Tout ce qui nous échappe
Par Stéphanie Parent
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À propos de ce livre électronique
Et si c’était suffisant pour effacer tout repère, toute certitude?
Chez Fia et Adam, on s’aime, on pleure, on rit. Avec leurs deux enfants, ils forment un clan uni. Une famille normale.
Le jour où Adam, distrait au volant, heurte un piéton, l’équilibre de leur vie se rompt. Alors que tout ce qu’ils ont bâti semble sur le point de partir en fumée, quels compromis Fia et Adam sont-ils prêts à accepter pour préserver leur famille et sauvegarder ce qui peut encore l’être? Quel rôle accorderont-ils à Louis, ce piéton qui, presque malgré lui, s’immisce dans leur vie?
Bientôt, le passé enfoui pour s’épargner mutuellement se révèle, les non-dits rejaillissent. Jusqu’alors, Fia n’avait pas réalisé que le bonheur apparaît aussi discrètement qu’une éclaircie, qu’il suffit d’une demi-seconde de distraction pour qu’il s’en aille illuminer une autre famille.
Et vous rappeler que vous l’avez eu, votre tour…
Un troisième roman à la fois troublant et éblouissant de l’autrice de Flora en éclats et de L’amour plein les yeux.
Stéphanie Parent
Stéphanie Parent a travaillé en gestion des ressources humaines pendant plus de quinze ans avant de goûter à son rêve de se dévouer entièrement à l’écriture. Elle cueille la sensibilité et cherche à la traduire en histoires, à l’insuffler à ses personnages plus vrais que nature. Elle vit à Saint-Lambert avec son mari et leurs deux enfants. Flora en éclats est son premier roman.
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Aperçu du livre
Tout ce qui nous échappe - Stéphanie Parent
Prologue
Les magnolias ont fleuri tôt cette année, mais Adam ne les a pas remarqués comme c’est pourtant son habitude. Il n’aperçoit pas la nature s’éveiller, comme si ses yeux étaient tournés vers l’intérieur et ne pouvaient observer qu’une chose, son incapacité à résoudre ce fichu problème à des milliers de kilomètres de lui.
Chaque printemps, il coupe la première branche qu’il aperçoit. Il la met dans un de leurs verres dépareillés, ceux dont Fia refuse de se départir parce qu’ils lui rappellent ses premières années en appartement. Les magnolias, en équilibre précaire dans le verre, ne manquent jamais d’éclairer le visage de sa femme. Se dessinent alors ce sourire entre guillemets, ces délicieuses fossettes dont raffole Adam. Ensemble, ils s’extasient de ce parfum solaire à la pointe citronnée qui annonce le renouveau du printemps et les promesses suaves de l’été. Ils planifient de reteindre le patio ou la galerie et discutent des vacances d’été.
Ce matin-là d’avril, à l’intersection de Fairmount et Saint-Urbain, Adam est distrait. Son attention est portée sur comment faire un homme de lui alors qu’il lui semble ne plus avoir de poigne sur quoi que ce soit.
En temps normal, il aurait aperçu le piéton délinquant, cet homme d’allure fauve, élancé et roux qui, occupé à jongler avec son cellulaire et un sac de bagels chauds, ne s’est pas immobilisé au feu rouge.
Oh, Adam freine, bien sûr. Mais trop tard.
Sous l’impact, son pare-brise se fissure en presque autant de lézardes que sa vie bien rangée le fera plus tard.
Les deux hommes ont le souffle coupé – celui qui roule sur le capot avant de finir sa chute sur l’asphalte, de même qu’Adam qui, sous le choc, agrippe le volant gainé de cuir.
Adam ouvre sa portière, découvre l’homme allongé sur les bandes blanches du passage piétonnier, une main sagement posée sur la poitrine et l’autre coincée derrière son dos. Inconscient ? Mort ?
Adam saisit son cellulaire dans la poche arrière de son jeans, l’échappe, se penche pour le retrouver coincé derrière le pneu avant, il le reprend, essaie de le déverrouiller une fois, deux fois – cette foutue reconnaissance faciale ne fonctionne jamais quand il porte ses lunettes de soleil – avant de se rappeler qu’il peut composer directement le 911.
