L’enfant-roulotte
Par Claudine Levéel
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Claudine Levéel puise dans la littérature et la lecture une source de sérénité et de savoirs. À travers l’histoire d’Eulalie, elle dévoile avec subtilité les blessures invisibles de l’enfance et l’impact des attitudes méprisantes sur l’attachement et la confiance en soi.
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Aperçu du livre
L’enfant-roulotte - Claudine Levéel
I
Par moments, elles côtoient la mort, toutes les deux.
Elles frôlent l’asphyxie, l’abandon, le renoncement.
Des cris, des gémissements retentissent dans la chambre. Rongée par des douleurs aussi dévastatrices que des cyclones, elle se croit en miettes, la mère.
Et puis non.
Entre deux, pendant les accalmies, tout lui revient : son corps, son souffle, ses idées.
L’enfant, de son côté, reprend sa traversée…
Et voilà qu’arrive enfin la délivrance.
C’est fini.
L’enfant vient de trouver le monde après des heures de lutte ce mercredi 20 mars 1946 à 15 heures.
Peu après, le père, impatient, agité, bourré de colère, pénètre dans la chambre en maugréant. Il n’essaie même pas de dissimuler son air menaçant. Il ne sait pas ce qu’il va faire si…
Et immédiatement, les mots-torture prennent place, habitent le silence, dénoncent ses pensées maléfiques, lorsqu’il entend son épouse exténuée murmurer : « C’est une fille ».
Ébranlée, à bout de forces, la mère se tait. Garde ses mots. N’en donnera plus. Enfin, pour le moment. Laisse le temps faire son métier. Il va bien finir par lâcher, le père. Pas si mauvais bougre. Déçu, oui, impulsif, oui, mais pas cruel. Il veut faire peur, mais… c’est lui qui est mort de trouille.
C’est dit. Le nouveau-né est une fille. La terre tourne quand même et c’est le printemps.
Et chacun de retourner à ses tâches.
Angèle, l’accoucheuse, s’affaire dans la chambre, remet un peu d’ordre. Ça fait longtemps qu’elle accueille les vies, elle sait y faire. Elle enlève les draps, l’odeur du sang humide et celle des douleurs, elle va laver tout ça. L’enfant s’est assoupie, la mère, pour finir, aussi. Reste le père qui rôde, prêt à faire une connerie, celui-là. Elle fait gaffe, l’air de ne pas y toucher. Il ne fera pas de mal à cette gamine. Elle se mettra en travers. L’en empêchera. Faut juste attendre. Que la colère passe. Qu’il revienne à la raison. Elle en a vu d’autres, Angèle. Elle s’y connaît, en bonhommes énervés, en pères contrariés, en petiots pas désirés, mal reçus, pas aimés. Elle prend son mal en patience. Elle sait bien que ça va se calmer. Elle attend. Nourrit la môme. Évite qu’elle piaille. Change le lange. Ferme la porte.
Le père, il n’aime pas ça, que la mère soit en couches, mouillée de mort, gémissante, fébrile, le corps en vrac, les seins gorgés de lait. Il la veut affriolante, sauvagement sensuelle, légère. À la voir dans cet état, il s’affole. La connait plus. Et si plus jamais elle redevenait comme avant ? Si elle restait comme elle est là ? Une autre. Métamorphosée par la mise-bas. Une animale, une femelle. Il y est pour quelque chose, pour sûr. Ce soir-là, à la St-Jean, elle était belle, sa Lucienne, belle comme les étoiles, quand il l’a roulée dans les foins. Ça lui donne la nausée. Aurait pas dû. Son désir l’a mâté. Et voilà.
Perdu. Pensées violentes. Se sent méchant. En veut à la p’tite. À la mère. À lui. Voulait pas d’enfant. Voulait juste le désir, le plaisir, les corps enlacés, les ondes lumineuses, la jouissance.
Il quitte la chambre, se mouche bruyamment, entre dans la cuisine. Va boire un coup. Un verre de cidre. Manger un bout de pain. Il fait une grimace. S’assoit au bout de la table. Les yeux dans le vague. N’entend plus rien. Comprend. Comprend qu’ils sont trois. La pisseuse, va falloir faire avec. Une bouche à nourrir. Un fardeau pour l’avenir. Encore une idée du Bon Dieu. Sait vraiment pas quoi inventer, celui-là. Y voulait un p’tit gars, l’père, pour la terre, pour la ferme, pour les bras forts qui l’aideraient aux moissons, bah, pas qu’les moissons, y a tout l’reste, et il énumère dans sa tête : les labours, la traite, les p’tits veaux, l’poulailler, l’marché, l’bois, tout ça, y’arrivera pas, quand il sera plus vieux, fallait un p’tit gars. Puisqu’c’est comme ça, priera plus, ira plus à la messe.
Il a vidé sa moque, mâché son pain, il se lève, prend sa veste suspendue au porte-manteau près de l’âtre, l’enfile et s’en va.
Dehors.
Il fait doux.
La chaleur du soleil le surprend.
Il jure.
Pendant ce temps-là, elle, la petite, a fermé ses yeux, les pores de sa peau délicate et ses poings.
Puisque le père n’y est plus, Angèle l’amène dans la cuisine. Elle y sera mieux, il y fait plus chaud.
Elle respire à peine, mais c’est plus fort qu’elle, cette vie à fleur de lèvres, cette vie de la bouche et du mouvement de succion, à peine perceptible, c’est joli. Ça parle de tendresse, de lait et de baisers, ça raconte le plaisir.
