Démocratie: Le choix des valeurs démocratiques face au totalitarisme
Par Didier Caveng
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Docteur en sciences de gestion, diplômé de l’INSEAD et de l’IMD, Didier Caveng a su développer une expertise solide en tant que membre de la direction au sein d’établissements bancaires et comme gestionnaire de projets en Suisse et à l’international. Parallèlement, il a enrichi son parcours en concevant des programmes d’enseignement et en dispensant des cours dans divers instituts privés et publics
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Aperçu du livre
Démocratie - Didier Caveng
Démocratie et totalitarisme :
Le « Vieux Monde »
à la croisée des chemins du XXIe siècle
Vraiment, celles et ceux qui décident de prendre leur plume afin de défendre ce qui leur tient à cœur ne sont pas légion. Franchir le Rubicon, sortir des eaux calmes pour s’aventurer dans l’océan des polémiques demande courage et cuirasse, tant parler vrai dérange et met à mal ceux dont le pouvoir ne repose que sur la force, la peur et le mépris des peuples asservis.
Didier Caveng, écrivain engagé, ose sortir de sa belle campagne lémanique pour clamer haut et fort les vertus de la démocratie et les mensonges et les excès des totalitarismes. Un combat de plus en plus difficile à l’heure où les conflits actuels tendent à jeter par-dessus bord les vieilles règles internationales régissant les relations entre les nations.
Au fil des pages, vous découvrirez les crises qui rongent les valeurs du « Vieux Monde », les adversaires de la démocratie, les raisons du déclin marqué, celles de la montée en puissance des régimes d’autorité et enfin les fondements de la pérennité des valeurs occidentales. Défendre avec conviction des valeurs éternelles n’est pas chose aisée alors que tout est remis en question, alors que les opérations de déstabilisation et d’influence perturbent les processus démocratiques et alors que les vérités sont sans cesse battues en brèche.
Vous allez pénétrer, chapitre après chapitre, dans des dossiers solides et étayés par les péripéties du monde d’aujourd’hui avec ses forces et ses contradictions.
La rigueur de la démonstration fait ressortir les qualités de ce témoignage porté par un professeur avant tout soucieux de la formation de ses étudiants et par l’officier de milice convaincu par les valeurs à défendre pour que vivent les démocraties. L’ouvrage disséqué et assimilé, posons-le à portée de main et tirons-en la « substantifique moelle ». À nous d’en appliquer les recettes.
Notre époque restera profondément marquée par l’assaut du Capitole à Washington, par le sac du Palais Présidentiel à Brasilia, par les Gilets jaunes en l’Hexagone, par l’autoritarisme d’un despote vieillissant à Ankara, et par l’aveuglement d’un assassin sanguinaire au bord de la Moskova.
Heureusement, la liberté et la démocratie n’ayant pas de prix, des hommes et des femmes se lèvent encore pour rappeler aux autres qu’il vaut mieux mourir debout qu’esclave des tyrannies à terre.
Du fond de son étude, l’auteur a su nous faire ressortir l’essence de ses réflexions, la valeur éternelle des composantes de la démocratie et les négations des totalitarismes. Il a cherché à regarder, à écouter et à défendre ce qui fait le sel de nos vies.
Des pages étonnantes de vérité, un auteur passionné et rigoureux. De quoi remettre en question ses interrogations. De quoi se lever bien droit pour la défense d’un acquis éternel.
Charles-André Pfister
Officier général des troupes blindées
Ancien chef du service de renseignement militaire
Officier de la Légion d’honneur
Prologue
Clisthène, un petit-fils de tyran
devenu le père de la démocratie
507 avant Jésus-Christ…
« Il a donné le pouvoir à tout un peuple ! »
La formule lapidaire d’Aristote résume à elle seule la vie de Clisthène. Mais qui était donc Clisthène ?
À la fin du VIe siècle av. J.-C., la cité d’Athènes connaît une période difficile. Beaucoup d’Athéniens sont très pauvres et sont endettés. Certains deviennent esclaves à cause de cette grande précarité. Une toute petite partie de la population s’enrichit et ne supporte pas d’être gouvernée uniquement par les plus riches. La société est très injuste, une minorité de riches gouverne une majorité de pauvres.