Ça sonne, on répond, Adam explique, oui, un accident, un piéton renversé, c’est la faute du soleil, trop lumineux et aveuglant, il n’a rien vu, ni le t-shirt jaune un peu lâche de l’homme ni son allure féline. Il est blessé, inconscient, non, il ne saigne pas, oui, il respire, un souffle chaud sort de ses narines, il y a un pouls, oui, enfin, il croit bien qu’il y a un pouls, il faut faire vite.
L’essentiel transmis, il lâche le téléphone qui fait un bruit sourd en tombant.
Adam s’accroupit aux côtés de l’homme.
De ses yeux entrouverts s’échappe de la vie. Adam prend sa main et la porte à sa poitrine, murmure des prières jusqu’à l’arrivée des ambulanciers. Il jurerait sentir les doigts de l’homme serrer sa main plus fort quand ils l’embarquent sur la civière.
Il regarde l’ambulance s’éloigner toutes sirènes hurlantes, le cœur éclaté en mille morceaux, tant de peur que de culpabilité.
Les minutes se bousculent, Adam perd toute notion temporelle. Il répond aux questions des policiers. Est-il ensuite allé au poste ou encore à l’hôpital ? Il ne se souvient plus. Quelqu’un a dû dégager sa voiture de la route.
Tout ce qu’Adam sait, c’est qu’il a dû prendre un taxi, puisqu’il est assis sur la banquette arrière d’une voiture qui n’est pas la sienne et que le chauffeur lui tend le terminal de paiement.
Ce qu’Adam ignore, en revanche, c’est que ce matin-là, ce n’est pas le malheur qui a frappé. C’est l’insondable et cruelle beauté des hasards.
Enfin, tout dépend du point de vue.
Partie 1
une semaine plus tôt
1
Adam consulte l’heure affichée sur l’horloge murale, y additionne mentalement deux minutes. Malgré un ajustement régulier, elle accuse un retard perpétuel. Une seconde ici, une autre là, et au bout de quelques semaines, le cumul plafonne à deux minutes. Insidieux, ce retard, pense Adam : tant de choses peuvent survenir en cent vingt secondes.
— Em, tu veux des œufs ?
Emma, évachée sur l’îlot de la cuisine, secoue la tête et pointe le grille-pain en marmonnant un « toast » dans le creux du coude.
— Avoir treize ans ne te dispense pas de faire une phrase complète, tu sais, soupire Adam.
Emma force un sourire.
— Tu me mets une toast, mon petit Papa d’amour ?
Adam glisse une tranche de pain dans le grille-pain, sort le pot de beurre d’arachides, se verse un café. Vient pour prendre une gorgée, grimace. Dans la tasse, le liquide brunâtre trop translucide laisse présager un goût de carton. Il ouvre le couvercle du récipient de grains de café de la machine, constate qu’il est à moitié plein, grogne.
— Je vais réveiller Émile et ta mère. Ta toast va être prête bientôt.
À l’étage, deux portes fermées. L’une, marquée de lettres de bois formant « Émile » en teintes pastel, et l’autre, dépourvue d’artifices, à la peinture blanche légèrement écaillée sur les bords. D’un côté, son fils qu’il faut réveiller tous les matins à force de chatouilles. De l’autre, Fia, que le bruit de la douche, de la vaisselle qui s’entrechoque ou des querelles de la fratrie réussit rarement à tirer du lit.
— Allez, Milou, debout, il est déjà sept heures.
Routine de chatouilles. Le cou, les côtes et les pieds d’Émile y passent. Les membres du jeune garçon s’agitent dans tous les sens, les draps tirent de tous les côtés. Adam s’enfuit dans sa chambre avant que son fils n’entame des représailles. Fia est encore endormie, un loup solidement ancré devant les yeux.
Adam lui chante sa chanson habituelle à l’oreille.
— Bon matin, So, So, Sophia !
Fia grogne, enfouit sa tête sous la couette pour oublier qu’une nouvelle semaine s’amorce. Adam la fait émerger du sommeil avec ce refrain depuis toujours, chanté de sa voix affreusement fausse. À l’époque, c’était très drôle, quinze ans plus tard, ce l’est un peu moins, mais elle ne pourrait s’en passer.
