Le Québec et ses mutations culturelles: Six enjeux pour le devenir d’une société
Par E.-Martin Meunier (Relecteur)
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Avis sur Le Québec et ses mutations culturelles
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Aperçu du livre
Le Québec et ses mutations culturelles - E.-Martin Meunier
Introduction
Feu la québécitude ?
E.-Martin MEUNIER, Université d’Ottawa
NE CACHONS PAS LA SITUATION, par pudeur ou par peur. Ne cédons toutefois pas à quelque panique et n’empirons pas le portrait. Le Québec traverse un moment difficile. Le projet qu’il a porté depuis la Révolution tranquille s’essouffle. Il semble ne plus rien dire à plusieurs de nos contemporains. Dans bien des officines, on enterre déjà la québécitude, comme hier, ces malades au souffle court inhumés parfois encore vivants. Le Québec est en crise et il se débat. Il expurge les restes d’un projet de société qui n’est pas venu à bout d’advenir. Il se raidit et cherche à protéger les minces acquis d’une époque qui s’étiole. Tantôt il se pense au monde et s’espère en Amérique ; tantôt il souhaite protéger son identité et interpelle la France. Il semble lentement abandonner la question nationale en espérant retrouver la question sociale. Il sort dans la rue et exprime une souveraineté de fait contre des politiques remplies de cynisme. Au diable le cliché : le Québec est à la croisée des chemins. Il est en crise et il se débat.
Nous le savons, depuis les dernières années, les Québécois ont fait face à trois bouleversements majeurs. Il y a eu d’abord la position têtue du gouvernement libéral de Jean Charest face à l’augmentation des droits de scolarité à l’université. Intransigeance qui provoqua l’un des plus grands mouvements sociaux du Québec depuis la Révolution tranquille. Quelques mois plus tard, le Parti québécois, profitant peut-être de la colère des Carrés rouges et du mouvement des casseroles pour reprendre le pouvoir, plongea le Québec dans l’un des débats les plus déchirants à être survenu depuis le référendum de 1980, en proposant la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État. Fort d’un certain appui populaire, le parti de Pauline Marois, cherchant à devenir majoritaire, déclencha des élections. Il n’aura suffi que de quelques allusions à la souveraineté (celles du candidat milliardaire Pierre Karl Péladeau notamment) pour voir s’effondrer le vote péquiste. Le lendemain du 7 avril 2014, le réveil fut brutal pour plusieurs. Cela ne tenait pas tant à la défaite du PQ, ou même à la démission de sa chef, qu’à la leçon de cette élection. La seule évocation de la souveraineté semblait menacer de fait la pérennité du parti, qui s’enorgueillissait pourtant d’en être le principal véhicule. Un mois plus tard, un sondage CROP/La Presse révélait que 69 % des 500 répondants – tous âgés de 18 à 25 ans – auraient voté « non » à un référendum sur la souveraineté¹. L’intronisation de Pierre Karl Péladeau comme chef du Parti québécois, puis sa sortie précipitée dans une confusion digne de revues à potins accroissent le sentiment de déroute… Comme l’affirme le philosophe Daniel Jacques, « […] la disparition éventuelle de ce rêve, touche à la constitution même de notre être historique, car un tel événement annoncerait sans doute des transformations majeures dans l’économie générale de notre imaginaire collectif² ». Le vacillement de la question nationale s’ajoutait ainsi désormais au retour de la question religieuse et à la réaffirmation de la question sociale…
Il est très rare de voir se transformer profondément ces trois aspects de la société en si peu de temps. En fait, si l’on voulait trouver une situation comparable à celle d’aujourd’hui, il faudrait remonter à la Révolution tranquille. Et encore, celle-ci s’est opérée sur plusieurs années alors qu’actuellement nous traversons une crise après l’autre, comme si la logique qui présidait à ces transformations devait être marquée par l’accélération. Mais comment peut-on rendre compte de ce qui se passe ? Comment expliquer justement cette accélération qui est doublée d’une amplification des transformations à l’œuvre ? Plusieurs avenues peuvent être empruntées pour élucider cette énigme. Celles-ci vont de l’essor fulgurant des technologies à la refondation de l’espace démocratique en passant par la mondialisation des marchés et des imaginaires. À sa manière, le Québec participe à tous ces grands bouleversements, soit ceux que l’on rencontre non seulement dans certains pays d’Europe, mais aussi en Amérique du Sud, voire dans les pays ayant vécu le Printemps arabe. Chacun, chacune des auteur(e)s de ce livre propose sa voie pour mieux comprendre une part des mutations culturelles du Québec, en empruntant tantôt une approche comparative, tantôt une approche plus endogène au développement du Québec contemporain. Tous et toutes cherchent à mieux déterminer quels sont les principaux vecteurs de cette mutation en actes.
Le Québec a vécu sur son « vieux gagné » depuis longtemps. Il a fait d’un reste de tradition son socle culturel, tout en goûtant aux nouveautés de la modernité. Il était, selon le mot de Jean-Jacques Simard, une « ethnie-cité³ » qui, peu à peu, s’est pensée comme une société globale. Mais voilà qu’aujourd’hui les quelques réserves de traditions ne sont plus et il ne resterait peut-être, comme le prophétisait le chanoine Jacques Grand’Maison⁴, que la coquille vide, étrange simulacre de tradition que l’on nomme patrimoine à défaut de trouver mieux.
Si la Révolution tranquille a lancé cette grande transformation, elle n’est pas pour autant à l’origine de la fin de la québécitude – bien au contraire. Cette période fut faste pour l’identité québécoise, pour les arts québécois, la musique québécoise, la chanson québécoise, la pensée québécoise et toutes ses expressions. Même si elle fut parfois radicale, la Révolution tranquille n’a pas tout brisé du passé, n’en déplaise à ses détracteurs. Si, comme le disait Ernest Renan, l’État ne peut s’ériger que sur les ruines de la tradition, cette dernière ne disparaît pas rapidement pour autant. Comme l’ont déjà proposé plusieurs penseurs, les mœurs ne se transforment pas aussi vite que les structures, et c’est ce qui aurait en quelque sorte créé ce régime social particulier au Québec : ce moment où tradition et modernité semblaient rassemblées confusément dans une unité de transition inédite. Or plusieurs signes laissent penser que ce moment n’est plus ou qu’il est en train de disparaître. Mais n’allons trop vite.
