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Études de critique littéraire: Le texte et son style
Études de critique littéraire: Le texte et son style
Études de critique littéraire: Le texte et son style
Livre électronique321 pages3 heures

Études de critique littéraire: Le texte et son style

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage réunit seize études qui abordent la critique littéraire. Certains travaux ont déjà fait l’objet de publications sous forme d’articles, d’autres sont inédits. Dans ce livre, nous découvrons comment l’auteur arrive à analyser, à examiner un texte pour en comprendre le sens, parfois caché. Il s’intéresse au texte et en étudie les moindres détails car ce sont eux qui, une fois mis en évidence, permettent le plus souvent de mieux comprendre une oeuvre, voire l’ensemble des oeuvres d’un même écrivain. Ces études littéraires offertes par Calogero Giardina portent, notamment, sur des textes tels que Rhinocéros de Ionesco, l’Ecume des jours de Boris vian, La Modification de Michel Butor ou encore Les Fables de La fontaine. L’auteur nous donne ainsi la clé pour découvrir le sens de chacune de ces oeuvres pourtant tellement connues. « On aura compris que l’ensemble de ces études sont fondées sur l’idée que la littérature est à la fois un art et un langage et que l’étude du texte est le lieu privilégié pour saisir le sens ou du sens »
LangueFrançais
Date de sortie1 déc. 2023
ISBN9782312140971
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    Aperçu du livre

    Études de critique littéraire - Calogero Giardina

    cover.jpg

    ÉTUDES DE CRITIQUE LITTÉRAIRE

    CALOGERO GIARDINA

    ÉTUDES DE CRITIQUE LITTÉRAIRE

    Le texte et son style

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2023

    ISBN : 978-2-312-14097-1

    À Jo Martynciow, professeur de lettres en khâgne, au lycée Claude Fauriel, à Saint-Etienne.

    Je ne l’ai jamais oublié.

    Il m’a tant appris.

    INTRODUCTION

    On trouvera ici réunies une série d’études dont certaines ont déjà fait l’objet de publication sous forme d’articles, tandis que d’autres sont inédites.

    Nous avons préféré le terme « étude » au mot « analyse » car le mot « analyse » renvoie plutôt à l’idée de commentaire{1}. Or, si une série d’articles sont bien des commentaires, d’autres, au contraire, ne relèvent pas de cette méthode de lecture.

    Nous avons pris, néanmoins, le parti de réunir, dans un seul volume, ces articles parce que nous pensons qu’ils ont une approche qui est commune.

    En effet, dans chacune de ces études, nous avons tenté d’aborder la critique littéraire en nous intéressant au texte plus qu’à un ensemble d’œuvres ou à une œuvre. Car pour nous, le sens d’une œuvre littéraire est d’abord dans le détail et l’étude du détail permet très souvent de mieux comprendre l’œuvre ou l’ensemble de la production littéraire d’un écrivain{2}.

    Pourquoi avoir intitulé cet ouvrage « études de critique littéraire » et non « Études de style » ou encore « Études stylistiques » ?

    À cette question, il est facile de répondre : malgré de nombreuses tentatives de définition, la « stylistique », le plus souvent, n’est pas définie avec précision et surtout ces définitions varient : pour certains, elle est une étude systématique des formes du texte, pour d’autres, la stylistique est « l’étude des conditions verbales, formelles, de la littérarité »{3}, d’autres soutiennent que la stylistique pourrait être définie, au premier abord, comme l’étude du style ou, si l’on veut, « la manière d’écrire ». Mais, cette définition pose plus de problèmes qu’elle n’en résout car tout le monde n’est pas d’accord sur le sens à donner à l’expression « manière d’écrire »{4}.

    D’aucuns, peut-être pour résoudre ce problème de définition du mot « stylistique », affirment que la stylistique est une branche de la linguistique{5}.

    Malheureusement, cette théorie a ses limites car une approche purement linguistique de l’œuvre littéraire court le risque d’oublier que l’œuvre littéraire, qui est certes langage, est aussi et d’abord un art. L’on ne saurait donc réduire un texte littéraire à n’importe quel texte{6}.

    Précisément, la grande difficulté de définir le mot stylistique et la diversité des définitions nous a amené à employer le terme « critique », sans doute plus explicite.

    En même temps, si nous avons choisi le sous-titre « le texte et son style », c’est bien que malgré tout, les articles rassemblés ici relèvent au moins, en partie, de la « stylistique », ne serait ce que par l’importance que nous accordons à la « pratique » des textes{7}.