— Faut acheter une nouvelle cafetière, le moulin ne marche plus, annonce Adam en retirant son caleçon.
— Mmmm.
— Je suis sérieux, ça fait deux mois que ça moud tout croche, mais là, ça ne moud plus du tout.
— On regardera ça cette fin de semaine, remarque Fia en retirant son masque de nuit.
— Je ne serai pas là. Je pars à Calgary, je reviens mercredi soir, tu te souviens ?
Fia ouvre brusquement les yeux.
— Hein ? Zut, j’avais oublié. Tu vas prendre ta douche, là ?
— Ben oui…
— Tu ne viens pas me faire un câlin avant ?
Se glisser sous les draps chauds contre elle, c’est un piège, il le sait. Il loverait sa tête contre elle, se laisserait bercer par sa respiration, serait déchiré entre l’envie de se rendormir tout contre elle ou de lui faire l’amour. Il ne peut céder à aucune des deux tentations. Il doit boucler ses valises, sans compter qu’Emma les attend en bas et qu’Émile risque de rappliquer avec une question sur les baleines bleues ou la Voie lactée.
Trop tard. Fia ouvre les draps en lui intimant d’entrer au plus vite avant que son corps frissonne sous l’air matinal qui filtre par la fenêtre entrouverte. Adam s’enroule contre elle, cueille un sein dans sa main. Le voilà ancré.
— Tu vas manquer la compétition de danse d’Emma, lui rappelle Fia en rabattant la couette sur eux. Je pensais que tu revenais plus tôt. C’est toi qui devais prendre congé pour l’accompagner.
Adam vient pour répondre, mais Émile surgit dans la chambre, les yeux encore collés de sommeil.
Adam roule sur le côté, retire sa main de la poitrine de Fia.
— Maman, où t’as mis mon coton ouaté noir avec le skate dessus ?
— Je sais pas, Milou. T’as regardé dans ton tiroir ?
— Il est pas là.
— Le panier de linge sale, les crochets de l’entrée ?
— J’ai déjà regardé.
Fia lâche un soupir, se frotte les yeux.
— Je vais le chercher plus tard. Ferme la porte en sortant, veux-tu ?
Émile sort en traînant les pieds, oubliant bien entendu de tirer la porte.
Adam se redresse sur un coude.
— J’avais oublié pour la compétition. Tu penses que tu peux… ?
Fia fronce les sourcils.
— Je vais me débrouiller. Mais tu m’en dois une ! lâche-t-elle d’un air faussement fâché, un peu minaude.
Il sait bien qu’elle est irritée, qu’il perturbe ses plans rodés au quart de tour, mais elle ne blâme pas son oubli, et il l’aime tant pour ça.
— J’appellerai Emma avant mon souper avec Jill et Tom.
— Tu penses que vous allez conclure l’entente cette semaine ?
— J’espère bien. Je n’en peux plus d’attendre.
Inaugurer une boutique de vins à Calgary, il y rêve depuis que son agence d’importation L’Or des champs, à Montréal, est devenue profitable. Au fil des années, l’agence de vins nature s’est taillé une place enviable dans le marché. Or, Calgary, ce serait une tout autre aventure, une liberté, un réseau de distribution totalement privé dépourvu des contraintes d’un monopole. Bien sûr, il lui faudra embaucher un gérant pour les opérations quotidiennes, mais il prévoit d’y passer quelques jours par mois.
— Je n’aurais peut-être pas dû accepter la job au cabinet, soupire Fia. Avec la boutique de vins à Calgary, tu seras souvent parti…
Adam claque la langue et roule sur elle, calant ses avant-bras chaque côté de son visage. D’une caresse des doigts, il éloigne une mèche du visage de Fia.
— Tu le mérites. Emma et Émile ont grandi. On aura quarante ans avant même de s’en rendre compte. C’est notre moment de briller, on est à notre meilleur. En tout cas, moi, je n’attends plus.
— C’est juste que je m’étais promis qu’avec ma nouvelle job, j’essaierais d’avoir un meilleur équilibre, mais ce n’est pas parti pour ça.
— J’aime ça, moi, te voir occupée…
Fia remue sous lui. Il adore quand elle s’étire comme ça.
