Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le tambour des limaces: Roman historique
Le tambour des limaces: Roman historique
Le tambour des limaces: Roman historique
Livre électronique278 pages3 heures

Le tambour des limaces: Roman historique

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Durant la guerre, alors que les hommes sont appelés au front, nombreuses sont les femmes qui ont dû prendre leur place.

Ce n'est pas le récit des combats de la première guerre mondiale, mais celui de ces femmes qui ont remplacés les hommes avec courage et abnégation dans toutes les fonctions qu'ils occupaient. A travers elles apparaîssent les prémices de la transformation de notre société et leur entrée dans la vie sociale actuelle.

Découvrer, dans un roman historique documenté, le rôle des femmes durant la guerre et les prémices des mutations sociales qui suivront.

EXTRAIT

Sans en avoir l’air, Aurélie le détaillait : bien plus grand qu’elle, ses cheveux clairs et bouclés contrastaient avec le sérieux de ses yeux noirs. Une moustache naissante donnait à ses 17 ans un air conquérant et l’apparence d’un homme fait.
Elle ne le trouvait pas du tout désagréable. Il lui confia le plateau de croissants croustillants, elle le remercia d’un sourire et l’emporta vers la boulangerie.
Lili avait déjà rangé une partie du pain sur les étagères, ensemble, elles terminèrent le travail. L’heure de l’ouverture approchait. Lili lui fit les dernières recommandations.
— Pour ce matin, tu me feras seulement passer le pain et tu rempliras la corbeille quand elle sera vide. Lorsqu’un client demandera des brioches ou des croissants, tu les mettras dans ces petits sacs, placés là sous le comptoir. Moi je m’occuperai de la pesée et de la caisse. Observe bien, tâche de retenir les noms, c’est important dans le commerce... Bon tout est prêt... J’ouvre…
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2019
ISBN9791094243909
Le tambour des limaces: Roman historique

Lié à Le tambour des limaces

Livres électroniques liés

Fiction sur l'héritage culturel pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Le tambour des limaces

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le tambour des limaces - Netty Pellissier

    VIANNES

    CHAPITRE I

    À quelques lieues d’Aix en Provence et tout pré de Salon de Crau, enroulé comme un limaçon autour de son clocher, le village de Pélissanne sommeillait. La chaleur perçait déjà malgré l’heure matinale. Par les volets entr’ouverts sur la petite rue Puits Laboou, Aurélie les yeux mi-clos, regardait le jour se lever. Aujourd’hui, samedi 1er juillet 1911, elle avait 14 ans.

    Mademoiselle Olivier, l’institutrice avait tenté hier soir encore une ultime démarche auprès de sa mère.

    — Louise, laisse ta fille continuer ses études, elle est intelligente et je l’aiderai.

    Mais Louise avait répondu non.

    Elle seule rapportait un peu d’argent à la maison avec ses lessives.

    Alphonse, son mari enseveli pendant deux jours sous les décombres du tremblement de terre de 1909, était sorti considérablement diminué physiquement et moralement par l’épreuve. Il ne pouvait travailler que lorsque les cigales chantaient, et elles ne chantaient pas longtemps ! Par contre les visites du docteur et les médicaments coûtaient cher.

    Caractère autoritaire, Louise faisait marcher le ménage et entendait en être la maîtresse. Dure avec elle même, elle ne faisait de concession à personne, lorsqu’elle prenait une décision il fallait s’y plier. 

    Aurélie avait l’âge d’être placée et la tante Lili qui tenait une boulangerie avec son mari César, proposait de la prendre pour l’aider.

    Aurélie irait à Egalières....

