Je suis la fin du monde
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Selon les scientifiques, la collision aura lieu dans les Alpes.
Dans quatre semaines, tout aura disparu.
Alors que la météorite se rapproche, les réseaux sociaux s'affolent.
Les index se précipitent sur les écrans.
De mon côté, j'attends Élisa, seul, dans mon studio suffocant, avec ma boisson et mes passions; la Lune comme dernier témoin de mes ultimes tremblements.
L'apocalypse viendra-t-elle du ciel ou du logiciel ?
Les influenceurs s'accumulent dans les sacs mortuaires.
Au nom du Père, du Fils et du Pixel.
Amen.
#jesuislafindumonde
Antoine Garcia-Suarez
Auteur franco-canadien, Antoine Garcia-Suarez signe à 34 ans son premier roman.
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Aperçu du livre
Je suis la fin du monde - Antoine Garcia-Suarez
Les crépuscules s’exhibaient en quatre millions de pixels sur mon écran haute résolution de Gopple : expérience immersive désenchantée gracieusement offerte à tout le personnel de l’agence. Le soutien technique n’avait pas lésiné sur les dépenses. Depuis longtemps, il était convenu dans l’industrie du marketing que la masse salariale fatiguée était davantage performante lorsqu’elle travaillait avec du matériel dernier cri. La lumière bleutée des moniteurs attirait sa curiosité et, tel un amas de papillons de nuit, elle se précipitait, se bousculait, excitée, autour des pixels. À l’avant-garde, l’entreprise glorifiait les meilleures pratiques de gestion du personnel. Le parfait tout-en-un se trouvait donc désormais fièrement devant moi et allait farcir mon esprit de connaissances inutiles, « à la puissance max ». Cependant, je ne comprenais toujours pas comment cette soudaine prospérité technologique pourrait pallier mon apathie spirituelle.
Sous le coucher de soleil confiné dans un traitement graphique de pointe, deux cent vingt-deux émojis récompensaient la photographie publiée par Éva. Mon index faisait défiler la page Facebook tandis que j’avalais le deuxième tiers de mon Xanax.
Les couleurs du cupcake étaient riches et vibrantes. Des millions de pixels sucrés assiégèrent ma rétine. Ma nausée fut intense, mais brève. Cent quatre-vingts cœurs déposés sous l’image. Les photographies continuèrent quelques minutes de se succéder sous mes yeux cernés. Bikini sur plage. Sourire sur dune. Cocktail sur terrasse. La posologie du tranquillisant, ajustée au cours de ma vie professionnelle, ne m’empêcha pas de sentir monter le contenu de mon estomac dans mon œsophage.
Éva prenait visiblement bien soin de référencer chacune de ses activités estivales sur son fil d’actualité. Je ne me souvenais même plus des raisons pour lesquelles mes rétines observaient quotidiennement la vie de cette femme qui m’avait oublié. À mon insu, mes neurones avaient façonné cette dépendance à laquelle je ne pouvais désormais plus échapper. Je laissai au hasard un cœur de trente pixels sur trente pixels sous l’une de ces images dans l’espoir de faire augmenter mon taux de dopamine.
— Octobre? Octobre?... Qu’est-ce que tu fais? Veux-tu vraiment perdre ton boulot? Elles sont déjà dans la salle Steve Jobs. Elles t’attendent et n’ont pas l’air de bonne humeur. Lève-toi, prends ton ordi, et marche!
Marie avait disparu lorsque je me déconnectai de Facebook.
Il ne me restait plus que deux graphiques à intégrer à la présentation PowerPoint avant la rencontre d’équipe prévue cinq minutes plus tard. Machinalement, j’avalai le deuxième tiers de la pilule avec le café froid déposé sur la pile de rapports entassés sur mon bureau. Les chiffres de la dernière campagne publicitaire n’avaient pas été aussi élevés que ceux espérés par les stratèges du marketing. Visiblement, mon enthousiasme à vendre en ligne des produits cosmétiques n’était plus aussi vigoureux que lors de mon entretien d’embauche. L’objectif du meeting avec les ressources humaines était donc d’évaluer ma learning curve fléchissante. Une douce sensation de vertige m’accompagna jusqu’à la salle de réunion dans laquelle Marie, la responsable du projet, m’attendait déjà. Stéphanie, la stagiaire RH plongea aussitôt son regard inquiet dans ses dossiers pour y cacher son malaise. Elle et moi savions que j’étais sur le point de me faire virer. Les remarques de mes collègues sur mon haleine alcoolisée avaient donné plusieurs arguments supplémentaires à la responsable du talent management.