    Ces études, cependant, ne ressortissent pas tous strictement à cette méthode de lecture, il en est qui relèvent d’une démarche proche de la lexicologie littéraire{8}, d’autres pourraient sans doute s’apparenter à une critique de type thématique textuelle{9}, certains articles sont fortement inspirés par les recherches structurales de Riffaterre{10}.

    On aura compris que l’ensemble de ces études sont fondées sur l’idée que la littérature est à la fois un art et un langage et que l’étude du texte est le lieu privilégié pour saisir le sens ou du sens.

    LA PAROLE DANS L’HEPTAMÉRON DE MARGUERITE DE NAVARRE

    La parole, dans l’Heptaméron, a un rôle très important. Les personnages prennent véritablement forme dans le processus du discours, et ce de deux façons : par les commentaires qu’ils font dans les débats, et surtout par les propos qui se font entendre à l’intérieur du récit dans la plénitude de la fiction. La parole des conteurs, dans le récit, se distingue de celle des devisants, dans le débat, en ce qu’elle est plus libre car contrairement au débat, qui renvoie aux échos du monde de la réalité, le récit est ludique. Par conséquent, le discours de celui qui parle ici révèle beaucoup mieux le personnage qui est l’auteur de l’énoncé. Il permet de dépeindre la société du XVIe siècle et celle que forment les devisants dans leur rapport d’une part au désir et d’autre part au pouvoir.

    I. Parole et pouvoir

    Les personnages qui ont la possibilité de s’exprimer sont souvent ceux qui occupent un rang élevé. Ceux qui n’ont pas le droit de parler ou qui tout simplement se taisent, aussi bien à l’intérieur des nouvelles que dans le débat, sont de condition plus modeste{11}.

    Dans la neuvième nouvelle, Dagoucin raconte l’histoire d’un gentilhomme pauvre qui aime une jeune fille d’un niveau social supérieur au sien. Le jeune homme, qui ne peut épouser celle qu’il adore, finit par en mourir. Pendant longtemps, le gentilhomme a refusé de déclarer son amour à la jeune fille, autrement dit, il n’a pas parlé. Or, Dagoucin, dans le débat surtout et dans une certaine mesure aussi dans le récit, présente le silence du jeune homme comme la conséquence du caractère vertueux de celui-ci. Le mot « vertu » est d’ailleurs employé à plusieurs reprises{12}.

    Mais, en même temps, dans le récit, Dagoucin ne peut s’empêcher, en racontant, de dire que le gentilhomme, en réalité, cache son amour « a cause qu’il n’estoit de maison de mesme elle » (p. 45). Il meurt, parce que la parole lui est interdite. En effet, le jeune homme n’est pas l’aîné sa famille, Il n’a donc pas de biens. Sa pauvreté ne lui conférant aucun pouvoir, il ne peut avoir accès à la parole.

    Le récit exprime l’idée selon laquelle l’amour comme désir et comme principe de plaisir serait une force perturbatrice de l’ordre social s’il pouvait se réaliser. Si le jeune homme déclarait sa flamme, il tiendrait pour nulle la distance qui le sépare de celle qu’il aime ; par là même, il remettrait en cause les lois du groupe auquel il appartient. Il faut remarquer que Dagoucin insiste sur la notion d’honneur : « il eust mieulx aymé mourir que desirer une chose qui eust esté à son deshonneur »{13}.

    Dans cette société, avoir le sens de l’honneur, c’est avoir le sens des valeurs de sa caste. Précisément, le gentilhomme se tait car il ne veut pas remettre en question ces valeurs.

    La mort du gentilhomme consacre le triomphe de la parole de la caste au détriment de celle du désir. Mais, en même temps, cette mort a pour conséquence de contester la société hiérarchisée de l’époque. En effet, dans la mesure où le sort du jeune homme est perçu comme injuste, son amour devient une force perturbatrice de l’ordre social.

    Cette nouvelle est d’autant plus intéressante qu’elle conduit à s’interroger sur le rapport qui existe entre deux types de parole dans L’Heptaméron : celle des devisants et celle des conteurs.