Les matins, c’est ce qu’ils préfèrent. Enfin, depuis les enfants. Avant, ils étaient comme tout le monde, ils s’arrachaient les vêtements la nuit tombée. Mais si graduellement qu’ils l’ont à peine réalisé, les soirs sont devenus ces deuxièmes quarts de travail, ces trous noirs où disparaissait toute envie de s’étreindre autrement que sur le canapé devant une série télévisée. Il y a bien eu cette brève période où leurs désirs charnels les réveillaient au beau milieu de la nuit, mais leurs corps ont rapidement compris qu’entre vingt-deux heures et six heures du matin, le sommeil avait préséance sur les jouissances du corps.
Adam s’extirpe du lit pour refermer la porte, s’assurant de bien la verrouiller. D’un regard lubrique, il revient sous les draps et glisse un bras sous la taille de Fia.
— On devrait se dépêcher avant qu’Émile rapplique, lui souffle-t-elle, la tête déjà inclinée vers l’arrière.
La bouche d’Adam papillonne dans le cou de Fia, descend sur sa poitrine. Les plaisirs et les minutes s’enchaînent.
Ensuite, les déjeuners s’avalent, les lunchs se préparent, le coton ouaté d’Émile reste bien sûr introuvable.
Plus tard, une fois sa femme bien épanouie par les jouissances matinales, une fois sa valise bouclée et les baisers plantés sur le sommet de la tête d’Emma et Émile, Adam claque la porte du taxi, la tête déjà prise d’assaut par les courriels auxquels il doit répondre, les confirmations de rencontres à envoyer, les arguments à formuler pour le conclure, ce fichu partenariat pour son premier projet hors Québec. Parce que ce ne serait pas le dernier, bien qu’il n’ait pas encore abordé le sujet avec Fia.
Avec elle, il ne pouvait amorcer qu’un projet à la fois. Il a appris à respecter son besoin viscéral d’établir un nouvel équilibre après chaque turbulence, chaque changement dans leur vie. Mais il ne s’empêche pas de rêver. Il n’est pas certain de bien comprendre la nouvelle ambition dévorante qui l’anime, logée dans sa poitrine. Elle a émergé de nulle part, il ne saurait dire à quel moment exactement, mais elle le brûle de l’intérieur.
Il s’installe sur l’étroit siège près du hublot. On ferme la porte de l’avion. Le pilote dit quelques mots, un agent de bord aussi. Adam met ses écouteurs, choisit dans son téléphone une compilation de rock alternatif des années 90. L’appareil se met en branle, roule vers la piste de décollage, accélère, s’élève un peu plus brusquement qu’à l’habitude.
Adam s’étonne de voir le tarmac se dérober sous lui. L’avion s’extirpe de la force gravitationnelle comme un retour en arrière qui lui donne le vertige, une impression de décalage. Seulement, dans son cas, il ne s’agit pas de deux minutes de retard sur une horloge, mais plutôt d’une existence entière qui semble lentement, inexorablement, fuir sous lui et qu’il lui faut rattraper avant qu’il ne soit trop tard.
*
C’est avec les lèvres bleuies qu’Émile se hisse hors du bassin, les cheveux hérissés et l’air paniqué. La monitrice l’interpelle, le ramène à l’ordre, lui rappelle que par définition, un cours de natation implique de l’eau, beaucoup d’eau, et qu’il doit s’y faire.
Les bras ballants, Émile ignore la blonde adolescente dont la patience s’effrite rapidement. Son regard affolé parcourt la baie vitrée, s’accroche à chacun des visages féminins. Une à une, les femmes affichent une moue marquée de pitié, un infime soulagement à l’idée que ce n’est pas leur enfant qui déteste les cours de natation au point de se ridiculiser devant une partie du quartier. C’est que ce garçon paraît bien vieux pour agir ainsi, non ? Il a quoi, sept, huit ans ? Sûrement, quelque chose ne tourne pas rond.
Sur les gradins derrière la baie vitrée, Fia hésite. Devrait-elle faire un signe rassurant à son fils ou se dissimuler derrière un père mimant des conseils de crawl à une petite fille à lulus ? Sa tergiversation s’étire une seconde de trop. Émile la repère, hausse ses sourcils qui, aussitôt, forment de furieux accents circonflexes, le même air adopté par sa sœur Emma lorsqu’Adam lui rappelle d’y aller mollo sur le maquillage.
