Une mère dans la tourmente
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gilles La Carbona est un auteur provençal. Natif de Villeneuve les Avignon, c’est dans le Vaucluse qu’il a grandi et qu’il vit toujours. Fidèle à ses racines, sa terre, écrivain depuis plus de trente ans maintenant, il poursuit l’exploration de thèmes différents. Profondément attaché au plaisir des mots, des images, il nous livre ici son dernier roman.
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Aperçu du livre
Une mère dans la tourmente - Gilles la Carbona
Gilles La Carbona
Une mère dans la tourmente
Drame au village
Avertissement.
Toute ressemblance avec des événements et personnages existants ou ayant existé serait fortuite et involontaire.
Ernest Blanc ferme la porte de l’atelier, pousse du pied la banderole décrochée de la façade qui a trôné là pendant presque deux mois : Usine en grève. L’illusion du combat attisé par des syndicats qui savaient que rien ne serait obtenu si ce n’est quelques indemnités supplémentaires, mais l’essentiel était perdu. Pourtant il a voulu y croire, s’est laissé bercer par les récits de ces luttes victorieuses, vestiges d’un passé ouvrier qui n’existe plus. Malgré un carnet de commandes plein, l’usine a fermé, la finance est impitoyable et l’intérêt des actionnaires n’a que faire de préserver le savoir-faire et la vie des ouvriers, dès lors qu’on oppose à cette posture la recherche d’une rentabilité à deux chiffres. Il aura tout essayé, tout espéré, en vain. À présent il va grossir l’armée des bannis, de ceux qu’une mondialisation heureuse piétine sous couvert d’un progrès indispensable et inévitable. À quarante-sept ans, la reconversion s’annonce difficile, et il ne lui suffira pas de traverser la rue pour avoir du travail, d’autant que dans son petit village du Cantal tenter l’expérience c’est se retrouver dans un champ. Sa femme travaille dans une crèche, l’absence de son salaire ne facilitera pas une existence déjà sous haute tension qu’un moindre écart met immédiatement en péril.
Les recherches commencent pour lui, au traditionnel : « vous manquez d’expérience » lancé aux jeunes qui sortent de l’école on le confronte à son âge et au coût que son embauche engendrerait. Entre les deux doit se lover le mouton à cinq pattes que les employeurs tentent de trouver sans jamais remettre en question leurs critères de recrutement.
Au bout de très longs mois de chômage, sa conseillère le contacte.
– Monsieur Blanc, il y a une mairie en Corse qui recherche un employé pour s’occuper du cimetière. C’est urgent, je vous donne le numéro.
– En Corse ? Mais vous plaisantez, vous avez vu où c’est ?
– Oui, je comprends votre surprise mais vous allez arriver en fin de droits. Appelez s’il vous plait, sinon on risque de vous radier, ce sont les consignes, je ne fais que les exécuter.
Ernest raccroche. Cette justification l’horripile, comme si suivre aveuglément des ordres insanes ou scélérats suffisait à son exécuteur à le rendre innocent de tout.
Il en fait part à sa femme, Clémentine est elle aussi un peu abasourdie. La Corse, même en vacances ils n’y sont jamais allés, trop loin, trop cher.
– Il faudrait partir, quitter tout ici.
– Je sais ma chérie, mais j’ai la pression, elle m’a parlé de me radier.
– Appelle alors, de toute façon quand tu vas leur dire que tu es dans le Cantal ils ne donneront pas suite.
– Tu as raison au moins ça calmera tout le monde.
Ernest contacte la mairie. C’est la standardiste qui répond et le dirige vers le DGS. L’homme est charmant, il lui explique ce qu’il en est du travail qui l’attend. Ernest pose quelques questions, insiste sur le fait qu’il n’y connaît rien.
– Pas de soucis, ce n’est pas difficile, et puis Paul vous montrera. Il lui reste trois ans avant de partir à la retraite.
– Bien, mais vous savez que je suis dans le Cantal ?
– Oui, on vous donnera le temps de vous organiser.
– Et pour se loger, j’imagine que c’est comme partout, compliqué.
– On a des solutions. Il y a l’ancien logement de l’instituteur. On s’en sert pour y héberger quelques gendarmes qui viennent en soutien l’été. Il est tout équipé. Vous pourrez l’utiliser le temps de vous retourner.
– Très bien. Une dernière question, ma femme travaille dans une crèche vous pensez que ce sera facile pour elle de retrouver un emploi.
– Je ne pourrais vous dire, en revanche si elle veut changer, j’ai ma tante. Elle a un hôtel à St Florent, elle cherche une réceptionniste, si vous prenez le poste je l’appelle et je lui parle de votre épouse.
– Bien, et pour notre entretien on fait comment, parce que vous comprenez je n’ai pas les moyens de venir me présenter chez vous, ce sont des frais que je ne peux pas me permettre d’engager.
