Jean Mistral dit le Fou et la maison du docteur Guiaud
Par Evelyne Duret
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À propos de ce livre électronique
L'ouvrage raconte les péripéties de cette histoire et décrit les conditions de vie des pensionnaires de la maison dont les existences, pour la plupart obscures, furent marquées par la souffrance, la tristesse et l'ennui.
Le plus connu d'entre eux, fils d'un riche négociant de Saint-Rémy-de-Provence, s'appelait Jean Mistral. De dépression en manie et de manie en démence, il passa la plus grande partie de sa vie dans un asile d'aliénés. Interné en 1838 sur la volonté de son père, il fut au centre d'une affaire qui passionna l'opinion publique et la presse. Était-il réellement fou au moment de son admission à la maison Guiaud ? La question était encore débattue trente ans après la fermeture de l'asile au sein des tribunaux de Tarascon et d'Aix aussi bien qu'à la Chambre des députés et au ministère de l'Intérieur.
Evelyne Duret
Evelyne Duret est conservatrice honoraire du patrimoine. Elle a participé à la vie du musée d'histoire de Marseille, du Musée camarguais, près d'Arles, puis dirigé le musée des Alpilles à Saint-Rémy-de-Provence. Elle a récemment publié aux Presses universitaires de Provence "Un asile en Provence, la maison Saint-Paul à Saint-Rémy", ouvrage consacré à l'histoire de l'asile où Vincent van Gogh vécut une année.
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Aperçu du livre
Jean Mistral dit le Fou et la maison du docteur Guiaud - Evelyne Duret
Fig. 1 – Lieux principaux du récit.
Abréviations utilisées dans les notes et la table des illustrations :
ACM : archives communales de Marseille.
ADBDR : archives départementales des Bouches-du-Rhône.
AN : Archives nationales.
Ibid. : au même endroit que la référence précédente.
Op. cit. : référence citée intégralement plus haut.
Illustration de couverture : l’ancienne maison Guiaud devenue centre Notre-Dame-du-Roucas, chemin du Roucas-Blanc à Marseille. Photo de l’auteur, 2022.
TABLE
Prologue
Évasions et pérégrinations
Installation au Roucas-Blanc
Jacques Guiaud et l’asile public
« Une bonne pension bourgeoise pour les fous »
Du capitaine au jeune mousse : les pensionnaires du docteur Guiaud
Amour, argent, folie : les débuts de l’affaire Jean Mistral
L’affaire Jean Mistral, acte II
« Le temps, plus grand médecin que nous tous »
Le duo Gibert et Dor : déclin et fermeture
Conclusion
Sources et bibliographie
Table des illustrations
PROLOGUE
En 1838, au moment où le gouvernement du roi Louis-Philippe vote la première grande loi française relative aux aliénés (on désigne alors ainsi les malades mentaux¹), il existe à Marseille deux établissements chargés d’accueillir cette catégorie de malades : l’asile public, composé des deux sections de Saint-Lazare et de Saint-Joseph, et la maison de santé du docteur Guiaud.
Fondée dans les toutes premières années du XIXe siècle, la maison Guiaud n’était pas le premier asile privé marseillais. Alors que la cité ne disposait d’aucune structure destinée aux aliénés, un religieux, Antoine Garnier, avait en 1671 pris l’initiative d’en réunir chez lui quelques-uns auxquels la Ville, en échange d’une allocation, ajouta plus tard les fous vagabonds qu’elle faisait arrêter. La place venant à manquer, elle décida d’aménager l’ancienne léproserie. L’hôpital Saint-Lazare ouvrit ses portes le 30 janvier 1699 et l’abbé Garnier y conduisit les vingt-neuf malades, treize hommes et seize femmes, que lui avaient confiés les échevins. L’asile public de Marseille était né. En 1831, pour cause une nouvelle fois d’encombrement, l’établissement se délesta d’une partie de ses occupants, parmi lesquels les épileptiques et les idiots, sur l’hôpital Saint-Joseph qui devint en quelque sorte une succursale de Saint-Lazare. Enfin, en 1844, les trois-cent-soixante-et-un malades des deux lieux furent transférés dans un bâtiment construit à leur intention, l’asile Saint-Pierre, qui se révéla dès le départ trop étroit.