Ce jour, devant le temple d’Héphaïstos, près de l’Acropole, au sommet de l’Agora antique d’Athènes, un aristocrate, membre d’une des plus illustres familles athéniennes, prend la parole :
« Moi, Clisthène, fils de Mégaclès II, archonte de notre ville, décrète que tous les citoyens disposent des mêmes droits et des mêmes devoirs. Les citoyens pourront voter pour choisir ceux qui dirigent la cité. »
Pourtant, rien ne laissait supposer que ce réformateur audacieux réussisse son entreprise. Clisthène appartenait à la famille des Alcméonides qui avait joué un rôle majeur dans la vie publique de la cité depuis le début de l’époque archaïque. Mais il souffrait de la malédiction publique suscitée au siècle précédent par Mégaclès Ier, l’arrière-grand-père de Clisthène, avec le massacre des partisans de Cylon. Opposé au tyran Pisistrate, il dut quitter l’Attique en 546. Clisthène, le petit-fils d’un tyran, y est revenu une vingtaine d’années plus tard et fut élu premier archonte d’Athènes en 525-524. Il élabora les grands principes d’une réforme démocratique des institutions athéniennes approuvées par l’assemblée du peuple (démos). Un peuple qui acquit la puissance et l’autorité (kratos). Un peuple souverain qui jouit de droits dont il n’avait jamais disposé jusqu’alors et qui se retrouvait aussi face à ses devoirs. Un peuple qui devait faire face à ses responsabilités de gouvernant et qui devait donner une partie de son temps à la collectivité. Un peuple qui devenait le seul gardien de la constitution et le garant de son pouvoir et de sa liberté. Un peuple qui allait se prémunir contre la corruption, la remise en question des principes démocratiques et un retour des oligarques et des tyrans.
La civilisation grecque avait imposé durablement son modèle dans tout le bassin méditerranéen, marquant à jamais le visage de l’Europe.
Vingt-cinq siècles plus tard, a-t-on tourné le dos à cet héritage grec ? La démocratie est-elle toujours en nous ? Sommes-nous dans un autre monde où toute confusion entre la civilisation occidentale actuelle et celle de la Grèce antique est un jeu de théâtre à la Giraudoux ? Ou bien est-ce que la pensée grecque vole encore vers nous et qu’elle n’a pas fini de nous atteindre ? En gravissant l’Acropole, j’ai eu le sentiment que cette civilisation pourtant disparue était encore vivante en Occident.
Avant-propos
Une crise des valeurs
Aucune société ne peut exister sans un ensemble de valeurs que ses membres reconnaissent et auxquelles ils adhèrent. Elles sont nécessaires pour la cohésion et pour son fonctionnement. Elles orientent nos motivations et nos actions et les rendent cohérentes au sein de son environnement sociétal. Cette fonction ne peut être assurée par la contrainte ou la violence, ni même par le droit. La loi ne formule que ce qui est interdit ; elle ne nous donne pas le carburant de ce qui nous permet de déterminer notre propre système de référence de ce qui est bon pour nous, de ce qui nous plaît, de ce qui nous donne envie d’agir.
Pourtant, l’Occident se trouve en instance de divorce avec ses propres valeurs. Ce système de fins acceptées par tous et de croyances communes portant sur ce qui est bien et sur ce qui est mal, ce que l’on doit faire et ne pas faire, indépendamment de ce qu’en dit la loi, n’existe plus guère dans notre société d’aujourd’hui. Pour l’être humain, la crise des valeurs traduit une dimension importante liée à la perte des repères moraux et du sens. On a dès lors le sentiment que nos actions perdent leur signification et ne servent pas les bonnes fins. La crise des valeurs appelle donc chacun à se questionner sur ce qu’elles représentent pour lui et les principes qui doivent le guider. Pour la société, l’idée de crise renvoie à la rupture d’un consensus social. Face à cet éclatement, le retour à une idéologie politique, religieuse ou autre n’est souvent pas souhaitable. Si le pluralisme des valeurs se répand de plus en plus dans nos communautés, il nous force aussi à repenser le comment vivre-ensemble.
Mais comment résoudre les conflits opposant des individus qui partagent des valeurs différentes, voire opposées ? Comment établir les valeurs qui fondent une décision prise collectivement ? Doit-on imposer à la minorité les valeurs décidées à la majorité en considérant que celles-ci sont « meilleures » ou « légitimes » ?
