La fille de l'assistance
Par Nicole Parlange
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À propos de ce livre électronique
Mêlant chronique colorée de la fin des années 50 et récit de deux existences en devenir, ce roman à la fois dense et subtil impressionne par l'intensité émotive des événements qu'il relate. Comme dans la biographie de sa grand-mère « Madeleine ou la parole volée », Nicole Parlange fait entendre une nouvelle fois une voix oubliée.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Nicole Parlange vit en Touraine où elle anime des ateliers d'écriture. Elle a écrit une dizaine de romans policiers, tous édités chez Ex Aequo. Dans cette nouvelle histoire inspirée en partie de son enfance, elle mêle réalité et fiction au profit d'un suspens qui va crescendo jusqu'au surprenant dénouement.
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Avis sur La fille de l'assistance
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Aperçu du livre
La fille de l'assistance - Nicole Parlange
Nicole PARLANGE
La fille de l’assistance
Récit
ISBN : 979-10-388-0400-5
Collection : Blanche
ISSN : 2416-4259
Dépôt légal : septembre 2022
© couverture Ex Aequo
© 2022 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays Toute modification interdite
Éditions Ex Æquo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières Les Bains
www.editions-exaequo.com
« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. »
ANNIE ERNAUX
Le Jeune Homme
AVANT-PROPOS
Chère lectrice, cher lecteur,
En préambule à ce récit, voici quelques précisions nécessaires pour éclairer les règles qui ont régi la vie de Renée, la fille de l'Assistance, jusqu'à son arrivée dans la famille de Dorine, jusqu'à cette rencontre qui va percuter de plein fouet l'existence tranquille de la fillette, y laissant son empreinte indélébile...
La loi du 10 janvier 1849 crée l'Assistance Publique. C'est désormais un service de l'État déconcentré dans chaque département qui prend en charge toutes les actions en faveur de l'aide sociale et médicale de la population, dont les enfants abandonnés.
À partir de 1869, les services des enfants assistés doivent obligatoirement constituer un dossier individuel pour chaque pupille de l'État. Ces dossiers mentionnent l'état civil et la filiation de l'enfant ainsi que le suivi de celui-ci jusqu'à la fin de sa tutelle, c'est à dire ses différents placements, apprentissages, scolarisation et comportement général.
En 1956, l'ensemble des services chargés des enfants assistés prend le nom d'Aide Sociale à l'Enfance (ASE).
Sont désignés comme pupilles de l'État les mineurs confiés au service de l'ASE et dont l'autorité parentale est exercée par le préfet de département et éventuellement par un conseil de famille.
Il existe plusieurs cas pour lesquels un enfant peut devenir pupille de l'État :
- enfant de parents inconnus (enfant trouvé ou né sous X).
- enfant orphelin pour lequel aucun membre de la famille ne veut ou ne peut être le tuteur.
- enfant confié à l'ASE sur décision de l'un ou des deux parents, ou parce qu'ils ont fait l'objet d'un retrait total de leur autorité parentale.
- enfant pour lequel une décision judiciaire d'abandon a été prononcée.
Renée a été reconnue comme appartenant à cette dernière catégorie.
« Il était une fois une petite fille... »
Ainsi commence l'histoire que je vais vous raconter image par image.
Est-ce alors que cette formule magique garde tout son sens, point d'ancrage d'un traditionnel conte de fées, hors des frontières de l'Espace et du Temps ?
Est-ce plutôt que cette formule magique introduit le récit sans artifice de la vie d'une inconnue, de sa vie très ordinaire ?
Est-ce encore que cette formule magique permet de mêler fiction et réalité pour adoucir la vérité crue des faits ?
ZOOM AVANT
Au nord du Bassin parisien et de sa prestigieuse capitale célèbre à travers le monde entier, se situe l'Oise, département mal connu où un point rouge sur la carte Michelin numéro 305 indique l'emplacement de Beauvais, le chef-lieu qui s'étend le long des rives du Thérain.
À la fin de la guerre, la ville presque entièrement détruite par les bombardements et où tout est à reconstruire, bénéficie de la progression sans précédent qui marque le début de la société de consommation. Des constructions neuves s'élèvent à la place de celles qui ont été rasées, de nouveaux commerces apparaissent et fleurissent un peu partout, reflet de la prospérité qui depuis le début des « Trente Glorieuses {1}» a gagné tout le pays.
Cependant, comme une survivance nécessaire, comme un passage obligé entre tradition et modernité, certains bâtiments solidement implantés dans la cité depuis la fin du dix-neuvième siècle ont résisté et se dressent encore fièrement en son cœur.
Ainsi en va-t-il de l'École Normale d'Institutrices dont la solide et rassurante architecture témoigne de la volonté des dirigeants de la Troisième République de s'appuyer sur le Savoir et la Connaissance pour lutter contre les redoutables fléaux que sont l'Ignorance et l'Injustice.
Par cette nuit de novembre 1957 où la pleine lune disparaît derrière un voile de nuages, les fenêtres des deux étages supérieurs de la façade du vaste bâtiment principal restent éteintes. Il est environ 19 heures et les pensionnaires internes sont en train de dîner au réfectoire dans un silence pesant.
