est triplés. Et elle, c'est Nouné, a-t-elle ajouté en désignant le chiot minuscule au nez pointu que le jeune homme tenait dans ses bras.
Ils avaient l'air d'avoir à peine dix-huit ans et ne se ressemblaient absolument pas. Marga était un charmant modèle réduit, une sorte de poupée de porcelaine pâle qui semblait si fragile qu'on aurait pu la casser d'un regard trop dur. Marwyl, elle, avait l'air mauresque ou espagnole: je l'aurais bien imaginée en danseuse de sevillana, dans une longue robe rouge sang mettant en valeur son teint mat, ses cheveux bruns attachés en un chignon serré, ses doigts fins faisant prestement résonner des castagnettes. Quant à leur frère, il était le type même du barman irlandais tel qu'on se l'imagine, avec ses taches de rousseur, la couleur de ses cheveux, sa courte barbe taillée avec art, son sourire chaleureux et sa forte carrure. Ces trois-là n'avaient en commun que leurs yeux, qui étaient grands, allongés, et d'un bleu qui rappelait la Méditerranée.
Il était genre quatorze heures et je venais de sortir du lit, en shorty et marcel, pas rasé et les cheveux dans tous les sens. Mon état habituel, quoi. Impossible de trouver quoi que ce soit à leur répondre, c'est à peine si je me souvenais de mon propre nom. J'ai pris le sachet de biscuits qu'ils me tendaient, ai marmonné un vague remerciement et ai refermé la porte.
Planqué derrière les rideaux de la fenêtre de la cuisine, je les ai regardés s'attarder un moment devant chez moi et j'ai vu qu'ils se parlaient dans une drôle de langue des signes, en utilisant simultanément leurs mains et leurs yeux. C'était bizarre, ça ne ressemblait absolument pas au langage des sourds-muets qu'on voit dans les vidéos, pour traduire les allocutions présidentielles ou autres inanités. C'était autre chose: leurs gestes symbolisaient visiblement des idées ou des mots, mais ils les accompagnaient de brusques changements de direction de leurs regards, ce qui semblait modifier le sens de ce qu'ils se disaient.
En tout cas, ils étaient toujours ensemble, ces trois-là et leur chien. Ça aurait dû m'alerter immédiatement quand j'ai vu Nouné toute seule sans eux.
La deuxième fois que je les avais rencontrés, c'était quelques semaines après leur petite visite. J'étais au centre de distribution alimentaire du coin. Alors que je passais à la caisse à reconnaissance faciale, ils m'ont abordé en souriant. J'ai essayé sans grande conviction de faire la conversation, histoire de voir si j'en étais encore capable.
— Euh, vous êtes étudiants, alors?
— Non, pas du tout, répondit Marwyl. Nous travaillons ensemble sur un projet.
— Ah. Très bien. Très très bien. Et euh, vos parents, ils n'habitent pas avec vous?
— Ils sont morts.
Le mot « mort » a ouvert les écluses; j'ai fait ce que j'ai pu pour retenir mes larmes, mais à l'époque j'étais encore trop à vif. La brune et son frère m'ont regardé avec compassion, et Marga a poussé un petit soupir.
J'ai coupé court aux explications en m'éclipsant sans autre forme de procès, mes boites de conserve sous le bras.
Je n'ai pas essayé de les connaître plus que ça. Ils ne m'intéressaient pas du tout, enfin pas plus que n'importe qui d'autre. Aujourd'hui, ce que je sais sur eux tient en quelques lignes : Marga, Marwyl et Marlo ont toujours vécu ensemble, ils ont emménagé dans la maison d'à côté à la mort de leurs parents, dont ils ont hérité suffisamment de crédits pour vivre sans préoccupation (le parallèle avec ma propre situation ne m'a pas échappé). Ils travaillaient sur un projet qui les obligeait à passer la plus grande partie de leur temps chez eux à, disaient-ils, rêver
. Quant à Nouné, ils l'ont sauvée de son ancien propriétaire qui voulait la noyer, tout bébé, dans la rivière.