Contrairement à ce que de nombreux commentateurs ont pu dire et répéter, la Révolution tranquille n’a pas signé la rupture définitive et complète avec l’ère du Canada français⁵. Elle aurait plutôt amorcé un changement d’ampleur qui touchait d’abord le fondement même du régime cléricalo-duplessiste, instaurant dès lors une réforme d’ensemble des institutions d’encadrement social passant par leur laïcisation ainsi que par l’actualisation de leurs finalités⁶. Si cette rupture a d’abord été d’ordre symbolique, en proposant une critique de la légitimité du Canada français clérical, elle a rapidement eu des incidences très importantes sur le plan institutionnel. Or on a sans doute trop confondu institutions et culture. Comme si la Révolution tranquille, vue essentiellement ici comme une révolution culturelle, était allée au bout d’elle-même et avait « reformaté » radicalement le champ de la culture. S’il y a bien eu en quelque sorte mutation culturelle, si la Révolution tranquille a effectivement mené à une transformation du mode de régulation sociale, tout n’a pas cédé pour autant en quelques années.
La transformation des mentalités est lente. À la Révolution tranquille, il faut ajouter une sorte de permanence tranquille, comme le suggère Jonathan Livernois⁷. Or, contrairement à ce que proposent cet essayiste et l’historien Jocelyn Létourneau⁸, cette permanence ne tient pas dans une rémanence de caractéristiques proprement québécoises qui n’auraient de cesse de s’affirmer et de se réaffirmer. La perdurance de certaines traditions dans notre modernité – qui peut sembler à plusieurs la marque de l’ambivalence – n’a rien d’ontologique (ou si peu). Elle est d’abord la marque du caractère progressif et graduel d’une transition sociale et historique. Processus qui aurait instauré au Québec une configuration sociale curieuse et rare où, durant plusieurs années après la Révolution tranquille, traditions et modernité auraient cohabité de manière originale en un certain état d’équilibre précaire, mais producteur de plusieurs traits de la québécitude. Cette cohabitation aurait eu l’avantage de soutenir normativement la modernisation à partir de valeurs communes puisées à même des traditions d’hier. Elle aurait toutefois eu, selon certains, le désavantage d’empêcher, en quelque sorte, la réalisation complète (radicale et rapide) du programme moderne. Pour les uns, cela aurait sauvé le Québec ; pour les autres, cela l’aurait conduit à sa perte. Les débats récents sur la laïcité ont fait apparaître plus que jamais auparavant l’originalité de cette cohabitation au Québec : les uns croyant qu’il fallait en sortir pour enfin réaliser le programme de la Révolution tranquille, d’autres pensant qu’il fallait au contraire en préserver le caractère unique.
Le Québec des années 1970-1980 ne peut pas être ravalé aux discours radicaux de plusieurs de ses intellectuels qui célébraient la rupture et exagéraient en un sens la victoire de la modernité québécoise sur toutes les traditions⁹. Les pratiques culturelles ne suivent pas nécessairement les discours idéologiques et savants. Les pratiques sont ancrées dans une structure sociale qui ne cesse pas d’exister du jour au lendemain. Il faudra du temps – au moins vingt ans après la Révolution tranquille –, pour que famille élargie et civilisation paroissiale – pour ne prendre que ces exemples – s’affaissent et laissent poindre une nouvelle forme de socialité¹⁰. Si ces changements étaient perceptibles dès les années 1970, comme en témoignent les monographies de la sociologue Colette Moreux¹¹, ils n’étaient pas pour autant terminés. Épousant les thèses de la transition rapide et accélérée vers la modernité, cherchant même parfois à en accélérer le pas, la sociologie québécoise des années 1970-1980 n’a pas vu que ce passage, ce pont menant loin des rives de la tradition, a été long. En fait, le délaissement des anciennes coutumes ne s’est pas effectué selon une logique linéaire – à commencer par la question même de la sécularisation. Au moment où les Québécois désertent en masse la pratique de la messe dominicale dans les années 1970, plus de 85 % d’entre eux se disent encore catholiques et plus de 75 % des enfants qui naissent à cette époque au Québec sont toujours baptisés (et ce, jusqu’en 2001 environ)¹². Parmi les parents du Québec, ils sont plus de 70 % à choisir l’enseignement religieux confessionnel pour leur enfant dans les années 1980¹³ ; et jusqu’à l’abolition même de ce cours (autour de 2005), 60 % des enfants y seront toujours inscrits – malgré l’existence du cours d’enseignement moral que les parents (et élèves) pouvaient choisir comme solution de rechange. Le concordat implicite¹⁴ obtenu par l’Église catholique durant les années 1960 pour conserver sa mainmise sur le réseau de l’éducation y est pour quelque chose. Celui-ci et l’ensemble des indicateurs mentionnés ci-dessus témoignent non seulement de la permanence d’un certain catholicisme culturel¹⁵, mais aussi de la perdurance de certaines traditions ou, du moins, d’un certain rapport (ambivalent, certes, mais existant) à l’univers traditionnel au sein de la population. La « culture catholique des Québécois, d’indiquer à juste titre le sociologue Jacques Palard, ne saurait être réduite à un épiphénomène social¹⁶ ». Il n’est pas question d’affirmer ici que le Québec des années 1970-1980 était traditionnel¹⁷ (ce qui serait absurde !). À cette époque, la québécitude, comme moment historique et typique de la société québécoise, pouvait être considérée comme une forme nationale (et, par là, originale) de ce que Eisenstadt nommait « modernité multiple¹⁸ ». Cette québécitude a aménagé le catholicisme comme une référence, au sens où l’entendait Fernand Dumont, c’est- à-dire aussi bien un repère identitaire qu’un foyer commun de reconnaissance (mais non le seul) pour les citoyens québécois¹⁹. Le maintien de certains éléments du catholicisme dans la référence québécoise provient du type original de modernisation qui a caractérisé la Révolution tranquille. Le passage du monde traditionnel au monde moderne n’a pas suivi le « grand schéma » de rupture de la Révolution française, et ce, malgré les efforts de mises en récit plus classiques proposées par de nombreux commentateurs, idéologues ou essayistes. La modernisation des institutions d’encadrement social s’est effectuée selon une logique bien particulière, propre à une modernisation-à-la-catholique²⁰, cherchant aussi bien à établir une nation québécoise forte qu’à ériger les bases d’une société catholiquement distincte²¹. Les prolégomènes