Fia s’en veut. Elle aurait dû savoir qu’Émile stagnerait au poisson-lune. Par mesure d’encouragement, on le dit au niveau junior 1, même si Emma a gradué au niveau baleine bien avant la maternelle. Après des années de vestiaires humides au plancher visqueux, elle en a assez de se mouiller les pieds les lundis soir, les orteils crispés sur le bord de la piscine à ne plus savoir quelle parole rassurante prononcer pour rappeler à Émile que ses peurs, il faut les affronter, qu’il en sera fier, qu’il suffit de…
— C’est pas votre fils, là ? remarque une mère en pointant un index parfaitement manucuré vers le visage dégoulinant d’Émile.
Émile se dirige en effet droit vers elle, le corps couvert de chair de poule.
Le spécialiste du crawl se retourne pour la dévisager.
— Il n’a pas l’air bien, constate l’homme, perplexe.
Fia se retrouve muette. Les mots se bousculent dans sa tête dans un tourbillon de culpabilité. Ça fait pourtant partie de son travail, son sens de la répartie, mais elle ne parvient qu’à bredouiller un faible :
— C’est qu’il a très peur de l’eau, on a tout essayé…
— On dirait qu’il veut vous parler, l’interrompt la femme.
Les mains à plat sur la vitre, Émile forme des O de buée avec sa bouche. Des sons étouffés parviennent à Fia, des mots inaudibles qui, de toute évidence, expriment l’urgence de quitter cet enfer aquatique.
Fia se ressaisit. Articule silencieusement un « Vas-y, t’es capable », un pouce dressé en l’air. Forme un baiser soufflé. Esquisse un sourire si crispé qu’il crée l’inverse de l’effet souhaité. Émile se met à secouer vigoureusement la tête.
L’homme devant elle se retourne et lui adresse un sourire condescendant, à moins que ça ne soit une manifestation d’empathie, c’est plutôt difficile à distinguer parce qu’aussitôt il pivote et pointe les lulus de sa progéniture.
— Vous devriez partir. C’est ce que j’ai dû faire au début avec Océane, et regardez-la aujourd’hui. Son crawl est parfait. Bientôt, je la mets à la brasse…
C’est ce qu’elle s’évertue à expliquer à Adam : Émile a besoin qu’on le pousse un peu, qu’on le laisse se débrouiller seul une fois de temps en temps.
Émile cogne sur la vitre. Il serre ses bras contre son corps frissonnant. Fia lui envoie un sourire encourageant tout en hésitant à le sortir de là. Il faudrait pourtant qu’elle l’arrache au regard de ces parents si rapides à le juger. Elle se sent honteuse de ne pas avoir réussi à lui faire surmonter sa peur qui, pour l’instant, demeure incompréhensible, vu la passion d’Émile pour l’univers marin et ses projets de devenir biologiste. Fia a beau lui rappeler que détester nager est bien embêtant pour faire carrière en mer, la peur ne cesse de le paralyser face à l’énorme piscine du centre des loisirs.
Son cellulaire vibre. Fia le sort de la poche de son jeans et fixe l’écran. Denis, son patron. Mordillage de joue, rongeage de cuticules. Elle tape nerveusement : « J’ai une urgence. Je te rappelle dans une heure ? »
Elle se précipite aux vestiaires. Elle envoie valser ses bottillons et arrache ses bas en claudiquant vers la porte menant à la piscine. De l’autre côté l’attend Émile, transi. Fia le serre contre elle, enfouit le nez dans ses cheveux humides aux effluves chlorés.
— J’y retourne plus jamais, hoquette Émile, la voix étouffée par sa serviette.
— Voyons, Milou… Regarde-moi…
— Ali dit que je suis poisson-lune, pas niveau 1. C’est quoi, un poisson-lune ?
— C’est… un gros, très gros poisson.
— Mais c’est le groupe des petits, non ?
— Mmm…, oui, ça se peut.
Émile recule d’un pas, croise les bras sur sa poitrine.
— Ça veut dire que je suis trop grand pour les poissons-lunes, mais pas assez bon pour le niveau 1.
Fia se mord la joue et frotte doucement les épaules d’Émile.
