Fulgurante enfance: Roman
Par Anne Mesdon
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À propos de ce livre électronique
Hélène déteste les filles de sa classe et se bat comme un garçon. Elle fera sa communion juste pour ne pas contrarier sa mère ! À douze ans, elle pose déjà un regard exigeant sur le monde des adultes duquel elle préfère se détourner en vagabondant sur les coteaux qui entourent le village ou en retrouvant son seul ami, Charles, les jeudis. Cette vie étriquée bascule le jour où un couple d’Espagnols, fuyant le régime de Franco, débarque avec leur fille Mona du même âge qu’elle. « Des étrangers qui ne parlent même pas le français… ils viennent nous voler notre travail. » Les esprits s’échauffent dans le vignoble. L’existence y est rude. Tout peut chavirer brutalement. Hélène, l’insolente, décide de prendre Mona, la silencieuse, sous son aile. Son amitié, ses attentions, sa générosité suffiront-elles pour sortir Mona de cet univers impitoyable qu’elle découvre ?
Des personnages torturés, mais aussi attachants, dans cette bouleversante histoire qui restitue de façon magistrale le climat des bourgades dans les années soixante.
Un roman empli de douleur mais aussi de beauté.
EXTRAIT
La bâche de la camionnette résiste aux assauts du vent. La pluie crépite en s’abattant sur la toile. Les claquements secs la maintiennent éveillée. Elle sait qu’elle ne dormira pas. Le bruit du moteur, les couinements, et puis cette anxiété diffuse qui lui étreint la poitrine. Malgré ses douze ans, Mona n’a pas vraiment peur. C’est son père qui conduit. Il lâche parfois quelques jurons et rien que cela lui fait monter les larmes aux yeux.
Elle est bien calée à l’arrière du véhicule, protégée par de grosses couvertures qui, avec l’humidité, sentent le mouton. C’est une odeur familière, rassurante. L’odeur de son pays natal, l’Espagne, de son village Moral de Calatrava, de l’enfance heureuse qui s’est brisée net un soir de septembre 1962, alors qu’elle rentrait de l’école. Elle a tout de suite compris que plus rien ne serait pareil. Comment aurait-il pu en être autrement tandis que son jeune frère gisait au pied de la charrette, fauché par le tir d’un pistolet ? Le « PA Ruby 7,65 mm » réglementaire, précisait le rapport de la Guardia Civil… Un voile rouge lui a brouillé la vue. Une poigne puissante l’a plaquée au sol et une main rugueuse s’est collée contre sa bouche pour l’empêcher de crier. Elle sent encore l’odeur de la poussière lui pénétrer les narines avant de s’évanouir.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Anne Mesdon est originaire d'un village en plein cœur du vignoble nantais. Dès son plus jeune âge, elle prend plaisir à raconter des histoires, à « se » raconter des histoires durant les longs trajets qui la séparent de son foyer au village, à l’école, et plus tard, à l’arrêt du car.
Au fil du temps est né le besoin de les transcrire et de ranimer les émotions. Aujourd’hui, ses fictions mêlent habilement des éléments autobiographiques à des évocations de la France des années 60. Elle espère réussir à créer un lien entre le passé et le présent pour le transmettre au lecteur.
L'auteure vit à Nantes.
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Avis sur Fulgurante enfance
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Aperçu du livre
Fulgurante enfance - Anne Mesdon
REMERCIEMENTS
Mes remerciements pour leur soutien à Dominique Bueno et Martine Gautier-Perot.
La bâche de la camionnette résiste aux assauts du vent. La pluie crépite en s’abattant sur la toile. Les claquements secs la maintiennent éveillée. Elle sait qu’elle ne dormira pas. Le bruit du moteur, les couinements, et puis cette anxiété diffuse qui lui étreint la poitrine. Malgré ses douze ans, Mona n’a pas vraiment peur. C’est son père qui conduit. Il lâche parfois quelques jurons et rien que cela lui fait monter les larmes aux yeux.
