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Place nette et autres histoires de disparition
Place nette et autres histoires de disparition
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Livre électronique260 pages3 heures

Place nette et autres histoires de disparition

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À propos de ce livre électronique

Il est mille manières de disparaître. Mystérieusement ou brutalement, à la façon des héros de roman noir ; de façon rocambolesque, comme dans les récits de science-fiction ; ou plus discrètement encore, en se fondant dans la banalité, au point de devenir invisible aux yeux d’autrui. Mais il en est une plus déroutante : disparaître derrière l’image d’une femme que l’on a patiemment façonnée, celle que l’on aurait voulu être. Dans "Place nette et autres histoires de disparition", Anne Hugot-Le Goff donne corps à ce lent effacement à travers Céline, intellectuelle raffinée, épouse dévouée, maîtresse d’un univers réglé avec art. Jusqu’au jour où l’harmonie qu’elle croyait inébranlable se lézarde sous les coups du mensonge, du mépris et de la trahison, et où la disparition prend alors une forme tragiquement définitive.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Après une longue et riche carrière professionnelle dédiée à la science, entre congrès et publications, Anne Hugot-Le Goff savoure désormais le bonheur de pouvoir se consacrer à l’écriture. Elle imagine des histoires foisonnantes, peuplées d’héroïnes qui, peut-être, lui ressemblent un peu… avec un grain de fantaisie en plus, et où la nature, la musique sont toujours présentes. Elle est également l’auteure de Gégène ou le crépuscule des dieux publié en 2023 aux éditions Le Lys Bleu.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie2 juin 2025
ISBN9791042272098
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    Aperçu du livre

    Place nette et autres histoires de disparition - Anne Hugot-Le Goff

    I

    Place nette

    C’était vraiment une très belle piscine. Elle ne déparait pas le jardin, elle ne gâchait pas le matin. Et c’était vraiment un très beau matin, vert et frais comme un concerto pour hautbois.

    Une hirondelle griffe le ciel d’un vol aigu. Le chien vient s’allonger à côté d’eux. C’est un Malinois ; elle n’était pas très encline à choisir cette race, mais il lui avait dit qu’il leur fallait un vrai chien de garde ; la Vergerie était souvent déserte, ou bien elle pouvait s’y retrouver seule ; ce n’était pas prudent. On ne sait jamais. Certes, il ne se passe jamais rien dans ce coin agreste du Périgord noir, mais on ne sait jamais. Ils avaient donc choisi des Malinois, dans un très bon élevage de Bergerac. Avant Briscard, il y avait eu Forban. Doux avec les maîtres, polis sans plus avec leurs nombreux visiteurs, mais si un intrus avait osé s’introduire, ils en auraient fait de la chair à pâté.

    Ils avaient longuement étudié l’emplacement et la structure de la piscine. Elle devait s’inscrire harmonieusement dans le décor végétal, dans l’horizon doucement montueux de ce lieu sublime, dans l’anarchie tourmentée (mais contrôlée) du jardin. Ils s’étaient assez moqués, entre eux, de la création d’un paysagiste renommé pour les Laborie, un de leurs riches couples de voisins : on dirait du Louis XIV, bêtement géométrique, et en même temps surchargé et prétentieux ! Rien de standard, rien de bêtement géométrique donc – il fallait du sur-mesure, cela leur avait coûté une fortune, même pour un couple fort à l’aise, comme le leur, ç’avait été une dépense notable, mais le résultat était là : le bord reproduisait les ondulations des collines qui faisaient face à la demeure de pierres blondes, qu’ils avaient restaurée avec tant d’amour, quand ils avaient décidé de s’y installer à plein temps. Le fond avait été peint en gris/vert, pour respecter les coloris ambiants, et pourquoi pas un bleu Méditerranée criard ? ainsi le suggérait le constructeur, le mauvais goût n’a pas de limites – comment faire comprendre au béotien que ç’eût été tellement déplacé, puisque c’est ce que sa clientèle habituelle lui demandait ! Mais tous les deux voulaient la beauté – avant tout. L’harmonie.

