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Z pour Zombies
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Livre électronique374 pages4 heures

Z pour Zombies

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À propos de ce livre électronique

Qu’est-ce qu’un zombie ? Un « paradoxe ambulant » précédé d’une odeur nauséabonde, selon certains ; un « héros culturel de l’ère néobaroque », selon d’autres. Parfois comique, le plus souvent terrifiant, cet être putride possède un insatiable appétit pour la chair fraîche et, occasionnellement, le sexe.

Le monstre a envahi depuis longtemps la culture populaire : cinéma, bande dessinée, télévision, littérature et jeux vidéo regorgent de sa répugnante présence, qui commence aussi à infester le monde universitaire. À preuve, ce livre où des spécialistes de diverses disciplines se penchent sur le phénomène des morts-vivants, et posent des hypothèses pour mieux comprendre leur incroyable vitalité dans la psyché collective.

Bernard Perron est professeur titulaire au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.
Antonio Dominguez Leiva et Samuel Archibald sont tous deux professeurs au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal.
LangueFrançais
Date de sortie18 févr. 2015
ISBN9782760633858
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    Aperçu du livre

    Z pour Zombies - Bernard Perron

    Introduction

    Bernard Perron, Antonio Dominguez Leiva et Samuel Archibald

    Les zombies, on le sait, se répandent comme de la vermine: ils marchent en masse et envahissent tout sur leur passage. Dans l’expression «Z for Zombies», leur nom prononcé en anglais avec l’accent tonique sur le «z» final contient une trace de cette capacité de contamination. Les bases du présent ouvrage ont été posées en juillet 2012 au cours de la première conférence internationale sur les zombies: Invasion Montréal. La majorité des communications sont rassemblées ici – notamment celles des conférenciers invités, Kyle William Bishop et Simon Niedenthal¹ – dans une perspective médiatique: on proposera d’abord une image culturelle du zombie, puis ses représentations dans différents domaines (littérature, cinéma, bande dessinée et jeu vidéo). Même si on parle et on écrit beaucoup au sujet des morts-vivants chez nos voisins du Sud, le milieu francophone universitaire est plutôt discret. La conférence Invasion Montréal s’est déroulée en anglais et en français, et il nous a semblé important, dans ce contexte, de traduire les exposés de nos collègues anglophones afin de favoriser la propagation d’études en français sur les zombies.

    Parlez-vous français? Un petit peu?

    Dans le film canadien Pontypool (2008) de Bruce McDonald, adapté par Tony Burgess à partir de son roman Pontypool Changes Everything, publié dix ans plus tôt, l’épidémie qui frappe la petite ville éponyme de l’Ontario et transforme ses habitants en déments s’attaquant à leurs semblables se propage par le langage. Certains mots semblent être infectés et diffuser la source de la contagion lorsqu’ils sont prononcés. Puisque le virus a gagné la langue, rien ne l’empêche de proliférer dans la réalité elle-même. Le cours des choses devient vite délicat et précaire dans la mesure où l’action se déroule dans une station de radio durant l’émission matinale pendant laquelle on souhaite précisément tenir la population informée. Comme si ce n’était pas suffisant, la situation s’envenime parce que seul l’anglais semble corrompre les esprits. Pour se sortir du pétrin, l’animateur radio et sa productrice doivent en dernier recours baragouiner le français².

    Cette variation sur le thème de l’apocalypse zombie selon la philosophie du langage demeure assurément une approche très originale du genre. De surcroît, elle souligne l’un des caractères spécifiques du mort-vivant, tout en constituant un remarquable exorde de notre ouvrage collectif. En effet, de la figure haïtienne asservie et muette à la créature romérienne qui gémit et grogne, c’est d’abord l’usage de la parole que le zombie perd en reprenant vie. À l’inverse, on n’a pas cessé au cours des dernières décennies de discourir du mort-vivant, lui qui a envahi toute la sphère médiatique. Bien qu’il ne soit par exemple jamais prononcé dans Pontypool, comparativement au roman où il en est question, le mot «zombie» aux racines elles-mêmes incertaines (Bétan et Colson, [2009] 2013: 4-5) a certes infecté la langue de Shakespeare, jusqu’à, qui l’aurait pensé, vicier un classique de la littérature avec Pride and Prejudice and Zombies de Jane Austen et Seth Grahame-Smith (2009). Si on parle beaucoup de zombies en anglais, on s’est par contre, à l’instar de l’animateur radio et de sa productrice, plutôt «barricadé» derrière la langue de Molière pour y échapper.

