Le chant du tambour: Un récit initiatique dans le Nord canadien
Par Jean Luc Bremond
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À propos de ce livre électronique
Alors que sévit la Grande Guerre en Europe, un jeune Algonquin de treize ans doit entreprendre sa quête de vision. Cependant son père, homme-médecine, a d’autres projets. Il l’envoie en mission pour interpeller ceux qui menacent son peuple et pour que s’accomplissent les prophéties. Il doit pour cela faire un tambour, c’est en le battant qu’il trouvera sa destination. Commence alors un voyage initiatique et périlleux dans les couleurs des quatre points cardinaux, le jaune, le rouge, le noir et le blanc, avec comme guide le chant du tambour.
Plongez vous dans ce récit initiatique grandiose, au coeur des immenses étendues du grand Nord Américain. Un contraste frappant entre la puissance de la nature et la violence meurtrière des hommes de l'autre côté de l'Atlantique.
EXTRAIT
Les nuits fraîchissaient et les sommets lointains blanchissaient tels des anciens. Parés de jaune et d’oranger, les arbres garnissaient les flancs des montagnes et les fonds des vallées. L’automne était passé, un rapide trait de beauté sur la toile jade des épinettes et des sapins, le peintre avait embelli la nature avant le long hiver. Se reflétant dans les flots ambrés, les bouleaux couverts de feuilles d’or cachaient les mélèzes blonds perdant leurs épines sous le couvert de la forêt. Bien qu’appréhendant quotidiennement le retour de l’ours, Achack n’avait toujours pas quitté son camp. Afin de se fortifier, sitôt son tambour réalisé, il s’était remis à manger. À la manière de l’animal redouté, mais sans son agilité, il pêchait dans la rivière qu’avaient empruntée les chasseurs de son clan. Il avait gardé sa tunique de peau, retiré ses jambières, les pieds et les mains enfoncés dans l’eau glaciale. Il attendait le poisson emporté par le courant. Dès qu’il parvenait à en attraper un, il le jetait aussitôt sur la berge. Entre chaque prise, il observait le ciel bas et blême, les nuages pouvant annoncer la neige. Depuis quinze jours qu’il bivouaquait au bord du lac, il avait récolté des baies, chassé des lièvres, chevreuils, castors, porcs-épics et lagopèdes afin de constituer des réserves pour la route.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Luc Bremond est né en 1964. Depuis de nombreuses années, il vit avec sa famille dans une communauté axée sur la non-violence où il exerce le métier de boulanger et de potier. Il joue de la musique et anime des ateliers de danse traditionnelle. C'est en marchant dans les grands espaces ventés du haut Languedoc que des histoires sont nées, nourries de la richesse de l’expérience communautaire.
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Aperçu du livre
Le chant du tambour - Jean Luc Bremond
Le chant du tambour
Du même auteur
– La révolution du Klezmer
5 Sens Editions, 2017
Jean-Luc Bremond
Le chant du tambour
Genèse
Le cercle
Le large lac accueillait en son ventre le disque du soleil couchant, au loin un hibou moyen-duc hululait en traversant la forêt. Sur les berges, un grand nombre de tentes silencieuses se regroupaient en autant de ronds qu’il y avait de familles et de clans. La pleine lune éclairait les tipis, vides de leurs occupants, alors réunis dans une vaste prairie. Un grand calme qui annonçait un événement.
Soudain un feu jaillit. Montant en flèche dans le ciel étoilé, les flammes illuminèrent les berges, roches et flots endormis. Elles dévoilèrent les visages de l’assemblée et léchèrent les mains des dix jeunes hommes frappant le rythme de la danse sur un grand tambour posé à plat. La percussion résonna de sons graves, le battement du cœur de la terre, des vibrations qui s’éloignaient vers les sommets des monts antiques, la vallée s’obscurcissant peu à peu, le ciel où poignaient les premières étoiles. Les musiciens chantaient avec des voix aiguës portées par le vent. Arrivant de l’est, les danseurs se déplacèrent en cortège de différents groupes, les chefs en tête, ornés de rosaces de plumes et d’os accrochés dans le dos. Les autres participants, vêtus de couleurs éclatantes, défilèrent derrière eux en martelant le sol de leurs pieds. En périphérie, tournaient les crécerelles, sonnaient les flûtes en branche de noisetier, palpitaient les tambourins des quatre directions. Munis de leurs caisses et de leurs boucliers, les hommes-médecines surveillaient la ronde respirant autour du feu, les danseurs qui répondraient la nuit durant aux pulsations de la Mère, les « vrais hommes issus de cette terre » fêtant le début de l’été.