Blottie au fond du berceau, dans le moelleux des draps et de la couverture, elle attend. Elle a entendu les voix qui s’affrontaient. Alors elle a compris, elle ne va pas se manifester. Pas maintenant. Pas tout le temps que l’être aux paroles lancées comme des poignards lui en veut.
La voix-colère lui a glissé des tremblements sous la peau.
Dans son for intérieur, elle se fabrique une armure : le silence.
Elle écoute la maison.
Elle entend :
Le tic-tac de l’horloge, le crépitement du feu dans le fourneau, le ronronnement du chat…
Le froissement léger du tissu de la robe d’Angèle quand elle se déplace.
Le calme, au milieu de ces petits bruits.
Elle est encore un peu fripée, encore couleur mère. Leurs corps s’emmêlaient depuis si longtemps. De petits cheveux frisottent sur son crâne. Leurs reflets or et braise léchouillent son visage.
« C’est un ange, diraient certains, c’est le diable », diraient les autres.
Elle n’a pas de nom. Pas encore. Il faut que le père aille à la mairie, pour le nom, mais ça…
Elle n’a pas de prénom. Pas encore. Elle est sage et potelée, jolie et muette, une image. Elle se fait oublier, c’est mieux comme ça. Il y aura bien un moment où quelqu’un la regardera avec des yeux remplis de fleurs de magnolias. C’est ce qu’elle se dit, avec les bruits mouillés de ses lèvres et ses petits poings fermés.
En attendant, pas de nom, c’est comme un danger. Pas de nom, pas de preuve, pas de trace, quelqu’un pourrait encore décider qu’il ne s’est rien passé. Qu’elle n’est même pas née.
Elle a commencé à goûter la chaleur de la main qui prend soin. La main d’Angèle. Et l’odeur. L’odeur du corps d’Angèle, une odeur de pain chaud.
Ces sensations brisent le souvenir. Son premier souvenir : une descente rapide et vertigineuse au milieu de flots impétueux, de spasmes violents, de morceaux de guerre, où elle glissait sans pouvoir se retenir, happée par un vide inconnu qui l’extirpait du cocon, de cet antre douillet et protecteur où elle s’était nichée. Expulsée de ce lieu incomparable, puis sauvée d’un chaos indescriptible, la voilà confiée à la douceur d’Angèle.
Elle vient de naître, mais elle se tait, oui, à cause des poignards dans les colères qui lui rappellent cette étrange traversée.
Dans la chambre, juste à côté, la mère dort.
Des heures durant elle a hurlé de douleur, transpiré, frissonné, senti sa peau mourir, de chaud, puis de froid, alternativement. Ce ventre éclaté, ces soubresauts, cette violence des chairs et du sang, non, elle n’avait pas imaginé ça.
Elle a bien cru qu’elle allait y rester. Rendre l’âme en même temps que l’enfant. Perdre son souffle quand tout son corps se crispait, la serrait, l’étouffait. Sidérée par la sauvagerie de ce bouleversement, elle en a oublié totalement ce qui se jouait là, dans ce chaos des muscles et de la vie. Oublié que l’enfant allait naître. Oublié jusqu’à l’enfant, d’ailleurs.
Il n’y a pas beaucoup de poésie dans ce combat. Il y aurait plutôt une sorte d’acharnement de la nature à avoir le dernier mot, celui qui se traduit par un cri : le premier.
Et quand la mère a enfin entendu ce cri-là, elle, elle n’était plus là.
Brisée, exténuée, ne maîtrisant plus rien, ni elle-même, ni ses rêves, elle s’était assoupie, d’un coup, d’une manière aussi brutale que l’avait été l’événement.
Elle pourra, un jour prochain, sans doute, se rappeler la St-Jean précédente. Cette soirée aux chaudes lumières, aux odeurs de foin sec. Cette fête de la vie pour entamer l’été. Ces craquements joyeux du bûcher de fagots avalés par le feu. Et le regard d’Etienne, sombre comme la nuit, zébré d’ocres et de lueurs de flammes, posé sur elle, telle une galaxie. La vie bleue de cet homme coulait dans ses veines, gonflées comme les ruisseaux après les pluies d’orage. Son désir d’elle, tout neuf, impérieux, illuminait son sourire décidé. Dans ses bras, amoureuse et comme envoûtée, elle s’était abandonnée. Complètement.
Un jour, bientôt peut-être, elle se remémorera le moment, magique, où sous les étoiles, auxquelles ils avaient livré leurs expressions les plus archaïques, tout avait chaviré.
Mais là, maintenant, sur sa couche de primipare, loin d’elle les souvenirs, elle n’a plus de mémoire.
Elle somnole. Elle a froid. Elle saigne. Elle n’entend plus l’enfant, ni le feu, ni l’horloge. D’ailleurs, elle a perdu toute notion du temps. Elle a l’impression que des morceaux de ciel sont tombés dans son lit. D’un geste engourdi, elle remonte sa couverture et s’étonne de rencontrer la laine sous ses doigts. Elle croyait vraiment qu’elle allait, pour mieux se couvrir, déplacer un nuage.
II
Etienne titube, presque, en sortant de la maison. Pas à cause du cidre, non, il n’en a pris qu’un verre. C’est plutôt le chaud sur sa peau, dans sa barbe, et surtout les vents à l’intérieur, sous son crâne qui le font vaciller, qui lui ravagent sa vie. Qui rugissent, se démènent, nouent et dénouent ses pensées. La pisseuse y est pour quelque chose, elle vient de briser son rêve. C’est à cause d’eux qu’il marche de travers, à cause des nœuds et des colères.