de la Révolution tranquille vont se développer à l’intérieur même du clergé et dans les cercles d’Église, où des progressistes (clercs et laïcs) issus d’un catholicisme renouvelé et personnaliste critiqueront fermement le cléricalisme et la fermeture d’un clergé qui, selon eux, avait fait son temps et était dépassé par les changements qui s’opéraient au Canada français²². La Révolution tranquille s’établit ainsi en rupture avec un certain traditionalisme de l’Église, mais en continuité avec une certaine éthique catholique personnaliste – celle qui triomphera au concile Vatican II au même moment²³. Bref, on ne passe pas du tout religieux au tout séculier. La laïcisation des principales institutions (éducation, soins de santé, affaires sociales) transforme certes le Canada français clérical en un Québec étatique ; il le fait toutefois selon un programme qui puise en partie dans le cadre religieux d’un catholicisme renouvelé, davantage incarné – espère-t-on alors –, et se situant au cœur des réalités les plus mondaines. Le milieu de l’éducation conserve les commissions scolaires confessionnelles, les cours d’enseignement religieux pendant les onze années des cours primaire et secondaire, et les écoles catholiques sont animées par une équipe pastorale ; les milieux hospitaliers conservent les aumôniers (et autres travailleurs spirituels qui prendront, lors de l’émergence des questions éthiques, une place de plus en plus importante) ; les affaires sociales, par leur structure même, subventionnent (notamment par l’entremise de Centraide) des dizaines d’organismes religieux (catholiques ou multiconfessionnels) qui prendront (avec d’autres) le relais d’un État qui se désiste de plus en plus. Devant de telles continuités institutionnelles, on ne peut réduire à néant la contribution d’un catholicisme progressiste à la québécitude. Si celle-ci demeure ténue, elle édifie malgré tout une modernité qui a passé par le religieux pour se dire et qui, de ce fait, continuera d’en faire une référence (plus que patrimoniale²⁴) pour l’ensemble de la culture d’alors.
Il n’est donc pas étonnant de constater que certains penseurs et acteurs du néonationalisme québécois des années 1970 aient puisé dans une tradition catholique et structuré leur utopie à même le roc de son assise. Les thématiques plus classiques du pays (les racines, l’ancrage culturel) étaient partagées par les gens d’Église et les penseurs laïcs, mais l’étaient aussi les valeurs plus actuelles comme la solidarité, l’entraide, la démocratie, la justice sociale ainsi que le développement économique et humain²⁵. Plusieurs acteurs du monde politique nationaliste des années 1970-1980 étaient issus du monde religieux, ou du moins, partageaient avec lui des projets communs : pensons, entre autres, à Fernand Dumont, à Jacques Grand’Maison, à Camille Laurin, à Louis O’Neill, à Jacques Couture, à Claude Morin. De plus, le catholicisme social de l’époque était progressiste et cherchait à incarner les valeurs chrétiennes au sein de la nation. L’Assemblée des évêques catholiques du Québec, pour ne nommer que cet organisme, épousait alors les vues libératrices du nationalisme démocratique et décolonisateur²⁶. Il faut se souvenir – exemple parmi d’autres – de l’accueil plein de sollicitude et de ferveur réservé au pape Jean-Paul II en 1984, par les dignitaires des gouvernements provinciaux et fédéral, lors de son voyage de onze jours au Canada. Il faut se rappeler également les 300 000 fidèles réunis lors de la célébration de la messe par le pape polonais sur les terrains de l’Université Laval²⁷. Et chaque année, bon gré mal gré, les lieux de pèlerinages et les sanctuaires – oratoire Saint-Joseph-du-Mont-Royal, basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, sanctuaire Notre-Dame-du-Cap – connaissaient une étonnante popularité et donnaient à voir, à leur façon, qu’une partie du Québec était toujours traversée – sinon travaillée – par certains éléments issus du monde de la tradition canadienne-française²⁸. Il faut aussi garder en tête l’importance du rôle conféré au catholicisme lors de grandes célébrations funéraires qui soulignent la vie et l’œuvre de héros nationaux contemporains. Comme ce fut le cas pour les funérailles nationales de René Lévesque, de Maurice Richard, de Pierre Elliott Trudeau et de Jean-Paul Riopelle, ces cérémonies sont toujours administrées (même sous une forme laïque, dans le cas de Riopelle, par exemple) par l’Église, qui joue ici un rôle de vicarious religion²⁹, sacralisant l’identité nationale tout en étant implicitement déléguée par elle pour en être le fidèle clerc.
Évidemment, l’influence et l’importance de cet univers « traditionnel » au sein du Québec contemporain s’estomperont progressivement au fur et à mesure qu’on avancera dans la seconde moitié du XXe siècle. Cet évidement des réservoirs de sens³⁰, que sont ici les reliquats de religiosité catholique et de culture populaire issus du Canada français, ne se fera pas du jour au lendemain ; il faudra attendre les années 1990, sinon 2000, pour voir se tarir presque entièrement ce qui structurait en partie, mais en profondeur, l’imaginaire historique et culturel des Québécois. En ce qui a trait à la religion, il faudra attendre l’arrivée de la génération Y (citoyens nés entre 1976 et 1990) pour constater l’exculturation de plus en plus affirmée du catholicisme de la culture québécoise. C’est en effet à partir des années 2000 que le nombre de jeunes québécois se réclamant du catholicisme s’étiole de manière très rapide et importante. Chez cette génération, la pratique dominicale avoisinera les 4 % ; l’union libre sera fortement majoritaire (63 % des enfants naissant hors mariage en 2011³¹) ; le taux de baptême par naissance chutera de 25 % en 13 ans (passant sous la barre des 50 % en 2011) ; et le taux de sans religion dans cette catégorie d’âge ne fera qu’augmenter d’année en année. Tous ces facteurs font de cette génération la plus éloignée des religions – toutes orientations confessionnelles confondues – dans l’histoire contemporaine du Québec³². Le régime de religiosité du catholicisme culturel³³ se transformera alors peu à peu et on sentira confusément qu’il faut se défaire de « ce portrait de famille dessiné par la génération des enfants de la Révolution tranquille pour promouvoir leur statut de premier groupe à vivre dans la Lumière. Les moins de 30 ans, dira à juste titre l’historien Louis Rousseau, sont en quête d’autre chose³⁴ » – la québécitude étant ici remise en question devant la mondialisation et l’ère de l’austérité.
