Lettres sur le Canada: Etude sociale et pamphlet contre l'ignorance du peuple et la domination cléricale dans le Canada du 19ème siècle
Par Arthur Buies
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À propos de ce livre électronique
Arthur Buies
Arthur Buies (Montréal, 24 janvier 1840 - Québec, 26 janvier 1901) est un journaliste et essayiste canadien-français. Après s'être longuement opposé au clergé catholique, il s'est rallié à la cause de la colonisation du curé Labelle.
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Aperçu du livre
Lettres sur le Canada - Arthur Buies
Il y a un siècle cette année, Arthur Buies faisait son entrée dans notre petit monde littéraire en publiant ses Lettres sur le Canada, mélange d’étude sociale et de pamphlet contre l’ignorance du peuple et la domination cléricale. Il destinait l’opuscule à des lecteurs de France, mais comme il ne trouva aucun débouché là-bas, il le distribua dans sa province natale. Les deux cents exemplaires furent achetés par les anticléricaux du temps ou détruits par les Jésuites. Dans la pensée de son auteur âgé de vingt-quatre ans, cette charge incendiaire devait déclencher la révolution. Mais l’œuvre resta généralement inconnue et ne produisit aucune déflagration.
Marcel A. Gagnon
Sommaire
Première lettre
Deuxième lettre
Troisième lettre
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Première lettre
Langevin à d’Hautefeuille.
Québec, 1er octobre 1864.
Enfin, mon cher ami, je suis arrivé sur cette terre du Canada dans cette patrie des héros ignorés, qui, pendant cent ans, ont lutté contre les forces réunies de l’Angleterre et de ses colonies américaines. J’ai vu les enfants de la France, je suis au milieu d’eux, je leur parle ; et ce que je vois, ce que j’étudie, ce que j’entends, je vais vous en faire le récit.
Si l’appréciation exacte et raisonnée des choses doit diminuer l’enthousiasme de nos souvenirs communs, du moins, nous trouverons une ample compensation dans les connaissances nouvelles que nous aurons acquises, et dans le plaisir secret de voir les illusions mêmes sacrifiées à l’ascendant de l’observation et de la vérité.
L’histoire ne donne pas le détail des mœurs intimes ; elle ébauche à grands traits la vie des peuples ; elle raconte leurs luttes, leurs souffrances, leurs triomphes : elle déroule leur histoire politique, leurs phases successives de gouvernement et de condition sociale. Mais entraînée par ce vaste tableau des choses extérieures et frappantes, elle oublie souvent ce qui éclaire et ce qui touche vraiment le lecteur, c’est-à-dire les aspirations et les pensées secrètes du peuple. Toutes les histoires se ressemblent, de même que toutes les villes ont des rues et des maisons. Tous les peuples naissent, puis s’éteignent d’après les mêmes lois, et presque toujours d’après le même ordre de faits ; et jusqu’à ce que la guerre ait disparu du code des nations, que la politique soit devenue l’art de rendre les hommes heureux et unis, au lieu de les asservir à l’ambition de leurs chefs, nous aurons éternellement le même spectacle de calamités, de haines fratricides, de nations détruites les unes par les autres, et de préjugés étouffant les plus simples notions d’humanité et de justice. Les hommes n’ont pas encore appris à s’aimer, malgré la grande parole du Christ.
Toutes les mauvaises passions ont continué d’être les idoles auxquelles la raison et le sentiment viennent tour-à-tour sacrifier : l’égoïsme a poussé à la fausse gloire, et il n’est presque pas de héros d’un peuple qui ne soient en même temps les bourreaux d’un autre. C’est ainsi que tous les grands noms de rois, de conquérants, ont reçu le baptême du sang. C’est-à-dire qu’ils ont été les persécuteurs de l’humanité qui leur élève des autels.
Faut-il donc dire que la morale, avec laquelle on a toujours essayé de mettre un frein aux crimes des sociétés et de ceux qui les gouvernent, ne suffit pas seule à rendre les peuples justes ; que tout en enseignant les grandes vérités, elle ne renferme pas en elle des motifs assez puissants pour en forcer l’exécution, et qu’il faille que le progrès de la raison vienne éclairer les hommes sur leurs véritables intérêts pour les contraindre à pratiquer enfin ce qu’ils admettent depuis des siècles ?
Quels sont ces intérêts ? les sciences nouvelles, l’industrie, l’économie politique sont venues les apprendre ; et de cette alliance de la raison éclairée avec les principes de l’éternelle justice naîtront sans doute le progrès et le bonheur de l’humanité. Eh quoi ! ce résultat n’est-il pas déjà en grande partie obtenu ? L’esprit de conquête ne le cède-t-il pas tous les jours à l’esprit nouveau qu’a rendu tous les peuples pour ainsi dire solidaires les uns des autres ? La guerre qui est la force armée pour un droit contre un autre droit ne recule-t-elle pas incessamment devant la science qui donne une patrie commune à tous les hommes ? Et lorsqu’il faut aujourd’hui en appeler aux armes, toutes les nations éclairées ne le font-elles pas au nom d’un principe civilisateur, d’un principe de justice, tantôt pour la nationalité, tantôt pour l’indépendance, tantôt pour l’exercice des droits imprescriptibles donnés à l’homme et arrachés aux peuples par l’ambition des despotes ?
Consolons-nous donc des maux qu’a soufferts l’humanité pendant quarante siècles, en songeant à l’ère éternelle de bonheur et de lumières qui s’ouvre maintenant devant elle. La principale cause de toutes les calamités humaines, c’est l’ignorance ; mais