Les anneaux des Nations et des clans algonquins, des tentes sphériques telles les nichées des aigles, crachaient leurs fumées dans l’aube naissante. Autour des foyers incandescents de la veille, des femmes faisaient sécher la viande de chasse ou bien confectionnaient des vêtements, des mocassins en peaux, en surveillant leurs petits. Leurs consœurs étaient déjà parties faire la cueillette des baies et des plantes médicinales. Des jeunes se rencontraient, des enfants jouaient, les hommes étaient allés pêcher le doré et l’ouananiche, ils canotaient parmi les outardes blanches, les plongeons huards noirs nageant imperturbablement auprès d’eux. Un peu plus loin, en dehors des regroupements familiaux se répandant le long des flots, des cérémonies s’organisaient aux rythmes saccadés des tambours, des loges de sudation, rondes et couvertes de fourrures, des pierres chauffaient pendant que les participants s’installaient, nus, dans la roue de guérison.
Deux enfants, l’un de treize ans, l’autre de deux ans plus âgée, se tenaient assis, côte à côte, au bord du lac serein où se reflétaient les épinettes et les bouleaux. Bien que de clans très éloignés, ils venaient d’être fiancés par leurs parents, une entente pour renforcer le clan après le mortel et froid hiver qui avait emporté plusieurs membres. Dans seize lunes, Achack devrait rejoindre le wigwam de la famille de sa promise afin de se mettre à son service durant la même durée, au terme de laquelle ils reviendraient pour se marier dans la famille de l’époux. Achack aurait ainsi le temps de rattraper son initiation interrompue par les intempéries et partir en saison de chasse dans le grand nord. Le dos tourné à la forêt dense et profonde, aux montagnes arrondies, les jeunes contemplaient les reflets du soleil et des multiples feux s’embrassant dans l’eau en un chemin de lumière. Ils demeuraient en silence face aux traits concentriques que laissaient derrière eux les canards noirs. La fille pensa au cercle sacré d’où les Algonquins tiraient leurs pouvoirs.
« Nous faisons tout dans un rond et la puissance de l’univers agit dans un cycle, comme la terre, le soleil, la lune, les étoiles, le vent tourbillonnant, le changement des saisons, les abris des oiseaux, la vie de l’enfance à l’enfance, les tentes de notre peuple également disposées en couronne.
– Je suivrai deux lignes : une pour aller chasser, l’autre pour te rejoindre, comme la formation des grues qui montent et qui descendent en fonction des saisons, répliqua fièrement le garçon.
– Toi aussi tu tourneras, rétorqua Alsoomse. De lunes en lunes, qui sait ce qui peut arriver. Reviens vite, Achack, dans le nid de notre wigwam où j’espère y couver notre petit. »
Le corps élancé, les pommettes saillantes et les yeux foncés légèrement bridés, Achack observait en retrait les responsables des clans de l’est et du sud, chasseurs, pêcheurs ou agriculteurs, assis en arceau dans la prairie. Ils vivaient depuis longtemps en petits groupes de famille et chacune d’elles avait un territoire de chasse et de pêche bien défini, ils se rassemblaient chaque année autour du lac Abitibi. Achack admirait son père, grand, droit, le visage cuivré par le soleil à son zénith, le chef mais aussi l’homme-médecine de sa tribu. Tendant une oreille distraite vers les paroles des hommes sur les bouleversements que subissait leur Nation, la loi sur les Autochtones à laquelle elle était confrontée depuis trente ans, la contraignant à se sédentariser, l’interdiction qu’elle avait de se rassembler en dehors des réserves, Achack remarqua la mine inquiète de son paternel, pilier de sa communauté, nommé par les anciens, ses épaules affaissées révélant son abattement qu’il essayait pourtant, il le voyait bien, de contenir par une attitude calme et digne. Plus les hommes lui parlaient et plus les mots qu’il recevait semblaient l’affecter au point de lui faire perdre sa contenance.
« Tu vois, Ahanu, avec cette loi nous ne pouvons plus nommer les chefs de la même façon. Ce sont maintenant les gens des villages, dans lesquels nous sommes contraints de vivre, qui les choisissent pour vingt-quatre lunes. Ils ne peuvent avoir que trois conseillers et leurs pouvoirs sont limités à ce qu’exigent les autres d’eux. Ils nous attribuent des territoires de chasse et de pêche, exclusivement réservés pour nous sans que nous ne leur devions rien. Nous savons que cette loi est faite pour nous éloigner des forêts, afin qu’ils puissent prendre, sans limites, les arbres et les fourrures, déclara un doyen.
– D’après cette loi ce rassemblement serait interdit, combien de temps pourrons-nous résister comme aujourd’hui en fêtant l’été ? interrogea un autre.
– Ils ne prennent pas que nos territoires, ils enlèvent aussi nos enfants ! », ponctua un ressortissant de l’Outaouais.
Achack frémit. Il s’empressa de regagner l’habitation familiale où se trouvaient sa mère, ses trois frères, ses deux sœurs, sa tante et ses cousins.