Les réponses à ces questions convergent à trouver un moyen de permettre à chacun, dans la mesure du possible, de vivre selon ses idéaux, tout en protégeant certaines valeurs et certains principes qui devraient être respectés par tous. Encore convient-il de définir ces valeurs fondamentales qui sont enchâssées dans nos chartes des droits et libertés de la personne et qui font office de base commune lors de la réflexion éthique. Parmi elles, et à titre d’exemples, l’amour, l’amitié, la justice, l’honnêteté, la liberté, le partage peuvent constituer une morale qui donne aux individus les moyens de juger leurs actes et de se construire une éthique personnelle. Pour une entreprise, les valeurs fondamentales sont les convictions essentielles qui façonnent sa culture, définissent sa vision et lui servent de boussole dans son processus décisionnel.
Ces valeurs occidentales sont loin d’être universelles. En premier lieu, elles font l’objet de dissensions internes. Une partie de la population n’y souscrit pas du fait que l’on a négligé ses revendications socio-économiques. Et elle ne souhaite donc pas se retrouver en guerre contre le reste du monde pour ces valeurs. Pour bon nombre de nos citoyennes et citoyens, à force de pousser la guerre culturelle contre les civilisations rivales, aucun parti en Europe ou aux États-Unis ne s’est occupé de satisfaire leurs revendications de base. De plus, dans notre modèle économique, la prédominance de l’intérêt rend délicate la coopération entre les hommes. Non seulement l’individualisme ne permet pas d’engendrer les motivations adéquates lorsque la satisfaction personnelle n’est pas garantie, mais cet individualisme s’accompagne de la perte de vertus morales ou sociales comme la confiance ou le sens de l’obligation. Cela conduit aussi à des changements soudains, qui ont engendré de profondes fractures dans nos valeurs sociétales.
En second lieu, les vertus qui émanent aujourd’hui d’Europe et d’Amérique du Nord sont loin d’être universellement partagées par le reste du monde. Dès lors, deux visions s’affrontent, creusant un fossé culturel jusqu’à provoquer un divorce conduisant à une bipolarisation idéologique. Ce que l’Occident promeut, c’est notre modèle démocratique et notre façon de vivre, qu’on aimerait continuer d’exporter. Sauf que de l’autre côté, il n’y a que peu d’adhésion. Ces valeurs n’ont pas la même signification pour la vaste majorité des autres pays hors Europe et Amérique du Nord et leur promotion est vue comme un instrument de domination. Des pays, qui pèsent lourd sur l’échiquier politique, comme la Chine ou la Russie, ne partagent pas cette vision et piétinent nos leçons de morale. Ainsi, l’Occident, dans sa croisade idéologique, se retrouve de plus en plus seul à défendre ses idéaux pendant que les autres se battent pour imposer leurs propres valeurs, diamétralement opposées.
À l’image des démarches philosophiques de Hans Jonas et de Jan Patocka¹, la crise des valeurs affecte le sens même de notre humanité. Le combat que le philosophe allemand avait mené en ayant fui l’Allemagne nazie pour mieux la combattre en tant que soldat, et celui du philosophe tchèque, qui avait payé de sa vie sa résistance au pouvoir totalitaire alors en place, s’inscrivent dans une logique de fond qu’il s’agit d’identifier, non pas simplement en vue de donner un sens au passé, mais en vue d’affermir une force éthique et morale, une force qui permet de repousser les régimes totalitaristes. Il convient dès lors d’identifier les sources du « mal » afin qu’on puisse proposer une alternative qui ne les entretienne pas, celles qui constituent les ennemis de la démocratie.