    D’un bond elle se leva. La fraîcheur des tomettes fut agréable à ses pieds nus. Sur la « toilette », un broc de faïence blanche rempli d’eau attendait. Elle se débarbouilla sommairement, brossa avec énergie la masse ondulée de ses cheveux couleur de châtaigne auréolant son petit visage pointu. Ses yeux marron et vifs accrochèrent un instant le miroir suspendu au mur. Retirant sa chemise de nuit, elle enfila très vite ses vêtements posés la veille sur la chaise paillée, recouvrit le tout du sarreau noir d’écolière qu’elle portait pour la dernière fois. Du tiroir de l’armoire à glace, elle sortit un ruban jaune, tira ses cheveux qu’elle noua en catogan, donnant toute son ampleur au petit front bombé et lisse. Le nez droit et fin, la bouche bien ourlée conféraient à son jeune visage une étrange sensualité.

    Elle se regarda, poussa un soupir de satisfaction, attacha ses sandales, descendit en courant l’escalier étroit et raide et déboula dans la cuisine en claironnant.

    — Bonjour maman !

    — Chut, tu vas réveiller ton père, assieds-toi et déjeune.

    Aurélie se glissa sur la chaise, sa mère posa sur la vieille toile cirée un bol de café au lait.

    — Si tu veux m’accompagner au lavoir, dépêche-toi, je pars tout de suite.

    Elle avala les dernières gorgées, rinça son bol à la pompe, le retourna sur la pile et tirant sans bruit la porte à mouches, rejoignit sa mère dans la remise.

    En silence elles chargèrent sur l’arrière de la brouette la grande corbeille où s’entassait le linge sale, journée de travail de Louise. Le battoir coincé contre le montant de bois, elles posèrent la lessiveuse sur l’avant, Aurélie souleva le couvercle et glissa à l’intérieur la pièce de savon de Marseille. Louise saisit les bras de la brouette et d’un coup de rein la souleva pour lui faire franchir le seuil.

    Aurélie marchait près de sa mère. Dans le village encore endormi, le grincement de la roue, pareil au stridulèrent d’un grillon montait vers le ciel, au-dessus des toits, les cris des hirondelles qui se croisaient, semblaient répondre à l’appel de la brouette. Elle aimait le calme de ces matins d’été, la tiédeur de l’air laissait présager une lourde journée de chaleur. Les senteurs des collines voisines apportées par la nuit parfumaient les rues encore désertes. Sur la place de l’église, un chien s’étira longuement à leur passage, elles traversèrent le chemin des Passadouires, l’horloge sonnait six heures quand elles débouchèrent sur les lavoirs.

    Le petit matin semblait puiser sa limpidité dans l’eau fraîche des bassins qui s’étaient remplis d’eau claire pendant la nuit. Déjà le claquement des battoirs sur le linge mouillé résonnait sous la voûte. Devant la caisse garnie de foin frais, Louise attacha son grand tablier noir. Aidée par sa fille, le linge posé à portée de main, elle installa la lessiveuse sur le trépied pour « mettre à bouillir » plus tard dans la matinée. Les bugadières se succédaient maintenant dans un grand bruit de roues grinçantes, de rires et d’interpellations. Le chant des battoirs devint étourdissant.

    Courbée sur la pierre lisse, les bras plongés dans l’eau Louise ne vit pas sa fille qui s’en allait à travers le pré, où sécheraient bientôt les lessives de la journée. Les fils de fer, vides pour le moment, avec leurs épingles abandonnées la veille, ressemblaient à d’immenses portées de musique piquées de notes folles.

    Aurélie poussa la porte du petit jardin qui longeait la ruelle à côté de la maison. Elle regarda un moment son père, les mains appuyées sur le manche de la bêche, la tête levée vers un pêcher qui croulait sous les fruits.

    — J’étais sure de te trouver ici, dit-elle doucement.

    — Prends un panier pitchoune , je vais en mettre quelques-unes au frais pour ce soir. 

    Elle lui tendit le panier qui attendait sur le mur.

    — Il faut que j’étaye, les branches vont craquer... Viens donc m’aider, seul je n’y arriverai pas.

    — Papa ce n’est pas possible, je dois aller à l’école, c’est le dernier jour, tu sais !

