Entre parenthèses
Par Clotilde Lhotte
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À propos de ce livre électronique
Ce tour du monde d'un an, Mariella, elle, le gagne au Loto.
Son entourage rêve pour elle d'exotisme et d'aventure, mais elle s'imagine seulement prendre le temps de vivre doucement, de manger du poisson et de faire de nouvelles rencontres.
Alors pour profiter de son année comme elle le souhaite sans pour autant décevoir, elle va raconter ce que tous ont envie d'entendre et mettre au point une diversion grandeur nature.
Après tout, " Pour vivre heureux, vivons cachés " !
Mais comment envisager le retour, quand cette année entre parenthèses sera terminée et que la supercherie devra prendre fin ?
Des personnages attachants dans un paysage qui fait rêver, Entre parenthèses est une histoire qui donne envie de tout plaquer pour boire un thé bien au chaud en regardant la pluie tomber dehors.
Tout ce qu'il faut pour faire un vrai feel-good book !
Clotilde Lhotte
Clotilde Lhotte a 34 ans et vit à Paris après plus de dix ans passés dans la région nantaise. C'est dans les trains et les hôtels, en déplacement pour son travail, qu'elle a mis en scène dans Les Parenthèses tous les lieux et les décors où elle aurait aimé se trouver. Dernière de trois filles nées en Champagne, c'est pourtant près de l'eau qu'elle se sent le mieux, surtout si ce sont les bords de Loire !
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Aperçu du livre
Entre parenthèses - Clotilde Lhotte
Aux premières marches des escaliers sur lesquelles on s’assoit :
celles du port de Basse-Indre,
de la pointe ouest de l’île Beaulieu après les barrières,
de l’arrêt Pirmil devant les péniches
et du ponton de Saint Joseph de Porterie.
Aux hérons sur l’Erdre.
Sommaire
Premier carnet
((J-366)-7)-18
((J-366)-7)-17
((J-366)-7)-15
((J-366)-7)-14
((J-366)-7)-13
((J-366)-7)-12
((J-366)-7)-11
((J-366)-7)-7
((J-366)-7)-6
((J-366)-7)-3
((J-366)-7)-1
(J-366)-7
(J-366)-6
(J-366)-5
(J-366)-2
(J-366)-1
Second carnet
J-366
J-364
J-360
J-355
J-354
J-350
J-349
J-347
J-345
J-342
J-339
J-338
J-336
J-335
J-334
J-333
J-326
J-325
J-324
J-319
J-316
J-309
J-304
J-303
J-296
J-282
J-271
J-269
J-267
J-261
J-260
J-256
J-254
J- 249
J-248
J-246
J- 239
J-238
J-225
Troisième carnet
J-197
J-194
J-190
J-187
J-184
J-173
J-171
J-163
J-159
J-154
J-153
J-150
J-149
J-144
J-142
J-140
J-139
J-136
J-134
J-131
J-128
J-125
J-124
J-123
J-121
J-120
J-119
J-117
J-116
J-115
J-114
J-113
J-110
Quatrième carnet
J-109
J-108
J-106
J-103
J-100
J-95
J-94
J-93
J-92
J-88
J-86
J-77
J-76
J-75
J-74
J-72
Cinquième carnet
J-70
J-69
J-65
J-61
J-57
J-55
J-50
J-46
J-45
J-44
J-43
J-42
J-40
J-39
J-36
J-30
J-29
J-27
J-25
J-20
J-19
Premier carnet
Papier recyclé, pages blanches
Couverture en cuir avec petit lacet
Marina m’a offert ce journal comme cadeau de départ pour mon tour du monde. Il doit me servir de carnet de bord pour que dans un an, quand je serai rentrée, je puisse constater que ma vie aura changé.
Elle m'a demandé de faire un compte à rebours d’ici à mon retour, parce qu'elle a appris que ça augmentait le suspense, que ça aidait à mieux profiter pleinement de chaque jour. A tous les coups, ça vient directement de son premier cours de psychologie. Mais jouons le jeu, soyons poli.