Promue à la tête de mon équipe depuis à peine quelques mois, Stéphanie était l’archétype parfait de la féministe insipide et inoffensive qui confondait souvent éloquence et intelligence. Elle avait d’ailleurs probablement été engagée davantage pour son jeune âge que pour ses compétences et avait tiré profit du quota de milléniaux que les entreprises en transformation numérique devaient officieusement respecter. Être dans le vent et crétin étaient rapidement devenus les critères d’embauche nécessaires et suffisants, synonymes d’innovation dans ces organisations dépassées par la fulgurante ascension des nouvelles technologies. Cependant, son bijou sur la langue ne trompait personne et suggérait qu’elle prenait davantage de plaisir à sucer les testicules d’inconnus dans les chiottes de bars les samedis soirs qu’à déguster les romans de Simone Veil. D’ailleurs, je me rendis compte très rapidement que ses connaissances sur la cause des femmes avaient été acquises dans quelques magazines à scandale parcourus entre deux prises de photos de cafés lattés aussitôt postées sur Instagram.
Ma mâchoire carrée et mes yeux verts avaient, à quelques reprises, poussé Stéphanie à m’inviter à participer à ses cours de yoga chaud. J’avais toujours décliné poliment ses invitations de peur de faire face à une érection involontaire que j’aurais dû faire disparaître furtivement dans les vestiaires. À bien y penser, son joyau buccal et ses petits seins auraient certainement pu m’aider à résoudre cette situation inconfortable.
Les discussions sur mon possible licenciement continuaient bon train tandis que j’imaginais la fellation yogique. Par chance, mes échecs professionnels n’avaient pas influencé le nombre de visites croissantes sur le site Internet de notre client. Selon Marie, j’avais même contribué à la « vision de la direction artistique » en choisissant des images qui s’harmonisaient parfaitement avec l’identité et les valeurs de la marque du client (l’authenticité demeurait à la mode ces temps-ci, suivie de près par le retour à la nature). J’avais, paraît-il, appliqué merveilleusement bien les recommandations stratégiques et su insuffler à la création un contenu novateur et audacieux.
Alors que j’observais calmement la marche déséquilibrée d’un pigeon blessé à la fenêtre, elles conclurent que mes résultats, bien que médiocres, pouvaient encore s’améliorer d’ici la fin du semestre. J’en déduisis que Marie avait réussi tant bien que mal à convaincre les pétasses des ressources humaines de me garder.
A trente-trois ans, j’arrivais à la limite d’âge en dessous de laquelle il n’était pas nécessaire de justifier son expertise numérique par un diplôme. J’étais né avec une Nintendo dans les mains et cela suffisait à impressionner et surpasser la majorité des quadragénaires œuvrant dans le domaine du marketing digital. Cependant, je compris, à la fin de cette énième rencontre stérile, que mes compétences disparaîtraient à mesure que le nombre de mes années avancerait, et qu’il me faudrait trouver bientôt une porte de sortie.
Je n’arrivais plus à respirer. Une boule coincée dans le larynx. Mon regard s’arrêta sur les aiguilles de l’horloge. Dix-neuf heures et quatre minutes. Cela faisait trois heures que j’avais absorbé mon dernier tiers de gélule jaunâtre. Je hochai la tête. Le sermon moralisateur et les conseils débiles de la directrice conclurent la réunion. Mon corps se leva et s’enfuit vers chez moi.
J’avais pris l’habitude de toujours terminer mes journées à l’agence par une portion de pilule avalée avec une gorgée de liquide ambré à trente pour cent d’alcool. Dégustée dans l’ascenseur vitré, la concoction me donnait systématiquement l’impression d’engourdir le temps. J’oubliais alors la boîte métallique dans laquelle je me trouvais et me laissais tomber au ralenti vers le bitume. Une chute alanguie vers l’asphalte durant laquelle je m’amusais généralement à calculer les secondes avant l’impact avec le sol. Ces comptes à rebours vaporeux m’aidaient aussi à supporter les mouvements et l’effervescence parisienne.