    Bien sûr, la piscine, ils aimaient y faire quelques longueurs, le soir, mais elle avait avant tout été créée pour les petits-enfants. Le bonheur de les voir, dès leur arrivée, courir vers l’eau, sauter, s’ébattre au soleil, s’éclabousser, rire… Ils arrivent la semaine prochaine, dit-elle en lui souriant tendrement, et ils se prirent la main, amoureux comme au premier jour. Ils allaient vieillir, bien sûr, il fallait s’y préparer, mais vieillir ensemble, en parlant de tout ce qu’ils aimaient, l’art, la beauté, l’harmonie… vieux amants, heureux en tête-à-tête, heureux lorsque ce tête-à-tête s’ouvrait à la famille.

    Aujourd’hui, elle porte une robe d’étoffe légère, un beige rosé semé de petits motifs sombres, peut-être des oiseaux. Deux ailes, des oiseaux réduits à leur essence, le vol. Même jeune, elle n’aimait pas les couleurs violentes, mais les pastels qui mettaient en valeur sa peau parfaite de blonde. Au noir brutal, elle préférait les marrons onctueux, les bleus profonds. Elle détestait les mélanges de couleurs hostiles qui s’affrontent, qui s’agressent, ces imprimés criards censés être des étoffes estivales. Et maintenant, elle sait parfaitement choisir les tenues qui s’accordent à son âge – elle est encore très belle – et à son statut de critique d’art respectée. Jamais de jeans ; des pantalons de lin fluide.

    Pier-Luigi porte un polo et un pantalon – lui aussi préfère le lin. Il n’y a pas de short dans son dressing – ne pas évoquer ces touristes qui osent rentrer dans une petite église romane en short, avec l’estomac qui cascade par-dessus la ceinture, et des chaussettes dans des tongs ! Proliférantes hordes qui cacassent le long de la Dordogne, en août, le mois où il ne faut surtout pas descendre des coteaux. Pas de short, sauf ses shorts de tennis, évidemment, et le vieux kaki qui date d’une longue randonnée au Sahara et que, témoin antique de bons souvenirs (il était parti avec un ami ethnologue qui faisait des relevés des dessins du Néolithique qui abondent dans les Tassilis), on ne peut jeter. Pier-Luigi a été un randonneur infatigable, ce qui peut expliquer en partie qu’ayant dépassé la soixantaine, il garde un corps parfait. Ce matin, ils ont rencontré les voisins revenant du marché au bourg ; le jeune Malaurie, passe encore ; mais le vieux Malaurie, avec sa panse redondante – monstrueux ! Quand on pense qu’ils sont notaires à Périgueux, si un de leurs clients les voyait à la campagne, ils fuiraient en courant. Ou pas. Le monde est si vulgaire, de nos jours…

    Quand ils s’étaient rencontrés, cela avait été une évidence. Immédiate. Ils s’étaient trouvés. Cette chose si rare. Trouver celui qui vous a été destiné. Celui avec lequel on reformera l’œuf original. Même goût de la vie de l’esprit. Même sentiment de plénitude devant un paysage, un tableau. Même recherche de l’harmonie jusque dans les moindres dédales de la vie. Tout est dit. Se comprendre sans se parler.

    Céline, issue de l’aristocratie bretonne, avait été professeur dans une école d’art ; maintenant, elle participait à des expertises, figurait au conseil d’administration de plusieurs musées et écrivait des critiques très lues et très suivies. Elle avait été une beauté classique, un visage grave aux traits parfaits, un peu médiéval ; on n’aurait jamais dit qu’elle était jolie, avec ce que cela sous-entend de banalité, mais sublime… oui ! Le Commendatore – ses amis l’appelaient ainsi, par rapport à la prestance de ce grand et bel homme au visage de statue romaine – enseignait encore aux Beaux-Arts et éditait des livres luxueux ; de plus, c’était un spécialiste reconnu de la musique baroque, qui, lui aussi, chroniquait pour Le Monde.