L’exculturation progressive du catholicisme de la culture québécoise survient en fait peu après le référendum de 1995, au moment où « une certaine idée du Québec a avorté³⁵ » et où plusieurs commencent à croire que les Québécois seraient « peut-être arrivés trop tard dans l’Histoire pour connaître le plein épanouissement […] dans sa forme politique³⁶ ». « Le ressort politique du peuple québécois, d’affirmer Serge Cantin, s’est comme brisé³⁷. » Sur le plan sociohistorique, l’échec du référendum marque alors l’impossibilité d’une refondation de la québécitude, et ce, au moment où, plus que jamais, celle-ci avait besoin d’un sérieux coup de main³⁸. C’est qu’en 1995, le réservoir de sens du Canada français est de plus en plus à sec, le changement social de la Révolution tranquille ayant finalement eu raison des structures sociales, des pratiques culturelles et des mentalités d’une autre époque qui, tant bien que mal, survivaient encore dans la modernité. On pressent également que la critique de la tradition, du catholicisme, du clérico-nationalisme et de la « Grande noirceur » a fait son temps³⁹, surtout qu’on ne peut plus maintenir l’idéal de la modernité québécoise par la seule critique de ces repoussoirs⁴⁰.
Évidé de ses traditions qui lui donnaient une certaine substance, mais incapable d’instituer une fondation politique qui en aurait renouvelé l’expression tout en pérennisant l’intention, la québécitude allait alors connaître son démantèlement progressif. Plus qu’une fin de cycle politique, la sortie de l’ère postrévolutionnaire tranquille signait ainsi la fin de l’entre-deux et de l’équilibre. Il en était terminé de la plénitude momentanée (et sans doute illusoire) de la québécitude. Le Québec entrait de plein fouet dans un moment d’indétermination où toutes les questions étaient désormais possibles.
C’est dans ce contexte, il nous semble, qu’il faut comprendre le retour de la question religieuse, la remise en cause de la question nationale et la réaffirmation de la question sociale. Ainsi le retour de la question identitaire (dans un néotraditionalisme national), d’une laïcité stricte et batailleuse ainsi que d’une gauche parfois radicale participe de l’essoufflement de la québécitude comme moment historique transitoire et pacifique. Le temps d’une paix sociale semble terminé : selon plusieurs, il faut aller au bout des potentialités critiques ou utopiques contenues dans la Révolution tranquille. Indépendance, laïcité et socialisme reprennent du galon au moment même où, curieusement, jamais l’idée du Québec n’a aussi peu rallié les citoyens ; le pluralisme culturel, autant régné ; et le capitalisme, triomphé. « Le Québec est mort. Vive le Québec ! », clame le groupe de musique Loco Locass. Plus que jamais, le véritable résultat de la Révolution tranquille se joue aujourd’hui. Et nul ne saurait vraiment prédire sa destinée. On touche au point de non-retour, où toutes les palinodies sont possibles autant que la provincialisation lente et morne d’une intention qui, hier, était pourtant nationale.
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire, mais qu’il faut prendre toute la mesure du tournant historique dans lequel nous nous engageons. Le fond des traditions ne soutient plus nos rêves d’émancipation. Il faut maintenant faire sans elles ou trouver de nouvelles façons de renouer avec elles – si cela est bien sûr possible.
Ce livre est issu d’un cycle de conférences tenues dans le cadre du séminaire du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) à l’automne 2012 à l’Université d’Ottawa, auquel ont participé dix-sept conférenciers. Ce séminaire a été rendu possible grâce au soutien technique, financier et académique de ce centre de recherche, de la Chaire de recherche Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles ainsi que de l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa. Nous remercions tous ces collaborateurs ainsi que les membres de l’équipe de la collection « Amérique française » des Presses de l’Université d’Ottawa, notamment Colette Michaud, éditrice, et Michel Bock, directeur de cette collection. Nous remercions de plus Jean-François Laniel et Sarah-Ève Valiquette-Tessier pour leur aide à la préparation du manuscrit.
De ces conférences ont été tirés dix-sept chapitres, dont trois se sont ajoutés en cours de route. Le volume est composé de six sections, représentant autant de thématiques bien distinctes. Le tout a été pensé de façon à réunir en un même ouvrage une diversité de points de vue disciplinaires et de perspectives théoriques et analytiques. On y trouvera d’abord une section qui comprend quatre textes (ceux de Joseph Yvon Thériault, d’Anne Trépanier, de Jean François Bissonnette et de Pierre Beaudet), lesquels portent sur les manifestations des Carrés rouges. Proposant une lecture critique des évènements du printemps 2012, les auteurs cherchent à comprendre aussi bien les motivations des acteurs de ce mouvement social que la signification de ce dernier dans l’histoire contemporaine du Québec. La deuxième thématique rassemble des essais qui ont pour objet la question sociale et économique récente, à savoir les contributions – parfois polémiques – de Gilles Paquet, de Francis Dupuis-Déri et de Gilles Labelle. La troisième section, entièrement consacrée à la question universitaire et à sa rapide transformation, comprend deux textes majeurs : celui de Marc Chevrier, qui présente ici une véritable somme sur le sujet, et celui d’Eric Martin et Maxime Ouellet, qui synthétise plusieurs de leurs idées critiques sur la transformation postmoderne de l’éducation. La quatrième thématique concerne la démographie. Guillaume Marois analyse les caractéristiques distinctives de la société québécoise et Isabelle Matte propose un essai évocateur et comparatif. La cinquième thématique porte sur la question nationale. Dans cette section sont réunis trois textes de factures bien différentes : celui de feu Jean-Claude Racine, qui analyse la décanadianisation de la société québécoise ; celui de Linda Cardinal, qui suggère des pistes analytiques pour saisir les liens entre le mouvement étudiant de 2012 et le nationalisme québécois ; et celui de Mathieu Bock-Côté, qui propose une lecture récapitulative de ce qu’il voit comme une certaine renaissance du nationalisme, depuis les Carrés rouges jusqu’à la Charte des valeurs. Finalement, la thématique religieuse vient clore l’ouvrage avec trois chapitres bien étayés : le premier, de Jean-François Laniel, aborde la question de la laïcité en rapport avec les petites nations ; le deuxième, de Solange Lefebvre, porte sur les différents aménagements du religieux et de l’État au Québec et dans le monde occidental ; et le troisième, de François Rocher, propose un modèle analytique pour comprendre l’histoire récente du régime de laïcité au Québec. Toutes ces contributions, tantôt essayistiques, tantôt savantes, cherchent à approfondir la réflexion sur le Québec contemporain afin de mieux comprendre la nature des mutations qui le transforment aujourd’hui.
