Le roi de fer
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À propos de ce livre électronique
Au milieu du soulèvement, depuis les tréfonds de ce royaume soumis, oeuvre un mystérieux individu, venu pour jouer le rôle du fléau, qui vient éliminer un à un ces hommes avides de pouvoir.
La félonie sera-t-elle plus forte que la tyrannie?
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Aperçu du livre
Le roi de fer - Amandine De Chanteloup
PROLOGUE
En l’an de grâce 1296,
Le silence pesant du château était brisé par des hurlements de douleur. L’atmosphère était si lourde que même les murs semblaient retenir leur souffle. Quelques femmes vêtues d’humbles vêtements passaient du couloir à la chambre en s’échangeant des murmures inquiets et emplis de doutes.
Le roi n’était même pas auprès de sa femme durant l’accouchement.
— Arrêtez tout ! Pitié, arrêtez ! soufflait la reine entre deux cris.
Les médecins ne cessaient de l’encourager depuis bientôt une dizaine d’heures, mais la femme était incapable de pousser l’enfant hors de son corps, même avec leur aide. Aucun des docteurs présents ne pouvait procéder à une tentative d’opération sans l’accord du roi.
L’état de la femme était critique. Elle faiblissait d’heure en heure et Dieu seul savait combien de temps elle allait encore pouvoir tenir. Le front de la jeune reine luisait de sueur, que quelques servantes essuyaient délicatement de temps à autre.
La porte de chambre s’ouvrit brutalement et le roi de Bretagne apparut sur le seuil, le visage grave. Il porta un regard indéchiffrable vers le corps parcouru de soubresauts de sa femme.
— Sortez, ordonna-t-il d’une voix gutturale qui fit frémir les femmes de chambre.
Les médecins s’adressèrent quelques regards surpris et hésitants avant de se retirer de la chambre en compagnie des servantes.
Le roi s’avança vers sa femme, qui pleurait de douleur. Elle agonisait presque.
— Ma reine, la salua-t-il avant de se porter à son chevet.
Elle prit dans sa frêle main celle de son mari. Il la fixa.
— Vous devez mettre cet enfant au monde, ma chère, dit-il d’abord posément. Vous ne pourrez pas tenir longtemps.
La reine retint un sanglot.
— Mon mari, l’aide des médecins et les prières seraient les seules solutions… Je ne puis le faire naître seule…
Elle souffrait tellement du regard impassible de son époux qu’elle eut presque envie qu’il quitte la pièce. Celui-ci voulait à tout prix avoir son héritier. L’opération était risquée, à la fois pour la mère et pour l’enfant.
Non. Il voulait son fils maintenant. Il le voulait vivant, et ce, à n’importe quel prix.
Le roi sortit sa dague, qui refléta la lueur orangée des flammes de la cheminée. À sa vue, la reine étouffa un cri en relâchant brutalement la main de son mari, qui s’avançait vers le ventre. Il le découvrit lentement, sous le regard terrorisé de sa femme.
— C’est fâcheux, mais il me faut à tout prix ce fils vivant. Je ne peux prendre le risque que ces hommes le manipulent pour finalement le perdre, expliqua-t-il d’un ton calme en effleurant le ventre gonflé du bout de son arme avant de poursuivre : regardez-vous, vous vous mourez d’épuisement.
La reine le repoussa faiblement en le suppliant tout bas d’appeler les médecins et de leur faire confiance. Son mari n’en fit rien. D’un coup, il planta la lame dans l’extrémité droite du ventre de sa femme, tout en bas afin de ne pas risquer de blesser l’enfant. Cette dernière lâcha un faible hurlement avant de saisir le bras de son mari à deux mains. L’homme la repoussa de manière brutale et entreprit de découper la peau qui retenait le bébé. Les supplications épuisées de sa femme ne l’ébranlaient guère. Elles cessèrent rapidement et le corps baigné de sang de la reine se raidit. Le roi repoussa la chair et découpa la membrane qui enveloppait le corps du bébé. Il saisit le petit humain, couvert du sang de sa mère, à deux mains en le soulevant dans les airs afin de l’observer attentivement.
Un cri de fureur s’échappa de ses lèvres et, de ses mains tremblantes de colère, il manqua de lâcher l’enfant hurlant.
Le bébé était une fille.