    La musique, encore un univers qu’ils partagent. Ils adorent la musique baroque. Ils idolâtrent Bach. Mais s’intéressent aussi à la création contemporaine, n’est-ce pas un devoir pour tout intellectuel que de soutenir les créateurs de son temps ? Quand ils vont voir un opéra romantique, c’est plutôt pour découvrir un de ces jeunes metteurs en scène, souvent issus de l’Allemagne de l’Est, qui révolutionnent la scénographie en bousculant les idées reçues. Wagner ? Pas trop. Tristan, oui, Tristan, bien sûr…

    Quand ils s’étaient rencontrés, Pier-Luigi sortait d’un divorce compliqué. Même s’ils partageaient tout, il n’avait pas envie d’en parler, et Céline s’était bien gardée de lui poser des questions : il n’avait pas été très glorieux, ce mariage avec Yvonne, et elle savait que son amoureux ne pouvait envisager ce bref épisode qu’avec un peu de honte. Jeune Italien débarquant de la provinciale Piacenza, il avait dû, au début, se sentir bien seul et Yvonne, fille unique d’un très prospère négociant en… sanitaires – il en faut bien, mais si on peut éviter… avait dû s’imposer sans trop de difficultés. Des esprits mesquins auraient pu penser que l’argent avait pu jouer un rôle. Mais non. Leur fille, Patricia, était née neuf mois et dix-sept jours après le mariage, et déjà, Pier-Luigi savait qu’il avait fait une énorme erreur. Mais pas Yvonne, qui s’accrochait, entre récriminations pour tout et pour rien et déclarations d’amour, façon Édith Piaf ; par chance, elle fut prise la main dans le sac, euphémisme… avec son professeur d’éducation physique. De son côté, Pier-Luigi avait Kimmy, mais comme il était intelligent, personne n’en connaissait l’existence, alors qu’Yvonne était stupide… et que mettre la main sur le cocufieur, roi des squats et tsar des abdominaux, avait été on ne peut plus facile. Comme d’obtenir un divorce prononcé aux torts de la volage.

    Kimmy. On l’appelait ainsi. Kimmy, un nom de chien (ou de chat). Sans doute, son prénom d’état civil était-il Kim. Pauvre petite Kimmy. Ravissante petite métisse (deux quarts vietnamiens, un quart laotien, un quart français), ravissante comme seule une Eurasienne peut l’être, des yeux de chat, si menue, si légère, pas de carcasse là-dedans, pas de carcasse ! Et pas de cervelle non plus. S’était-elle rêvée succédant à Yvonne ? S’était-elle imaginée épouser cet homme exceptionnel, la petite sotte, qui, après avoir très vaguement essayé d’obtenir un DEUG – raison pour laquelle elle avait contacté Pier-Luigi – se satisfaisait d’être serveuse dans le restaurant vietnamien d’un tonton ? Bien sûr ! Mais voilà : le Commendatore avait rencontré Céline, et ils s’étaient trouvés, et cela aurait dû hâter le licenciement, de toute façon inévitable, de la mousmée divine…

    Évidemment, elle ne voulait rien comprendre ; évidemment, Pier-Luigi était bien trop courtois, bien trop respectueux des autres, pour pousser brutalement la jolie Eurasienne hors de sa vie ; mais voilà : la vie elle-même s’en était chargée, qui peut être impitoyable envers ceux qui rêvent : la petite voiture de Kimmy avait raté un virage ; plongé dans un ravin et pris feu. Problème de direction. Voilà ce qui arrive quand on a une cervelle d’oiseau, et qu’on ne se préoccupe pas d’entretenir sa voiture.

    Cette nouvelle avait bouleversé Céline ; l’impression que cette exceptionnelle relation qui se nouait avec le Commendatore était, d’une certaine façon, salie par le terrible destin de la petite Eurasienne, si jeune, si fragile, si jolie ; elle espérait qu’au moins, elle avait été assommée dans la chute, et ne s’était pas sentie brûler vive. Céline, qui ne pleurait jamais, avait pleuré sur l’épaule du Commendatore, quand il lui avait annoncé cette nouvelle ; elle le voulait – mais pas comme cela ! Et puis, le temps avait passé, et l’image de la petite poupée aux yeux de chat s’était estompée.