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1. Sondage CROP/ La Presse , effectué par voie électronique entre le 9 et le 10 mai 2014 auprès de 500 répondants âgés de 18 à 25 ans.
2. Daniel Jacques, « La fatigue politique du Québec français (II) », Argument , vol. 10, n° 1 (automne 2007-hiver 2008), p. 23, [En ligne], [ http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:AmG2FhCgGdUJ:www.revueargument.ca/article/2007-10-01/400-la-fatigue-politique-du-quebec-francais-ii.html+&cd=4&hl=fr&ct=clnk&gl=ca ].
3. Voir Jean-Jacques Simard, L’éclosion : de l’ethnie-cité canadienne-française à la société québécoise , Sillery, Éditions du Septentrion, 2005.
4. Entrevue avec Jacques Grand’Maison au Lac à l’Ours, été 2002 (voir E.-Martin Meunier, « Jacques Grand’Maison et la Révolution tranquille », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française , vol. 3, n° 2 (2003), p. 149-191).
5. Voir notamment Joseph Yvon Thériault et E.-Martin Meunier, « Que reste-t-il de l’intention vitale du Canada français ? », dans Joseph Yvon Thériault, Anne Gilbert et Linda Cardinal (dir.), L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations , Montréal, Éditions Fides, 2008, p. 205-238. Dans ce même livre, consulter le grand article-synthèse de l’historien Michel Bock, « Se souvenir et oublier : la mémoire du Canada français, hier et aujourd’hui », p. 161-203.
6. Voir E.-Martin Meunier et Jean-Philippe Warren, Sortir de la « Grande noirceur » : l’horizon « personnaliste » de la Révolution tranquille , Québec, Éditions du Septentrion, 2002.
7. Jonathan Livernois, Remettre à demain : essai sur la permanence tranquille au Québec , Montréal, Éditions du Boréal, 2014.
8. Voir, entre autres, Jocelyn Létourneau, Que veulent vraiment les Québécois ? Regard sur l’intention nationale au Québec (français) d’hier à aujourd’hui , Montréal, Éditions du Boréal, 2006, p. 113-156.
9. Voir notamment Éric Bédard, Recours aux sources : essais sur notre rapport au passé , Montréal, Éditions du Boréal, 2011.
10. Voir Daniel Dagenais, La fin de la famille moderne : signification des transformations contemporaines de la famille , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2000 ; et aussi Raymond Lemieux, « L’effritement de la civilisation paroissiale », dans Michel Clévenot (dir.), L’état des religions dans le monde , Montréal, Éditions du Boréal ; Paris, La Découverte et Le Cerf, 1987, p. 502-504.
11. Voir notamment Colette Moreux, Fin d’une religion ? Monographie d’une paroisse canadienne-française , Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1969 ; ainsi que Colette Moreux, Douceville en Québec : la modernisation d’une tradition , Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1982, [En ligne], [ http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.moc.dou ].
12. Voir notamment E.-Martin Meunier, Jean-François Laniel et Jean-Christophe Demers, « Permanence et recomposition de la religion culturelle
: aperçu socio-historique du catholicisme québécois (1970-2006) », dans Robert Mager et Serge Cantin (dir.), Modernité et religion au Québec : où en sommes-nous ? , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 79-128.
13. Micheline Milot, Une religion à transmettre ? Le choix des parents : essai d’analyse culturelle , Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1991.
14. E.-Martin Meunier et Jean-François Laniel, « Congrès eucharistique international 2008 : nation et catholicisme culturel au Québec : signification d’une recomposition religio-politique, Sciences religieuses = Studies in Religion, vol. 41, n° 4 (décembre 2012), p. 595-617, [En ligne], [ http://sir.sagepub.com/content/41/4/595.full.pdf+html ].
15. Raymond Lemieux, « Le catholicisme québécois : une question de culture », Sociologie et sociétés , vol. 22, n° 2 (automne 1990), p. 145-164, [En ligne], [ http://id.erudit.org/iderudit/001427ar ].
16. Jacques Palard, Dieu a changé au Québec : regards sur un catholicisme à l’épreuve du politique , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 109.
17. Au sens de Michel Freitag – un mode de régulation sociale traditionnelle (voir Michel Freitag, Dialectique et société , t. 2 : Culture, pouvoir, contrôle : les modes de reproduction formels de la société , Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin ; Lausanne, L’Âge d’Homme, 1986).
18. Voir Shmuel Noah Eisenstadt, Comparative Civilizations and Multiple Modernities : A Collection of Essays , Leiden-Boston, Brill Academic Publishers, 2 vol., 2003. Lire notamment le chapitre de Jean-François Laniel dans ce collectif ainsi que son texte « Qu’en est-il de la religion culturelle
? Sécularisation, nation et imprégnation culturelle du christianisme », dans Solange Lefebvre, Céline Béraud et E.-Martin Meunier (dir.), Catholicisme et cultures : regards croisés Québec-France , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015, p. 143-168. Laniel développe de manière originale et à partir d’une histoire de longue portée l’idée de « modernité multiplex en lien avec celle de petite nation
».
19. Voir son livre L’institution de la théologie : essai sur la situation du théologien , Montréal, Éditions Fides, 1987. Sur ce dernier livre, lire Gregory Baum, Fernand Dumont : un sociologue se fait théologien , Ottawa, Novalis, 2014. Voir aussi le livre Genèse de la société québécoise de Fernand Dumont, qui en reprend la typologie.