Considérons que le jour J est le jour de mon retour de voyage.
Puisque le tour du monde doit durer un an et que l’an 2000 est une année bissextile, j’ai vérifié, le jour de mon départ, nous serons le J-366.
Et je pars dans 7 jours, ce qui fait qu’aujourd'hui, nous sommes le (J-366)-7.
Mais comme je considère que la préparation fait partie du voyage, et aussi que là, tout de suite, j'ai besoin d'exprimer quelque part ce que personne n'a l'air de comprendre quand je parle à voix haute, je vais commencer par raconter ce qui s'est passé depuis que je sais que je vais partir.
Et pour cela il faut que je remonte à il y a 18 jours.
Donc...
((J-366)-7)-18
Il y a trois semaines, avec Caro et Maroussia, on a décidé de faire quelque chose que l’on n’avait jamais fait avant. Nous nous sommes habillées comme dans les films des années 80 – chouchou fluo pour la queue de cheval, sweat col rond et élastiques aux poignets, jeans bruts taille haute, Converses aux pieds – et on est allées dans une soirée Bingo. Ce devait être une soirée dédiée à l’observation et au mimétisme d’un animal pas si rare, j’ai nommé « l’habitant moyen des bourgs de campagne se divertissant un samedi soir ». Détrompez-vous, ce n’est pas aussi cruel et moqueur que cela peut paraître.
Tout est parti du constat que nous passons toutes nos soirées en suivant le même planning bien huilé. Tout d’abord, un apéritif chez l’une ou l’autre pendant lequel nous ingurgitons une bouteille de vin plutôt rosé et des gâteaux apéritifs industriels, en éclusant rapidement les sujets courants de la semaine : rebondissements au boulot, gros titres de l’actualité people et dernière annonce en date parmi la sainte trilogie mariage-bébé-rupture de l'une de nos connaissances. Le tout évidemment ponctué d’un réflexe oratoire signifiant l’écoute active de l’interlocuteur, au choix : « C’est pas vrai !! », enjoué, ou son petit frère que je ne supporte plus, même venant de mes plus proches amies : « Ah ouais ? ». Avec insistance sur le « Ouais ». Dur.
Après l’apéritif, un transport quelconque vers le dernier restaurant dont on a entendu parler et à tester absolument. Ensuite un bar sélectionné selon trois critères pragmatiques : le niveau sonore, le budget et la proximité des correspondances de métro. Leur ordre d’importance est directement lié à l’état dans lequel nous a porté le restaurant précédemment cité. A chaque fin de soirée, en rentrant chez moi, je me dis que je viens encore de passer un bon moment, mais que je n’ai rencontré personne de nouveau, rien fait de nouveau. Un soir, ça a été la fois de trop. J’ai convoqué une réunion au sommet, organisée pour l’occasion exceptionnelle dans un salon de thé en plein samedi après-midi. A l’ordre du jour : faire la liste de tout ce que l’on n’a jamais fait et que font « les gens » ailleurs qu’à Paris, histoire d’élargir un peu nos horizons et de casser la routine à laquelle on ne fait même plus attention et qui ne nous satisfait, soyons honnête, pas complètement.
Tout en haut de la liste est arrivée la soirée Bingo, et pour cela il fallait se rendre en « banlieue ». La banlieue, c'est « à portée de RER », la province, elle, commençant officiellement à portée de TER. C'est à se demander où se situent les Trains de Banlieue.
Nous avons découvert qu’il existait un agenda officiel des Lotos et qu’il suffisait de choisir une date pour nous laisser guider sur la route du changement, c’est-à-dire la route menant dans l’une des petites villes, parfois charmantes, parfois effrayantes, dans lesquelles l’association de foot ou des parents d’élèves organise un Loto et met en jeu des micro-ondes et des crêpières offertes par le supermarché local, dans le but de payer un voyage en Angleterre aux classes de 4ème du collègue. Hormis la difficulté que nous avons eu à distinguer le Loto du Bingo – si on a bien compris, on crie juste « Bingo » alors qu’on joue au Loto – ça a été un jeu d’enfant. Je vous passe les étapes qui nous ont amenées à nous travestir telles des adolescents dans Retour vers le Futur et j’avance directement à la soirée en question. Ce jour cataclysmique du ((J-366)-7)-18, à 23h19 précisément.