— C’est pas grave, mon amour.
— Je veux plus y aller, Maman.
— On n’y retournera plus, mon chéri. Ce n’est pas si important, la natation. Regarde-moi : je nage comme une grand-mère, et ça ne m’a pas empêchée d’avoir deux enfants merveilleux.
Émile ébauche un début de sourire qui s’évanouit aussitôt.
— Mais Papa, il va être déçu, non ?
— Il sera d’accord avec moi. De toute façon, ton père nage comme un petit chien, il éclabousse tout le monde autour de lui. Les poissons-lunes, ça nage beaucoup mieux.
Fia porte sa main à sa bouche, feint un air coupable.
— Tu ne lui répètes pas que j’ai dit ça, promis ?
Émile glousse.
Au retour d’Adam, elle lui racontera qu’Émile s’est débrouillé comme un champion, mais que dorénavant, des leçons privées seraient beaucoup mieux.
*
Si la cinquantaine s’avère la bête noire de bien des hommes, Denis, lui, la dompte à coup de bronzage, de crèmes antirides et de fringues trop chères. C’est du moins la réflexion qui a traversé l’esprit de Fia lorsqu’elle l’a rencontré lors de son entrevue d’embauche l’an dernier. Depuis des mois qu’au siège social d’une chaîne de grands magasins Fia s’enlisait, désabusée par la pauvreté des défis. L’idée que ses compétences s’étiolent au même rythme que sa valeur sur le marché du travail avait commencé à lui causer de l’insomnie. Sur l’oreiller, elle en avait discuté avec Adam. Il lui avait rappelé son vieux rêve de joindre un cabinet de relations publiques, l’avait encouragée à aller rencontrer ce Denis qui l’avait contactée.
En quelques minutes, les superlatifs employés par Denis l’avaient convaincue : l’équipe était « super dynamique », les mandats « hyper motivants », les clients « les plus prestigieux du secteur ». Son profil l’avait « jeté à terre », « dis-moi combien tu veux ». Dans la salle de réunion avec vue plongeante sur le centre-ville, Fia avait fait taire son cœur qui jouait du tambour et avait formulé sa demande de télétravail, une requête improbable dans le domaine des relations publiques où les urgences sont aussi courantes qu’à l’hôpital.
— Je vais t’arranger ça, avait-il soupiré. Tu seras joignable ? Parce que tu sais ce que c’est… le vrai boss, c’est le client, et le client, il ne veut pas le savoir, lui, que tu travailles entre ta brassée de linge pis ton pâté chinois.
Fia avait signé le contrat d’embauche le soir même.
Elle ne sait toujours pas si elle a fait le bon choix. Les premières semaines, elle rentrait exténuée, abattue. Une nette impression de ne plus savoir comment prioriser des dossiers lui serrait les tempes. Adam l’encourageait, lui rappelait de se délester de l’impératif de perfection qu’elle s’impose à propos de tout. Il lui faisait couler un bain, lui massait les pieds.
L’inconfort du changement d’emploi aurait fini par s’atténuer si seulement Denis agissait autrement. Ça avait bien commencé, pourtant. Dès les premiers jours, il l’avait présentée à ses plus gros clients. « Ma championne », qu’il disait. Fia aurait cru au compliment si seulement il la laissait placer un mot en réunion, si sa microgestion ne frisait pas le harcèlement alors que lui-même tournait les coins ronds, s’il ne la traînait pas partout, la laissant trotter derrière lui comme une stagiaire. Elle détestait ça. Denis l’avait bien senti parce qu’au bout d’un mois, il l’avait prise par les épaules : « Je fais toujours ça, au début. Mes clients te feront confiance parce qu’ils me font confiance. On est good ? »
Quelques mois plus tard, elle n’était pas « good », et « ma championne » est devenu « ma belle ». Elle songeait que l’adaptation était normale, que pour danser avec les loups, il y avait des sacrifices à faire, des petites humiliations à tolérer. Que tout ça, l’incessant flot de crises, de dossiers critiques, c’était son rêve qu’elle se permettait enfin de réaliser, qu’elle se trouvait en plein dedans. Qu’avec le temps, la perpétuelle crainte de ne pas en faire assez se tasserait. Mais ce n’est pas pour tout de suite, se dit-elle en ce mardi matin en branchant son ordinateur portable, persuadée d’avoir omis quelque chose d’important. Elle se repasse en boucle la routine du matin, la boîte à lunch des enfants, le sac de sport d’Emma pour sa répétition de danse… Au moment où Denis apparaît et s’appuie sur le cadre de sa porte, sa mémoire fait encore des acrobaties.