Ce rituel me permettait d’envisager les trottoirs bondés de l’heure de pointe avec la juste dose d’étourdissement. Il me soulageait même de la foule cacophonique, des regards vides et des bousculades assourdissantes. Les citadins pressés de s’enfermer dans leurs habitations merdiques s’agitaient rapidement à cette heure. Il me fallait donc toujours m’assurer d’être sonné par mon élixir pour réussir à ne pas m’effondrer dans un recoin bétonné. Quelques fois, je trébuchais volontairement sur les humains à cravate pour tenter de les ralentir dans leur course. En vain. Ces trajets adoucis par cette ivresse moelleuse étaient également souvent ponctués par des textos de Marie.
« On l’a échappé belle cette fois-ci ! Repose-toi, on se voit demain. XOXO. Émoji muscle. Émoji sourire. »
Elle prenait régulièrement des nouvelles de ma journée, me demandait, parfois, de la rejoindre dans un café bohème de Montmartre ou m’envoyait simplement une succession d’émojis sans que j’en comprenne réellement le sens. Je répondais rarement.
Déjà submergé par les voix qui résonnaient dans ma tête, je n’avais aucunement besoin d’alourdir mon esprit de mots superflus. J’ignorais pourquoi cette hippie revigorée par la culture numérique tenait tant à moi. Ses discussions superficielles, à la limite du ridicule, n’éveillèrent jamais en moi le moindre intérêt et, bien que son cul ait mérité un oscar aux AVM Awards, je pris soin de ne jamais aggraver mon cas avec les ressources humaines. Je remarquai néanmoins que Marie s’absentait régulièrement trois à cinq jours par mois. Elle laissait son bureau parfaitement rangé et me déléguait certaines tâches durant ces journées de congé. À son retour, son teint revigoré contrastait beaucoup avec ses cernes bleutés. Visiblement, ces temps libres lui faisaient beaucoup de bien et la gardaient occupée les nuits.
Je me rendis péniblement à mon petit appartement et abandonnai mes vêtements imbibés de sueurs et d’angoisses dans un coin de la minuscule entrée. La lune apparaissait déjà lorsque je m’effondrai dans mes draps sales. Mes yeux humides se fermèrent rapidement après avoir contemplé le portrait encadré sur ma table de chevet. Mes insomnies me permettaient habituellement de profiter du calme nocturne, mais, pour une raison que j’ignorais, cette nuit-là je plongeai dans un sommeil lourd et profond. Je me réveillai juste avant l’aube. En piochant dans quelques vêtements entassés par terre, j’ajustai la climatisation et me dirigeai vers le bureau. Il devait être à peine sept heures du matin lorsque j’arrivai dans l'open-space. Les premières startups, qui peinaient à trouver des fonds d’investissement, avaient eu la brillante idée, au début des années quatre-vingt-dix, de mettre en place des aires de travail ouvertes dans leurs espaces. Elles avaient baissé les cloisons à hauteur de bassins d’hommes, regroupé les tables entre elles et, parfois même, abattu certains murs. Ceci leur avait permis d’exposer aux banquiers, frileux durant leurs premières visites, les forts potentiels de croissances économiques, c’est-à-dire l’immense facilité de priver les prolos de leur intimité. Témoins de l’activité frénétique mise en scène par ces jeunes entreprises innovantes, les financiers repartaient par la suite rassurés sur leur valeur et leurs possibles bénéfices. Les « collaborateurs » n’avaient alors plus d’autres choix que de consacrer leur temps à la création de produits « révolutionnaires » sous les regards des gestionnaires isolés confortablement dans leurs bureaux vitrés insonorisés. Au fil des années, les dirigeants avaient même réussi, malgré le bruit incessant des touches des claviers, à faire valoir les bienfaits de ces agencements : une communication libérée, une réactivité accrue et un accroissement de l’efficacité des équipes. Des arguments qu’on avançait fréquemment « aux réfractaires aux changements ».
J’arrivai donc le premier dans les locaux encore vides. Il existait une règle tacite dans le manuel des salariés distribué gratuitement aux nouvelles recrues. Les dépendants au travail qui surgissaient tôt en