Et maintenant Nouné dormait, pattes en rond sur mon oreiller. Quant aux trois inséparables, ils n'étaient plus nulle part. Plusieurs fois je suis sorti et j'ai frappé chez eux. Rien. Depuis la dispar... – non, je me suis juré de ne plus employer de demi-mots, ni de périphrases : depuis la mort de tous ceux qui m'étaient chers, j'ai une peur pathologique des contacts avec la maréchaussée. Je ne peux plus voir de policiers, qu'ils soient humains ou cybernétiques, je ne veux même pas savoir qu'ils existent, je les évite comme la peste et je n'utilise jamais leur formulaire de contact « alerte citoyenne », même quand j'observe des comportements inappropriés dans ma rue. D'autant plus que la liste officielle des comportements considérés comme inappropriés s'allonge de jour en jour. J'ai carrément arrêté de la consulter, et ça fait des mois que je zappe systématiquement les vidéos pédagogiques ministérielles que, comme tout bon citoyen, je reçois électroniquement chaque matin.
J'ai essayé d'intéresser deux ou trois de mes voisins au fait qu'on ne voyait plus les triplés, pour que quelqu'un d'autre que moi prenne l'affaire en main. Devant leur indifférence, j'ai décidé de garder la chienne en attendant le retour de ses maîtres. J'ai commandé un panier, une gamelle, une laisse, et ai utilisé mon petit programme (illégal, mais bien pratique) permettant de ressusciter les sites disparus ou censurés, pour retrouver en ligne une vieille vidéo décrivant l'art de préparer une pâtée pour chien maison. Le Service de Surveillance de l'Hygiène et de la Sécurité Publiques insiste beaucoup sur ce point: seuls les aliments industriels sont sans risques pour les animaux de compagnie. Mais Marlo avait un jour déclaré qu'il cuisinait pour toute la famille y compris pour Nouné, et j'ai choisi de m'y mettre, moi aussi.
C'est alors que j'ai pensé au fichier canin. Elle devait y être enregistrée, cette chienne, puisque c'était la loi et que tout manquement à cette obligation était passible d'une lourde amende accompagnée de la confiscation immédiate de l'animal. Oui, elle était forcément enregistrée, et dans son dossier, il devait y avoir une tonne d'informations concernant ses maîtres. En y accédant, je pourrais peut-être dénicher quelque chose qui me permettrait de retrouver les triplés. J'ai attrapé Nouné, l'ai allongée sur le dos pattes en l'air, et l'ai examinée à fond pour trouver sa puce d'identification, avant de réaliser que c'était stupide, puisque de toute façon je n'avais pas l'équipement pour la lire. Puis j'ai pensé à regarder son collier. Son numéro d'enregistrement y figurait peut-être, quelque part ? J'avais remarqué que les triplés y avaient accroché un de ces vieux tubes d'identité qu'on devait jadis dévisser et qui contenaient un morceau de papier sur lequel étaient écrits le nom et l'adresse du propriétaire du chien, mais j'avais pensé que le tube devait être vide, puisque ces antiquités ne servent plus à rien de nos jours. Nouné m'a laissé lui retirer son collier sans broncher, et après dévissage du tube, j'ai eu droit à ma première surprise. Le pendentif ne contenait pas de bout de papier, mais une minuscule carte SD. Du temps où je travaillais, j'en voyais parfois encore, de ces vestiges d'une technologie désormais obsolète.
Mon employeur de l'époque était une société de cybersécurité avec pignon sur rue. On m'avait viré quatre ans plus tôt, au prétexte qu'on allait maintenant utiliser une intelligence artificielle qui pouvait faire mon job plus vite et à moindre frais que moi.
Dire que ça a été un choc est un euphémisme de taille. Pendant sept ans, j'avais tout donné à ma boîte, j'avais supporté sans mot dire toutes les contraintes, travaillé jour et nuit, accepté des « aménagements » de salaire et des conditions de travail de plus en plus pénibles, sans parler du flicage, des contrôles-surprise de mon poste de travail(« Éloignez-vous de votre bureau. Posez les mains ici, à plat sur cette table, ça ne prendra qu'un instant. Si vous n'avez rien à vous reprocher, vous pourrez reprendre le travail d'ici une minute ou deux.»), et du climat de « saine inquiétude » que les managers seniors faisaient régner dans les rangs des employés de base. J'avais dit oui à tout, tout le temps, parce que mon job était ce qui comptait le plus dans ma vie, et que j'étais prêt à n'importe quoi pour ne pas le perdre.
Et soudain, boum : adieu Charlie on t'aimait bien mais tu vaux moins qu'un gadget intelligent qu'on a développé au prix de centaines de millions d'unités de crédit, juste pour le plaisir de voir ta tête quand on va te larguer, en même temps que tous les autres inutiles de ton service.
