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"Vous n'arrêterez pas la mer avec les bras !"
"Vous n'arrêterez pas la mer avec les bras !"
"Vous n'arrêterez pas la mer avec les bras !"
Livre électronique261 pages3 heures

"Vous n'arrêterez pas la mer avec les bras !"

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À propos de ce livre électronique

Les drames de l’immigration clandestine en méditerranée et aux Canaries font régulièrement la « Une » des journaux télévisés ainsi que de la presse quotidienne.

Ce roman est inspiré de faits réels qui, depuis des années, hantent les eaux entre l’Afrique et les Iles Canaries. Il veut illustrer cette tragique immigration par la mer. Le dénouement est toutefois ici hors-norme !

« La pirogue fonçait dans la nuit noire. Elle fonçait, emportant avec elle les rêves et les espoirs de son équipage disparate. Elle chevauchait un océan mauvais, désordonné, peuplé de déferlantes que balayaient de furieuses rafales glacées dont les hurlements, depuis des heures, leur servaient de paysage sonore.

Tous étaient éveillés. Tendus, l’estomac noué par la peur, la plupart priaient.

Deux milles nautiques droit devant, au milieu d’un enchevêtrement de rochers bordant l’île, La Sentinelle, dominant ce chaos de fin du monde, assaillie par les vagues, giflée par les bourrasques, veillait seule, sans les éclats bienveillants du phare éteint par la tempête quelques heures plus tôt... »






LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie8 mars 2024
ISBN9782386250774
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    Aperçu du livre

    "Vous n'arrêterez pas la mer avec les bras !" - Robert Cuénod

    1

    Sur les carreaux, la pluie, ivre de peur, persécutée par les rafales, se fracasse sans répit pour mourir en ruisselant jusqu’au sol. Dans le ciel, au-delà des embruns qui masquent l’horizon, les nuages anthracite fuient, affolés de tant de violence. Les vagues, gonflées par le vent, grossissent à chaque instant et prennent d’assaut les rochers bordant la côte en se brisant dans un fracas sourd et profond. Le ciel n’est qu’une masse sombre, confuse, ne faisant qu’un avec la mer. Celle-ci, énorme, explose en dépouillant les vagues de ce qui leur reste de consistance pour les vaporiser en un chaos tourbillonnant de flocons d’écume envahissant toutes les anfractuosités, créant un épais tapis de mousse blanche roulant sur elle-même. L’écume vole si dense qu’elle paraît suspendue au-dessus des rochers.

    Julien est hypnotisé. Plus qu’à un spectacle c’est à une tragédie à laquelle il assiste. Le rugissement du vent, continu, lancinant, assourdissant, broie l’espace, l’air, le sol, d’un hurlement de fin du monde. Les tympans, le corps entier de Julien, vibrent de cette agonie. Sous ses pieds, il sent la maison vaciller sous l’onde de choc.

    –Ça va encore forcir ! grogne Bruno.

    Julien se retourne. Bruno est assis à la petite table et lit. Il ne lève pas la tête. « Il a raison, ça va encore forcir, se dit Julien. C’est bien ce qui m’inquiète… Les airs sont au sud, ils vont passer au sud-ouest, puis ce sera le front froid, et là ! »

    Un volet claque si fort qu’il manque s’arracher de ses gonds.

    –Il faut les fermer tout de suite ! rugit Bruno.

    –J’y vais, j’y vais ! crie Julien.

    « Bon Dieu, il ne peut pas le dire sur un autre ton ?! »

    Passant devant Cécile, il lui adresse un regard apaisant. Elle aussi lit, enfouie au fond de l’un des vieux fauteuils en cuir rouge. Le regard qu’elle adresse à Julien est troublé par l’inquiétude.

    –Ce ne sera pas long, dit-il pour la rassurer.

    Il saisit sa veste de ciré, assure son capuchon, prend une grosse respiration et ouvre la porte. La brutalité de la rafale qui s’abat sur lui le surprend. Il se plie en deux pour passer le seuil et lutter contre cette force qui le repousse à l’intérieur. La baraque n’est pas grande. Il en fait rapidement le tour en s’accrochant tant bien que mal à la façade et en refermant les volets un à un.

    Maintenant, il peut faire face. Il se retourne. Hésite. Va-t-il tenter une sortie vers la mer ? Cécile est sur le qui-vive, il le sait. Mais s’il est impressionné par les hurlements des éléments, il se sent irrésistiblement attiré par leur force et leur sauvagerie. Après quelques instants, il décide de s’engager sur le sentier conduisant à l’anse de La Sentinelle, ce grand rocher qui lui a fait si forte impression lors de leur visite de l’île deux jours plus tôt.