    — Vraiment ?

    Aurélie choisit d’ignorer l’insistance de son père et lui fit un signe d’adieu.

    — Tant pis... à ce soir alors.

    Dans la rue maintenant inondée de soleil, Aurélie se hâtait. Son sac d’écolière était lourd, elle rendait ses livres compagnons de travail d’une année. Petite, mince, elle donnait une impression de fragilité, mais son visage volontaire, coloré comme un abricot par l’effort et la chaleur rayonnait d’énergie.

    Lorsqu’elle pénétra dans l’école, le bruit et le mouvement de la cour l’étourdirent un moment. Des yeux, elle chercha le groupe des grandes, sous le préau, dédaignant les bousculades, elles formaient une petite coterie.

    Marthe Meissonnier lui fit signe.

    Toutes deux s’installèrent sur un banc qui courrait le long du mur. Du même âge qu’Aurélie, Marthe grande, brune, paraissait plus âgée. Sa douceur tempérait souvent l’enthousiasme de sa compagne, mais c’était Aurélie qui décidait toujours. Une complicité parfaite les unissait, leur amitié datait de leur petite enfance, depuis cette époque elles partageaient leurs joies, leurs chagrins, leurs secrets. Elle lui tendit un petit paquet

    — Tiens, bon anniversaire !

    Aurélie le défit fébrilement, elle découvrit une petite boîte blanche et dorée

    — De la poudre de riz ! Elle embrassa fougueusement sa compagne. Comment as-tu deviné ?

    Marthe se mit à rire.

    — Oh c’est bien simple, chaque fois que nous nous arrêtions devant la vitrine de Félicie Bérru, tu ne regardais que çà !

    Elle se pencha un peu plus.

    — Alors tu vas travailler chez ta tante Lili ?

    Le visage d’Aurélie se durcit subitement.

    — Oui, je pars après demain. Monsieur Magnan se rend à Orgon pour ses affaires, il me déposera en passant à Egalières.

    — Tu vas me manquer, comment ferons-nous pour nous revoir ?

    Aurélie, penchée sur la petite boite qui semblait retenir toute son attention, murmura.

    — J’y ai pensé. Tu pourrais venir pour la Saint-Laurent... Je m’arrangerai avec ma tante, elle m’aime bien...

    La cloche interrompit leur conciliabule. Elles se levèrent pour rejoindre leurs camarades déjà en rang devant la porte de la classe.

    L’odeur de l’encre, du chiffon humide sur le tableau noir, se mêlait à l’air léger du matin qui pénétrait par les grandes fenêtres ouvertes. De l’estrade fraîchement balayée montait une légère poussière dorée qui s’envolait dans les rayons du soleil.

    Mademoiselle Olivier debout derrière son bureau, attendit que chacune ait pris sa place.

    — Asseyez-vous, posez vos livres sur le bureau, nous les placerons par catégorie dans l’armoire.

    Le rangement se fit dans un bruissement de conversations chuchotées et de rires contenus.

    Les élèves surprises par cette liberté inhabituelle oubliaient les contraintes de l’année et leur audace avait déjà un air de vacances.

    Toute la journée l’école se prépara à son long silence d’été. Lorsque sonna enfin l’heure de la sortie, la joie explosa.

    Vive les vacances

    À bas les pénitences

    Les cahiers au feu

    Les maîtresses au milieu !

    Au revoir... Au revoir... Bonnes vacances !

    Bien sûr, certaines se reverraient bientôt. Pendant ces longues journées estivales, elles iraient courir les champs et les garrigues, jouer sous l’ombre fraîche des platanes, ou se baigner dans le canal. Mais pour Aurélie ce n’était pas seulement l’année scolaire qui se terminait, instinctivement elle pressentait qu’aujourd’hui finissait l’insouciance de l’enfance.