Au départ, j'avais réussi à me convaincre que mes compétences allaient rapidement trouver preneur ailleurs. Ingénieur en cryptographie, c'était un métier porteur, non ? Erreur : la tendance était à l'écrémage des ressources humaines, à l'exploitation de tous les gisements d'économies
possibles et imaginables, et à l'investissement technologique tous azimuts. Soudain, j'étais trop cher, trop vieux, trop jeune, trop qualifié, trop viril, trop féminin, trop conformiste, trop déterminé, trop n'importe quoi : bref on ne voulait simplement pas de moi. J'ai commencé à déprimer, ce qui m'a conduit au bout d'un an et demi à refuser de partir en voyage avec les quatre seules personnes qui comptaient pour moi : mes parents, ma petite sœur et la fille que ... que je ... enfin bref : Gina. Gin.
Gina, dont je ne supporte toujours pas de regarder la photo, même maintenant, parce que ça me rappelle ce qu'il restait d'elle après, gisant sur un brancard, le jour où j'ai été identifier les corps.
Quel imbécile j'avais été ! Quel putain d'abruti sans cervelle, obsédé par l'idée fixe de retrouver un job et de redevenir un citoyen productif, un bon élément, un membre de la société conscient de ses responsabilités!
Gina travaillait pour un cabinet de conseil qui gérait pour le compte de je ne sais plus quel ministère, la mise en application des nouvelles lois de sécurisation de la mobilité des populations. C'est pourquoi elle savait que des mesures draconiennes allaient être prises pour réduire les déplacements des simples citoyens. Gina nous avait expliqué que si on voulait voyager, c'était une bonne idée de le faire maintenant, parce que bientôt ce serait beaucoup plus difficile. Alors elle avait organisé pour nous cinq un road-trip à travers trois pays d'Europe. Elle espérait sans doute que cette aventure me changerait les idées, mais je me suis braqué :
— Allez-y sans moi. Arrêtez de me dire que c'est une occasion unique : je n'ai ab-so-lu-ment pas la tête au voyage; et votre plan camping-car est foireux : vous imaginez que vous pourrez vous arrêter là ou vous voulez ? C'est fini ce temps-là : maintenant, c'est arrêt obligatoire sur les parkings autorisés en périphérie des villes, et chaque kilomètre parcouru par le véhicule est enregistré et répertorié. Tu appelles ça la liberté de mouvement, Gin? De toute façon, je ne veux pas me changer les idées ! Ce que je veux, c'est retrouver un job, et c'est ce que je vais faire pendant que vous vous amuserez. En plus, je n'ai plus les moyens de voyager et je ne vais pas vivre à vos crochets pendant tout ce temps! Je serais un poids pour tout le monde, OK ? Je ne suis pas d'humeur !
Ils étaient donc partis sans moi.
L'ordinateur de bord du camping-car sans chauffeur qu'avait loué Gina, avait préféré faire plonger leur véhicule au fond d'un ravin, plutôt que d'autoriser sa collision frontale avec une limousine qui, on n'a jamais su pourquoi, leur arrivait dessus à 210 km/heure. La passagère de la limousine s'en était tirée sans une égratignure : c'était une VIP hyper-médiatique dont le bolide était prioritaire, ce qui expliquait que le camping-car, avec ses quatre occupants, ait été sacrifié pour lui sauver la vie.
L'accident a résolu tous mes problèmes financiers d'un coup, étant donné que j'héritais des biens de toute ma famille. De plus, le cabinet qui employait Gina avait souscrit pour elle une juteuse assurance décès, dont la boîte et moi étions bénéficiaires à 50/50. Et comme mes besoins – et mes désirs – sont minimes et que je ne dépense rien, je peux tenir comme ça indéfiniment.
J'ai déjà essayé deux fois de me tuer, et sans entrer dans les détails, dans les deux cas quelque chose m'a empêché de le faire à la dernière minute. Je méditais sérieusement une troisième tentative quand les triplés ont disparu et que Nouné a fait irruption dans ma vie.
Ce qui me ramène à la chienne et à son collier. J'ai introduit la mini SD dans un vieux lecteur et ouvert le fichier qui s'y trouvait. La première page était constituée d'une sorte de tableau rempli de lettres et de symboles incompréhensibles.