Elle est bien calée à l’arrière du véhicule, protégée par de grosses couvertures qui, avec l’humidité, sentent le mouton. C’est une odeur familière, rassurante. L’odeur de son pays natal, l’Espagne, de son village Moral de Calatrava, de l’enfance heureuse qui s’est brisée net un soir de septembre 1962, alors qu’elle rentrait de l’école. Elle a tout de suite compris que plus rien ne serait pareil. Comment aurait-il pu en être autrement tandis que son jeune frère gisait au pied de la charrette, fauché par le tir d’un pistolet ? Le « PA Ruby 7,65 mm » réglementaire, précisait le rapport de la Guardia Civil… Un voile rouge lui a brouillé la vue. Une poigne puissante l’a plaquée au sol et une main rugueuse s’est collée contre sa bouche pour l’empêcher de crier. Elle sent encore l’odeur de la poussière lui pénétrer les narines avant de s’évanouir.
Depuis près d’un quart de siècle, l’Espagne était dirigée de main de maître par le « généralissime » Franco. Il ne faisait pas bon être opposant à la dictature et encore moins avoir des sympathies communistes. Son frère a eu le tort de parler trop haut, de dénoncer des injustices au profit des quelques gros propriétaires du coin. Il s’est montré avec d’autres râleurs, tout aussi vindicatifs. Mais au final, il n’avait rien fait, il s’était juste exposé. Mieux valait courber l’échine pour éviter les représailles. Hélas !
Après le drame, Mona et ses parents sont entrés en errance. Elle compte les jours, le temps qui s’est écoulé depuis leur fuite. Elle a quitté son quartier de Moral de Calatrava et son cher pays. Les souvenirs l’assaillent, douloureux, et elle ne veut pas se laisser envahir. Elle n’a pas tout compris, excepté le chagrin de ses parents, sa grande peine, l’urgence de prendre la route, de fuir la Guardia Civil et de gagner la France. Elle n’a pas posé de questions. Son père a glissé une arme dans la ceinture de son pantalon. Il a confié au grand-père, leurs vignes, leurs bêtes, la petite ferme avec l’âne attaché au pied du mur de briques rouges. Un voisin lui a remis les clés de sa camionnette et à la nuit tombée ils ont roulé pour passer la frontière, filer vers la France. Les larmes de sa mère, c’était moins pour l’adieu à la belle province de La Mancha que pour son fils chéri dont le corps avait été traîné dans une charrette et embarqué par la Guardia Civil jusqu’à la caserne de Ciudad Real.
Mona, ballottée par la conduite nerveuse de son père qui jure par intermittence contre l’adversité, sa fatigue, sent sa chair devenir douloureuse, les courbatures l’envahir. Cela fait maintenant des heures qu’ils traversent cette région de l’Ouest de la France dans des conditions vraiment pénibles. Sa mère n’a pas résisté. Elle s’est assoupie. Elle a la tête appuyée sur un ballot avec le linge qu’ils traînent dans leurs pérégrinations. Mona a remonté bien haut la couverture en laine de mouton afin de se protéger des courants d’air. À chaque secousse, la bâche s’écarte et elle aperçoit les halos tremblotants tracés sur la route par les phares de la camionnette. Elle voit aussi les longues stries de pluie qui balayent le pare-brise. Les essuie-glaces ont bien du mal à assurer leur fonction. Un dernier virage, l’amorce d’une ligne droite, et son père, après quelques hésitations, engage une manœuvre pour garer son véhicule. Ils sont arrivés au bout de la route.
Il coupe le moteur. Il échange quelques paroles brèves et sèches avec sa mère qui vient d’être arrachée au sommeil. Il descend du véhicule, referme la portière avec précaution pour éviter le bruit. C’est instinctif, il courbe le dos, enfonce sa casquette comme le font les vignerons surpris en plein rang par une averse. Mona l’observe à travers un interstice de la bâche. Il fouille dans sa poche, cherche à s’abriter de la pluie et repousse la treille de vigne qui masque la porte. Il introduit la clé dans la serrure. Il peine un peu, force, jure et enfin elle s’ouvre. C’est un antre tout noir. Mona est secouée par un grand frisson. Elle sait son père mort de fatigue, sa mère épuisée. Elle n’ose pas faire une comédie pour obtenir la permission de dormir dans la camionnette. Son frère n’est plus là. Il lui faut désormais être raisonnable. Elle obéit à l’injonction de son père. Le geste est autoritaire. Elle empoigne son sac et surtout la couverture qu’elle évite de traîner par terre. Sa mère la précède. Elles s’engouffrent dans ce qui semble être un cabanon.