20. Voir Jean Gould, « La genèse catholique d’une modernisation bureaucratique », dans Stéphane Kelly (dir.), Les idées mènent le Québec : essais sur une sensibilité historique, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003, p. 145-174.
21. Sur ce type de projet national, voir, entre autres, les travaux de Jacques Grand’Maison ; Gilles Routhier, « Le pari d’un catholicisme citoyen », Sciences religieuses = Studies in Religion , vol. 38, n° 1 (mars 2009), p. 113-134, [En ligne], [ http://sir.sagepub.com/content/38/1/113.full.pdf+html ] ; Thierry Haroun, « Un catholicisme d’ici : entrevue avec Gilles Routhier », Le Devoir , 19 avril 2014, [En ligne], [ http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/405714/qu ] (1 er juin 2014). Voir aussi E.-Martin Meunier, « L’ancrage du catholicisme au Québec et sa déliaison progressive : une sociologie historique de l’exculturation », dans Solange Lefebvre, Céline Béraud et E.-Martin Meunier (dir.), Catholicisme et cultures : regards croisés Québec-France , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015, p. 21-44.
22. Voir Meunier et Warren, Sortir de la « Grande noirceur » ; aussi Michael Gauvreau, The Catholic Origins of Quebec’s Quiet Revolution, 1931-1970 , Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005.
23. E.-Martin Meunier, Le pari personnaliste : modernité et catholicisme au XX e siècle , Montréal, Éditions Fides, 2007.
24. Il faudra attendre les années 2000 pour voir surgir cette dimension dans les débats.
25. Voir, entre autres, le livre de Martin Roy, Une réforme dans la fidélité : la revue Maintenant (1962-1974) et la « mise à jour » du catholicisme québécois , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012.
26. Lire notamment David Seljak, « Why the Quiet Revolution was Quiet
? The Catholic Church’s Reaction to Secularization of Nationalism in Quebec after 1960 », CCHA Historical Studies , vol. 62 (1996), p. 109-124, [En ligne], [ http://www.cchahistory.ca/journal/CCHA1996/Seljak.pdf ].
27. Voir Raymond Lemieux, « Charisme, mass-media et religion populaire : le voyage du pape au Canada », Social Compass , vol. 34, n° 1 (mars 1987), p. 11-31.
28. Solange Lefebvre, « Sanctuaires catholiques au Québec », Archives de sciences sociales des religions , n° 141 (janvier-mars 2008), p. 33-56.
29. Voir notamment Grace Davie, « Vicarious Religion : A Methodological Challenge », dans Nancy T. Ammerman (dir.), Everyday Religion : Observing Modern Religious Lives , Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 21-35 ; Grace Davie, « Vicarious Religion : A Response », Journal of Contemporary Religion , vol. 25, n° 2 (2010), p. 261-266.
30. Voir, entre autres, sur cette notion, Jürgen Habermas, L’agir communicationnel , t. 1 : Rationalité de l’agir et rationalisation de la société ; t. 2 : Pour une critique de la raison fonctionnaliste , Paris, Fayard, 1987.
31. Voir le très intéressant article de Céline Le Bourdais, Évelyne Lapierre-Adamcyk et Alain Roy, « Instabilité des unions libres : une analyse comparative des facteurs démographiques », Recherches sociographiques , vol. 55, n° 1 (janvier-avril 2014), p. 53-78.
32. E.-Martin Meunier et Jean-François Nault, « Vers une sortie de la religion culturelle : les transformations du catholicisme au Québec et au Canada (1968-2008) », dans François Mabille (dir.), La longue transition du catholicisme : gouvernementalité et influence , Paris, Éditions du Cygne, 2014, p. 27-64.
33. Sur le concept de régime de religiosité, voir E.-Martin Meunier et Sarah Wilkins-Laflamme, « Sécularisation, catholicisme et transformation du régime de religiosité au Québec : étude comparative avec le catholicisme au Canada (1968-2007) », Recherches sociographiques , vol. 52, n° 3 (septembre-décembre 2011), p. 683-729, [En ligne], [ http://id.erudit.org/iderudit/1007655ar ].
34. Louis Rousseau, « Conclusion : prendre sa place au sein de la maison commune », dans Louis Rousseau (dir.), Le Québec après Bouchard-Taylor : les identités religieuses de l’immigration , Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 379.
35. Mathieu Bock-Côté, Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois , Montréal, Éditions du Boréal, 2012, p. 15.
36. Daniel D. Jacques, La fatigue politique du Québec français , Montréal, Éditions du Boréal, 2008, p. 56.
37. Serge Cantin, La souveraineté dans l’impasse , Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2014, p. 247.
38. Voir Jacques Beauchemin, La société des identités : éthique et politique dans le monde contemporain , Montréal, Athéna éditions, 2004.
39. Voir Jean-Philippe Warren, « L’Église comme épouvantail », Relations , n° 704 (novembre 2005), [En ligne], [ http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=1025&title=leglise-comme-epouvantail ] (1 er décembre 2013).
40. Cette idée a bien été développée par Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même , Paris, Gallimard, 2002. Sur l’œuvre politique de cet auteur, voir Gilles Labelle et Daniel Tanguay (dir.), Vers une démocratie désenchantée ? Marcel Gauchet et la crise contemporaine de la démocratie libérale , Montréal, Éditions Fides, 2013.
RETOUR SUR LES CARRÉS ROUGES
Chapitre 1
Le peuple de gauche, les Carrés rouges et la crise des institutions
¹
Joseph Yvon THÉRIAULT, Université du Québec à Montréal
S’EST-IL PASSÉ QUELQUE CHOSE au Québec au printemps 2012 ? De prime abord, oui !
Une grève étudiante et une mobilisation sociale sans précédent : 170 000 étudiants en grève, près de sept mois de débrayage et un trimestre d’études reporté d’autant, des manifestations quotidiennes dans les rues de Montréal (plus de 300 selon la police), certaines, celles du 22 de chaque mois par exemple, d’une envergure jamais vue (plus de 250 000 personnes selon les organisateurs, plus de 100 000 selon La Presse).