– Je sais, mais on vient de le faire. J’ai noté vos expériences et vos motivations, finalement elles sont simples, on ne va pas se mentir, vous êtes comme tout le monde. Vous devez travailler pour vivre. La voilà la première motivation. Donc si vous êtes intéressé, le poste est pour vous.
– Vraiment ! Eh bien je dois en parler à ma femme et je vous donne ma décision dans la journée ça vous convient ?
– Parfait.
Ernest n’en revient pas. Depuis des mois qu’il trime pour décrocher des rendez-vous où on lui pose des tas de questions débiles, où on le fait attendre pour lui dire non, quand on veut bien le rappeler, là tout s’est passé si simplement. C’est peut-être aussi cela la Corse.
Il restitue à sa femme l’intégralité de la conversation. Elle a du mal à croire son récit.
– Alors je fais quoi ? J’accepte, je refuse.
Elle réfléchit quelques instants.
– Non, on fonce.
– Tu es certaine ?
– Oui, c’est une chance, je vais prendre un congé sans solde pour commencer et on verra sur place.
– Sûre ?
– Oui oui.
Un mois plus tard, le couple débarque en Corse à l’Ile Rousse. Ils sont arrivés par bateau. C’était la première fois qu’ils voyageaient par ce moyen de transport. Ils ont traversé de nuit en cabine. Leurs effets parviendront dans quelques jours dans un conteneur. Ils ont vendu la voiture trop vieille, ont-ils jugé, pour supporter un tel voyage. Ils prennent un taxi qui va les conduire jusqu’au village. Ils découvrent les paysages, c’est tellement différent de leur Cantal, en même temps la lumière est à la fois intense et douce, il fait bon. De grands palmiers agitent faiblement leurs longues palmes à la faveur d’un vent discret. Les eucalyptus embaument au premier rayon du soleil. Au début du trajet ils sont silencieux, n’osent pas parler. Au bout de quelques minutes, la conversation s’engage.
– C’est vraiment très beau. On nous l’avait dit, mais c’est même plus.
– Vous êtes en vacances ?
– Non je suis embauché à la mairie du village où l’on va, pour m’occuper du cimetière.
– Ah oui je sais qu’ils cherchaient quelqu’un. Vous serez bien là-haut. Vous allez voir, vous vous y ferez. D’où venez-vous ?
– Du cantal.
– Ah oui, eh bien ici c’est différent, mais vous devriez aimer. Je vous dépose devant la mairie c’est ça ?
– Oui s’il vous plait.
– Voilà, vous êtes arrivés. Bonne installation.
– Merci, excellente journée.
Ils descendent, le village est calme, la mairie est en face de l’église, au milieu la place est bordée de platanes qui ne semblent pas être malades. Ils entrent dans l’édifice et s’annoncent. Le DGS et le maire les accueillent, ils bavardent, leur montre le logement, puis le DGS lui présente Paul, son collègue, celui qui sera chargé de sa formation.
– Et pour vous madame, voilà le numéro de téléphone de ma tante. Appelez-la, elle est au courant, le poste est toujours vacant.
Tout s’emboite parfaitement c’est tellement étonnant, tout parait simple. Leurs affaires sont bien arrivées, ils prennent leurs marques, une vie nouvelle débute, ils ne regrettent rien. Après quelques mois, ils parviennent à louer une villa dans un lotissement fraichement sorti de terre. Ernest se fait à ce métier qui le rebutait un peu au début. Ce qu’il aime le moins c’est la réduction des tombes. Au bout d’un certain temps Paul ne le supervise que de loin. Il lui fait confiance.
– Tu vas réduire le caveau des Fillippi. Il est au fond de l’allée principale. Je te laisse faire.
Ernest se charge seul de cette opération. Comme toujours, avant de commencer il regarde les inscriptions, et les dates des décès.
Charles 1943, Jules 1951, Laurent 1981.
Vérifie sur sa feuille s’il ne s’est pas trompé, calcule promptement les âges des défunts.
– Eh bien quelle hécatombe, tous décédés jeunes, et lui, 1943, surement mort pendant la guerre.
Il se met au travail, ouvre le premier cercueil, celui de Charles. Rapidement il est attiré par un objet un peu terne qui est incrusté dans un os. Il le retire, c’est une balle. Il la nettoie, l’inspecte, intrigué, il la range dans sa poche. En fin de journée il demande à Paul s’il connaît l’histoire de ce Charles. Il lui montre le projectile trouvé dans le corps.
– Non, pas de lui. Jules son frère est mort en Indochine, son nom figure sur le monument aux morts, c’est tout ce que je sais de cette famille. Mais le jeune Charles s’il est mort pendant la guerre c’est étonnant que son nom n’y figure pas. Peut-être un oubli, où alors c’était lors d’un bombardement, que je sache il n’y en a pas eu dans le coin.