Évoluant à proximité et en relation avec un asile public ainsi atteint de surpopulation chronique, la maison Guiaud offrait à certaines familles aisées une alternative rassurante. Son histoire coïncide à peu de choses près avec la première moitié du XIXe siècle. Fondée par Étienne Guiaud peu après 1800, reprise vers 1820 par son fils Jacques, elle passa à la mort de celui-ci, en 1844, entre les mains du docteur Gibert qui la dirigea jusqu’à sa fermeture en 1852. L’asile déménagea plusieurs fois avant de se fixer sur un versant de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde, dans un quartier rural surplombant la Méditerranée, le quartier du Roucas-Blanc. Il porta le nom de l’un ou l’autre de ses responsables – selon les époques maison Guiaud, ou du docteur Guiaud, ou maison Gibert – ainsi que, lors de sa dernière et plus longue localisation, celui de maison du Roucas-Blanc.
Aucun des malades qui vécurent dans cet établissement (il n’en accueillit jamais beaucoup plus d’une cinquantaine) n’eut une notoriété comparable à celle de Vincent van Gogh, qui passa un an à l’asile Saint-Paul à Saint-Rémy-de-Provence, ou bien de Gérard de Nerval, Charles Gounod, Guy de Maupassant ou d’autres personnalités du monde des arts et des lettres soignés un temps dans celui du docteur Blanche à Paris. L’un des pensionnaires de la maison Guiaud fut cependant au centre d’une affaire qui passionna l’opinion et la presse pendant une partie du XIXe siècle. Il s’appelait Jean Mistral. Fils d’un riche et influent négociant de Saint-Rémy (aujourd’hui Saint-Rémy-de-Provence), François-Joseph Mistral, il fut interné en 1838, à l’âge de vingt-quatre ans, sur la volonté de son père. Jean était-il réellement fou au moment de son admission à la maison Guiaud ? Ou bien son enfermement avait-il pour simple objectif d’empêcher la poursuite de sa relation avec une Polonaise à la réputation douteuse ? Ces questions étaient encore débattues trente ans après la fermeture de l’établissement au sein des tribunaux de Tarascon et d’Aix aussi bien qu’à la Chambre des députés et au ministère de l’Intérieur.
Malgré cette affaire, la maison de santé créée par Étienne Guiaud n’a jamais suscité un grand intérêt. Son existence fut brève, sa renommée limitée et, contrairement à l’asile public de Marseille, les traces qu’elle a laissées sont peu nombreuses. En dehors du court chapitre que je lui ai consacré dans un article sur l’histoire des maisons de santé en Provence², les textes les plus longs dont elle a été l’objet sont les rapports rédigés pendant les dix dernières années de son activité par les inspecteurs départementaux des aliénés. Des évasions rocambolesques des débuts de l’établissement dans le centre de la ville à son embourgeoisement relatif sur les pentes alors sauvages de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde, puis à son déclin sous la direction de personnages peu motivés, j’ai voulu entrer plus avant dans l’histoire de cette petite maison des fous marseillaise et celle de ses relations avec un monde dont elle n’était, loin de là, pas coupée.
¹ Sous l’Ancien-Régime, on désignait les malades mentaux sous le nom d’« insensés ». Ce mot fut peu à peu remplacé par celui d’« aliénés », plus courant au XIXe siècle. La loi de 1838 est restée en vigueur jusqu’à son remplacement par celle du 27 juin 1990.
² Evelyne Duret « La folie en Provence. Les asiles privés pendant la première moitié du XIXe siècle », Annales du Midi, no 303, juillet-septembre 2018, p. 314-318.
ÉVASIONS ET PÉRÉGRINATIONS
Les moyens de lutte contre les troubles mentaux ont longtemps consisté en saignées, en purgations et en douches et bains chauds ou froids complétés par des remèdes naturels, sédatifs ou stimulants, tels que la valériane ou le quinquina. Les guérisons étaient rares et remarquées. Selon l’inspecteur des aliénés des Bouches-du-Rhône Antoine-Marius Sauze, c’est l’une d’elles qui détermina la spécialisation d’Étienne Guiaud dans le traitement de la folie et la fondation à Marseille de sa maison de santé. Nommé en 1842, Sauze introduit le premier rapport qu’il lui consacre par le récit de sa création :
Un hasard donna naissance à cet établissement. C’était en 1804 ; Mr Guiaud père exerçait en modeste praticien dans l’intérieur de la ville ; un de ses clients, riche négociant