    Comme tous les autres soirs elle raccompagna Marthe, les Meissonnier exploitaient un mas sur la route de La Barben le temps ne leur paraissait jamais long ensemble, elles avaient tellement de choses à se raconter... Petits événements de la vie quotidienne, importants aujourd’hui, oubliés le lendemain.

    Aurélie rentra chez elle au soleil couchant, presque en même temps son père franchit le seuil de la porte.

    — Il fait noir comme dans un four ici !

    — Attends, j’allume tout de suite.

    Elle approcha de la mèche la flamme d’une allumette, remit le verre, et aussitôt la lueur ambrée de la lampe à pétrole illumina la cuisine.

    Sa mère s’activait déjà au repas du soir

    — Je t’aide ?

    — Non, tout est prêt, à table.

    Le repas se passa en silence. Louise épuisée par sa journée de travail appréciait ce moment de calme et chacun respectait sa tranquillité.

    Pourtant, ce soir elle se leva la dernière bouchée avalée avec un sourire mystérieux.

    Aurélie dévorée de curiosité ne tenait plus en place.

    — Bon anniversaire ! Tiens, c’est pour toi.

    Le chapeau de paille fleuri de seringa, si longtemps désiré était devant elle.

    La fillette se haussa sur la pointe des pieds, mit les bras autour du cou de sa mère et un baiser sur chaque joue.

    — Merci maman.

    Son père lui tendait un petit miroir ciselé

    — Voilà, comme ça, tu pourras t’admirer.

    — Papa...

    Heureuse elle l’embrassa.

    La vaisselle lavée elle plaça méticuleusement ses cadeaux. Le miroir dans son sac, le chapeau sur l’étagère dans l’armoire et la petite boîte de poudre dans le tiroir près du morceau de tapisserie rouge qui déteignait et dont elle avivait ses joues en secret.

    Elle rejoignit enfin ses parents qui « prenaient le frais » avec les voisins sur le seuil de la porte

    La journée avait été fertile en émotions. Assise sur la pierre encore chaude de l’escalier, bercée par le murmure des conversations, la tête appuyée sur l’épaule de son père, elle s’endormit rêvant au lendemain.

    — Aurélie, tu vas être en retard à la Messe !

    — J’arrive, je suis prête…

    Robe blanche ceinturée de velours grenat, le visage légèrement poudré sous le chapeau fleuri, Alphonse la regardait avec tendresse

    — Qué sies poulide com'aco ma chatoune... Anan, despèche té .

    Elle se retint de descendre en courant la rue en pente et pénétra dans l’église avec les retardataires alors que sonnait « le troisième ».

    Rapide, dans l’allée principale, elle dépassa les femmes qui égrenaient leur chapelet et rejoignit « Les Enfants de Marie » groupées autour de l’harmonium.

    De l’autre côté du chœur, sur les bancs du catéchisme, les futurs communiants essayaient d’avoir l’air recueillis. Derrière eux, séparés de leurs compagnes, les hommes endimanchés, les mains embarrassées par leur chapeau ou leur casquette, commentaient à voix basse les nouvelles de la semaine. Dans le transept, sans doute pour qu’on les reconnaissent là haut, les notables élevaient leur âme devant des prie-Dieu gravés à leur nom.

    Suivant la coutume, la jeunesse se rencontrait pendant la grand-messe pour préparer les escapades du dimanche après-midi. Malgré les coups d’œil sévères du curé Tarascon, les chuchotements étaient plus nombreux que les prières.

    Robes rouges surplis blancs, les enfants de chœur exclus des complots le temps de l’office tendaient l’oreille entre deux génuflexions pour essayer de savoir ce qui se tramait.

    CHAPITRE 2

    ITE MISSA EST

    Sur la place Pisavis ensoleillée, les conciliabules allaient bon train et se poursuivaient maintenant à haute voix.

    — Alors c’est entendu, nous nous retrouvons toutes au canal, derrière le moulin de Pessu ! Marthe, tu viendras me chercher pour les Vêpres, nous irons nous baigner ensuite.