    De White Zombie (Victor Halperin, 1932) à Night of the Living Dead (George A. Romero, 1968), qui ont défini les deux grands types de morts-vivants, en passant par 28 Days Later (Danny Boyle, 2002), The Walking Dead (série bédéique de Robert Kirkman débutée en 2003 et adaptée à la télévision depuis 2010) et World War Z (Max Brooks, 2006; roman porté à l’écran en 2013 par Marc Foster), la figure du zombie s’est manifestée et se conçoit encore en anglais – comme bien d’autres figures populaires dirons-nous. Il y a bien eu la vogue des morts-vivants et cannibales du cinéma italien dans les années 1970 et 1980 (Slater [2002] 2006), avec les fameux zombies mangeurs de chair de Lucio Fulci (Zombie Flesh Eaters de 1979, également connu sous Zombi 2 et L’enfer des zombies en français). Mais cela en est sensiblement la seule expression importante en langue romane, et ce, malgré les origines haïtiennes du phénomène.

    Ainsi, dans le White Zombie de Halperin qui se déroule dans une plantation de l’ancienne colonie française, on entend quelques mots de créole à base lexicale française prononcés, au début, par le conducteur noir de la diligence qui, à la vue des morts-vivants, s’exclame en fouettant ses chevaux: «Zombies! Allez vite! Allez!» Ce même conducteur s’adresse aussi au futur marié en l’appelant «Monsieur», comme le fait avec un fort accent le maître des zombies joué par le célèbre Bela Lugosi. Pour donner suite à cette œuvre cinématographique fondatrice, ce ne sont que les principes vaudou que Halperin conserve dans Revolt of the Zombies (1936), déménageant l’action au Cambodge durant la Première Guerre mondiale et les jeux de pouvoir et d’envoûtement au sein de l’armée française. Auteur de Book of the Dead: The Complete History of Zombie Cinema, Jamie Russell relève les similarités entre cette révolte et celle mise en scène par Abel Gance dans sa version de 1937 de J’accuse. Seul survivant de son peloton ayant participé à la Première Guerre, le personnage principal invente un cristal plus résistant que l’acier. Lorsque l’armée détourne son invention qui se voulait pacifiste, il appelle alors les morts à se lever pour rappeler aux vivants les atrocités de la guerre. Russell note: «C’est une séquence saisissante qui est beaucoup redevable aux traditions du genre de l’horreur. La décision controversée de Gance d’utiliser de vrais membres de l’Union des gueules cassées, qui affichent leurs horribles blessures aux côtés des figurants maquillés, lui ajoute de la résonance» ([2005] 2008: 31, notre traduction). Récitée par un héros de la France, cette incantation est bien dite en français, mais alors que notre collègue Kyle Bishop, qui aborde dans son étude (2010: 85-86) l’histoire et la culture de l’ancienne colonie de la patrie de Napoléon Bonaparte, entend un dialecte et des chants français dans la scène centrale de I Walked with a Zombie (Jacques Tourneur, 1943), la vérité est que la population indigène de ce second film canonique des zombies haïtiens s’exprime dans un langage aux racines africaines qui reste, même pour nous, incompréhensible.

    Dans leur ouvrage de référence Zombies!, Julien Bétan et Raphaël Colson effectuent deux «interludes francophones» pour marquer l’apport français au phénomène, littéraire cette fois. D’abord, ils introduisent ce «qui n’est autre que le tout premier roman consacré à ce thème», à savoir Le Zombie de Francis de Miomandre de 1935. S’il faut nuancer cette affirmation en ajoutant qu’il s’agit du premier roman «moderne», car l’«historiette» Le Zombi du Grand Pérou ou La Comtesse de Cocagne de Pierre de Corneille Blessebois date de 1697 (disponible en ligne), les auteurs précisent lucidement: «Même si son origine française et sa faible diffusion rendent son influence sur le genre négligeable, Le Zombie est intéressant à plus d’un titre et explore une thématique difficile à traiter au cinéma: une partie du roman se passe dans la tête du zombie, qui, conscient mais impuissant, sent une force extérieur s’emparer de son corps» ([2009] 2013: 53).