    Ils s’étaient mariés ; ils avaient eu deux enfants, Paul et Lola ; ils accueillaient Patricia, qui avait passé son enfance et son adolescence avec sa mère et son beau-père (un richissime Texan), pendant les vacances scolaires. Céline l’avait aimée comme ses propres petits, mais c’était assez difficile de lutter contre l’éducation d’Yvonne, ou plus précisément, contre son absence d’éducation. Patricia avait grandi sans culture musicale, sans culture littéraire. Elle feuilletait des magazines improbables, voulait voir des films… pathétiques de nullité. Lorsque Céline emmenait les trois enfants au musée, alors que Paul et Lola ouvraient de grands yeux et posaient quantité de questions, souvent cocasses, parfois pertinentes, leur grande sœur regardait ailleurs avec une grimace d’ennui : Eh, dis, quand est-ce qu’on va la manger, cette glace ? Encore toute jeune ado, elle les passait à Lola, en cachette, ces magazines immondes – proscrits de la demeure familiale – où l’on détaillait les amours éphémères de chanteurs de variété ou d’acteurs de téléréalité…

    Quand elle devint adulte, les visites de Patricia s’espacèrent. Bien sûr, Céline en était attristée pour Pier-Luigi ; mais elle était surtout déçue de ne pas avoir réussi à arrimer Patricia au monde culturel qui était le leur ; elle avait échoué, et elle n’aimait pas échouer ; ce qu’elle réussissait avec ses élèves – et ses enfants de chair –, pourquoi l’avait-elle si lamentablement raté avec Patricia ? Alors, peut-être était-ce mieux que les liens se distendent. De toute façon, tout le monde savait qu’elle aimait Patricia comme ses propres enfants. Elle n’était pas obligée de le penser – en plus. Point trop n’en faut.

    Enfin, au cours de ce mois de juillet qui s’annonçait magnifique, ils allaient venir, tous, et c’était la promesse de belles journées, autour de la grande table de la terrasse ouest, autour de la piscine, avec des virées au restaurant ou chez des amis. Ils avaient déjà recruté la petite du village qui devait aider l’incomparable Madeleine. Madeleine, dite la tornade blanche – oui, ils avaient quand même accès à la publicité télévisée… Lorsqu’elle arrivait dans une pièce avec son aspirateur et sa gamme de pistolets nettoyants (Céline avait renoncé à la convaincre d’utiliser des détergents écolos, et pourtant tellement efficaces, comme le bicarbonate de soude et le vinaigre blanc !), mieux valait fuir, car vous aviez l’impression qu’un ouragan s’était abattu sur la maison ; mais lorsqu’elle quittait la pièce, tout brillait, tout rutilait : une perle ! Et experte en cuisine locale (périgourdine, donc pas léger-léger…). Il fallait bien cela pour faire passer le fait qu’elle avait un avis sur tout, et disait tout ce qui lui passait par la tête, se moquant bien de choquer son entourage ; les petits-enfants la trouvaient irrésistible, et naturellement ne cessaient de la provoquer pour l’entendre proférer quelque belle horreur…

    Bon, il y aurait d’abord Derek. Patricia le déposerait en coup de vent, car son nouveau chéri était italo-américain, et elle se préparait à rendre une première visite à ses beaux-parents potentiels, retraités à Catane.

    Ensuite, Lola et Hubert viendraient avec Gaétan et Capucine. Les enfants auraient deux jours pour jouer avec leur petit cousin, avant que Patricia n’arrive pour le réembarquer, probablement toujours en coup de vent. Le couple, réussi, harmonieux, mais peu aventureux (et, pour tout dire, bien terne), que formait Lola avec Hubert, aimait ses vacances campagnardes, et s’installait à la Vergerie pour l’été.

    Enfin, Paul, jeune marié, les rejoindrait avec Priscilla. Pour un temps alors indéfini, dépendant sans doute des caprices de la jeune épouse. Paul, élève médiocre, avait fait une école de commerce, ce qui apparaissait à ses parents comme le comble de la déchéance, et c’est là qu’il avait rencontré cette Priscilla, une beauté ravageuse d’une vulgarité assurée.