Après déjà plus de deux heures trente de jeu très studieux, nous commencions à bayer ostensiblement. Nous étions entourées d’un joyeux mélange de jeunes collégiens et de nombreuses têtes blanches, mais surtout d’habitués qui n’appréciaient pas beaucoup nos écarts à la discipline. A cette minute exactement, Jacky (de Jacky Animation, l’animateur dudit Loto et je vous promets, je n’en rajoute pas), a annoncé le 17.
Le 17. Mon carton était plein. Ah tiens, c’est de là que vient l’expression ?
J’avais mis un grain de maïs sur chaque numéro, mon carton était entièrement recouvert et personne n’avait dit « Bingo » depuis le début du dernier tirage. Quand ces informations sont arrivées à mon cerveau, tout mon sang a afflué dans ma tête, mes oreilles se sont mises à bourdonner et j’ai dit « BINGO ! » bien fort, en imitant les gagnants précédents, mais la voix tout de même un peu fébrile. Je déteste parler en public, même pour dire un seul mot. Sans quitter mon carton des yeux, complètement excitée d’avoir gagné mais également pétrifiée à l’idée que peut-être, j’avais pu faire une erreur et qu’alors ce serait la honte générale, j’ai entendu une vague de réactions parcourir la salle. Un mélange de déception, d’étonnement et de curiosité se rependait d'une table à l'autre comme une ola auditive. Le temps que l’animateur arrive jusqu’à moi pour contrôler le résultat, le murmure général était devenu un vrai brouhaha. Caro était rouge pivoine, sûrement autant que moi, tandis que Maroussia arborait plutôt un teint blafard. Elles essayaient de me dire quelque chose que je faisais semblant de comprendre en soulevant ostensiblement les sourcils, mais qui était en fait inaudible à cause du vacarme provenant des tables tout autour de nous. On devait faire une sacrée impression. J’avais un sourire incompressible sur les lèvres, incontrôlable, dicté à la fois par ma joie enfantine d’avoir gagné un gros lot « mystère » et par la gêne écolière de l’élève qui passe au tableau.
Il a tout vérifié. C’était bon. J’avais gagné.
En ce jour cataclysmique du ((J-366)-7)-18, sous les applaudissements d’une salle des fêtes comble de Seine-et-Marne et sous les regards ahuris de deux parisiennes égarées, j’ai gagné un tour du monde.
((
J-366)-7)-17
Lorsque j'ai annoncé à mes parents que j'avais gagné ce tour du monde, ils ont bien entendu commencé par croire que c'était une blague. C'est normal, j'en aurais fait autant. Enfin, dans leur cas, cela a consisté à rire d'un air absent, à débarrasser la table du déjeuner, puis à passer un coup d'éponge sur la toile cirée, et enfin à quitter la pièce. Il a fallu que j'insiste un peu pour qu'ils prennent véritablement en compte l'information.
– Écoutez, c'est sérieux, j'ai réellement gagné un tour du monde d'un an. Tout est prévu : billets d'avion modifiables, budget hôtels, budget nourriture... ils fournissent même une carte du monde pour t'aider à réfléchir à ton itinéraire.
– Mais enfin Mariella, c'est un faux, c'est évident, a répondu ma mère, un peu agacée. Tu ne vas pas comme ça gagner un tour du monde ! Dans un Loto de campagne en plus ! Ça n'existe que dans les films ça, grandis un peu !
– C'est ce que je me suis dit aussi au début, ai-je répondu, mais il y a les coordonnées de l'organisme. Je les ai appelés, j'ai rendez-vous demain matin à Pyramides pour les rencontrer et pour qu'ils m'expliquent les formalités. Ça a l'air sérieux. Vraiment, vous devriez venir avec moi si vous avez des doutes.