— T’as oublié de me rappeler hier soir, déclare-t-il.
Fia prend comme une gifle l’air suffisant de Denis. Elle porte la main à son front.
— Zut. Je suis vraiment désolée. Émile a fait une crise à son cours de natation, puis ça m’est sorti de la tête.
Denis fronce les sourcils.
— Tant que ça n’arrive pas trop souvent.
— La prochaine fois, n’hésite pas à me rappeler.
Quelle idiote.
— Il n’y aura pas de prochaine fois, se reprend-elle immédiatement.
Denis est déjà passé à autre chose.
— C’est Sébastien. Il s’est fait prendre en photo dans une Hyundai, le con. Il était avec la sœur de sa femme. Ils ne jouaient pas au bonhomme pendu, si tu vois ce que je veux dire.
Fia songe que Sébastien – humoriste-animateur archiconnu porte-parole de Honda – doit être aveugle comme une taupe pour confondre non seulement deux marques de voitures, mais aussi sa femme et sa belle-sœur, une actrice très connue, et très mariée.
— Le plus urgent, c’est son contrat d’exclusivité, réfléchit Fia à voix haute.
— Je le sais ça. C’est pour ça que je t’ai appelée hier soir.
Fia déglutit.
— J’appelle son agent tout de suite, assure-t-elle.
— Tu ferais mieux, oui.
2
Adam lui manque. Moins de trois jours d’absence et son monde, sans lui, tangue imperceptiblement. Le bateau dont elle est devenue la seule capitaine se soulève et redescend sur la houle du quotidien. Elle devient une mère-réponse-à-tout, une mère-taxi, une mère-cuisinière. Une mère-trop-fatiguée-pour-chicaner.
Les deux premiers jours de l’absence d’Adam ont été plutôt agréables. Elle a enfilé ses épisodes préférés de Sex and the City, mangé devant la télévision une fois les enfants couchés.
Au réveil de la troisième journée, une légère nostalgie s’est pourtant installée. La chaleur d’Adam dans le lit, l’épaule sur laquelle se lover, son café déposé sur sa table de chevet, tout criait son absence. Entre deux bouchées de rôtie, elle a proposé à Émile de manquer l’école et de l’accompagner à la compétition d’Emma qui avait lieu en avant-midi dans l’est de la ville. En après-midi, ils s’arrêteraient au Biodôme pour faire plaisir à Émile et au Sephora pour Emma. Le soir, ils iraient manger des hamburgers avec des milkshakes, puis ils iraient au cinéma. Tout devrait bien se passer, tout le monde y trouverait son compte.
La troupe d’Emma a remporté la deuxième place. C’est après que ça s’est gâté. Au Biodôme, Emma a roulé des yeux, « Ta loutre et tes pingouins, Milou, on les a vus mille fois », ce à quoi Émile a répliqué, dans la file pour la caisse, au Sephora : « Toi pis ton maquillage, t’en as pas mille sortes, peut-être ? T’as juste une face, à ce que je sache ! » Fia a annulé hamburgers, milkshakes et cinéma, a préparé des sandwiches au jambon. Les enfants ont mangé le leur devant un film et elle a fini le sien dans la cuisine.
Elle les envoie se coucher à vingt heures trente tapantes, puis s’enfonce dans le canapé avec une liste des tâches à faire pour le lendemain. Elle la parcourt des yeux et soupire, épuisée, avec dans le ventre le besoin de s’amarrer à Adam comme à une terre ferme.
Cet état d’âme, Fia évite généralement de le révéler à sa sœur Anaïs lors de leurs appels hebdomadaires. Sa sœur roulerait des yeux en soupirant : « Voyons, t’es plus indépendante que ça ! »
Leur séparation de plus de quatre mille kilomètres, survenue il y a six ans, a été un véritable déchirement pour Fia. Après que son fiancé-presque-époux a rompu le jour même