La lampe-torche balaye la pièce. Son père avance avec précaution. Visiblement, l’endroit a été sommairement préparé à leur intention. Le sol, des tommettes de terre cuite, a été nettoyé. Aucune toile d’araignée, même sur les poutres où sont accrochés divers ustensiles. Elle pousse un soupir de soulagement. Dans un coin, une table, couverte d’une toile cirée à carreaux rouges, trois chaises, une lampe-tempête et une boite d’allumettes. Tout a été prévu. La pièce éclairée, ils découvrent les lieux. Mona avance entre son père et sa mère et elle se sent ainsi un peu plus rassurée.
La deuxième pièce est visiblement destinée à servir de chambre. Elle est soulagée, il y a une fenêtre avec des volets qui ont bien du mal à tenir fermés. Une ficelle les oblige à rester plus ou moins en place. Ils battent au moindre coup de vent. Sur le sol, toujours les tommettes et deux matelas disposés, à l’opposé, aux angles de la pièce. Pour faire séparation, un drôle de paravent, décoré d’affiches couvertes de grappes de vigne où s’entrelace tout un texte qu’elle ne comprend pas. Sur les lits, des édredons et des oreillers. Quelqu’un a pensé à eux. Mona observe que sa mère a les yeux humides. Il leur reste à découvrir le petit recoin du fond. Ils y trouvent une table sur laquelle est posée une cuvette avec un gros morceau de savon et au pied, un broc plein d’eau. Au-dessus, de guingois, trône une glace à l’entourage de plastique vert. C’est la première fois que Mona en voit une de la sorte. Un rideau grossier cache les pieds de la table. « Hélas, pense-t-elle, l’endroit est clos ». Elle s’arrangera pour ne pas s’y attarder. Elle ne supporte pas d’être enfermée.
Sa mère lui désigne le petit lit. La fillette ne fait pas d’histoire. Elle laisse l’édredon qui sent la poussière et mille autres choses sous elle et s’entortille dans la couverture en laine. Sa mère pose sur elle la peau de mouton. Elle lui chatouille le nez, mais elle a appris à s’en accommoder. Elle sombre dans un profond sommeil.
***
Mona lutte pour prolonger ce moment particulier, entre conscience et inconscience, qui précède le vrai réveil. Elle ne veut pas abandonner la chaleur du lit, l’odeur de la peau de mouton et ouvrir les yeux sur ce qui va désormais être son quotidien. Un bruit de conversation la ramène par intermittence à la réalité. La voix de son père, la rudesse, mais aussi la musique familière de leur langue, celle qu’elle comprend, celle qu’elle a parlée jusqu’au soir de ce maudit jour. D’autres voix, incompréhensibles, à la consonance bizarre, s’interfèrent, celle d’un homme puis celle d’une femme plus douce, presque compatissante. Enfin, celle de quelqu’un de jeune qui s’applique à construire des phrases basiques et là, elle comprend. Cela lui rappelle le temps où elle apprenait à lire, une sorte d’ânonnement relayé par de longs temps d’hésitation. C’est sa langue natale. Elle repère des fautes qu’elle juge grossières. Les informations fournies concernent la vie pratique et doivent être précieuses pour ses parents.
Elle décide de se couper de tout cela. Elle ne peut plus dormir. Elle ouvre les yeux. Le jour filtre à travers les volets. Un grand rai de lumière dans lequel batifolent une multitude de poussières, de toutes les formes, de toutes les tailles, des rondes, des longues. C’est amusant ! Elle les étudie et cela lui évite de penser. Elle se sent à deux doigts de pleurer. Il ne faut surtout pas qu’elle se laisse envahir par le chagrin. Elle aimait tant se réveiller dans sa petite chambre toute blanche, très propre, à Moral de Calatrava. De sa fenêtre, elle pouvait observer les toits de tuiles rouges qui s’enchevêtraient, le cochon en liberté, l’âne attaché à l’arceau scellé dans le mur et le sol de terre battue, sec et poussiéreux.
Le bruit des voix s’estompe. La porte grince, un des gonds manque sûrement d’huile. Son père est parti. Elle entend sa mère qui marmonne de longues litanies, des lamentations entrecoupées de sanglots, tout en s’activant dans ce qui fait office de cuisine. Mona a remarqué qu’elle s’adonne souvent à ce genre de rituel. Le chagrin a par moment raison de son esprit et elle s’abandonne à sa souffrance. Elle perçoit des bruits. Sa mère doit faire le ménage et cela la rassure. Ce n’est pas facile de les identifier, de les associer à une activité précise, mais c’est distrayant. Soudain, la porte s’ouvre et sa mère s’approche du lit. Elle soulève avec précaution la couverture et lui secoue délicatement l’épaule. Son enfant doit se lever, le lait est chaud. La fillette s’oblige à obéir.