Des tactiques militantes inédites dans le contexte québécois, du moins de cette amplitude. Blocages fréquents des rues du centre-ville, des ponts et du port dans le but de provoquer des perturbations économiques. Lancement de bombes fumigènes ou de pierres dans le métro aux heures de pointe. Destruction des vitrines des grandes entreprises du capitalisme mondialisé. Tentatives, qui se transforment en émeutes, de perturber le Salon Plan Nord au palais des congrès ou encore le congrès du Parti libéral à Victoriaville. Vandalisme dans les bureaux de la ministre de l’Éducation et à l’Université de Montréal.
Largement relayées par les médias, des ripostes musclées des policiers qui jouent de la matraque avec les étudiants et les aspergent régulièrement de poivre de Cayenne. Arrestations collectives qui limitent le droit de manifester. Plus de 1500 arrestations selon la police, plus de 3500 selon Francis Dupuis-Déri².
Des étudiants rebelles à la « cause » étudiante qui demandent à la cour des injonctions au nom de leur droit à l’éducation, droit bafoué par les « boycotteurs » de cours. Des juges qui leur donnent raison et qui ordonnent aux collèges et aux universités d’offrir les cours au détriment de l’expression de la démocratie étudiante. S’ensuivent des affrontements entre la légitimité juridique du droit à l’éducation et la légitimité démocratique de la grève étudiante. La police qui intervient sur les campus pour faire respecter les injonctions des juges.
Un gouvernement qui refuse de plier devant les exigences étudiantes et qui décide de mettre fin à la récréation. Une loi « sévère » (la loi 12, adoptée après avoir été le projet de loi 78) qui encadre le droit de manifester en exigeant d’avance les parcours, qui interdit les manifestations à proximité des institutions d’enseignement supérieur, qui ferme pendant trois mois les sections des collèges et des universités en grève, qui impose de lourdes peines aux « associations » et aux leaders qui encourageraient à désobéir à la loi³ ; mais, une loi qui, en même temps, refuse de reconnaître le droit de ces associations de faire la grève, car elles ne seraient pas des associations syndicales.
Une loi devant sonner la fin de la récréation, mais, tel du pétrole jeté sur le feu, qui l’amplifie. Le bruit des casseroles accompagnera désormais, en ces soirs de Printemps érable, les manifestations étudiantes au centre-ville de Montréal. Ce sont les parents, voire les grands-parents baby-boomers des étudiants grévistes, artistes et intellectuels, bref, le peuple de gauche qui a appuyé le mouvement depuis le début, en participant notamment aux grandes marches des 22 du mois (en février, en mars et en avril), qui a envahi les rues. Des milliers de personnes (de 20 000 à 30 000 chaque soir), essentiellement dans l’extension de la gauche plateaunicienne de Montréal (la ligne orange du métro, entre l’Université du Québec à Montréal et la rue Crémazie). Une sorte de tintamarre acadien, mais à prétention politique : contre la loi 12, contre le gouvernement Charest, en appui à la cause étudiante, contre la dépolitisation. Drôle de tintamarre toutefois qui, par l’artifice de la loi, est illégal. On verra néanmoins la candidate au poste de première ministre, Pauline Marois, frapper ses casseroles dans la rue et Amir Khadir, le cochef de Québec solidaire et député de Mercier, recevoir une amende pour avoir, en manifestant, gêné la circulation.
Finalement, le mouvement s’essoufflera parce que, d’une part, la loi 12 a fermé les universités et les collèges pendant l’été ; d’autre part, le gouvernement Charest a, entre-temps, déclenché une élection, qu’il perdra ; par ailleurs, le nouveau gouvernement du Parti québécois a dans les premiers jours de septembre 2012, à la suite de son élection, annoncé l’abolition de la hausse des droits de scolarité (soit 360 $ par année pendant cinq ans, équivalant à une somme globale de 1800 $), ce qui était la raison première de la grève étudiante.
La presse et l’opinion publique en général diront que les étudiants ont gagné. Pourtant, chez les étudiants et les gens formant le peuple de gauche, un certain scepticisme est perceptible. A-t-on vraiment gagné ? À quoi a correspondu ce mouvement ?
Que s’est-il passé au Québec ce printemps-là ?
Est-il trop tôt pour répondre à cette question ? Il s’est passé quelque chose : ce que je viens de raconter. Mais comment interpréter tout cela ?
S’agit-il du plus grand mouvement social que le Québec ait jamais connu ? Est-ce là le « grand tonnerre » qui annonce enfin le retour de l’esprit révolutionnaire et de la parole libérée ; la redéfinition de la politique ; l’avènement de la société écologique ; le début de la fin de l’université marchande, de la société sexiste et de la technocratisation du monde ? Notre grève, était-il écrit sur les murs du Café Aquin de mon université, sera « anticapitaliste, antibureaucratique, féministe, écologique et autogérée ». J’avais le sentiment d’avoir entendu, et peut-être même professé, de tels propos dans ma prime jeunesse, c’est pourquoi je restais sceptique.
On a dit très tôt que la contestation s’était déplacée, d’une revendication corporatiste, d’un conflit d’intérêts, vers un mouvement social. Certains ont même cru un moment que le Printemps érable s’embraserait dans un automne chaud, se métamorphosant en une vaste grève sociale. À lire les textes préparatoires de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) en vue de l’affrontement qui s’annonçait, et toujours selon ce que disaient les murs de mon université – qui fut l’épicentre du conflit –, c’est plutôt le contraire qui s’est produit : les étudiants sont sortis pour faire la révolution, pour mettre fin à la marchandisation du monde… ils sont rentrés avec une annulation de la hausse des droits de scolarité.
Je m’avance un peu, il est trop tôt pour saisir la portée du mouvement.
D’autres ont dit que le mouvement fut incroyablement inventif. Les manifestations furent festives. On se serait cru parfois au carnaval de Rio. Les slogans étaient généralement rieurs (pas tous) ; les costumes et les masques, eux, accrocheurs et dignes, parfois, de ceux que portent les danseurs professionnels. On s’est même déshabillé, mais – ce qui est moins gracieux – on a aussi vu des baby-boomers qui, au souvenir de leur jeunesse soixante-huitarde, se sont joints au défilé des « tout nus ».