    Après avoir mentionné le film Fantômas contre Fantômas de Robert Vernay, sorti en 1949 et qui met en scène un médecin transformant ses victimes en «zombies» pour les utiliser à ses fins, Bétan et Colson signalent l’existence d’un court roman de Pierre de Chamou, à la «frontière du récit d’aventure et du récit ethnographique» (p. 67): Au pays des morts-vivants (1949). Ils font ensuite rapidement référence à un autre livre, celui d’Henri Vernes, le créateur de Bob Morane (sous le pseudonyme de C.-H. Dewisme), Les Zombis ou le secret des morts-vivants (1957, réédité en 2005). Pourtant, il mérite qu’on s’y attarde, car dans une collection qui vise par des observations scientifiques à faire le bilan de phénomènes mystérieux et paranormaux, Vernes replace le zombi dans son contexte haïtien, nuance les propos de W. B. Seabrook dans son fameux L’île magique (1929), et étudie le culte de la mort, la sorcellerie vaudou et les problèmes de mort apparente pour mieux cerner le mort-vivant. On comprend enfin, par l’une de ses notes, la possible racine française du mot: «Les ombres, Zombre, Zomb’e, Zombi» (1957: 155). Beaucoup plus tard, accompagnant la révolution romérienne, Les Revenants de l’ombre de Jean-Pierre Andrevon (Néo, 1979) ranime une première fois le mort-vivant. Puis, après une autre longue disparition, le zombie revient dans les lettres françaises en syntonie avec les développements transmédiatiques de la figure au tournant du millénaire, comme en témoigne notamment Zombie, un horizon de cendres du même Andrevon (Le Belial, 2004), des romans tout récents comme Avant de disparaître de Xabi Molia (Seuil, 2011) et La nuit a dévoré le monde de Pit Agarmen (Robert Laffont, 2012), ainsi que la bande dessinée Zombies d’Olivier Peru et Sophian Colet (Soleil, premier tome en 2011).

    Le peu de vitalité fictionnelle française des morts-vivants se manifeste au cinéma par la production et la coproduction européenne de quelques films de série B tenant autant, sinon plus, de la sexploitation que du gore introduit par la charge virale du film de Romero. D’ailleurs, les Américains vont plutôt appeler ce type de films des ghoulies³ (voir Muller et Faris, 1996: 104-105). Travaillant alors en France, l’Espagnol Jesús Franco va réaliser en 1971 Christina, princesse de l’érotisme, film remonté plus d’une fois et connu sous différents titres, dont Zombie 4 et – le plus représentatif – Une vierge parmi les morts-vivants. Le sexe est explicite dans La fille à la fourrure de Claude Pierson de 1977 (aussi sorti sous Le délire des sens et, en anglais avec beaucoup moins de détours, sous Porno Zombies). Comme plusieurs autres hommes et femmes décédés, ladite fille à la fourrure de renard blanc est ramenée à la vie par des extra-terrestres fraîchement débarqués de la planète Eros pour pouvoir jouir de l’enveloppe corporelle humaine et procréer de nouveau. Puisqu’il s’agit davantage de montrer des scènes pornographiques entre vivants et zombies que de mettre en image les éléments de science-fiction et d’horreur de l’histoire, c’est d’une voix sans émotion (tout le contraire des ébats!) et venue d’outre-planète qu’on dévoile les bases de l’intrigue.

    Le réalisateur français Jean Rollin, qui a collaboré avec Franco (et même tourné de nouvelles images pour une version de la «vierge Christiana»), met en scène Les raisins de la mort (1978). Considéré comme l’un des premiers films gore français, mais peu vu en France (Tohill et Tombs, 1995: 157), c’est un vin local rempli de pesticide qui transforme les habitants d’un village en zombies. Dans La morte vivante (Rollin, 1982), à la mythologie somme toute vampirique, la fuite de déchets nucléaires remplace la pulvérisation de pesticide comme source de la contamination. Pierre B. Reinhard a réalisé en La Revanche des mortes vivantes une suite à ce film en 1987; en mélangeant le cannibalisme au vampirisme, au satanisme et aux tropes du gothique plus qu’au pornographique, on fait également référence à La nuit de la mort de Raphaël Delpard (1980). Bien qu’il soit crédité sous le pseudonyme de J. A. Laser, Rollin réalise son œuvre zombiesque la plus fameuse avec Le lac des morts vivants (1980, scénarisé par Franco) dans lequel des soldats nazis tués durant l’Occupation et dont les corps ont été jetés dans un lac maudit sont ranimés par de jeunes baigneuses nues et reviennent s’en prendre au village. L’un d’eux va toutefois reconnaître la photo de l’amante française décédée, remettre à la fillette née de cette relation le médaillon que portait jadis sa mère, défendre sa progéniture de l’attaque de ses congénères et même périr avec les siens à cause de son amour pour celle-ci. Les nazis sortent cette fois de la terre d’un désert dans L’Abîme des morts vivants de Franco (1981), aussi connu sous le titre Bloodsucking Nazi Zombies. Et la figure s’éclipse⁴.