Ma mère a rebondi en se tournant vers mon père :
– Ah tiens Patrice, tu te souviens la fille des Morin ? Elle est partie en Amérique du Sud avec des amies pour six mois au lieu de travailler l'an dernier. Eh bien, devine quoi ? Elle vient de leur ramener un péruvien !
– Oh oh oh... les pauvres ! Ça, ça va faire des petits enfants bizarres ! a sorti mon père du tac au tac, avec le rire du Père Noël, les bras posés sur son ventre à bière.
Le sujet était clos. Ils avaient déjà glissé sur autre chose.
En fait, j'étais allée directement à l'agence de voyage le matin même. J'étais bien trop curieuse et je voulais en avoir le cœur net avant d'en parler à mes parents. Ils ont tendance à être un peu sceptiques et surtout à se désintéresser rapidement de ce qui peut m'arriver. Du coup, j'étais ravie de pouvoir leur lâcher une bombe. Mais visiblement, j'avais encore sous-estimé leur flegme.
Le sponsor du Loto est une grosse agence de voyage qui veut se spécialiser dans les circuits sur mesure. A l'occasion du passage à l'an 2000, ils se sont dit que ce serait un bon coup de pub pour eux d'envoyer un client voyager pendant un an à leurs frais et de le suivre toute l'année au fur et à mesure. Ils voulaient une personne lambda, madame Tout-Le-Monde pour toucher un maximum de clients potentiels, que chacun se reconnaisse. C’est pour cela qu’ils avaient choisi ce Loto-là, précisément. La condition était que j'accepte de parler de mon voyage et que je leur envoie régulièrement des nouvelles de mon périple, comme un exemple grandeur nature de ce que pourraient vivre leurs clients, pour qu'ils puissent communiquer dessus d’une nouvelle manière. Le fonctionnement était assez simple : j'aurai des billets d'avion qui me permettront de voyager d'un pays à un autre. J'aurai également un budget hebdomadaire pour les « frais de vie », comprenant l'hébergement et la nourriture. Pour le programme, c'est quartier libre ! Ils me prévoient aussi un appareil photo numérique, le tout dernier Nikon qui est sorti cet été. Comme c'est la version pour les professionnels, je pourrai aller dans les régions tropicales avec, il pèse seulement 1 kg et la qualité des photos est super, 2,7 millions de pixels !
La seule contrepartie, c'est de leur envoyer régulièrement des lettres en racontant ce que je fais. Les e-mails, pour le moment, ce n'est pas très fiable, et internet n’est pas accessible facilement dans tous les pays. Alors ils préfèrent qu'on commence par des courriers. Puis à mon retour, on organisera une conférence avec un reportage photo. Ça me semblait plutôt honnête. Même si pour cela il faudra que j'apprenne à parler en public. Mais bon, j'aurai un an pour m'entraîner !
Hormis tout cela, il restait encore un « petit » point à régler. Je suis assistante dans une agence de location de voiture, en CDI, depuis un an. C'est confortable, cela me permet de payer mon studio, de sortir avec les filles, et de ne pas dépendre de mes parents. Ou tout du moins seulement pour la caution de mon bail. L'agence de voyage voulait que je parte le 1er janvier 2000, histoire de marquer le coup, c’est à dire environ un mois plus tard, et cela voulait dire quitter mon boulot, mon appartement, renoncer à tout cela et ne pas être sûre de retrouver une situation aussi bien quand je rentrerai. Je me demandais si mon patron serait d'accord pour me laisser partir aussi vite. Idem pour mon propriétaire. Ça faisait beaucoup de choses administratives à régler. Et si mes parents n'y mettaient pas un peu du leur pour me soutenir moralement, ça allait être compliqué.
Mais à ce moment-là, quitter tout cet environnement routinier, m'éloigner de la voûte parentale omniprésente, courir le monde en star du voyage, égérie d'une agence hyper à la pointe de la communication et faire figure d'originalité et d'exotisme (oui, rien que ça !), c'était un choix très facile à faire.