Première partie
Les ennemis de la démocratie
Chapitre 1
Des effets pervers internes
Imposer la démocratie : une source de destruction pour les régimes antidémocratiques
En ces temps sombres qui ont marqué la Seconde Guerre mondiale, un homme avait incarné un pays, un royaume ainsi qu’une certaine idée du politique et de la démocratie. Prophète de la plus belle heure d’Angleterre, Winston Churchill avait défini la démocratie par cet aphorisme comme étant « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». Jamais, dans l’histoire de l’Europe, la démocratie ne s’était affirmée avec autant d’ampleur et de force qu’en ce début de XXIe siècle. La plupart des sociétés européennes peuvent se prétendre démocratiques à partir du moment où elles reposent sur les principes d’une citoyenneté souveraine, une prise de décision transparente et un gouvernement tenu de rendre des comptes. Ces principes, bien que difficiles à appliquer dans la réalité, sont globalement la voie à suivre pour le développement de la démocratie dans l’Europe d’aujourd’hui. Beaucoup d’entre nous et bien des pays dans le monde voient dans ce régime le meilleur système de gouvernement valide et viable. Deux principes fondamentaux illustrent ce pouvoir incarné par le peuple : le principe de l’autonomie individuelle, par lequel nul ne doit être soumis à des règles imposées par d’autres, et le principe de l’égalité, à travers lequel chacun doit avoir la même possibilité de peser sur les décisions qui touchent les membres de la société. Dans une oligarchie, le pouvoir est entre les mains d’un petit groupe de privilégiés qui se distinguent des autres par leur richesse, leur puissance ou leur pouvoir sécuritaire ; dans une ploutocratie, le gouvernement est contrôlé par les plus riches ; dans une dictature par un seul individu tout puissant. Ces systèmes ont ceci en commun qu’ils violent l’autonomie individuelle et l’égalité, parce que le pouvoir y est détenu par une personne ou une classe sociale qui prend les décisions pour le reste de la population.
Tocqueville² croyait que l’égalité jouait un rôle essentiel dans la vie et l’organisation politique des Américains. La même égalité qu’ils percevaient, disait-il, faisait que personne ne pouvait exercer un pouvoir tyrannique parmi les autres, qu’il considérait comme l’idéal vers lequel la démocratie tend. Selon Tocqueville, la démocratie engendrerait le conformisme des opinions dans la société à cause de la moyennisation de la société. Ainsi il dénonce l’absence d’indépendance d’esprit et de liberté de discussion en Amérique. Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique (1835), Alexis de Tocqueville traite du risque de la tyrannie de la majorité (ou « despotisme de la majorité »).
En pratique, la démocratie peut revêtir plusieurs formes. Il existe des démocraties présidentielles, comme en France ou en Roumanie, et des démocraties parlementaires, comme au Royaume-Uni, en Slovaquie ou en Espagne. D’autres pays, comme l’Allemagne, sont dotés de structures gouvernementales fédérales. Dans quelle mesure respectent-elles les deux principes évoqués ? Dans certains pays, les plus démunis peuvent avoir plus de difficultés à se faire entendre. Dans d’autres, les femmes, moins présentes sur la scène politique, peuvent avoir moins de possibilités de peser sur les décisions, même sur celles qui les concernent tout spécifiquement. Certains groupes sociaux peuvent avoir le sentiment que les règles leur sont imposées par des représentants élus qui ne relaient pas leurs intérêts. Où sont alors les principes démocratiques fondamentaux ?
La démocratie n’est jamais ni parfaite ni entière. Karl Popper a même affirmé : « Le mot démocratie désigne quelque chose qui n’existe pas. » Pour le philosophe, la théorie de la souveraineté aboutit à une théorie de la légitimité d’un pouvoir conçu comme absolu. Contre cette théorie de la souveraineté qui consacre la dictature, Popper prône « une théorie des contrôles et de l’équilibre ». Il remplace la question « Qui doit gouverner ? » par la question « Comment peut-on concevoir des institutions politiques qui empêchent des dirigeants mauvais ou incompétents de causer trop de dommages ? ». La théorie poppérienne peut se résumer à deux formes de gouvernement : les tyrannies (celles dont les gouvernés ne peuvent se débarrasser que par une révolution victorieuse et les démocraties (celles dont on peut se débarrasser sans effusion de sang – par des élections générales, par exemple – parce que les institutions en fournissent les moyens³. Mais ces moyens nécessitent pour le citoyen un régime extrêmement exigeant, du fait qu’il nous demande de mettre nos émotions de côté et souvent d’aller à contre-courant de ce que notre instinct ou notre conviction nous dicterait de faire.