Quand j'étais môme, j'adorais les codes secrets, et c'est d'ailleurs une des raisons qui m'ont poussé à devenir ingénieur en cryptographie. Ce code-ci avait l'air assez facile à déchiffrer de prime abord: si les consonnes pouvaient se retourner dans tous les sens et qu'il n'y avait pas de voyelles, c'était donc que les voyelles étaient symbolisées par la direction que prenait chaque consonne. Il y avait aussi des signes diacritiques, et parfois une lettre était entourée. Dans d'autres parties du texte, on trouvait des caractères venant d'alphabets étrangers, comme Ψ ou Ϫ. Le document se lisait probablement de haut en bas et de gauche à droite, comme semblaient l'indiquer les quatre petits ronds placés les uns au dessus des autres, qui j'en étais à peu près sûr, signalaient la fin d'une phrase.
Toutes les autres pages, un peu plus de deux-cent-cinquante, étaient du même tonneau.
Ça a piqué ma curiosité pendant une petite demi-heure, puis j'en ai eu marre, j'ai fait une crise de rage, suivie d'une crise de panique et de larmes, comme ça m'arrive souvent, et suis allé me réfugier au lit en position fœtale, Nouné lovée dans le creux de mes genoux.
Le lendemain, j'ai pris un rendez-vous chez le vétérinaire pour qu'il lise sa puce. Il y en avait bien une, mais quand le véto a voulu la scanner, il n'a obtenu aucune information : elle était totalement vierge, apparemment. J'ai rentabilisé la visite en lui faisant inscrire Nouné au fichier canin, indiquant que j'étais le gardien temporaire de l'animal pour éviter qu'elle soit confisquée et euthanasiée. Euthanasie : quel joli mot, pour décrire une exécution.
On est rentrés à la maison, je lui ai servi à manger (ça faisait un bout de temps que je j'avais arrêté de cuisiner, mais elle avait l'air d'apprécier mes petits plats ), et je me suis remis à plancher sur le texte en code que m'avaient légué les triplés. C'est alors qu'on a sonné à ma porte. J'ai failli ne pas ouvrir. Je déteste qu'on sonne à ma porte : je redoute toujours qu'il s'agisse d'un messager porteur de mauvaise nouvelle. C'était effectivement un messager, mais porteur d'un petit colis que je n'avais pas commandé. J'allais le refuser quand j'ai vu le nom du destinataire, écrit sur le paquet et confirmé par le livreur : Nouné, chez Monsieur Charlie Fox, 12 rue...
Je me suis mis à rire. D'abord de soulagement, parce que j'avais enfin la preuve que les triplés étaient toujours en vie. Ensuite, parce que c'était bon de rire, et que j'avais oublié à quel point. J'ai accepté le colis, refermé la porte, et je me suis effondré. Je me suis laissé glisser contre le mur, réalisant pour la millième fois que plus jamais, plus jamais je n'allais rire en compagnie de Gina. Je suis resté prostré là un bon moment. Et puis je me suis forcé à me relever, et j'ai déchiré l'emballage du colis. Il contenait un coûteux appareillage, beaucoup plus sophistiqué que le scanner dont s'était servi le vétérinaire pour tenter de lire la puce de ma chienne. Il s'agissait d'un terminal de lecture de code d'identification 3D, équipé d'un écran cinq pouces.
OK.
Ok ok ok les triplés, qu'est-ce que vous essayez de me dire?
J'ai vérifié que le terminal était chargé, l'ai mis en marche et l'ai approché du cou de Nouné, à l'endroit que le vétérinaire avait vainement scanné.
L'écran s'est éveillé, dévoilant une image particulièrement intéressante.
C'était limpide, ça crevait les yeux, c'était la clé du code. Chaque consonne faisant face à une certaine direction correspondait, comme je l'avais déduit, à un ou plusieurs sons voyelles : ce graphique m'indiquait les sons qui correspondaient à chaque direction, ce qui me permettrait de déchiffrer des syllabes. Il restait des éléments non expliqués, comme la signification des lettres entourées et des symboles, mais comprendre ce genre de chose, c'était ma spécialité. J'étais en possession d'un bout du fil d'Ariane, et c'était tout ce dont j'avais besoin.
J'ai foncé imprimer la première page du fichier de la carte SD, et me suis mis à déchiffrer laborieusement ce qui s'est révélé être un texte témoin, ne servant qu'à valider ma compréhension du code. C'était une citation d'Alfred de Musset que j'avais déjà entendue quelque part, et qui est restée coincée au fond de ma gorge quand j'ai voulu la lire à haute voix: "J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé
