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Mémoires de Robert-Macaire
Mémoires de Robert-Macaire
Mémoires de Robert-Macaire
Livre électronique331 pages4 heures

Mémoires de Robert-Macaire

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À propos de ce livre électronique

"Mémoires de Robert-Macaire", de Louis-François Raban. Publié par Good Press. Good Press publie un large éventail d'ouvrages, où sont inclus tous les genres littéraires. Les choix éditoriaux des éditions Good Press ne se limitent pas aux grands classiques, à la fiction et à la non-fiction littéraire. Ils englobent également les trésors, oubliés ou à découvrir, de la littérature mondiale. Nous publions les livres qu'il faut avoir lu. Chaque ouvrage publié par Good Press a été édité et mis en forme avec soin, afin d'optimiser le confort de lecture, sur liseuse ou tablette. Notre mission est d'élaborer des e-books faciles à utiliser, accessibles au plus grand nombre, dans un format numérique de qualité supérieure.
LangueFrançais
ÉditeurGood Press
Date de sortie20 mai 2021
ISBN4064066319557
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    Mémoires de Robert-Macaire - Louis-François Raban

    Louis-François Raban

    Mémoires de Robert-Macaire

    Publié par Good Press, 2022

    goodpress@okpublishing.info

    EAN 4064066319557

    Table des matières

    CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

    I MES CONFESSIONS

    II FUITE

    III DÉSIR DE FILLE.–LA VIERGE ET LE FAISEUR DE MIRACLES

    IV COMMENT FINIT L’AMOUR

    V DEUX PAS EN AVANT

    VI SERVICE D’AMI

    VII PROJETS DE FORTUNE.–PIÉTÉ FILIALE

    VIII UNE VISITE AU TRÉSOR NATIONAL.–LE MORT ET LE VIVANT

    IX VOYAGE D’AGRÉMENT.–UNE SÉANCE DE PRESTIDIGITATION

    X OPÉRATIONS COMMERCIALES

    XI L’ÉVASION

    XII CONQUÊTES

    XIII RAPT.–BON CHIEN CHASSE DE RACE

    XIV LE BIEN DES PAUVRES

    XV LA JUSTICE ET LES JUGES

    XVI TORTURES–RETOUR DE FORTUNE

    XVII LA REVANCHE

    XVIII UN MAIRE

    I L’AUBERGE DES ADRETS

    II L’ASSASSINAT

    III RETOUR DE JEUNESSE

    IV PRÉSENTATION

    v RETOUR EN NORMANDIE

    VI UN GRAND VICAIRE

    VII L’ÉVÊQUE IN PARTIBUS

    VIII UNE APPARITION

    IX UN GRAND HOMME IMPROVISÉ

    X LES MINES DE NORWÈGE

    XI CE QUE C’EST QU’UN FINANCIER

    XII UNE ASSEMBLÉE D’ACTIONNAIRES

    XIII DERNIER JOUR DE PROSPÉRITÉ

    XIV IL M’EST RENDU–PAUVRETÉ–FIN PROCHAINE

    PREMIÈRE PARTIE

    CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

    Table des matières

    Dans une des plus modestes chambres d’un hôtel garni situé près du Palais-Royal, gisait, sur un lit de fort maigre apparence, un homme qu’une longue et grave maladie avait presque réduit à l’état de squelette; cependant on pouvait voir encore qu’il avait été fortement constitué: son front ridé, large et proéminent, ses yeux noirs, dont le mal n’avait pu éteindre le feu, la mobilité des traits de son visage, tout en lui annonçait une intelligence peu commune.

    On ne savait pas au juste qui était cet homme, connu seulement du maître de la maison sous le nom du chevalier de Macaire. Néanmoins on disait dans le quartier qu’il avait été l’un des grands de la terre; on prétendait qu’il avait possédé des millions; certaines gens assuraient l’avoir vu autrefois parcourir Paris dans un équipage resplendissant; d’autres disaient qu’il avait été ministre, ambassadeur; d’autres encore prétendaient que ce n’était autre chose qu’un agent de change ruiné; mais cette dernière opinion n’avait pas beaucoup de partisans. Qu’un agent de change ruine les gens, objectaient les fortes têtes du commérage, à la bonne heure; mais se ruiner lui-même, cela est impossible: le temps lui manquerait.

    –Quoi qu’il en soit, disait M. Dumont, propriétaire de l’hôtel, personne ici n’a encore vu la couleur de son argent. Dans les premiers temps, il ne nous parlait que de ses terres, de ses châteaux; puis il nous parla de ses procès, qu’il devait toujours gagner la semaine suivante; puis enfin il s’avisa de tomber malade, et je crains bien que nous n’en soyons encore pour les frais d’enterrement, par-dessus le marché; car ce grand monsieur sec et blême, son ami intime, qui vient le voir, ne m’a pas l’air d’être beaucoup mieux dans ses affaires.

    –Monsieur, dit en ce moment un jeune homme qui venait d’entrer, le malade du no25vous demande.

    –Ah! diable! s’il pouvait avoir reçu de l’argent.

    Et voilà M. Dumont s’élançant dans l’escalier et franchissant les marches quatre à quatre, jusqu’au quatrième où était situé le no25. Il entre, s’approche du lit où gît le moribond.

    –Hé bien! mon cher monsieur, comment cela va-t-il? Avons-nous enfin de bonnes nouvelles?

    –Je vais vous en apprendre une qui ne vous affligera pas beaucoup, répondit le malade; c’est que je vais quitter votre maison,

    –Ah! Ah!..... est-ce que nous aurions gagné ces fameux procès?…

    –Pas précisément; mais, en revanche, ma gastrite est sur le point de gagner le sien; je ne crois pas avoir vingt-quatre heures à vivre.

    Le visage de M. Dumont s’allongea considérablement; il fut pendant plusieurs secondes sans pouvoir parler; puis il marmotta entre ses dents:

    –Quand je disais que nous en serions encore pour les frais d’enterrement.

    –En conséquence, continua le malade, je voulais vous prier de faire venir un notaire, afin que je fasse mon testament. cela n’est pas sans intérêt pour vous, monsieur Dumont.

    Ces dernières paroles produisirent un merveilleux effet sur le maître de l’hôtel; son front se dérida; il balbutia quelques lieux communs de condoléance, et sortit précipitamment pour accomplir la mission dont il était chargé. Lorsqu’il revint, accompagné du notaire, un homme grand, pâle et maigre, était au chevet du malade.

    –Tu es arrivé à temps, mon ami, disait ce dernier, pour être témoin de l’acte le plus important de ma vie; je vais faire mon testament.

    L’autre fit un mouvement de surprise, dont le moribond ne parut pas s’apercevoir, et faisant tous ses efforts pour se tourner vers le notaire, prêt à écrire sous sa dictée, il dit:

    «Je lègue mon âme à Dieu, et je le prie, en cas de métempsycose, de lui choisir un logement aussi solide que celui qu’elle va bientôt quitter cette lame de première trempe étant capable d’user plus d’un fourreau.

    Je donne mon crâne aux phrénologistes, persuadé que ces messieurs ne manqueront pas d’y trouver les protubérances de toutes les vertus positives et négatives.

    Intimement convaincu que notre code pénal est éminemment absurde, contraire à la liberté individuelle et aux progrès de l’industrie, je lègue vingt mille francs à l’auteur du meilleur projet de réforme de cette œuvre inepte et attentatoire aux droits de l’homme.

    Je lègue à l’Académie des sciences une somme de trois mille francs, destinée à être donnée en prix à l’auteur du meilleur Mémoire sur cette question: De l’influence de l’estomac sur la moralité des hommes en général, et les grandes destinées de quelques-un; c’est là une haute question de physiologie trop négligée jus-qu’ici. Les moralistes qui s’occupent tant du cœur de l’homme, ne s’occupent pas assez de son estomac; et, cependant, il est certain que les actions les plus grandes, comme les plus monstrueuses, sont dues bien plus à l’estomac qu’au cœur; donc, il serait bon, avant de vouloir réformer le monde, de savoir s’il est possible de réformer l’estomac.

    Les bureaux de charité étant une excellente insti-tution, destinée à engraisser quelques riches aux dépens d’un grand nombre de pauvres, je donne aux administrateurs de ces utiles établissements, je leur donne, dis-je, en toute propriété… le conseil de marcher sur mes traces avec un peu moins d’ardeur qu’ils ne le font.

    Quant aux pauvres, les biens de ce monde ne pouvant que leur être funestes, accoutumés qu’ils sont à se passer de tout, je leur donne. ma bénédiction.

    Toi, Bertrand, mon vieil ami, toi, dont la fidélité et le désintéressement me sont bien connus, je te fais mon légataire universel et mon exécuteur testamentaire. En conséquence, tu paieras mes dettes, et tu délivreras les legs que le monde avait le droit d’attendre de ma philanthropie.

    Quant à vous, monsieur le notaire, en témoignage de mon estime particulière, et de celle que je professe en général pour tout fonctionnaire public, je vous lègue l’honneur d’attacher votre nom au testament de Robert Macaire!!!»

    A ces mots, il se fit parmi les assistants une sorte de mouvement qu’il serait impossible de décrire: le maître de la maison fit un bond en arrière comme s’il eût marché sur un serpent; le médecin, qui était arrivé depuis quelques instants, se leva subitement pour contempler cet homme fameux, comme s’il eût dû trouver sur sa physionomie quelque chose de surnaturel; la plume avait échappé aux mains du notaire. Pour Bertrand (car cet homme sec et blême, dont il a été parlé plus haut, n’était autre que Bertrand lui-même), il se contenta de répondre tranquillement, et comme un homme façonné depuis longtemps à l’obéissance passive:

    –Je payerai. Il faudra bien que je paie, puisque tu le veux. Cependant.

    –Assez, Bertrand! c’en est assez! je dirai même que le cependant est de trop. Depuis quand, s’il vous plaît, les remontrances vous sont-elles permises?… Venez-vous ici me donner le coup de pied de l’âne?… Bertrand, vous êtes un sot!…

    –Dame! c’est possible; et puisque c’est ton avis.

    Homme pusillanime! je parle, et tu doutes!.... Tiens donc, ajouta le moribond en lui présentant un rouleau de papiers qu’il venait de tirer de dessous son oreiller, voici de quoi payer mes dettes et les tiennes, et il t’en restera encore quelque chose.

    –Des billets de banque?…

    –Mieux que cela, Bertrand; c’est le manuscrit de mes Mémoires. Si l’on payait cela convenablement, tu serais millionnaire demain. Mais il faudra bien te tenir, car j’ai fait école, et ces diables d’éditeurs ne sont pas les gens qui ont le moins bien profité de mes leçons; ils sont forts, Bertrand, très forts; je t’en préviens… Cependant, si.

    Ici la voix du malade faiblit, de telle sorte qu’il lui fut impossible de se faire entendre. Sur un signe du docteur tout le monde se retira.

    Huit jours plus tard, l’exécuteur testamentaire avait rempli la moitié de son mandat: six copies des Mémoires de Robert Macaire avaient été vendues à des libraires différents, alors que le manuscrit original était déjà entre les mains des imprimeurs, et Bertrand avait disparu.

    Cependant les créanciers de Robert Macaire n’ont pas perdu tout espoir; ils savent que ce personnage est accoutumé à revenir de loin, et ils attendent patiemment, ne pouvant faire mieux.

    I

    MES CONFESSIONS

    Table des matières

    Les biographes ont fait mille contes absurdes sur mon origine; les uns m’ont fait roturier, les autres noble, ceux-ci m’ont donné un palais pour berceau; ceux-là m’ont fait naître sur la paille humide d’un cachot. Enfin, l’on a dit et écrit là-dessus tout ce qu’il était possible de dire et d’écrire, excepté la vérité. Le fait est que j’appartiens à la plus puissante des aristocraties; car il est bien reconnu maintenant que les commerçants sont les maîtres du monde, et je suis né dans une arrière-boutique.