    –Je fais un rapide tour pour voir l’état de la mer, lance-t-il en passant la tête par la porte.

    –Tu penses que c’est le moment ? lui répond Bruno. C’est vraiment mauvais !

    Julien a déjà refermé la porte. De toute façon, Bruno est de mauvais poil, alors, tant qu’à faire ! Il n’y voit rien. La pluie lui fouette le visage et le vent est si fort qu’il ne peut avancer qu’à tâtons, une main devant les yeux. Péniblement, il progresse pour atteindre un grand roc qui domine la baie et l’entrelacs de rochers se dressant entre l’île et l’océan. Là, Julien peut prendre la mesure de la tempête.

    Il en frissonne. Ce spectacle éveille en lui l’origine, la source de la vie, le chaos originel. Il a l’impression de descendre au cœur de l’univers et, paradoxalement, ce sentiment le rassure. Les yeux fermés, il voit défiler les images du grand large auquel il s’est si souvent confronté ces dernières années. Des images pleines, enivrantes parfois, lorsque la grande houle anthracite plaçait son voilier au sommet de ce champ infini de collines et de vallées qu’il fallait, sans jamais faillir, monter et redescendre, monter, puis redescendre, encore et encore... Et ce vertige qu’il ressentait lorsque le bateau entamait sa longue glissade du plus haut de la vague jusqu’aux abysses... Il était saisi d’un sentiment contrasté de plénitude et d’angoisse, de peur sourde et de sérénité. Se mesurer ainsi aux éléments, avec la conscience omniprésente de la mort accrochée à son ciré, procure une sensation unique et enivrante...

    Au bout de quelques instants, pris d’un frisson, il décide d’avancer, de se rapprocher de la bête, d’aller jusqu’à la toucher. Une rafale lui arrache son capuchon. Il reçoit en plein visage la pluie, la neige d’écume et les embruns volant à l’horizontale.

    Voilà à peine deux jours qu’il est sur cette petite île et celle-ci s’offre maintenant à lui dans un univers d’apocalypse maritime et de survie.

    Il redresse la tête pour essayer de déchiffrer le ciel. Il n’y a plus de ciel, il n’y a qu’une masse confuse, grise, blanche et noire...

    2

    Deux jours plus tôt, Julien et Cécile, débarquèrent sur l’île par un très beau temps. Bruno les reçut sans chaleur, presque froidement. Il leur fit néanmoins visiter la maison et ses abords immédiats.

    Une bâtisse en pierres sèche dont la façade principale et l’entrée sont orientées plein sud. Passé le seuil, on met le pied dans une petite cuisine des années soixante, meublée d’une table en bois revêtue d’un formica à petits carreaux jaunes et verts, encadrée par quatre chaises en bois. Sous la fenêtre de la façade est, un petit évier en grès et son égouttoir inox, puis une cuisinière au butane adossée à la paroi nord et un grand frigo beige. Un vieux buffet décapé est appuyé sur le mur séparant la cuisine du salon. À gauche de l’entrée, une porte en fer donne accès au phare lui-même, par un vieil escalier à vis. Côté nord, deux chambres sont séparées par une petite salle de bain.

    La maison et son phare sont entourés d’un enclos et d’une petite cabane en bois qui abrite trois chèvres et quelques poules. Un réduit en pierres sèches, lui aussi, est accroché à la façade nord. C’est là que Bruno entrepose ses vivres et du matériel. Du bric-à-brac. Un gros cylindre en polyester, attenant au réduit, lui permet de récupérer l’eau de pluie.

    –On est entouré d’eau ici, mais c’est elle qui manque le plus sur l’île, il est presque vide ! dit Bruno dépité.

    Ils restèrent quelques instants dans le petit pré respirant à pleins poumons l’air vivifiant du large. Ils découvraient la beauté sauvage de ce bout de caillou planté au milieu de l’océan. Celui-ci, d’un bleu profond, scintillait une lumière pure qui les irradiait. Quelques moutons parcouraient la grande houle atlantique.

    –Que c’est beau, s’écria Cécile ! Si nous nous allions en faire le tour ? Vous nous la faites visiter Bruno ?

    –Allez-y si vous voulez, lança-t-il en balançant sa main vers le ciel. Elle n’est pas grande. Vous n’allez pas vous perdre, où que vous soyez, vous verrez le phare !

    –Mais, vous pouvez nous orienter, lui répondit Cécile agacée par ce refus discourtois. Par où commencer ?