Considérons dès lors trois de nos principaux piliers de nos systèmes démocratiques, soit des élections libres, la liberté d’expression et la présomption d’innocence. En démocratie, nous devons accepter le résultat des élections, quel qu’il soit, quand bien même le parti ou le candidat pour lequel nous avons voté n’a pas gagné. Reconnaître et accepter le verdict populaire, même s’il nous semble erroné, n’est pas facile. C’est toutefois le prix à payer pour vivre en démocratie. Souvenons-nous de la déclaration du président américain, Joe Biden, dans un discours portant sur la protection de la démocratie, à propos de l’élection présidentielle :
« La démocratie américaine est en danger parce que l’ancien président, vaincu, des États-Unis, refuse d’accepter les résultats de l’élection de 2020… et qu’il a abusé de son pouvoir et que sa loyauté envers lui-même est passée avant la loyauté envers la Constitution. »
De même, la liberté d’expression n’incarne pas la protection des idées qui font consensus, mais davantage celle d’opinions souvent impopulaires. Des idées qui peuvent choquer et offenser. Ainsi, défendre la liberté d’expression, ce n’est pas seulement défendre des gens qui pensent comme nous, mais c’est aussi défendre des gens qui pensent différemment. Et dans ce cas, c’est mettre notre sensibilité de côté et aller à l’encontre de nos propres idées. L’attentat perpétré le 7 janvier 2015 à Paris au siège de Charlie Hebdo, ayant fait douze morts, a suscité de violentes réactions, comme celle de Izza Leghras, chercheuse sur l’Europe occidentale à Human Rights Watch :
« Ce crime abominable est une tentative de limiter la liberté d’expression, et constitue une attaque contre les personnes qui usent de cette liberté. »
Quant à la présomption d’innocence, dans un régime démocratique, tout citoyen, même celui qui semble le plus odieux à nos yeux, a le droit à une défense pleine et entière avec un avocat. Concernant la guerre en Ukraine, le procureur de la Cour Pénale Internationale parle d’une enquête « sur la situation en Ukraine à partir du 21 novembre 2013, englobant ainsi dans son champ d’application toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide commis sur toute partie du territoire de l’Ukraine, par toute personne ». Le communiqué de la CPI précisait également s’intéresser aux actes de « n’importe quel belligérant au conflit ». La Russie n’était pas citée une seule fois dans aucun des deux textes.
La démocratie n’est pas un état qui se satisfait, par principe, de la situation déjà existante. Elle n’obéit pas à une philosophie conservatrice, à une pensée fataliste, au maintien de ce qui a toujours existé ou au respect inconditionnel des traditions. Elle ne se réfère pas, non plus, à quelque ancien livre sacré, une sorte de code qu’il faudrait toujours appliquer de manière parfaite :
« Affaiblissez un de ces piliers et nous payons la voie à une pente extrêmement glissante qui mène directement à la dictature. »⁴
Certes, ce facteur de progrès est louable en soi, mais, à certaines périodes, la démocratie se voit animée d’une conviction particulièrement forte : celle de se croire porteuse d’un bien supérieur et de considérer dès lors comme légitime de l’imposer aux autres par la force, y compris par les armes.
C’était déjà le cas des guerres révolutionnaires conduites par la France après 1789, des guerres coloniales censées apporter la civilisation, et, après tout, du communisme. C’est ce qui s’est malheureusement passé, ces derniers mois, en Libye, mais aussi, il y a quelques années, en Irak ou en Afghanistan. C’est bien évidemment là un paradoxe, et non des moindres, puisque cette aspiration au progrès, qui est une des principales caractéristiques de la démocratie, devient, ainsi, une source de destruction pour les pays qui ne la partagent pas. En d’autres termes : le mal surgit ici, par le plus grand des paradoxes en effet, du bien !
Le fait d’imposer aux autres le bien par la force au lieu de seulement leur proposer, revient à postuler au départ qu’ils sont incapables de se diriger eux-mêmes et que pour être libérés ils doivent d’abord se soumettre. Dès lors, la question suivante se pose : la démocratie peut-elle être imposée à un pays par des forces étrangères, à la suite de l’occupation militaire de son territoire ?⁵ Plusieurs spécialistes de la politique comparée considèrent que les seules tentatives d’imposition de la démocratie réussies par des forces étrangères d’occupation au cours de l’Histoire sont celles des Alliés en Allemagne de l’Ouest, au Japon, en Italie et en Autriche, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Samuel Huntington⁶ pense, quant à lui, que les deux premières vagues de démocratisation (1828-1926 ; 1943-1962) sont dues à l’intervention des Britanniques, des Américains ou des Alliés. Quant à Laurence Whitehead⁷, il soutient qu’en 1990, près des deux tiers des démocraties existantes devaient leur origine, au moins en partie, à des actes délibérés d’imposition ou d’intervention d’acteurs externes. Toujours est-il que les tentatives d’imposition de la démocratie n’ont jamais été définies avec précision, ni recensées et évaluées de manière systématique. Par conséquent, on ne connaît pas leur nombre exact et on ne sait pas dans quelle proportion elles ont été des succès ou des échecs. On ne peut donc pas se prononcer sur la théorie de ces changements politiques.