    C’est à l’ombre d’un comptoir que j’ai grandi!…

    En1780, année mémorable de mon entrée dans le monde, mon père, Jérôme Macaire, était un des estimables débitants de liquides, dont les boutiques garnissaient le port de Rouen, depuis la rue Grand-Pont, jusqu’à la rue du Bac. C’était un de ces petits industriels mettant un sou sur deux liards, en vue de l’avenir qu’ils choient toujours aux dépens du présent, ne voulant pas comprendre que, de même que le passé, l’avenir n’est qu’un mot; ne manquant pas d’adresse, toutefois; aimant fort à se faire justice lui-même, pour n’avoir pas à la payer aux gens qui la rendent, et afin d’éviter le contact des gens à robe noire, qu’il haïssait d’instinct, et aussi à cause de certaines peccadilles touchant le droit de propriété, pour lequel le brave homme n’avait pas toujours eu tout le respect désirable.

    Ma mère, brave Normande de Bolbec, renchérissait encore sur la lésinerie du bonhomme.

    On conçoit maintenant que mon enfance ne fut pas brillante: point de friandises, point de jouets, jamais d’argent! et avec cela un besoin incessant de mouvement, de nouveauté, de plaisir; des désirs beaucoup plus ardents que mon âge ne le comportait, et rien pour les satisfaire. Aussi, comme à dix ans mon jeune cerveau fermentait! Les privations m’avaient formé bien mieux que n’aurait pu le faire l’abondance de toutes choses; mon esprit, fertile en expédients, se raidissait sans cesse contre la mauvaise fortune de mes jeunes années. J’étais déjà doué de cette volonté puissante qui m’a fait vaincre tant d’obstacles dans ma vie; dans le cours de cette vie si agitée, si remplie, tant vantée par les uns, tant calomniée par les autres!

    Un jour, à la foire de Saint-Romain (je n’avais pas encore dix ans), je venais d’admirer ces longues files de boutiques qui couvraient le Champ de Mars; j’avais passé plusieurs heures en contemplation devant une foule de jouets dont la vue me faisait monter le sang au visage et m’arrachait des larmes: c’étaient des fusils de bois rougi et de fer-blanc, d’admirables chevaux de carton, de superbes toupies d’Allemagne, puis d’énormes piles de pains d’épice, d’immenses corbeilles remplies de nourolles, de douyons, pâtisseries du pays que j’aimais tant!… Que sais-je! c’étaient pour moi les délices du monde entier réunies en ce lieu afin de me faire souffrir le supplice de Tantale. Le cœur me battait de manière à me briser la poitrine; j’avais des vertiges, et de grosses larmes, que je m’efforçais inutilement de retenir, roulaient sur mes joues, lorsque, tout à coup, une idée vint me traverser le cerveau.

    Il y avait, dans l’arrière-boutique où couchaient mes excellents et très avares parents, une énorme armoire de noyer, meuble indispensable, et pièce capitale dans les petits ménages normands. C’était dans cette armoire que mon honoré père entassait ses épargnes; plusieurs fois, le soir, après avoir compté sa recette, et alors qu’il me croyait endormi sur le banc du comptoir, j’avais vu le bonhomme, à travers la porte vitrée, déposer quelques écus dans l’un des tiroirs de ce meuble, tiroir qu’il refermait avec soin, et dont il gardait la clef dans les profondeurs de l’une des poches de son immense gilet. Quant à la clef principale, celle qui ouvrait l’un des deux grands battants de l’armoire, c’était dans les poches de ma mère qu’elle faisait élection de domicile, et mon père ne manquait jamais de la lui remettre. Or, les poches de ma mère et le gilet de mon père gisaient fraternellement, pendant la nuit, sur le grand fauteuil de paille placé au pied de la couche nuptiale.

    Notre maison, comme presque toutes celles du port, à cette époque, était fort petite et n’avait qu’un étage au-dessus du rez-de-chaussée; et c’était dans l’unique pièce dont se composait cet étage, où l’on arrivait par un escalier donnant dans l’arrière-boutique, c’était, dis-je, dans cette pièce que je couchais. Je pensai donc qu’il ne serait pas difficile, pendant la nuit, de prendre ces deux clefs, d’ouvrir le bienheureux tiroir, et de mettre la main sur quelques écus. Je me disais que mon père, ajoutant chaque jour quelques écus à ceux de la veille, et n’en sachant pas probablement le compte bien au juste, cela passerait inaperçu. Et que de bonnes choses il y avait pour moi dans un écu de six francs!

    Je trouvai le reste du jour horriblement long; il me semblait que la nuit ne viendrait jamais. Enfin, dix heures sonnèrent à notre horloge de bois: c’était le signal ordinaire de la retraite. Mon père ferma la boutique, et l’on m’envoya coucher.

    Comment peindre la situation d’esprit où je me trouvai pendant deux heures? Je me suis vu mille fois, depuis, dans des situations terribles, extraordinaires; souvent ma vie n’a tenu qu’à un fil que le moindre souffle pouvait briser; j’ai touché cent fois au moment de saisir des richesses immenses, et j’ai souvent possédé plusieurs millions: certes, il y a bien des émotions dans tout cela; eh bien! jamais je n’ai éprouvé une anxiété aussi vive, un tremblement convulsif pareil à celui qui agitait tout mon corps. Je m’étais mis au lit en attendant qu’il se fût écoulé un espace de temps suffisant pour que je pusse croire mes honorables parents entièrement livrés aux douceurs du sommeil. Quant à moi, j’étais bien sûr de ne pas m’endormir; mais j’espérais que le repos calmerait un peu l’agitation extraordinaire à laquelle j’étais en proie: il n’en fut rien. Lorsqu’une heure du matin sonna à la Vieille Tour, j’étais encore dans le même état. Cependant l’heure de mettre mon projet à exécution était arrivée; je me jette hors du lit, et je descends, pieds nus, retenant mon haleine, et n’avançant un pied que lorsque l’autre est bien affermi. J’arrive ainsi au rez-de-chaussée: là, le silence de la nuit n’est troublé que par les ronflements de mon père, circonstance qui, loin de m’être défavorable, semble devoir aider à l’exécution de mon projet. Mes deux pieds ayant touché le sol froid de l’arrière-boutique, je fais une halte afin de m’orienter, car le moindre choc de mon corps contre un meuble pouvait me perdre ou me mettre du moins dans une position très fâcheuse, en même temps qu’il m’eût privé du fruit de toutes les peines que je m’étais données jusqu’alors pour mener l’exécution à bonne fin. Tout est calme; mon père continue à ronfler: c’est vers le point d’où part ce bruit que je m’avance, comme, en campagne, un corps égaré marche au canon. Je suis bien près du lit, car j’entends la respiration de ma mère qui alterne avec le ronflement du bonhomme; je dois toucher au but. En effet, ma main étendue avec précaution, rencontre le grand fauteuil de paille, elle pénètre comme instinctivement, dans l’une des vastes poches de basin qui, depuis longues années, ceignent les reins de ce véritable modèle des bonnes ménagères… Je tiens la clef principale! Mon autre main plonge presque en même temps dans la poche droite du justaucorps de l’honorable Jérôme Macaire. Les deux clefs sont à moi! Mais il ne faut pas encore crier victoire: les plus grandes difficultés ne sont pas vaincues. J’arrive à l’armoire, la clef en a fait jouer la serrure, et mon père continue à ronfler; le tiroir, le bienheureux tiroir s’ouvre sans plus de difficulté. Mais quelque précaution que j’aie prise, je n’ai pu empêcher qu’une pile d’écus ne s’écroulât sur la menue monnaie… mon père ne ronfle plus… pourtant il ne dit rien: le silence le plus profond règne autour de moi. Immobile comme une statue, la main droite sur le trésor, tandis que, de l’autre, je cherche à comprimer les battements de mon cœur, devenus tellement violents que je commence à craindre qu’ils ne me trahissent, j’attends un moment favorable. Une heure s’écoule, et les ronflements ne se sont pas fait entendre de nouveau. Je ne puis attendre davantage; ma main s’ouvre, je saisis autant d’écus qu’elle en peut contenir. Le tiroir glisse pour se refermer; mais, ô terreur! une autre pile d’écus, deux fois ébranlée, s’écroule comme la première, et à ce son argentin succède un qui va là? qui faillit m’anéantir: j’aurais voulu être dans les entrailles de la terre.

    –Qui va là? répéta mon père.

    L’excès du danger ranime mes forces, en même temps qu’il ravive mon imagination. A peine une seconde interpellation est-elle prononcée, que, sans hésiter, je m’élance dans l’escalier: arriver dans ma chambre, ouvrir la fenêtre, briser un carreau, jeter mes écus sous mon traversin, tout cela fut fait en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Je me mis alors à crier au voleur de toute la force de mes poumons.

    Mon père me suivait de près: il arrive.

    –Où est-il? Où est-il le voleur? s’écrie-t-il.

    –Ah! mon Dieu, il doit être bien loin s’il ne s’est pas cassé les jambes en tombant sur le pavé, car il a sauté par la fenêtre.

    Jérôme avance, regarde sur le quai… personne. Ma mère arrive à son tour, invoquant tous les saints du paradis.

    –Tu ne l’as donc pas vu entrer? me dit mon père.

    –Je ne me suis éveillé qu’au moment où il grimpait sur l’appui de la fenêtre pour s’élancer dehors.

    –Ah! bonne Sainte Vierge! exclamait ma mère, je savais bien qu’il nous arriverait malheur; j’avais rêvé de potence… Mais tu dors donc comme une marmotte, Robert? Le scélérat a cassé un carreau, et tu ne l’as pas entendu?… Mais aussi, Jérôme, c’est ta faute; il y a plus d’un an que j’ai dit qu’il fallait faire mettre un volet à cette fenêtre.

    –Taisez-vous, femme!..... Voilà bien les femelles: elles ne savent que crier, et elles ont toujours deviné le mal quand il est arrivé… Mordieu! allumez une chandelle, que l’on sache à quoi s’en tenir.

    Ma mère descendit pour obéir, nous la suivîmes, mon père et moi.

    –L’armoire ouverte! s’écria Jérôme.

    –Ah! grande Sainte Notre-Dame de Bon-Secours! fit ma mère en tombant à genoux; du pauvre argent si bien gagné!

    Je regardais mon père: ses traits étaient bouleversés. Il s’avança vers l’armoire de l’air d’un patient que l’on mène au supplice.

    –Ce sont nos clefs, dit-il, nos propres clefs!..... Il paraît que le brigand connaissait les êtres de la maison.

    A ces mots, tous ses muscles se contractèrent si horriblement, il parut être en proie à une douleur tellement violente, que j’éprouvai une espèce de repentir; mais lorsqu’il eut ouvert le tiroir, la crise sembla se calmer.

    –Le coquin a pris sans compter, dit-il, mais il n’a pas eu le temps d’emplir ses poches.

    Il se mit alors à compter son trésor, et trouva qu’il n’y manquait que huit écus de six francs; ainsi j’étais possesseur de deux louis, chose que j’avais ignorée jusque-là; car, comme le disait mon honoré père, j’avais pris sans compter. Deux louis, quelle fortune!

    –Va te coucher, Robert, me dit ma mère qui s’était relevée; heureusement il ne fait pas froid, et le jour va bientôt venir; on fera mettre le carreau demain.

    –Ça fera quarante-huit livres dix sous, interrompit mon père; que de pots de cidre il faudra vendre pour rattraper ça!

    Je me hâtai d’obéir, et j’allai, bien joyeux, me remettre au lit. Mais, malgré les fatigues, les émotions de cette nuit, il me fut impossible de dormir un seul instant; mon imagination s’exaltait à la pensée du beau jour qui allait luire pour moi; je me repaissais mentalement de toutes les choses délicieuses que je devais posséder dans quelques heures, et j’attendais, avec l’impatience la plus vive, l’heure à laquelle je me levais ordinairement.