Le nid
Achack entra dans le wigwam, un dôme fait d’écorce pour la belle saison, de peaux durant l’hiver, une tente de nomade conçue pour être facilement démontée et redressée avec de nouvelles perches en bois lors d’un nouveau campement. Il alla directement s’installer près de sa mère, qui veillait son bébé. Avec sa belle-sœur, Sora, elle peignait des peaux pour les funérailles du frère de son époux, en silence et sans verser de larmes. Du fait de l’accident de chasse l’emportant trop jeune, Mingan n’avait pas eu le privilège de l’ancien qui, sentant la mort venir, s’éloignait des siens pour les décharger du fardeau de l’agonie, afin de mourir seul et en paix. Achack se sentait nerveux. Dans quatre jours, sitôt l’enterrement accompli, il partirait avec ses deux cousins en dehors du village pour oublier ses souvenirs d’enfance dans une cage, sans boire ni manger autre chose que la plante des rêves. Il savait cela dangereux pour l’avoir déjà subi. Le rituel s’était achevé en un lamentable échec. Bien que de nature peureuse, il maîtrisait bravement son anxiété ; seul comptait pour lui de devenir au plus vite un homme. Il observa sa mère et sa tante s’affairer sur leur ouvrage, ses sœurs cousant la couverture du défunt, ses camarades qui n’avaient plus le goût de jouer. Surpris par l’ombre du capteur de rêve se reflétant sur le sol d’aiguilles de pins, tel le grand quadrillage d’une raquette géante ou d’une imposante toile d’araignée, il leva les yeux sur l’objet circulaire fait de tendons d’orignal et d’écorce de prunier. Il se souvint alors des paroles de sa mère quand il était plus jeune.
« Tu vois le cercle, c’est le cycle de la vie. Nous naissons bébé et nous finissons comme des nourrissons. Nous sommes confrontés à différentes forces, positives et négatives, qui aident ou interfèrent dans l’harmonie de la nature. Si tu écoutes les forces du bien, elles te conduiront dans la bonne direction, mais si tu écoutes les forces du mal, elles te blesseront. L’esprit de la femme araignée t’aidera à bénéficier des forces positives qui t’élèveront, il te protégera des forces négatives cherchant à te rabaisser. Tu vois le trou au centre du cercle, c’est par là que les forces du mal et tes idées noires s’échapperont. Si tu gardes les idées claires dans tes rêves, durant la nuit les bonnes idées seront attrapées par la toile et les mauvaises pensées seront orientées vers le trou. Il est important de rêver, car c’est par là que les vivants échangent avec le Grand Esprit et que l’âme s’exprime. Tu dois faire attention aux besoins de ton âme comme à ceux de ton corps. Durant ton sommeil, tes bons rêves passeront au travers les mailles de la toile et les mauvais y resteront accrochés. Quand Grand-père soleil se lèvera, il détruira les mauvaises énergies avec ses puissants rayons. »
La présence de l’objet pendant au-dessus de sa tête rasséréna Achack, elle lui offrit le courage nécessaire pour accomplir le rite du passage au monde adulte. En écoutant celle qui l’avait mis au monde, Aquene, chanter pour son bébé Mukki réclamant du lait, une berceuse qu’il connaissait pour s’être longtemps endormi dessus, une chanson d’encouragement pour lui qui allait devoir la quitter, il s’imprégna des peintures sur les écorces de bouleaux des signes évoquant la vie dans le camp, les chants d’amour, de chasse et de guérison. Pressé de soulager son dos fatigué, Ahanu s’assit directement près d’Achack. Il prit appui sur les épaisses fourrures. Le chef avait beaucoup de tâches à accomplir avant de partir. En plus de la longue célébration qui allait suivre bientôt, il devait assumer ses fonctions d’homme-médecine, préoccupé par les maladies que son apprenti ne pouvait pas encore guérir. Soucieux que sa famille ne manque de rien, il devait organiser, par décision au consensus de ses conseillers, le déplacement du village vers le nord où les chasseurs le retrouveraient à la fin de la saison de chasse. Son aînée lui apporta une écuelle de bois remplie de viande bouillie. Prenant place sur la peau de caribou, les deux familles, trois adultes et sept enfants, mangèrent sans converser.
Ahanu se remémora les paroles des chefs de sa Nation. Il y avait huit fois treize lunes, ceux du sud avaient fait alliance avec ceux venus de l’est, en retour ils avaient reçu de l’aide pour avoir accepté de vivre parqués loin de leur territoire. Se considérant propriétaire des terres, les autres proposaient à ceux du nord de faire pareil. Beaucoup d’Algonquins avaient déjà signé des traités, néanmoins ils restaient dans leur territoire. Bientôt ce serait le tour de son groupe. Ahanu ferma les yeux, il pensa à Achack qui ne pouvait pas mesurer le danger arrivant sournoisement dans sa communauté. Il était temps pour lui de faire sa quête de vision et de connaître son animal protecteur.