    Les morts-vivants de l’Hexagone reviennent à la charge au début des années 2000 par l’entremise d’Orgie en noir (2000), un film porno dans lequel une horde d’esclaves sexuels zombies hantant un cimetière sous la gouverne d’une reine s’en prennent à un couple qui s’y est aventuré, et par le passage de sa réalisatrice-actrice, à une émission de télé diffusée à une heure de grande d’écoute⁵. Mais la fin de cette décennie et le début de la suivante sont ponctués par la sortie de plusieurs films qui respectent les canons de l’invasion posés par Night of the Living Dead, à savoir Mutants écrit et réalisé par David Morley (2009), La Horde de Yannick Dahan et Benjamin Roche (2010), La Meute de Franck Richard (2010) et, à fort petit budget, Dead Line de David Aboucaya (2012).

    Cependant, l’œuvre française contemporaine à la fois la plus marquante et la plus originale demeure Les Revenants, écrit et réalisé par Robin Campillo en 2004. L’horreur fait place au drame et la métaphore du deuil remplace celle de la mort elle-même, alors que 70 millions de personnes, la plupart âgées, sortent des cimetières, non pas en cadavres à moitié décomposés, mais sous la même apparence qu’au moment où elles ont été enterrées. En portant plus particulièrement un regard sur un petit garçon, un jeune amoureux ainsi qu’une vieille femme, épouse du maire de la commune, le film aborde tous les problèmes que posent ces revenants dont les motivations restent obscures. L’idée de Campillo a été développée et adaptée pour la télévision en 2012, et une seconde saison est en préparation au moment où nous écrivons ces lignes. La série a connu un grand succès international, à tel point que, dans son numéro spécial «The A-Z of Zombies» (no 62, octobre 2013), la revue anglaise SFX consacre son «F for French» aux Revenants version télévisée.

    Dans le registre comique, le film de Vincent Paronnaud Villemolle 81 (2009) fait de la pandémie zombie, après la chute d’un météore dans le village homonyme, le prétexte à une satire vitriolée d’une France profonde à la Groland. Toujours du côté satirique, Goal of the Dead de Thierry Poiraud et Benjamin Rocher (2014) s’amuse à transformer en cauchemar le retour d’un joueur de foot dans son patelin d’origine, et Eject (Jean-Marc Vincent, 2013) parodie le film (REC). Enfin, n’oublions pas que c’est dans le neuvième épisode de la première saison des Têtes à claques, clips humoristiques avec des personnages dont seuls les yeux et la bouche sont animés, que les zombies ont envahi tout le Québec en octobre 2012.

    Écrivez-vous en français?

    Autant le phénomène zombiesque demeure un fait anglophone, autant les études du mort-vivant ont pour la plupart été écrites dans la langue de Shakespeare. Si le livre The Zombies that Ate Pittsburgh: the Films of George A. Romero de Paul R. Gagne était unique en 1987, la publication d’ouvrages a littéralement explosé depuis le début des années 2000. D’autres histoires et guides sont apparus après The Zombie Movie Encyclopedia de Peter Dendle ([2001] 2011), tels que Book of the Dead: The Complete History of Zombie Cinema ([2005] 2008), Zombie Movies: the Ultimate Guide de Glenn Ray (2008), Zombies: The Complete Guide to the World of the Living Dead de Zachary Graves (2010), Zombies! An Illustrated History of the Undead de Jovanka Vuckovic (2011) et The Zombie Film: From White Zombie to World War Z d’Alain Silver et James Ursini (2014). Les guides de survie à une apocalypse zombie se sont multipliés depuis Zombie Survival Guide: Complete Protection from the Living Dead de Max Brooks en 2003. Kim Paffenroth s’est intéressé aux films de Romero en 2006 avec Gospel of the Living Dead: George Romero’s Visions of Hell on Earth et Yuen Wayne a dirigé en 2012 un collectif sur la série de bandes dessinées de Robert Kirkman: The Walking Dead and Philosophy: Zombie Apocalypse Now. Enfin, nos collaborateurs américains ont publié deux ouvrages particulièrement dignes de mention. Il s’agit de Zombie Culture: Autopsies of the Living Dead sous la direction de Shawn McIntosh et Marc Leverette en 2008 et American Zombie Gothic: The Rise and Fall (and Rise) of the Walking Dead in Popular Culture de Kyle William Bishop en 2010.