Par ailleurs, l’imposition de la démocratie par des forces étrangères depuis 1945 a-t-elle été limitée à quelques cas d’exception ou a-t-elle été à l’origine des deux tiers des démocraties comme le soutient Whitehead ? Depuis une vingtaine d’années, les interventions militaires occidentales visant à protéger les populations, défendre les libertés fondamentales ou rétablir la démocratie se sont multipliées. Avec des échecs, comme le montrent les exemples de l’Afghanistan et de l’Irak.
L’exportation de la démocratie est somme toute une mise en pratique récente. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que les grandes démocraties occidentales, alignant leur politique extérieure sur les valeurs dont elles se réclament en interne, pratiquent et assument ouvertement leurs ingérences dans les affaires intérieures des États au sein desquels elles interviennent en vue d’y promouvoir les mécanismes de la démocratie de marché, le respect des droits de l’homme, la protection des droits des minorités. L’explication est à chercher dans la configuration des rapports de puissance qui caractérise le système interétatique de l’après-guerre froide. Au niveau de la puissance, nous nous trouvons dans un monde unipolaire, pour cause de la seule superpuissance que sont les États-Unis. Forts de leur prédominance économique et militaire, seuls ou alliés aux autres démocraties occidentales, ils peuvent se permettre de mener une politique étrangère reposant sur le néolibéralisme international. Ils revendiquent par ailleurs ouvertement ce « standard de civilisation » dans leur stratégie⁸ en déclarant :
« Aujourd’hui, les États-Unis jouissent d’une force militaire sans égale et d’une très grande influence économique et politique. [Ils] mettront à profit cette opportunité pour répandre à travers le monde les bienfaits de la liberté. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter l’espoir de la démocratie, du développement, du marché libre et du libre-échange aux quatre coins de la planète. »
Au vu de ces analyses et considérations géopolitiques actuelles, la question fondamentale reste posée : peut-on imposer la démocratie par la force ?
Cela signifie que l’on contraint tout un peuple par la violence à ce que l’on souhaite. Ainsi, imposer la démocratie par la force paraît très paradoxal. D’une part, cela implique l’utilisation de la violence, de la répression et de la mort sans aucune légitimité au départ. En effet, le monopole de la violence est aux mains de l’État, quel que soit son système politique, et donc du consentement du peuple dans un système démocratique. Ainsi, utiliser cette violence est contraire aux règles en général, et également contraire aux principes démocratiques. Dans une démocratie, le pouvoir doit être aux mains de tous les citoyens, et non pas seulement à un groupe restreint de personnes. L’utilisation de la force est rejetée dans une démocratie où tout est régi par les lois, le vote et la justice. Elle est contraire à la démocratie. D’autre part, si l’on impose quelque chose à un peuple, cela suppose la non-volonté de celui-ci à un changement de système politique.
Trois ans après avoir justifié le maintien des troupes françaises en Afghanistan, Nicolas Sarkozy, dans la foulée de Barack Obama, avait annoncé le retrait des soldats français, en précisant qu’il n’a jamais été question de garder indéfiniment des troupes en Afghanistan. Au-delà des raisons conjoncturelles qui ont motivé ce revirement, il y a de fortes chances que l’échec pressenti de la présence occidentale en Afghanistan en soit l’explication. Les expériences passées de tentatives d’exportation de la démocratie incitent en effet à la prudence, tant les études montrent que la démocratie et la militarisation ne font pas systématiquement bon ménage.
Les politiques d’exportation de la démocratie constituent la dernière incarnation de la bonne conscience de l’Occident, et l’internationalisme néolibéral qui les justifie renoue avec les idéologies de la chrétienté, de la raison et de la civilisation qui, successivement, ont servi de rationalisation à l’expansion des valeurs et normes européennes au-delà de l’Europe.
Dario Battistella⁹ cite dans ce contexte :
« À l’image des Espagnols, Français et Britanniques prenant à leur compte la distinction fondamentale opérée