CHAPITRE I
En l’an de grâce 1313,
Dissimulé dans l’obscurité telle une ombre, l’inconnu escaladait la façade externe du château. Sa cape bruissait doucement en s’agitant au gré farouche du vent. Une fois arrivé sur l’appui de la fenêtre, il pressa ses fines mains gantées contre le battant, le faisant lentement basculer vers l’intérieur.
La forme indistincte se glissa à l’intérieur, drapée de sa cape qui lui donnait des allures spectrales. La fenêtre était légèrement entrebâillée, suffisamment pour laisser croire aux gardes qui patrouillaient qu’on avait simplement voulu laisser filtrer le vent frais de l’automne. L’inconnu se redressa avec élégance en observant l’intérieur de la pièce d’un œil calculateur. La chambre était plutôt vaste, meublée d’un immense lit à baldaquin deux places dont les couvertures étaient soigneusement disposées, tout comme tous les effets présents sur les commodes et les guéridons de la pièce. Une large cheminée en pierre ornée de motifs se situait non loin de la couche. Ses flammes projetaient des ombres filiformes sur les ternes murs de pierre et éclaboussaient un étroit bureau au bois lustré.
Un homme assez âgé y était assis, la tête effondrée sur ses bras croisés. Un encrier était renversé près d’un de ses coudes, sa plume gisant à quelques pouces.
La silhouette capée glissa sa main dans les plis de son vêtement, puis tira une longue rapière qui siffla doucement. L’homme, alerté, leva sa tête dégarnie en prenant vaguement conscience du courant d’air qui refroidissait la pièce.
Il se redressa lentement, encore engourdi par le sommeil. Il fit volte-face et son regard se heurta à l’inconnu, de petite stature, certes, mais néanmoins armé. Son visage était à demi dissimulé sous une lourde capuche, laissant entrevoir deux lèvres charnues qui esquissaient un sourire malsain.
— Que voulez-vous ? bafouilla le noble, décontenancé.
Il jeta un coup d’œil anxieux à la lame que l’intrus tenait à son côté.
— Ça ne durera qu’un court instant, souffla la voix enjôleuse de la jeune femme qui se cachait sous la capuche. Elle s’avançait d’une manière lente qui lui donna des sueurs froides.
L’homme tâtonna rapidement à la recherche des tiroirs de son pupitre, qu’il ouvrit maladroitement — sans tourner le dos à la silhouette — puis en extirpa une dague au manche serti de diamants.
L’inconnue s’arrêta face à lui en baissant les yeux vers la courte lame du duc. Elle lâcha un ricanement hautain.
— Je suis sûre que vous ne savez même pas vous en servir, déclara-t-elle en arborant un sourire provocateur qui dévoila ses dents comme une mise au défi.
Le duc serra le manche de son arme avant de se jeter sur elle en hurlant un « À moi ! » qui résonnait encore dans la chambre au moment où la femme lui trancha la gorge d’un mouvement précis du poignet. La lame fendit la jugulaire d’un trait profond et net.
Le corps s’effondra au sol, du sang s’échappant des lèvres et de sa gorge ouverte. L’assassin savait que ce n’était plus qu’une question de secondes avant que les gardes ne débarquent dans la chambre. Elle empoigna la lettre posée sur le pupitre, heureusement épargnée par l’encre renversée, l’enfourna dans sa poche, puis se jeta par la fenêtre.
Mélissande, la marquise de Sombreval, marchait dans les couloirs du château. Elle avait jeté son dévolu sur un copieux morceau de gâteau couvert d’une importante dose de crémage. Une assiette à la main, elle se dirigeait vers ses appartements, qui étaient situés au deuxième étage du château, ce qui ne l’arrangeait guère. L’ourlet de sa robe balayait le sol au fur et à mesure qu’elle progressait dans un silence étouffant.
Le matin même, elle avait été réveillée par les murmures fébriles de ses femmes de chambre qui potinaient sur le présumé meurtre du duc de Montfaucon. Depuis lors, les couloirs semblaient s’être vidés. Tout le monde avait peur que l’assassin ne revienne trancher quelques gorges, et la sécurité du château avait été remise en question à la suite de l’incident.
Mélissande poussa la porte de sa chambre et pénétra à l’intérieur en prenant bien soin de refermer derrière elle. Non qu’elle ait peur du meurtrier, mais elle n’aimait guère être dérangée lors de ses habituelles pauses repas.