Pour les unes, après des retrouvailles trop brèves avec leurs familles, elles ont le cœur lourd.
Pour les autres, celles qui n'ont pas pu rentrer chez elles, après une longue journée de solitude où l'ennui chevillé au corps, elles ont déambulé dans des locaux tristement vides, elles ont l'âme en berne.
Toutes, comme chaque dimanche soir, redoutent l'interminable semaine qui s'annonce avec son lot de contraintes et d'angoisses.
Quand on y regarde de plus près, on aperçoit cependant au beau milieu de l'aile gauche de la bâtisse, quelques lueurs tremblotantes derrière un voilage léger. Très vite, ces lueurs vacillantes disparaissent elles aussi, absorbées par des volets qui se ferment, des volets qui grincent, des volets dont les battants à lames ne laissent plus entre-apercevoir qu'un dérisoire rai de lumière.
Mais si tout à coup, par une habile mise au point, on franchit vaillamment cette barrière de bois gris, apparaît alors en gros plan la première des deux héroïnes de notre histoire.
Il était une fois une petite fille...
***
LA VIE D'AVANT
DORINE 1
Il était une fois une petite fille...
Elle doit avoir neuf ans, oui, c'est bien ça, elle a neuf ans depuis le milieu de l'été. Fillette frêle et gracile, deux yeux bleus en amande éclairent son fin visage mais lorsqu'elle sourit, ses dents disparaissent derrière les bagues d'un horrible appareil qui occupe tout l'espace de sa bouche. Dommage car sans cette ferraille disgracieuse, elle serait plutôt jolie avec ses boucles brunes retenues par un bandeau grenat.
Elle se déshabille, se regarde dans le miroir, se prépare à prendre son bain. On est en novembre, il pleut sans arrêt depuis la veille et elle plonge avec délice dans l'eau fumante. Elle ne manquerait pour rien au monde ce moment d'abandon. Chaque matin elle se débarbouille au gant de toilette mais chaque dimanche soir, pour inaugurer de bonne façon la semaine à venir, elle prend un bain.
Le rituel ne varie jamais : sa mère ouvre d'abord le grand pot en verre posé sur le rebord de la baignoire, celui qui contient les berlingots Dop{2} bleus, rouges, violets, verts ou jaunes. En veux-tu, en voilà, c'est à Dorine de choisir la couleur ! Le shampoing mousse, mousse, mousse, elle en a plein les yeux, ça pique mais ça sent tellement bon... Puis sa mère rince ses cheveux à l'aide d'une carafe en forme de melon, toujours la même, qu'elle remplit d'eau autant de fois que nécessaire.
Restée de longues minutes la tête à la renverse, Dorine se plaint d'avoir mal au cou. Alors sa mère lui accorde un court répit avant de la savonner de la tête aux pieds. La fillette rêvasse encore un moment dans l'eau trouble qui tiédit doucement. Quand enfin elle se décide à sortir, le contact de ses pieds mouillés avec le carrelage froid la fait frissonner.
Sa mère la frotte vigoureusement avec une serviette un peu rêche avant d'enserrer ses cheveux trempés dans une sorte de turban. La fillette grelotte, elle enfile à la hâte pyjama et robe de chambre molletonnée en laine des Pyrénées. Puis elle court dans la cuisine, s'assoit sur sa chaise rose, celle de quand elle était petite, celle qui l'attend juste devant la porte ouverte du four allumé. Bien installée, Dorine dénoue d'un geste sûr son turban et sa longue chevelure à peine égouttée se répand d'un coup sur ses épaules. Elle reste là sans bouger, sent peu à peu la chaleur des flammes bleutées gagner sa nuque et son dos mais ça dure encore longtemps, très longtemps, avant que ses cheveux soient secs.
À dire vrai, elle s'en fiche. Elle écoute à la radio « Les Maîtres du Mystère », c'est son émission préférée. Son imagination vagabonde au gré des intrigues policières qui se jouent chaque dimanche soir, rien que pour elle. Ses parents sont ailleurs, elle est tranquille, jusqu'au moment où sa mère appelle :
— Dorine, à table !
Arrive alors le moment qu'elle attend avec impatience, celui qui par avance la comble de plaisir.
Sur la table en formica crème parsemé de points verts, trône un plat de coquillettes. Au-dessus des pâtes, un appétissant morceau de beurre bien jaune fond doucement et posée sur le devant de l'assiette, une tranche de jambon bien rose lui fait un clin d'œil. Le gruyère râpé à portée de main, c'est le repas le plus délicieux, le plus savoureux, le plus goûteux, le plus …, enfin le meilleur qui soit au monde !
DORINE 2
Tout émoustillée à l'idée des vacances qui approchent, Dorine se lève d'un bond. Pendant deux semaines, au diable cahiers et leçons, et surtout au diable la maîtresse ! Un jour charmante, le lendemain détestable, Madame Joumard change d'humeur comme de chemise. Tantôt elle parle d'une voix très douce, tantôt