– Un bombardement, ça ne collerait pas avec cette balle.
– Tu as raison. Va demander à Marie-Laure, elle est peut-être au courant. Elle a toute sa famille ici depuis la nuit des temps.
Ernest raconte ce qu’il a trouvé à sa femme.
– C’est étrange en effet, mais tu ne devrais pas te mêler de cette affaire on ne sait jamais.
– Chérie, ça fait quatre-vingts ans, je ne crois pas que cette histoire intéresse encore quelqu’un.
– Moi je me méfierais.
– Trop tard j’en ai touché un mot à Marie-Laure du contrôle de gestion. Elle doit m’en dire plus demain.
Avant de prendre son service, comme tous les matins il passe à la mairie, Marie-Laure est déjà là, elle le guettait et s’avance vers lui.
– J’ai interrogé ma vieille tante au sujet des Fillippi. Viens avec moi elle nous attend, elle a quatre-vingt-quinze ans mais a gardé toute sa mémoire, tu verras elle est impressionnante.
– Maintenant ? mais je dois d’abord aller travailler.
– Pas de panique, le maire est au courant, il veut aussi en savoir plus.
– Soit.
Paola est là, souriante, alerte pour son grand âge.
– Ah c’est vous qui avez fait la réduction de la tombe des Fillippi ?
– Oui et j’ai trouvé ça dans celle de Charles.
Il dépose la balle sur la table. Elle fixe le projectile, et tout le passé lui revient.
– Ah oui, Charles, un drame qui a secoué toute la région et bouleversé la vie de toute cette famille. Jean-François et Andréa se sont rencontrés juste après sa démobilisation c’était…
Paola commence alors le long récit…
*
C’était mi-1919, le bateau avait vogué toute la nuit depuis Marseille. Une mer calme, pleine lune, Jean-François s’était à peine assoupi sur le pont, bercé par le bruit de l’étrave qui fendait la mer d’huile, le vent frais du large caressait son visage, emmitouflé dans sa gabardine, la tête posée sur son sac de toile kaki. Peu avant d’arriver il avait d’abord deviné la terre, sa terre, la masse sombre des montagnes s’était élevée peu à peu, déchirant la nuit qui finissait. Il s’était accoudé au bastingage, et n’avait plus bougé. Puis la ville était apparue dans sa pure nudité, comme si rien ne l’avait jamais souillée. Elle semblait totalement endormie, mais déjà sur le quai on pouvait détecter des mouvements. Les hommes ressemblaient à des fourmis qui s’activaient à des tâches mystérieuses. Lentement le navire entre dans l’anse, longe la jetée, pour finalement s’immobiliser face à l’église San Ghjuvanni et ses deux clochers caractéristiques. Le voilà presque chez lui, il va fouler dans quelques instants le sol de sa Corse natale, et cette fois pour ne plus la quitter. La passerelle est sortie, les premiers passagers descendent. Il s’engage à son tour, son baluchon sur l’épaule, la ville s’éveille, sur le côté des pêcheurs commencent à débarquer leur cargaison de poissons frais. Il s’arrête un instant, respire profondément, et se met en route pour monter dans une patache en direction de Calvi. Il en trouve une qui fera un arrêt vers midi à Saint Florent, avant de repartir pour l’Ile Rousse. C’est parfait, c’est là qu’il descendra pour gagner son village planté à flanc de montagne au-dessus. Il n’est pas pressé, à quoi bon, il redécouvre son pays. Tout au long du trajet, le nez à la fenêtre il hume, tente de capter des effluves du maquis, d’y percevoir les senteurs des orangers, de l’immortelle, en vain. Il aura peut-être plus de chance quand il terminera le voyage à pied.
En fin d’après-midi il arrive à l’Ile Rousse, cette fois pas le temps de lambiner, il lui reste encore 5 kilomètres à faire à pied tout en montée. Le village est adossé à la montagne d’où l’on peut admirer la mer, le lieu est paisible, rien ne s’y passe d’extraordinaire, contrairement à certains villages Corse. Ici, pas de crimes, pas de bandits qui hantent le maquis. Les dernières immenses douleurs sont celles causées par la quarantaine de disparus de cette Grande Guerre qui a décimé des familles entières. Les chamailleries se concentrent essentiellement sur la possession de la mairie, qui oppose deux camps. Régulièrement c’est celui de Pucci qui l’emporte. Composé de notables, il compte également des paysans, des artisans. Pas d’affrontement idéologique, le parti n’est qu’un prétexte à se situer, l’essentiel est dans l’affinité des personnes, toutes unies par un lien familial, parfois lointain. La reconnaissance se transforme en fidélité transmise de génération en génération. Tous se connaissant, les résultats aux élections sont toujours prévisibles, qu’importe, c’est le jeu de cette démocratie moderne qui s’est installée, et pour laquelle personne n’est dupe. Ici, contrairement aux villes plus importantes, elle ne sert pas les intérêts de quelques-uns pour gagner des marchés, ou assoir des situations. Chacun a son travail et le fait avec sa conscience.