    –Si vous allez par-là, indiqua-t-il du menton, et que vous prenez le sentier, vous arriverez à la petite anse du Nord. Puis, vous pourrez longer la côte vers le sud.

    Et, là-dessus, il tourna les talons et s’engouffra dans la maison.

    Julien et Cécile se regardèrent, décontenancés par cet accueil.

    –Laisse. Il a raison, on ne va pas se perdre, dit Julien en prenant Cécile par l’épaule et la serrant contre lui. C’est un vieil ours qu’on a dérangé en pleine hibernation !

    –Oui, sauf qu’on est en juin !

    –Ben... c’est un vieux grincheux alors ! Allez, viens, allons en faire le tour de cette île.

    À partir du phare, ils suivirent le petit sentier couvert d’herbes grasses serpentant entre les rochers en direction du nord. Au bout de quelques minutes, ils abordèrent la grève de la première petite anse.

    –Regarde, fit Julien, c’est l’étale de basse mer. Elle est à son niveau le plus bas. Tu sens, elle a déposé du varech sur les galets.

    Julien respira profondément cet air libre du large, cet air chargé d’espace, sans limite, ouvert à tous les possibles.

    Cécile lui prit la main. Elle fixa la ligne d’horizon comme si elle voulait voir au-delà. Il la sentit vaciller.

    –Ça va ? fit Julien, en la saisissant par le bras.

    –Oui... ce n’est rien…

    Elle resta immobile face à l’océan. Julien l’attira contre lui et l’entoura de ses bras.

    –Tu vois cette beauté ? C’est ce dont nous avions besoin, lui chuchota-t-il dans le creux de l’oreille.

    Elle sourit et ferma les yeux. Au bout de quelques instants, dans un mouvement très lent, ils se remirent en route.

    L’île n’est pas bien grande, un peu plus d’un kilomètre de long et peut-être quatre cents mètres dans sa plus grande largeur. Elle est jonchée de quelques herbes folles poussant au pied d’imposants blocs de lave noire façonnés par le temps, formant un paysage de fin du monde un peu angoissant. Paradoxalement, ils éprouvèrent le sentiment de marcher dans un décor où chaque rocher incarnait un être vivant qui communiquait avec les autres…

    Quelques centaines de mètres plus loin, ils atteignirent la grande anse du Nord. Un peu plus vaste que la première, elle est protégée de la houle du large par un gros îlot planté à cent cinquante mètres de la côte.

    Julien s’assit. Cécile resta debout, face à la mer et au soleil qui déclinait. Son visage se détachait en ombre chinoise sur un ciel mordoré. Julien la contempla, ému.

    « Comme je l’aime. Je l’aime du plus profond de mon âme. Elle sait m’aimer comme jamais on ne m’a aimé. Elle a l’incomparable qualité de permettre à l’autre de dévoiler le meilleur de lui-même ! C’est un papillon de bonheur, pensa-t-il. »

    À cet instant, Cécile porta son regard vers lui, accompagné d’un très gracieux sourire. Il sentit son cœur chavirer. Puis elle se tourna vers le soleil couchant où apparaissait un cargo traçant un sillage doré sur un océan qui virait à l’anthracite. Ils le suivirent pendant de longues minutes sans rien dire. Seul le clapotis des vagues sur la grève accompagna leurs rêveries. Ce fut un moment particulièrement doux et apaisant.

    –Où vont-ils ? D’où viennent-ils ? J’aime ce mystère qui les entoure, murmura Cécile. Ils passent, ne laissant qu’une éphémère trace sur l’eau. Si éphémère...

    Julien sourit. Il aime le regard qu’elle porte sur les choses et, plus encore, sur les êtres.

    Enfin, ils reprirent le petit sentier qui les conduisit à une anse large formant un lac intérieur enserrant deux petites plages séparées par un gros massif de rochers.

    Elles sont orientées sud-ouest pour l’une et ouest pour l’autre. Une bien mauvaise orientation face aux vents dominants. L’anse est néanmoins protégée par trois gros îlots plantés à une centaine de mètres de la rive. En son centre, une imposante colonne de basalte se dresse à dix mètres de hauteur au moins, telle une statue de pierre.

    –C’est fascinant, un homme de pierre ! s’exclama Julien. Il me fait penser à une sculpture de Giacometti. Regarde comme il est façonné, travaillé par le temps.

    –C’est beau et sauvage, renchérit Cécile. C’est l’endroit le plus sauvage de l’île. J’aime !