((
J-366)-7)-15
En quelques jours, les choses s'étaient pas mal emballées. Mes parents avaient fini par accepter la réalité et intégrer que leur fille allait devenir une globe-trotteuse du jour au lendemain. Au départ, ils ont instinctivement été contre.
– Mais enfin, a commencé mon père, tu ne vas quand même pas abandonner ton travail et partir à l'autre bout du monde comme ça ? Tu as pensé à ta carrière ? À ton CV ? Tu crois que c'est comme ça qu'on s'est construit une vie d'honnêtes gens ?
Ma mère a surenchéri sur les dangers d'un voyage en solo, surtout pour une femme, ce à quoi je n'avais pas du tout pensé jusqu'alors, merci maman, et contre quoi je n'avais aucun argument.
Mes amies, elles, ont tout de suite été conquises. J'étais devenue en quelques heures la meilleure sitcom de l'année et la personne à suivre absolument. Certaines anciennes copines du lycée, prévenues par Caro-le-Ragot, m'ont même appelée pour savoir si c'était vrai.
J'avoue, je n'étais pas mécontente de ce petit effet starlette qui était parfaitement nouveau pour moi.
Du côté de la famille, tout a changé lorsque Gilles, mon oncle, est venu déjeuner à la maison et a fini par avoir vent de mon petit scoop personnel. Il est journaliste sportif et depuis qu'il a « fréquenté » les Bleus suite à la coupe du monde de foot, il jouit d’une petite aura dans la famille. Il l’entretient subtilement en abreuvant de cadeaux estampillés « Zidane » tous les représentants de la gent masculine aux Noëls et aux anniversaires. Quand il s'en est mêlé, donc, on a eu droit à un tout autre avis sur la question de mon possible voyage.
– Mais c'est dingue cette histoire ! Tu dois être fière ! Et tes parents aussi ! Pas vrai Bernadette ? Ta fille va être une vraie star !
– Comment ça une star, Gilles ? Elle va partir je-ne-sais-où en vacances pendant un an plutôt que de s'occuper de se dégoter un mari en France ou tout simplement de reprendre des études pour se trouver un meilleur boulot ! De quoi veux-tu que je sois fière ?
– C'est pas possible d'entendre des choses pareilles ! a grogné Gilles en essuyant son couteau à viande sur son tablier. Tu te rends compte de la chance qu'elle a ? Elle va découvrir des cultures nouvelles, des paysages fantastiques, elle va rencontrer des gens hors du commun et elle va apprendre plein de choses ! Beaucoup plus que ce que vous ferez dans toute votre vie ! C'est une occasion unique !
– Une occasion unique de se faire poignarder dans un souk ou de se faire échanger contre un troupeau de chèvres oui ! a coupé mon père, toujours dans la finesse, en baissant son journal.
– Et pourquoi pas de se faire engrosser par un péruvien comme la fille des Morin ! a complété ma mère, un petit air dégouté sur le visage.
– Hé ! Je suis là, vous savez ! ai-je essayé de protester. En vain.
– Vous êtes ridicules tous les deux, a repris mon oncle. Vous réagissez comme deux vieux rétrogrades qui ont peur que leur enfant réussisse mieux sa vie qu'eux. Regardez-la, votre Mariella, elle a 26 ans et c'est le meilleur âge pour partir apprendre des choses loin de ses parents qui la couvent ! Et puis Paris, franchement... il est temps d'aller voir ailleurs. Bernadette, toi qui adores Nicolas Hulot, tu n'as pas envie d'avoir un explorateur dans la famille ? Et toi Patrice, Ushuaïa, ce n’est pas que derrière un écran. Elle peut le vivre en vrai tout ça ! Et tous frais payés ! De quoi pouvez-vous bien vous plaindre ?
Ça les a scotchés.