    Il est probable que Dagoucin a cherché à exprimer dans son récit un sens différent de celui qu’il avait l’intention de formuler. Dagoucin est, de fait, un personnage qui refuse d’extérioriser son amour{14}. Dans la neuvième nouvelle, il souhaite essentiellement illustrer l’idée que le véritable amour doit être caché{15}. Pourtant, sans le vouloir, dans le récit, il montre surtout que la mort du jeune homme est due au respect d’une hiérarchie trop rigide. D’ailleurs, dans le débat de la neuvième nouvelle, Dagoucin, qui est encore sous l’emprise de sa parole de conteur, reconnaît que « parfaicte amour mene les gens à la mort, par trop estre celée et mescongneue » (p. 53). Par là, il exprime clairement l’idée que la mort du gentilhomme est une conséquence du silence de ce dernier, et non comme il le suggérait, dans le débat de la huitième nouvelle, le stade ultime d’un mutisme qui aurait été philosophiquement choisi par l’amant.

    Dagoucin est donc une personne double : dans le débat de la huitième nouvelle, il fait entendre la parole de l’être social. Le sens qui se dégage ici est que le véritable amour doit être tu. Dans le récit, surtout, et en partie aussi dans le débat, qui suit la neuvième nouvelle, c’est le conteur qui parle. L’histoire que le personnage raconte le mène beaucoup plus loin qu’il ne le souhaiterait. La seule logique est celle de la fiction. La parole se libère de la censure sociale pour devenir langage du désir. N’étant plus prisonnière, elle prend à partie la société qui apparaît comme inégalitaire.

    Cette inégalité est mise en évidence par la manière dont le dialogue des devisant s’organise. Il arrive, en effet, que certains personnages soient silencieux, alors que précisément, le sujet de la discussion les inciterait à s’exprimer.

    La huitième nouvelle conte l’histoire d’un mari qui, en voulant tromper sa femme, est en fait trompé par elle. Le débat porte sur le thème de la quête de l’amour par les hommes. Or, mis à part Longarine, qui intervient au début du débat, ce qui est naturel vu qu’elle est la narratrice, les autres femmes ne parlent pour ainsi dire pas. Il est d’ailleurs intéressant que même Longarine, après une dernière réponse à Hircan{16}, reste muette.

    À partir de là, seuls les hommes continuent à argumenter sur l’amour ; voici quels sont les personnages qui prennent la parole :

    Dagoucin/Simontault/Dagoucin/Hircan/Dagoucin/Simontault/Dagoucin/Geburon/Dagoucin.

    À aucun moment, les hommes n’invitent les personnes du sexe opposé à parler. Il est symptomatique que les hommes dissertent sur l’amour sans demander l’avis des femmes au moment même où elles sont au cœur du débat{17}. Or, cette inégalité entre les sexes est accentuée par le silence des femmes.

    Certes, à la fin du débat, Parlamente se mêle à la discussion{18}. Mais, elle ne donne son avis qu’à la fin du débat, sa réplique ne constitue pas un argument. Parlamente, en réalité, n’a pas participé au débat. De plus, l’intervention de ce personnage de haut rang exprime surtout l’idée que seuls ceux qui ont une place importante dans l’aristocratie ont droit au chapitre{19}.

    Que ce soit dans le débat ou à l’intérieur du récit, la parole est fréquemment, dans L’Heptaméron, le reflet d’un rapport de force dans la société. Mais, celui-ci est souvent caché, et surtout les personnages n’en sont pas toujours conscients.

    Le langage est précisément ce qui permet de le dévoiler, et ce malgré les contradictions que l’on peut relever entre le personnage en tant que conteur et le personnage en tant qu’il appartient à une caste.

    Ce conflit est aussi celui de Marguerite de Navarre. Celle-ci, au moment où elle est la reine de Navarre, fait entendre un discours qui est censuré par l’être social. Dans le débat, notamment, le caractère subversif des nouvelles est plus ou moins occulté. Au contraire, quand elle redevient un écrivain, Marguerite se laisse porter par les mots. La liberté du conteur conduit l’auteur à démasquer le réel.

    La parole, qui est le lieu de ce dévoilement, permet également au désir de se manifester.

    II. Parole et désir

    Souvent, dans le livre, la parole est liée au désir{20}.

    Elle peut exprimer l’amour de celui qui parle. Elle peut être le reflet, pour l’être aimé, de l’affection qu’on lui porte, elle peut être encore le moyen, pour l’homme ou la femme qui désire, de vaincre le cœur de la personne qui est l’objet de cette inclination.