    L’invasion est certes plus contenue en français, mais, comme le phénomène est inéluctable, elle progresse toujours. À preuve, le «Québec, Canada» fait bel et bien partie de lieux visités par le représentant de l’ONU dans World War Z: an Oral History of the Zombie War (Brooks, [2006] 2007: 309-314) qui vient recueillir le témoignage d’un Français venu s’installer dans une ferme de la province «après l’arrêt officiel des hostilités en Europe de l’Est». Dans Politique des zombies: l’Amérique selon George A. Romero dirigé en 2007 par Jean-Baptiste Thoret, les films de Romero et leur réception sont soigneusement commentés et analysés. Frank Lafond a aussi dirigé un ouvrage consacré au père du zombie moderne: George A. Romero, un cinéma crépusculaire (2008). Julien Bétan et Raphaël Colson s’attaquent à l’ensemble des formes zombiesques dans Zombies! ([2009] 2013), un ouvrage de référence abondamment illustré, tandis que le philosophe Pierre Cassou-Nouguès se sert du sujet pour discourir sur «l’expérience de soi et l’être du corps» (2010: 26) dans Mon zombie et moi. La philosophie comme fiction. Maxime Coulombe propose sans détour une Petite philosophie du zombie (2012) et Vincent Paris s’engage dans une étude sociale avec Zombies: sociologie des morts-vivants (2013). Amélie Pépin vulgarise l’évolution de la figure dans Zombie. Le mort-vivant autopsié (2013) et Antonio Dominguez Leiva esquisse brièvement, avec Invasion Zombie (2013), les grandes parties du territoire zombiesque contemporain, tout comme le fait l’ouvrage collectif dirigé par Vincent Paris, Angles morts. Différents regards sur le zombie (2014). À cette somme de réflexion et d’analyses, le présent ouvrage, avec les treize textes qui le composent, entend apporter une contribution originale, en explorant notamment diverses zones intellectuelles et culturelles déjà envahies par les morts-vivants⁶.

    D’emblée, Vincent Brault montre, avec une ironie exquise, la nature (in)signifiante de l’exercice. D’un point de vue philosophique, il se demande moins «qu’est-ce qu’un zombie?» que «qu’est-ce qu’être un zombie?». La perspective de Kyle William Bishop est quant à elle multidisciplinaire. Il relate d’abord, en suivant les propositions de Pontypool, comment le mot «zombie» a tout récemment fini par proliférer dans la réalité elle-même et bien au-delà de la culture, et dresse une typologie du mort-vivant des origines à aujourd’hui afin de retracer comment ce dernier en est venu à infecter le sérieux domaine des études universitaires. Shawn McIntosh poursuit cette réflexion en faisant judicieusement remarquer que ce sont les humains qui consomment le plus voracement les zombies, et non l’inverse. En proposant une typologie des biens et des pratiques reliés au phénomène, il présente les multiples voies par lesquelles le zombie a été intégré à la marchandisation dans la culture populaire occidentale, notamment par les productions culturelles réalisées par les fans. En exposant, au sens plus figuré, toute la richesse de ce sujet au sein de l’iconosphère contemporaine, Antonio Dominguez Leila dresse le portrait d’un zombie néobaroque, à la fois excessif, excentrique, frénétique, répétitif, chaotique, dystopique, mais non moins jouissif. Cette volupté est abordée de front par Sarah Cleary qui applique les théories de Mikhaïl Bakhtine au sujet de l’esthétique du grotesque et de l’espace carnavalesque à Return of the Living Dead (Dan O’Bannon, 1985), Dead Alive (Peter Jackson, 1992), Cemetery Man (Dellamorte Dellamar, 1994) et la série télévisée The Walking Dead (AMC, depuis 2010). Elle expose ici les tabous de la sexualité que les morts-vivants révèlent et montre à quel point l’appétit pour la chair est le plus souvent métaphorique pour d’évoquer la perversion sexuelle et l’envie charnelle. Katharine Streip médite de son côté sur des questions d’intériorité, à la lumière, entre autres, de Night of the Living Dead (George A. Romero, 1968), Shaun of the Dead (Edgar Wright, 2004), Warm Bodies (Jonathan Levine, 2013) et du roman Zone One (Colson Whitehead, 2012). Son étude de la nostalgie par l’entremise du rôle qu’opèrent dans la fiction les photographies d’humains, êtres chers et aimés, morts et revenus à la «vie», est très touchante.