Ahanu se leva brusquement. Il fit signe aux siens de le suivre au-dehors. Son frère avait quitté le sentier de la vie, il pouvait maintenant entrer sur la terre des esprits. Dans quatre jours il sera enterré, la famille portera le deuil une année durant.
Placé sur une plate-forme dans un arbre, le défunt s’apprêtait à faire son grand voyage. Achack avait accroché à son corps des effets personnels du frère de son père. Bien que disparu, son oncle avait droit de poursuivre ses activités dans l’autre monde. Son épouse et ses enfants lui présentèrent une dernière fois ses biens. La cérémonie achevée, chacun se dispersa au loin.
Ahanu entraîna Achack en direction du lac où se reflétaient les monts boisés. Quittant les berges rocailleuses, ils se dirigèrent vers une colline dominant la vallée. Ils passèrent par un sentier bordé de marguerites, lys martagon et épervières, grimpèrent la pente herbeuse où détalaient des marmottes avant de se réfugier derrière les roches. Une fois rendus sur le sommet plat, père et fils s’assirent pour contempler la forêt. Le chaman balaya de sa main l’horizon.
« Le Grand Esprit habite toutes les choses de la vie. Tu possèdes une essence spirituelle comme les plantes, les animaux, les arbres et les herbes. Tu sais cela par les mythes, les croyances et les légendes que l’on t’a contées. Bientôt tu participeras à des célébrations qui te révéleront le monde spirituel. Tu partiras quatre jours dans la forêt. En jeûnant, tu rentreras en communication profonde avec le monde minéral, animal et végétal de la Mère terre, tu recevras alors la vision qui déterminera ta vie. Dès à présent écoute, comprends et respecte les esprits de la nature. »
Achack ne dit rien. L’idée de devoir se débrouiller seul et loin du nid lui nouait fortement l’estomac. Relevant instinctivement la tête, il surprit un aigle royal qui planait paisiblement dans le ciel sans nuages, son ombre courant sur les eaux du lac. Le garçon sentit venir en lui une grande paix. La peur qu’il ressentait alors, à lui donner la nausée, s’était instantanément effacée.
Les plantes
Sur les berges du lac apparaissaient, çà et là, de grands cercles de gazon piétiné et de foyers éteints. De nombreux wigwams avaient été démontés, le grand rassemblement de l’été était achevé. Quelques clans étaient cependant restés groupés, les pêcheurs de dorés le soir tombant, ceux d’Abiti sur le point de chasser. Ahanu prit ses fils avec lui, à l’exception du bébé. Les deux garçons étaient vêtus seulement d’un pagne, le torse et les jambes nues, leurs cheveux noirs et longs tombaient en cascade sur leur dos. Des nuages de pluie recouvraient le lac nappé de foulques et d’outardes, tous occupés à pêcher. Le père montra les oiseaux et s’adressa à son cadet.
« Je t’ai appris à pêcher et à chasser, je t’ai montré comment fabriquer des arcs et des outils. Je compte sur toi et sur tes cousins pour aider notre famille dans les tâches qu’il lui faut accomplir. Ce soir Achack va exécuter son rite de passage. Sitôt fait, il viendra avec moi à la chasse, nous ne rentrerons pas avant la fin de l’automne. Continue à apprendre de ta mère, ta tante et ta sœur le savoir-vivre, la générosité et la coopération. »
À la fois fier et troublé de se retrouver ainsi chargé d’une si grande responsabilité, le gamin acquiesça. Ahanu se tourna alors vers son aîné.
« Es-tu prêt ?
– Oui.
– Es-tu vraiment prêt ? »
Achack resta perplexe, pourquoi deux fois la même question ? Son père ne lui laissa pas le temps de l’interroger, déjà il entraînait ses fistons vers leur campement, afin de rejoindre leur famille pour l’enterrement.
Après avoir descendu la plate-forme de l’arbre, des membres du clan la déposèrent au centre du cercle que configurait l’assemblée. Ils enveloppèrent la dépouille de la peau peinte par son épouse et sa belle-sœur. Ils y rajoutèrent des écorces. Les proches placèrent aux côtés du défunt ses biens et ses objets personnels : sac-médecine, bol, cuillère, maïs, tabac et calumet, puis ils regardèrent en silence Loup gris être recouvert de terre. L’assistance donna aux esseulés des présents consolateurs qu’ils firent aussitôt circuler dans l’assistance en guise de reconnaissance. Il ne restait plus qu’à construire l’abri pour l’âme du disparu, le nourrir afin qu’elle puisse se réjouir lors de la fête d’accueil sur sa nouvelle terre.
Chargée de la récolte, une hotte en