    Dans la dixième nouvelle, l’auteur relate l’histoire d’un jeune homme, Amadour, d’un rang peu prestigieux, mais pourvu de nombreuses qualités, qui aime une dame qui fait partie de la famille royale : Floride. La différence de milieu, rendant l’union impossible, le gentilhomme renonce provisoirement au mariage, mais son désir est tel qu’il finit par déclarer son amour à Floride. On est frappé par l’insistance avec laquelle le narrateur souligne la maîtrise du jeune homme dans l’art du discours : « la parole la{21} suyvoit de si près que l’on ne sçavoit à qui donner l’honneur, ou à la grace, ou à la beaulté, ou au bien parler »{22}.

    Cette précision sur le personnage n’est pas gratuite. En effet, pendant longtemps, Amadour dissimule son amour pour Floride, mais c’est pour mieux la séduire plus tard grâce au discours. De fait, sa déclaration est très bien structurée. Dans un premier temps, Amadour s’adresse à s’« amye » pour créer un faux dialogue ; il dit « Ma dame » (p. 62). La première expression est destinée à instaurer un lien de familiarité comme celui qui existe entre frère et sœur. Puis, Amadour pose deux questions :

    1. doit-il parler ou mourir ? Mais, il se garde de donner des précisions sur le sujet de sa confession{23}

    2. ensuite, il demande à Floride de ne pas s’affliger de ce qu’il va lui dire :

    « Vous me promectrez doncques dist Amadour, que vous ne serez non seullement marrye des propos que je vous veulx dire, mais estonnée jusques à temps que vous entendiez ma fin ? » (p. 62).

    La seconde question ressemble, en fait, plutôt à une injonction{24} car elle est posée d’une manière telle que Floride ne peut que donner une réponse positive : « Dictes ce qu’il vous plaira » (p. 62).

    Dans un second temps, Amadour explique dans un monologue pourquoi il s’est tu. Son exposé est très bien construit : l’expression « pour deux raisons », qu’il emploie, montre qu’il a programmé sa déclaration{25}. Ensuite, Amadour décide de révéler son affection, mais il présente cet aveu comme justifié par la nécessité{26} et, en même temps, il a recours, pour renforcer son argumentation, à une comparaison qui a une fonction explicative : « (…) tout ainsy que la nécessité en une forte guerre contrainct faire le desgast de son propre bien ; et ruyner le bled en herbe, de paour que l’ennemy n’en puisse faire son proffict, ainsi prens-je le hazard de advancer le fruict que avec le temps j’esperois cueillir, pour garder que les ennemys de vous et de moy n’en peussent faire leur proffict à vostre dommaige »{27}.

    Amadour compare sa position par rapport à Floride à la situation de celui qui est contraint de détruire ses biens pour ne pas les faire tomber entre les mains de l’ennemi.

    L’habileté d’Amadour réside dans le fait de dire que son aveu n’est pas dû à sa passion pour Floride, mais à son intention de la préserver d’autrui. Amadour veut ici montrer à celle qu’il aime que c’est la morale qui l’oblige à se découvrir, et non l’amour.

    Mais, le gentilhomme ne contrôle pas entièrement ce qu’il dit. En effet, le « fruict » se rapporte à Floride. Amadour, par cette comparaison, se présente tel qu’il est : un homme fou d’amour. D’ailleurs, dans un troisième temps, il annonce son souhait de révéler quel est le péril qui l’a poussé à parler.

    Mais, en fait, il raconte comment, pendant cinq ans, il a procédé pour pouvoir se rapprocher de Floride. Là encore, le jeune homme ne peut s’empêcher d’exprimer la véhémence de son amour.

    Plus loin, il développe sa pensée et ce, en deux mouvements. Il écarte d’abord la possibilité d’interpréter négativement ce qu’il vient de dire (« je ne suys poinct de ceulx qui… », p. 63) ; par là même, il réfute une objection virtuelle. Puis, il définit le but de sa demande. Amadour veut devenir le serviteur de Floride, autrement dit, il aspire à être son parfait amant. Il procède selon les règles de la rhétorique : tout ce qu’il a exposé doit créer les conditions d’un bon accueil de la parole principale.

    Sa conclusion est brève et efficace :

    1. sa requête est juste.

    2. l’honneur et la conscience de Floride ne sont pas menacés. Celle-ci ne peut donc pas répondre par un refus.

    Cette déclaration d’amour est remarquable. En effet, malgré l’habileté d’Amadour, le désir est tellement violent qu’il ne peut qu’éclater au grand jour. La parole, qui devait cacher la frénésie de ce désir, est précisément ce qui le rend possible puisqu’il s’exprime à travers elle.