    Lola avait été, elle, une excellente élève, deux ans d’avance, très douée pour les mathématiques. Elle pouvait facilement intégrer Polytechnique, faire une belle carrière dans l’industrie de pointe, pourquoi pas la haute administration ou la politique ; au lieu de cela, elle avait choisi une formation universitaire et se retrouvait chargée de recherche au CNRS – une petite fonctionnaire, donc. Tout cela parce qu’elle aimait les maths et voulait passer sa vie professionnelle sur la théorie des ensembles. Pour se faire comprendre d’eux, elle avait tenté d’expliquer à ses parents que le monde des mathématiques est celui de l’harmonie parfaite. Et elle avait épousé un prof de français, enseignant au lycée. Oui, Céline rêvait mieux pour sa fille. Et puis, Lola n’était pas laide : elle était quelconque, ce qui peut être pire, et ne faisait rien pour tirer parti de son physique, repoussant avec agacement les conseils de sa mère. Ces cheveux châtains pendant tristement autour de son visage, alors qu’une coupe étudiée, des mèches éclaircies ou une petite coloration l’auraient métamorphosée : Mais fiche-moi la paix ! Il y a des choses plus importantes dans la vie. Hubert me trouve très bien comme cela. Arrête de te mêler de mes affaires. Avec cela, toujours habillée n’importe comment, de marques à bon marché, sans chic, à peine maquillée d’un peu de poudre et d’un rouge trop rose qui ne lui allait pas. Que de femmes laides avaient eu du succès, des amants, des admirateurs, une carrière, au fil des siècles : Cosima Wagner, George Sand, Maria Callas, Rossy de Palma… Mieux vaut être franchement laide que quelconque, parfois.

    Mais, si leurs parents manquaient d’envergure, il fallait reconnaître que Gaétan et Capucine étaient parfaitement élevés ; ils lisaient beaucoup, et pas (que) des BD, et étaient toujours partants lorsque les grands-parents les emmenaient visiter un château ou voir la petite exposition d’un artiste local. Quand Céline les comparait aux petits-enfants des familles amies, elle se disait que Capucine et Gaétan étaient très, très au-dessus du panier. Et ne manquait pas de le faire subtilement ressentir…

    On ne pouvait pas en dire autant de Derek. Il avait été un « beau bébé », un enfant grassouillet, et maintenant il était devenu un préado carrément obèse… Pour son premier déjeuner à la Vergerie, Madeleine avait confectionné une salade composée de première classe… On le vit faire la grimace : Chu pas un ouabett ! Ouabett ? Ah, rabbit ! Patricia (un bon point) s’attachait à ce que le petit soit bilingue ; les grands-parents n’allaient pas tarder à s’apercevoir que son vocabulaire américain n’était guère plus étoffé que son vocabulaire français, et par ailleurs que Derek se nourrissait exclusivement de hamburgers et de pizzas. À part cela, c’était un enfant plutôt facile, surtout quand on ne lui demandait pas grand-chose ; il montrait, par exemple, beaucoup d’enthousiasme à accompagner son grand-père à la pêche.

    Quand Gaétan et Capucine arrivèrent – ils ne s’étaient pas vus depuis deux ans – ils retrouvèrent tout de suite leur bonne entente, même si les deux petits Français futés adoraient manipuler leur crédule cousin.

    Les trois jouent ensemble autour de la piscine. La fratrie lui apprend la chanson qu’elle vient de composer, sur l’air de « Pomme de reinette et pomme d’api » :

    Crotte de bique et crotte de chien,

    Crotte de crotte de bique !

    Crotte de bique et crotte de chien,

    Crotte de crotte de chien.

    — Mais arrêtez de dire des bêtises ! dit Céline, agacée.

    — Ce sont des enfants, répond le Commendatore, plus tolérant.

    Enfin, plus tolérant… il y a des limites, Gaétan arrive tout essoufflé :

    — Mana, Paton (leurs noms de grands-parents), y a Derek qu’a montré son zizi à Capucine !

    Ah, ces gosses !

    Plus grave, c’est Capucine qui

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