Sa mère a un pauvre visage défait, fatigué. Ses beaux cheveux noirs grisonnent sur les tempes et à la racine du front. Elle a beaucoup maigri. Personne, au pays, ne pourrait reconnaître la belle femme solide et bien plantée que la quarantaine venait juste d’effleurer. Elle a déjà lessivé le sol à grande eau et par la porte entrouverte, c’est un air frais et piquant qui pénètre. Le lait fume dans le bol. Mona lui trouve une odeur écœurante. Ce n’est sûrement pas du lait de chèvre. Le pain à côté de son bol a un drôle d’aspect, tout blanc. Elle n’a pas envie d’y goûter. Mais sa mère l’observe, inquiète, alors elle se force à boire et à manger.
Pour oublier le dégoût qu’elle éprouve à absorber cette nourriture, elle détaille la pièce. Avec satisfaction, elle découvre que la porte est encadrée de deux petites fenêtres, quatre carreaux chacune, en partie masquées par une grosse treille de vigne. Elle se dit que son père ne manquera pas de la tailler et ainsi le jour pénétrera encore plus. Dans un passé lointain, les murs ont été blanchis à la chaux, mais ils sont désormais largement jaunis par le temps et aussi par la fumée de la cheminée. Le foyer est allumé, garni de gros ceps qui se consument en procurant un peu de chaleur. Sa mère ferme la porte.
C’est la pièce commune. Il y a un vieux bahut où sa mère est en train d’installer leur linge. Un vaisselier bancal est appuyé contre le mur, juste à l’entrée de la chambre. Il fait face à un évier rudimentaire, en fait un gros bloc en pierre, scellé au mur, creusé et percé d’un trou pour l’évacuation de l’eau. Un broc en aluminium étamé est placé dessous ainsi qu’une bassine.
Par endroit, un reste de dentelle jaunie décore des étagères où de la vaisselle plus ou moins ébréchée s’entasse de façon anarchique. Mona a l’impression qu’on vient de la déposer là. Quelques couverts et ustensiles de cuisine ont sûrement été apportés ce matin par la femme qu’elle a entendue parler. Sa mère s’emploie à tout ranger. Elle ouvre les tiroirs, passe le chiffon. Elle ponctue chaque action de plaintes furtives, de haussements d’épaules, oubliant parfois qu’elle s’essuie les yeux avec un chiffon plein de poussière. Le visage de sa mère est rouge, boursouflé. Mona se lève, va chercher un linge propre dans le coffre, le trempe dans le pot à eau et le lui tend. Sa mère regarde vers la table, constate qu’elle a bu le lait et mangé le pain. Alors, elle l’enlace à n’en plus finir et l’enfant vibre à l’unisson des longs sanglots maternels. Elles restent ainsi, serrées l’une contre l’autre, longtemps, sans aucune notion du temps.
Dehors, la luminosité aveugle Mona. Elle est pourtant habituée au soleil, à sa lumière sèche, au bleu intense du ciel et à la chape de chaleur qui accable tout le monde en plein après-midi. Ici, ce n’est pas pareil ! Ce qui la surprend, c’est la brillance de tout ce qui l’entoure. La végétation, les murs peints des maisons, le sol empierré, tout brille de la dernière rincée tombée la nuit précédente. Elle met du temps avant de pouvoir ouvrir les yeux tout en grand, fixer les détails, regarder au loin. Excepté la vigne, et encore… Rien ne ressemble à ce qu’elle a été obligée de quitter.
Soudain, son cœur cogne dans la poitrine. À quelques centaines de mètres, en haut de la rue, juste à l’angle constitué par une petite maison à deux pignons, basse comme celle de ses grands-parents, elle a l’impression de se voir, plantée en plein milieu du passage. Ce n’est pas possible, elle hallucine. Elle cligne des yeux. Elle les ouvre de nouveau et elle réalise qu’à peu de choses près, c’est son double qui l’observe, aussi intriguée et aussi figée qu’elle. Elles se détaillent de loin. Elles ont à peu près le même âge, la même taille. Toutes les deux portent des jupes épaisses, des chaussettes remontées jusqu’aux genoux et des lainages. C’est le début du printemps, mais les matinées sont très fraîches. Habituée au