    Le programme établi, Aurélie la tête bien droite pour ne pas perdre un pouce de sa petite taille, pouvait aller montrer son chapeau neuf dans le village. Bras dessus bras dessous, les deux amies se dirigèrent vers les cafés, lieu de rencontre des Pélissannais à l’heure de l’absinthe.

    Elle chassa d’un haussement d’épaules un ironique « L’as paga lou capéou !  » gouaillé en passant par les garçons. Les filles qui les croisaient s’appliquaient, elles, à ne rien voir.

    — Tu as vu, elles sont jalouses…

    — Marthe, voyons....

    Mais à l’ombre de ses cils, les prunelles d’Aurélie brillaient de satisfaction.

    — Elles vont en faire une jaunisse !

    Elles se promenèrent encore un moment sur les allées, puis se séparèrent enfin, en se rappelant le rendez-vous de l’après-midi.

    Les Vêpres expédiées, la petite troupe s’envola gaiement.

    — Dépêchons-nous, les garçons y sont déjà !

    D’un tacite accord, ils avaient abandonné aux filles la partie maçonnée du canal de Craponne, juste derrière le moulin à huile. Les cannes qui poussaient en abondance à cet endroit, leur permettaient de se déshabiller à l’abri des regards. Eux, avaient choisi un emplacement un peu en amont, plus large où une grosse branche tombée en travers leur permettait de plonger.

    Vêtements jetés pêle-mêle, ce fut à celle qui entrerait la première dans l’eau.

    Aurélie, bousculant les hésitantes, se lança dans le courant.

    — Ho lala qu’elle est bonne !... Venez vite !

    Encouragées, les autres sautèrent à leur tour faisant jaillir de grandes gerbes d’eau. Elles se laissaient porter par le courant sur une centaine de mètres, jusqu’à la grosse grille qui protégeait l’entrée de l’eau sous le moulin. Remontant alors sur les bords de pierres elles couraient se jeter à nouveau et recommençaient infatigables, le même manège. 

    Elles battaient l’eau des mains et des pieds, ruisselants et ravis. Pantalon et chemise plaquée sur le corps laissaient deviner les poitrines naissantes et les petites fesses rondes.

    Bien sûr, les garçons essayaient de venir les voir, cela faisait partie du jeu et des plaisirs de la baignade. Elles les chassaient en les aspergeant, avec des cris effarouchés.

    — Allez-vous-en ! Allez-vous en mouffatans ! Ici c’est défendu !

    Au milieu des rires ils repartaient vers leur domaine, revenaient un peu plus tard pour être chassés à nouveau.

    Avec le déclin du soleil, les jeux devinrent moins bruyants, à regret, par petits groupes, les enfants quittèrent les lieux de leurs prouesses.

    Aurélie rentra à la nuit tombée, ivre de fatigue et de soleil. Blottie sur les genoux de son père, elle réalisa soudain, qu’elle partait le lendemain. Elle se serra plus fort contre lui.

    Alphonse sentit son désarroi, il lui caressa les cheveux.

    — Je crois que tu es trop fatiguée pour monter les escaliers, ce soir je te porte dans ton lit.

    Passant ses bras autour du cou de son père, retenant ses sanglots, elle se laissa emporter et coucher sans un mot.

    Au pied de son lit, sa mère avait préparé les affaires qu’elle emportait à Eygalières dans un sac de toile. Elle ferma les yeux pour ne pas voir son père refermer doucement la porte.

    À présent la rage l’emportait sur le chagrin, elle en voulait au monde entier, à son père trop faible, à sa mère inflexible, elle tournait et retournait dans son lit sans pouvoir trouver le sommeil.

    Elle aurait voulu mourir pour les punir !

    Jamais elle n’accepterait l’avenir qu’on lui préparait, cette vie grisâtre dans laquelle s’engluait sa mère. Ailleurs existaient aussi l’espoir, le bonheur, la beauté, le plaisir, elle en voulait sa part !