    Il vint enfin, ce moment tant désiré!

    Je suis habillé, j’ai fait mes prières en famille, la boutique est ouverte. Une heure après, mon déjeuner est préparé: c’est, comme d’habitude, un morceau de pain revêtu d’une légère couche de beurre salé; je m’en empare bien vite, et me voilà parti pour l’école, en apparence, mais, en réalité, pour la foire Saint-Romain, où j’allais me dédommager si amplement de toutes les privations que j’avais endurées.

    Quelque chose me manquait cependant: c’était de pouvoir communiquer à quelqu’un le plaisir que j’éprouvais; je sentais que le partage devait le rendre plus vif.

    Comme si mon bonheur eût dû être complet ce jour-là, j’avais à peine fait le tiers du chemin, lorsque je rencontrai mon camarade d’école, Bertrand, qui faisait route en grignotant tristement son pain sec. Il ne me fut pas difficile de le décider à m’accompagner, et Dieu sait quels yeux il ouvrit à l’aspect de mon petit trésor, que je lui montrai.

    –Huit gros écus! s’écria-t-il, où as-tu donc trouvé tant d’argent?

    –Je te dirai ça une autre fois; ne parle de rien, et nous allons partager: quatre à toi, quatre à moi. Jette ton pain sec, nous allons joliment déjeuner.

    Je ne ferai pas l’énumération de toutes les délicieuses choses qui trouvèrent place dans nos estomacs; un de mes écus y passa. Nous n’avions jamais bu de vin; Bertrand voulut savoir quel goût cela avait, et nous voilà hardiment attablés dans une auberge, humectant avec du bordeaux les innombrables petits gâteaux que nous avions engloutis. Hélas! ce fut ce qui nous perdit; j’avais conservé ma raison, mais Bertrand pouvait à peine se soutenir lorsqu’il rentra chez lui; en le déshabillant, on trouva ses poches garnies de pain d’épice, de bonbons, et, pour comble de malheur, on y trouva en outre trois écus de six francs et les débris du quatrième.

    On voulut savoir d’où venait tout cela, et le malheureux prononça mon nom!

    Aussitôt, visite du père Bertrand à Jérôme Macaire: explications, exclamations; j’entendis l’orage gronder de ma chambre où je m’étais retiré tout d’abord.

    –Ah! le bandit! Ah! le coquin! criait mon père; il faut que je lui casse bras et jambes! Être si rusé à cet âge-là! Ah! vaurien, je te conduirai moi-même à la potence!… Robert! Robert! viens ici, pendard!

    Je crois l’avoir déjà dit, l’excès du danger, loin de me troubler l’esprit, produit sur moi un effet tout contraire, ma pensée devient plus prompte, mes idées plus nettes. J’entrevis sur-le-champ qu’il ne me servirait à rien de nier; mais je compris en même temps que le résultat serait le même, soit que j’eusse dépensé toute la somme, soit que j’en rendisse une partie; en conséquence je me hâtai de glisser dans mes bas les trois écus qui me restaient; puis, la tête baissée, l’air contrit et les larmes aux yeux, je descendis lentement.

    La correction fut d’abord vigoureuse: maître Jérôme, armé d’un bâton, tomba sur moi à bras raccourci, et il m’eût bien certainement cassé les membres, si on l’avait laissé faire; mais ma mère et le père Bertrand, voyant son état d’exaspération, se jetèrent au-devant de lui et parvinrent à le désarmer. Alors, on me fouille, on m’accable de questions; je soutiens hardiment qu’il ne me reste rien de l’argent dont je m’étais emparé.

    –Tu sortiras d’ici, coquin! criait mon père, je ne veux pas de voleur dans ma maison.

    –Quand vous voudrez, mon cher père, répondis-je d’un air résolu, et fasse le ciel que ce soit aujourd’hui plutôt que demain; du pain sec et des coups de bâton ne sont pas choses si regrettables; quoi qu’il arrive, je ne perdrai pas au

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