    C’est en se penchant sur le roman-feuilleton de l’écrivain haïtien Gary Victor, Le Revenant, saison 1, La vengeance (2007), que Lucy Swanson met en évidence l’importance de l’environnement de la ville dans l’œuvre et analyse le rôle du zombie comme marqueur de l’haïtianité dans un contexte urbain transnational. Jérôme-Olivier Allard s’intéresse plutôt au mort-vivant qui prend la rue en réclamant une légitimité que les vivants refusent de lui accorder. Il examine la dimension narrative de Land of the Dead (Romero, 2005), Fido (Andrew Currie, 2006) ainsi que du roman Breathers: a Zombie’s Lament (Scott G. Browne, 2009) pour exposer la manière dont celui qui est considéré comme esclave ou citoyen de troisième classe réclamant un droit de cité est transfiguré par un processus de (ré)humanisation. Claudia Boutin recentre le propos sur l’infection. Dans le cadre d’une analyse de 28 Days Later (Danny Boyle, 2002), elle rend perceptibles les résonances du gothique de la fin du siècle dernier au sein de la tradition zombie. En appliquant le concept d’abhumain de Kelly Hurley, elle étudie la dynamique entre le corps, la vitesse et le mouvement, inférant l’importance du raccord cinématographique dans la définition même du mort-vivant comme créature interstitielle et liminale. Pierre Chemartin et Bernard Perron se penchent tous deux sur la bande dessinée. Le premier recense les comic books des années 1950, en montrant qu’il était plus juste à l’époque de parler de revenant que de zombie. Les premières exagérations et les excès de violence de cette figure graphique revenue à la vie de manière involontaire, pour mieux se venger ou pour hanter un lieu, s’insèrent finalement dans des récits qui n’en demeurent pas moins extrêmement moraux. Le second tourne son regard vers les comic books des années 2000. Formel dans son approche, Perron explique pourquoi le neuvième art, par le récit, la mise en cadre des images, le découpage de l’action et l’expression graphique du mouvement, constitue un médium idéal pour dépeindre le zombie. Pour conclure, Frédérick Maheux et Simon Niedenthal explorent les jeux vidéo. Maheux aborde le territoire de l’invasion vidéoludique dans Resident Evil (Capcom, 1996) à Dead Island (Techland, 2011). Il prend comme modèle la théorie du lisse et du strié, élaborée par Deleuze et Guattari, pour distinguer les différents types de jouabilité découlant des conceptions spatiales de ces jeux. Niedenthal s’appuie quant à lui sur l’anthropologie, la psychologie des sens, la littérature et la ludologie afin de spéculer sur l’apport potentiel du zombie dans le développement d’une industrie du jeu vidéo plus axée sur les sens, particulièrement sur l’olfaction. Car de toute évidence, le mort-vivant reste un sujet très (mal)odorant.

    La dimension collective de la réflexion nous appert à tout prendre pertinente et même évidente. Comme le soulignait Marco Lanzagorta lors du 40e anniversaire du film canonique de Romero, «sans aucun doute, le pouvoir de Night of the Living Dead [et des morts-vivants en général] réside dans son ambiguïté interprétative, qui nous permet de considérer le film par rapport à une variété de cadres: sociaux, culturels, politiques, idéologiques, philosophiques, psychologiques et théologiques. À cet égard, la bonhomie de Romero a transformé un conte simple de zombies mangeurs de chair en une vitrine complexe de lectures universitaires et idéologiques» (2008, notre traduction). Qui plus est, comme

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