Elle manquait de sommeil et grignoter un petit morceau ne lui ferait sûrement pas de mal. La jeune femme se laissa choir dans un fauteuil rembourré en lâchant un soupir de lassitude. Elle commença par ramasser le surplus de crémage sur son doigt, ses papilles se régalant d’avance, puis le porta dans sa bouche en lâchant un nouveau soupir.
— Tout le château se terre dans ses appartements, et, toi, tu vas voler du gâteau en cuisine, l’interrompit une voix chaleureuse depuis l’autre bout de la pièce.
Mélissande leva les yeux vers son ami Hélian, un jeune homme de 20 ans qu’elle appréciait beaucoup. Elle affectionnait particulièrement ses magnifiques yeux saphir, qui luisaient pour l’instant d’amusement.
Elle lui répondit par un sourire espiègle.
— C’est peut-être parce que je n’ai pas peur de me faire trancher la gorge. Et toi ? Que fais-tu là, toi qui n’es qu’un manant ? le railla-t-elle.
— C’est la langue qu’on devrait te couper !
Hélian s’avança dans sa chambre pour venir prendre place dans un fauteuil face à elle. Il était entré par un vieux passage, abandonné depuis des années, creusé à même la pierre du château. Il était autrefois utilisé comme sortie de secours lors des invasions. La chose était désormais si rare que la plupart de ces passages avaient été condamnés pour permettre aux nobles une plus grande pudeur. La porte était dissimulée derrière la seule tapisserie de la pièce. Celle-ci représentait une scène de chasse que Mélissande avait en horreur.
Hélian la jaugea un instant, le menton dans la main, pendant qu’elle dévorait son morceau de gâteau chapardé aux cuisines.
C’était un homme de basses besognes. Il travaillait à la forge du château depuis ses 11 ans, âge auquel son père avait tragiquement disparu, abandonnant à sa femme et à ses trois fils un maigre héritage ainsi qu’une forge. Depuis lors, étant l’aîné, Hélian redoublait d’efforts pour subvenir aux besoins de sa mère et de ses frères, puisqu’il était la seule source de revenu de la famille.
Durant ses rares temps libres, il aimait rendre visite à son amie d’enfance, Mélissande, une jeune fille noble venue des terres de Bretagne pour se trouver un mari. Elle était arrivée dans sa plus tendre enfance. Ils s’étaient rencontrés dans les rues bondées de monde de la ville la plus proche, alors que Mélissande visitait l’endroit en compagnie de son acariâtre de mère. Elle avait échappé à la marquise et était venue se cacher dans la forge alors qu’Hélian y travaillait. Depuis, ils avaient tissé une étrange amitié, comme on en voit peu entre les gens de différentes castes.
— Arrête de me fixer ainsi, on dirait qu’il vient de me pousser deux cornes au milieu du front, le taquina Mélissande en le ramenant brusquement sur terre.
— Je me disais simplement que si tu continues à manger ainsi, tu vas devenir si grosse que tes femmes de chambre devront demander à faire changer la taille de la porte.
La jeune fille lâcha un grognement de protestation en le fusillant du regard, au plus grand plaisir de Hélian, qui riait sous cape.
Son regard se perdit dans le vide. Il poussa un soupir et détourna les yeux pour fixer ses mains calleuses.
— Je suis navré, il est l’heure de retourner à la forge. À demain.
— À demain.
Mélissande entendit ses pas fouler le sol, puis l’imposante silhouette d’Hélian disparut derrière la porte de pierre qui coulissa lentement, condamnant de nouveau la sortie.
CHAPITRE II
La jument reposa son sabot au sol dans un bruit étouffé. Hélian se redressa en passant le dos de sa main sur son front luisant de sueur. Il repoussa le cheval sur le côté et s’avança vers l’enclume en saisissant ses tenailles. Il fit fondre le morceau de métal destiné à devenir un fer dans le four, puis retourna vers l’enclume, un marteau en main. Il commença à marteler le métal, les lèvres pincées sous l’effort. La jument piaffa d’agacement en secouant la tête.
Entre deux claquements métalliques, des voix lui parvenaient depuis l’extérieur de la forge, là où le chevalier d’Aiglemont, son écuyer ainsi qu’un autre chevalier, dont le forgeron ne connaissait ni le nom ni le