    L’amour, dans L’Heptaméron, est souvent le maître du discours à tel point que certains personnages, qui essaient de dissimuler les sentiments qui sont les leurs, à l’intérieur des récits racontés par les devisants, sont tout surpris, ensuite, de faire eux-mêmes l’aveu de leur désir.

    Dans la soixante-deuxième nouvelle, une demoiselle rapporte l’histoire d’une femme mariée ayant fait l’objet d’un viol. Or, à la fin du récit, la narratrice, qui n’a peut-être pas été indifférente au charme de celui qui a abusé d’elle, se trahit en confessant qu’elle a relaté sa propre aventure :

    « jamais femme ne fust si estonnée que moy, quant je me trouvay toute nue » (p. 378). Le désir plus ou moins inconscient de la jeune « damoyselle », dont le mari est un vieillard, a le dernier mot.

    En effet, ceux qui parlent ne contrôlent pas toujours leur parole, surtout lorsqu’ils sont mus par le désir. Pour surmonter cette difficulté, certains personnages déclarent leur amour de façon indirecte. C’est le cas dans la treizième nouvelle : un capitaine des galères s’est épris d’une dame à laquelle il n’ose dévoiler sa flamme. Pour tourner la difficulté, il décide de lui envoyer un diamant accompagné d’une épître. L’adresse du capitaine tient au fait qu’il donne la parole au discours (le parler) qui s’exprime à sa place :

    « Mon long celer, ma taciturnité

    Apporté m’a telle necessité,

    Que je ne puis trouver nul reconfort,

    Fors de parler ou de souffrir la mort

    Ce Parler-là auquel j’ay defendu

    De se monstrer à toi, a actendu

    De me veoir seul et de mon secours loing ;

    Et lors m’a dict qu’il estoit de besoing

    De le laisser aller s’esvertuer,

    De se monstrer ou bien de me tuer »{28}

    Le capitaine ici évoque le combat entre le « celer » et le « parler » qui a lieu en lui. Ce thème est courant dans les textes d’influence platonicienne. Le parler est le sujet de l’énonciation.

    Ce poème, par son style, permet à l’auteur de produire un jeu sur la parole qui est très intéressant. Le capitaine commence par faire entende la voix du parler :

    « Ce sot Parler, qui se monstre en absence,

    Qui trop estoit craintif en ta presence ;

    Disant : Mieulx vault, en me taisant, mourir,

    Que de vouloir ma vie secourir

    Pour ennuyer celle que j’aime tant » (p. 101).

    Plusieurs observations peuvent être faites : l’idée que le respect que l’homme doit à la dame est plus fort que son amour rappelle la courtoisie du Moyen Age. Par ailleurs, en donnant la parole au parler, le capitaine introduit une distance par rapport à la dame : ce n’est pas le capitaine qui déclare sa passion, mais le parler qui, en l’occurrence, est personnifié. Cette médiatisation permet au capitaine de dévoiler son amour à la dame, tout en faisant assumer la responsabilité de cet aveu à une autre personne (le parler).

    Ce gentilhomme n’est pas le seul dans L’Heptaméron à se demander s’il peut déclarer son amour à celle qu’il aime sans la froisser. En effet, le jeune homme de la neuvième nouvelle ainsi qu’Amadour doivent résoudre le même problème.

    Dans un second temps, le capitaine s’adresse au parler :

    « Que diras-tu ? O Parler trop hardy » (p. 101).

    L’intérêt de ce vers vient de ce que le capitaine, en qualifiant le parler d’« hardy », et en feignant d’ignorer le contenu du discours (« que diras-tu ») agit comme s’il n’était pas l’auteur des paroles prononcées.

    Le parler finit par avouer son amour à la dame :

    « (…) Craincte de te desplaire

    M’a faict longtemps, maulgré mon vouloir, taire

    Ma grande amour qui devant ton merite

    Et devant Dieu ne peult estre descrite » (p. 102)

    Le parler donne à son tour la parole au diamant :

    « O diamant, dy : Amant si m’envoye,

    Qui entreprend ceste doubteuse voye,

    Pour meriter, par ses œuvres et faictz,

    D’estre du rang des vertueux parfaictz ;

    À fin que ung jour il puisse avoir sa place

    Au desiré lieu de ta bonne grace »{29}

    Le capitaine, qui avait traité le parler de « sot », est à son tour jugé par le diamant. En

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