    Alphonse avait toujours été de santé fragile, et aujourd’hui plus encore. La gaîté, la vivacité d’Aurélie, les petites attentions dont elle l’entourait, allégeait son existence.

    Il supportait avec passivité le caractère exigeant de Louise, soulagé, sans se l’avouer, qu’elle prît les décisions à sa place. Le départ de sa petite lui donna pourtant le courage de l’affronter.

    — Pourquoi places-tu déjà Aurélie, elle est si jeune, tu aurais pu attendre encore un peu et trouver une autre solution.

    — Une autre solution ! Et laquelle ? Tu sais aussi bien que moi que ce que je gagne suffit à peine à nous faire vivre !

    Toute sa vie elle avait suivi les principes qu’on lui avait inculqués dès sa petite enfance. La docilité envers ceux qui la commandaient, la patience, l’oubli de soi...

    Elle n’avait jamais eu le temps de se poser de question ni d’apprendre à sourire. Mariée très jeune à un homme malade et bien plus âgé, en butte avec la famille qui lui reprochait son ventre plat... Mais pour faire un enfant, il faut être deux !...

    Depuis quatorze ans elle s’efforçait de transmettre à sa fille unique les mêmes règles de vie. Mais Aurélie, la plupart du temps n’en faisait qu’à sa tête, soutenue par l’indulgence notoire de son père. Elle emplissait la maison de ses galopades, de ses éclats de rire ou de ses colères

    Oui, il était vraiment difficile d’élever une fille pareille... avec Alphonse qui refusait d’assumer le moindre fardeau !

    Elle poussa un profond soupir et jeta un regard noir à son mari.

    — Évidemment, si j’étais un peu plus aidée ! Mais, bien sûr il n’en est pas question ?

    Alphonse comprit que la discussion était vaine, conscient de sa faiblesse, il se tut, triste de ne pas pouvoir défendre sa fille. Il n’avait pas droit au chapitre.... 

    CHAPITRE II

    Le jour pointait à peine lorsque la carriole de Jules Magnan s’arrêta au bout de la ruelle.

    — Hou Louise ! Ta fille est prête ?

    — Mais oui, entre, tu prendras bien le temps d’un café

    — Ce n’est pas de refus, mais je ne veux pas m’attarder, la route est longue jusqu’à Orgon, et aujourd’hui il ne va pas faire froid et puis Germaine tient à ce que je rentre ce soir.

    Louise lui versa le café et reposa la cafetière qui restait au chaud en permanence sur la cuisinière.

    — Tu as une commission à faire à ta sœur Lili ?

    — Non... Nous nous sommes entendues sur tout, la dernière fois.

    Il finissait son verre quand Aurélie parut au bas de l’escalier portant son bagage.

    — Bonjour, monsieur Magnan.

    — Bonjour petite ! Dis donc, ton sac est presque aussi grand que toi. Donne le moi que je le mette dans la voiture.

    Ils sortirent tous les trois. Jules grimpa le premier avec le sac et le plaça sur ses affaires, tendant la main à Aurélie, il l’enleva comme une plume.

    — Hop, assois-toi là près de moi.

    Louise les suivait. Elle lui fit passer un panier recouvert d’un torchon.

    — Je vous ai préparé la biasse , vous aurez sans doute faim et soif en route.

    — Merci, on s’arrêtera après Eyguières dans les collines.

    Elle s’approcha de sa fille et adoucit sa voix.

    — Donne-nous de tes nouvelles, embrasse ton oncle et ta tante pour nous... Allez Adésias ! 

    Aurélie agita la main. Levant les yeux, elle aperçut son père à la fenêtre.

    Le fouet claqua, hue... la carriole s’ébranla. Elle n’avait pas prononcé un mot, elle ne se retourna pas. Elle quittait ses parents, ses amis, son village... Bien sûr son oncle et

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1