    Une petite houle, une ondulation douce, caressait les pieds de la statue.

    –Regarde, un phoque ! fit Julien en pointant sa main vers l’eau. Une petite tête sombre et de grands yeux ronds les fixèrent sans bouger pendant de longues secondes. Puis, le phoque plongea pour réapparaître un peu plus près, entre deux rochers. Une approche en douceur. Tous deux s’assirent sur les galets et trois paires d’yeux s’observèrent ainsi pendant quelques minutes. Enfin, sans doute lassé par le peu d’intérêt que devaient représenter leurs deux masses inertes, le phoque disparut.

    Ils se tournèrent alors vers le soleil qui empourprait l’horizon.

    –J’aime voir la partie inférieure du disque effleurer la ligne d’horizon, dit Julien. Ça me renvoie à chaque fois au moment où je devais faire le point au sextant pendant nos premières traversées de l’Atlantique. Depuis, j’ai toujours aimé ce lien avec les astres.

    –Viens, fit Cécile en lui tendant la main, rentrons. La nuit tombe et j’ai un peu froid !

    Ils reprirent le sentier qui semblait vouloir retourner vers le nord. Au bout de quelques minutes, ils se trouvèrent face à une bâtisse en pierres sèches, couverte d’un toit en ardoises noires, comme la maison du phare. Julien en fit le tour.

    –Tu vois cette porte à deux grands battants et les rails qui descendent le long de la cale ? C’est un hangar à bateau !

    Il se tourna en direction du plan d’eau. « Cette jolie anse offre sans aucun doute un très bon abri, se dit-il. Elle est bien protégée et sa taille permet de manœuvrer sans risque. »

    –On demandera à Bruno, je suis certain qu’il y a un bateau à l’intérieur.

    Ils contournèrent le hangar par l’arrière pour rejoindre le sentier qui traçait un sillon en direction du phare. Les roches irradiaient la chaleur accumulée tout au long de la journée et Julien sentit monter en lui une plénitude qui le submergea. Ému, il se tourna vers Cécile. Elle lui sourit et se lova dans ses bras. Enlacés, ils attendirent encore quelques instants, fixant le moment où le soleil allait disparaître sous l’horizon en clignant des yeux pour ne pas être éblouis.

    –Tu crois qu’on verra le rayon vert ? murmura-t-elle en frissonnant.

    Il n’y eut pas de rayon vert, mais un ciel qui s’approfondit de minute en minute pour glisser au vermillon, puis au pourpre et, enfin, faire place au bleu profond d’une nuit scintillante d’étoiles.

    3

    Une détonation sourde ramène Julien au cœur de la tempête. Ces digressions dans son passé récent ne l’ont pas éloigné des hurlements du vent et du chaos qui règne autour de lui.

    Une pluie hargneuse lui cingle le visage. L’explosion des vagues sur les rochers l’assourdit. Il cherche un refuge. Entre deux rafales, il repère une petite anfractuosité blottie au milieu de concrétions de lave et, d’un bond, s’y réfugie.

    Là, goûtant avec délectation au contraste que lui offre le déchaînement des éléments et la douce plénitude des journées précédentes, il laisse sa mémoire dériver...

    Lorsqu’ils franchirent le seuil de la cuisine, Bruno leur réserva un accueil glacial.

    –Vous vous êtes perdus ?

    –Ah, lui répondit Cécile confuse en voyant la table dressée, excusez-nous. Nous n’avons pas réalisé qu’il était si tard.

    Sur la table, une belle quiche dorée les attendait. Bruno avait également sorti une bouteille de vin rouge.

    L’ours s’ébroue, pensa Julien.

    –Cette quiche est magnifique Bruno ! lança-t-il un peu faux-cul.

    –Elle sent bon, compléta Cécile en s’asseyant.

    Bruno les regarda, maussade.

    –Alors, vous ne vous êtes pas perdus ? lâcha-t-il les lèvres serrées.

    –Nous avons fait le tour de l’île, dit Cécile. Elle est...

    Bruno l’écoutait, tendu.

    –Elle... C’est une petite terre sauvage comme je les aime, lâcha-t-elle. Elle est très jolie et elle a du caractère... Plus encore... elle a une âme !

    L’expression et le visage de Bruno se transformèrent. Il esquissa un sourire.

    –Une âme ?

    –Oui, elle est habitée. Je... Je ne sais pas comment l’expliquer...

    Bruno l’observa avec curiosité. Ses yeux brillaient.

    –Oui, enchaîna-t-il, comme les bateaux, les maisons peuvent avoir une âme. Des lieux aussi peuvent être habités. C’est vrai...