Ils se sont regardés, un peu interdits, sans dire un mot. Gilles, se tournant vers moi, a mis les deux mains sur mes épaules, m'a regardé bien droit dans les yeux – j'étais aussi mal à l'aise que devant un mauvais épisode de Strip-tease – et il a dit :
– Tu as un rôle extrêmement important, Ma. Tu vas être l'aventurière de la famille. Quand tu reviendras tu seras un vrai sage, tu parleras 10 langues et tu auras mangé plein de choses étranges que tu n'imaginais même pas comestibles. Tu vas aller en Afrique dans des tribus sauvages, avec des types en pagne et des femmes trouées de partout, en Australie dans les déserts où ils ont tourné ces films d'horreur flippants, en Russie picoler avec des marins soviétiques complètement beurrés, tu vas adorer ! En Amazonie manger de la tortue et te baigner dans l'eau qui grouille de sangsues et de serpents d'eau. Et puis dans ces pays où il fait nuit 20 heures par jour, tu sais ? Et c'est à toi qu'on pourra demander des idées de voyage ! Il faut que tu partes ! Ne les écoute pas ! Et fais-toi tatouer !
Ça m'a mis les jetons.
J’ai dégluti et j’ai bredouillé « Amen. » en m’inventant un sourire.
Il était tout excité. Il s'est mis à chercher partout le vieil Atlas de mon père avec les photos de paysages jaunies, sa collection de Géo avec les pays où il avait toujours dit qu’il irait, il m'a sorti ses pires anecdotes de voyages et les lieux complètement impraticables où lui-même irait « s'il en avait ». Petit palmarès :
- le cratère ultra irrespirable d'un volcan en Russie
- une île au Japon qui a été abandonnée car plein de légendes étranges circulent sur la population qui est morte d'un coup sans explication
- un archipel en Nouvelle-Zélande où tous les animaux sont venimeux. Tous.
- une ville en Chine où on mange un « œuf de cent ans », qui a passé, comme son nom l’indique, un siècle dans le sable et qui est désormais vert translucide... beuuuurk
- Tchernobyl (rien que ça)
- une île complètement perdue à mi-chemin exactement entre l’Amérique du sud et l'Australie. Autant dire, au milieu de rien, qui devrait visiblement bientôt disparaître dans l’océan et où il faut se rendre avant que plus aucun avion ne puisse s’y poser.
J'en oublie parce qu’à un moment, mon cerveau a refusé de continuer à écouter. Ce n'est pas du tout comme ça que j'avais envisagé le tour du monde. Moi je pensais visiter des Musées, rencontrer des mecs mignons dans des auberges de jeunesse, faire le tour des bars de plage avec une petite ombrelle dans mon verre à cocktail, aller de la salle de massage des hôtels de luxe à la piscine à débordement au bord de la plage. La vie quoi. Le tour du monde.
Pas ça.
Et c'est là que j'ai compris : c'était ça que les gens allaient attendre de moi ? L'aventure, les anecdotes improbables sur la fois où j'ai rencontré des aborigènes qui m'ont sauvée des griffes d'une meute de loups sauvages au milieu du désert de Gobi ? Le récit de la traversée de la cordillère des Andes en vélo ? Et il se passerait quoi en rentrant si je racontais à Gilles que j'avais passé un an à tester les différents goûts du Big Mac dans tous les pays ? Ça me donnait le vertige.
De leur côté, petit à petit, mes parents ont fini par voir la folie romantique de cette aventure. Les arguments d’oncle Gilles ont dû toucher juste, car après son départ, ma mère et mon père ont commencé à timidement glisser des remarques positives, à ouvertement acquiescer lorsque les gens étaient enthousiastes, puis enfin à être complètement emballés. Malheureusement pour moi, je n'étais pas du tout habituée ! Jusque-là, ils avaient plutôt tendance à ignorer royalement ce qui pouvait me concerner, hormis évidement ma santé, mes discutables conquêtes amoureuses et mon manque d'ambition professionnelle. « Fais attention à ce que tu manges » avec un froncement de sourcils, « tsss tsss tsss » accompagné d’un hochement de tête et de lèvres pincées, et « ton frère, lui... » les bras croisés sur la poitrine, étant leurs trois remarques préférées.
Jusqu'à ce jour-là, en dehors de ces sujets et à part pour me donner un avis vaguement négatif, ils me laissaient relativement tranquille. Je nourris de manière parfaitement autonome leur