Marcher, il a l’habitude, mais la montagne, il a oublié. Son pas est alerte, régulier, il avance vite, la route est déserte, en un peu moins d’une heure le voilà rendu. La place est vide, la fontaine en son centre déverse son flot dans une grande vasque. Sa rumeur rassure, l’eau coule indifférente à la seconde qui engloutit son écho pour le restituer dans celle qui suit. Pas de rupture dans son chant, jamais. Il se dirige directement vers la maison familiale. Il frappe, attend quelques instants. La porte s’ouvre, sa mère le reconnait. Elle se signe et l’embrasse, le regarde mieux, et le laisse entrer, son père est attablé. Il s’est levé en entendant toquer. Il sourit, son fils, son enfant est revenu de cet enfer où une quarantaine de ses camarades sont morts. Ses frères et sœurs sont là aussi, surpris, le plus jeune n’a de lui qu’un très vague souvenir. Cet étranger est donc de sa famille. Les mots sortent enfin, en corse, plus de français ici, Jean-François se réhabitue vite. La mère lui tend une assiette, et le sert.
– Demain il y a le marché à l’Ile Rousse.
– J’en suis papa.
Le lendemain il croisait Andréa.
Aujourd’hui elle est là, auprès de lui. Il la regarde.
Jean-François est un honnête paysan, tout aussi fier que discret, il soigne ses oliviers et ses orangers. De taille moyenne, il parait même plus petit que sa femme, il va sans jamais dire un mot plus haut que l’autre. Chez lui, c’est Andréa qui décide de presque tout. La situation lui convient puisque tout marche à merveille, pourquoi changer ? Andréa est grande, mince, des yeux perçants qui illuminent un visage aux traits fins, à la fois doux et déterminés. Sa voix est faite de semblable alchimie, tantôt soyeuse, enrôlée de tons graves et sensuels, et parfois sèche et sévère. Son flot de paroles est mesuré, jamais de précipitation, ni de soudaine panique. Elle n’a pas besoin de s’emporter pour inspirer le respect ou imposer son autorité naturelle. L’honneur est au centre de son éducation, elle ne saurait souffrir d’atermoiement sur le sujet et s’il est bien un domaine où elle peut perdre le sens de la mesure et de l’équité, c’est celui-ci surtout s’il touche directement les siens.
Jean-François est presque l’opposé. Doux, aimable toujours à chercher un compromis, il creuse pour comprendre les faits, pèse le pour et le contre, mais se range indéfectiblement à l’avis de sa femme qu’il aime plus que tout. Il se remémore la première fois où il a posé un regard caressant sur elle. Il était timide tant déjà elle pouvait impressionner. Il revenait de la guerre, n’avait plus la mémoire de ce qui était beau, insouciant. Il avait vécu l’enfer sans savoir qu’il était dedans, sans plus se figurer qu’il était encore vivant. Il ne se souvient plus de ce qui l’a aidé à tenir ? Le souvenir de ses parents, de son village, la chance, ou la bienveillance de Dieu ? Même pendant la traversée qui le ramenait chez lui, il ne croyait plus ce qu’il voyait. C’est seulement en entendant les matelots parler en corse qu’il a peu à peu émergé. Pour Andréa, c’est sa démarche qui le fit fondre. Altière sans être hautaine, dos droit, port de tête majestueux, c’est sans ostentation qu’elle allait et va toujours d’un pas souple et élégant. Ce jour-là, c’était au marché de l’Ile Rousse. Andréa est passée devant lui, il a eu l’impression qu’elle glissait au-dessus de la chaussée. L’élégance de sa démarche a suffi pour le subjuguer. Elle a fait mine de l’ignorer, puis s’est retournée vers lui, ses yeux noirs ont happé son regard, rayant d’un seul éclair les plaines blanches et les villages rasés de la Marne. Ses lèvres fines et bien dessinées ont esquissé un sourire laissant apparaitre des dents d’une blancheur virginale. Encouragé par cette manifestation inattendue, Jean-François s’est approché d’elle, a balbutié quelque chose d’incompréhensible, elle a ri, puis le destin a bien fait les choses. Il n’a jamais parlé de la guerre, Andréa s’est gardée de lui poser des questions. C’était son histoire, elle en percevait les drames, les cicatrices, à quoi bon revivre tout cela. Si beaucoup de garçons du canton ont été déçus, elle a su rendre heureux celui qui au