    Julien et Cécile échangèrent un regard. Ils connaissaient bien les bateaux et eux aussi étaient convaincus qu’ils possédaient une âme. Quand on a vécu sur l’un d’eux, quand on a traversé un océan sur un voilier dont notre vie dépend, qu’on a souffert avec lui dans le gros mauvais temps, dans des mers démontées qui veulent votre peau, on se surprend à communiquer avec lui, à le considérer, le prendre à témoin. On lui parle, on le flatte, on lui insuffle du courage quand il faut puiser dans ses propres ressources pour en trouver un peu pour soi-même.

    Dans le silence qui suivit, les fragrances de la quiche éveillèrent les appétits. Cécile saisit son couteau.

    –Et si nous attaquions cette belle quiche ?

    –Elle est là pour ça, fit Bruno.

    –À propos d’âme et de bateau, reprit Julien, au cours de notre visite, nous sommes tombés sur un gros hangar. Deux rails en sortent et descendent le long d’une cale jusqu’à l’eau. Est-ce qu’il y a un bateau dedans ?

    Bruno leva la tête et le regarda froidement. Puis il soupira...

    –Oui.

    –Euh, qu’est-ce que c’est comme bateau, fit Julien hésitant ?

    –Un coquillier.

    –Un coquillier ?

    Bruno regarda dans le vide...

    Julien comprit qu’il ne voulait pas en dire plus. C’était bien le personnage que Juan leur avait décrit.

    Ils avaient rencontré Juan par hasard à Barcelone, quelques jours plus tôt, sur la terrasse d’un café de la Rambla. Juan avait voulu savoir d’où ils venaient, ce qu’ils faisaient à Barcelone, où ils allaient.

    –Ah, vous ne savez pas où aller ?

    –Nous cherchons un endroit vraiment calme où nous reposer. Cécile a eu de gros problèmes de santé et il lui faut reprendre des forces.

    –Je crois que j’ai ce que vous cherchez. C’est un lieu magique, un petit bijou. Bien sûr, si vous voulez voir du monde, si vous aimez la ville, ce n’est pas là qu’il faut aller !

    –Non, ce n’est pas la foule et la ville que nous cherchons. Plutôt un lieu isolé où l’on peut prendre de la distance, du recul, avait dit Cécile.

    –Alors, c’est ça ! Oui, certainement vous y serez bien. Vous aimez la mer ? Je veux dire l’univers maritime avec ses bons et mauvais côtés, pas la plage et ses parasols ?

    Ils s’étaient regardés, complices.

    –Oui, nous l’aimons. Nous l’aimons même beaucoup et... nous la connaissons un peu.

    –Parfait ! C’est ce qu’il vous faut, une petite île au milieu de l’océan Atlantique. Enfin, pas exactement au milieu, mais au large des côtes de l’Afrique, à une journée de bateau des Canaries et, surtout, parfaitement isolée. Ignorée de tous. Ça, c’est important ! Oui, vraiment, vous ne serez pas dérangés. Vous pourrez y rester le temps que vous voudrez. La vie entière si vous voulez ! avait-il lancé en riant.

    –Oh, nous ne voulons pas jouer les « Robinson ». Mais du temps, oui, certainement, il nous faudra un peu de temps, avait ajouté Julien.

    –Ah, une chose quand même, il y a un gardien sur l’île. Bruno, c’est son nom. Il était le gardien du phare lorsque je l’ai achetée au gouvernement espagnol, il y a quinze ans. Il m’a demandé s’il pouvait rester sur « son » île. C’est un homme étonnant. Il est un peu, comment dire, solitaire ! Un vieil ours dans sa caverne. Mais il est cultivé, instruit. Il a passé plus de trente ans sur ce bout de caillou. En fait, ça m’arrange bien. Il est très attaché à ce lieu et c’est la meilleure des garanties.

    –Eh bien, au contraire, ça nous plaît. Elle est bien séduisante, ta proposition, Juan. Vraiment, nous ne savons pas comment te dire à quel point cela nous convient ! Mais...

    Julien et Cécile s’étaient regardés avec la même interrogation, la même excitation, la même envie de dire oui, tout de suite. Ils étaient partis à la dérive sans savoir où le hasard allait les guider. Et là, maintenant, s’offrait à eux une voie presque miraculeuse.

    –Nous ne savons pas comment, je veux dire, bien sûr, nous paierons une pension, enfin...

    –Non, s’il vous plaît, je ne veux rien. Non, rien. J’aimerais juste que

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