Car plusieurs observateurs avaient cru au début du mouvement que l’on avait affaire à une jeunesse individualiste, pragmatique, voire affairiste ; que ces jeunes étaient tristes, qu’ils ne souriaient pas, tous branchés qu’ils étaient sur leur cellulaire. Leur combat avait pour cible une hausse injuste des droits de scolarité, combat réaliste qu’ils allaient gagner, s’opposant ainsi à la jeunesse des années 1960, qui avait fait la grève pour changer le monde et qui rentra bredouille.
Mais cela se révélera faux. L’esthétique révolutionnaire apparut bientôt comme une partie intégrante du mouvement. De vieilles formules le confirmaient : « l’imagination au pouvoir », « demandons l’impossible ». On sentit chez plusieurs l’effet grisant de la barricade révolutionnaire, on ne voulait plus quitter la rue de peur de perdre la communauté retrouvée. Des mascottes apparurent, Anarchopanda, la Banane-Rebelle. On se mit à trouver les étudiants « beaux ». Une éditorialiste de mon quotidien préféré s’extasiait même de voir chaque jour, depuis son bureau du centre-ville, cette « belle » jeunesse défiler, un peu comme l’aurait dit, à l’époque des collèges classiques, un animateur de pastorale voyant la jeunesse catholique parader le jour du Christ-Roi. Chroniqueurs, journalistes, artistes découvrirent qu’ils s’exprimaient « bien », qu’ils étaient éloquents – ce sont nos enfants après tout – et il fallait, par conséquent, leur donner raison, comme si jeunesse, beauté, belles paroles pouvaient se substituer à la raison politique. Les leaders étudiants furent invités à l’émission télévisée Tout le monde en parle, comme des artistes du Star System. On vit dès lors des gens affirmer qu’« ils n’étaient pas pour le gel des droits de scolarité », mais qu’« ils appuyaient cette jeunesse, parce que c’était la jeunesse »… l’avenir.
Des sceptiques, et j’en suis, se demandèrent au contraire s’il n’y avait pas dans cette manière de défiler masqué, une façon de se défiler. La révolution masquée serait-elle une révolution juste pour rire, une mise en scène théâtrale pour masquer l’incapacité des mouvements sociaux actuels de se présenter à visage découvert, autrement dit un signe de leur difficulté ou de leur refus d’occuper une vraie scène politique ?
Affirmer que la rue aurait libéré la parole au Québec sous-entend que cette dernière aurait été auparavant enchaînée. Il apparaît plutôt qu’au cours des vingt dernières années, les paroles ont tourbillonné dans toutes les directions, sans que l’on puisse en dégager quelque direction claire. Ce dont nous avons besoin, c’est de quelques grandes balises qui nous permettent de naviguer dans ce flot de paroles. Je n’ai pas l’impression que nous avons beaucoup cheminé quant à cette question au cours du printemps. Sur la simple question des droits de scolarité et de la marchandisation de l’université, le brouillard s’est plutôt épaissi, la discussion a dérivé, si elle n’a pas reculé… vers le « surfinancement » de l’université, vers la mauvaise gestion congénitale des administrateurs de nos institutions.
La parole publique s’est aussi rigidifiée, je dirai même abaissée. On traita les étudiants d’enfants gâtés, de vandales ; les étudiants répliquèrent en qualifiant le gouvernement de fasciste et la presse de suppôt du grand capital. À côté des affiches rieuses et inventives, il y en eut d’une extrême violence, contre nos politiciens, contre la nature de nos institutions démocratiques. La fondation B’nai B’rith dut rappeler à la jeunesse militante que, depuis l’Holocauste, l’utilisation du signe nazi en public – même contre la répressive police québécoise – n’était pas un jeu. On vit la femme d’un chroniqueur malveillant montée en effigie avec un grand « putain » accolé à son visage.
Les universités et les cégeps, hauts lieux de la parole libre, furent comme mis en joue durant le conflit. Peu de professeurs osèrent s’aventurer à entrer en débat avec le mouvement étudiant. Des professeurs de l’Université de Montréal, signataires d’une proposition, qu’ils croyaient modérée, parce qu’elle consistait à indexer les droits de scolarité, virent leurs portes de bureaux peintes de slogans soulignant leur traîtrise. Plus de 400 intellectuels – des professeurs pour la plupart – signèrent une lettre collective, publiée dans Le Devoir⁴, interpellant la chroniqueuse Denise Bombardier parce qu’elle avait parlé « du devoir de réserve⁵ » des professeurs en raison de leur proximité avec les étudiants. Selon moi, la chroniqueuse avait tort, mais pourquoi fallait-il cette fatwa progressiste contre elle ? Un corps-à-corps d’idées aurait fait l’affaire.
Les étudiants ont gagné leur combat contre la hausse des droits de scolarité ; ils ont perdu la bataille sur le terrain de la délibération publique. La sympathie pour la cause étudiante, celle du gel ou de la gratuité scolaire, déclina tout au long du conflit. Tellement que le Parti libéral, moribond dans les sondages en février, crut possible en août – après sept mois de conflit – de gagner une élection, ce qui se révéla presque juste. L’appui donné par le Parti québécois à la lutte étudiante le fut par défaut. À force d’arborer le carré rouge, le parti fut contraint de dire qu’il partageait les objectifs de la lutte, bien qu’une augmentation modérée des droits de scolarité ait fait jusqu’alors consensus chez les péquistes. La victoire d’un parti de gauche social-démocrate en septembre ne fut pas le résultat de la parole libérée du Printemps érable ; ce fut, là aussi, une victoire par défaut. La division du vote de la droite, en croissance et atteignant près de 60 %, en fut la raison principale. Si nous avions été dans un régime politique à représentation proportionnelle, l’annulation de la hausse des droits de scolarité n’aurait jamais eu lieu.
On ne peut toutefois analyser la signification d’un mouvement social qu’à partir de ses effets sur la conjoncture immédiate. Il est trop tôt, ai-je dit plus haut, pour saisir s’il s’est passé quelque chose au Québec au printemps 2012. Rappelons-nous Mai 68. À court terme, cela eut pour effet de renforcer la droite française et de favoriser la réélection du général de Gaulle. À long terme, cela eut un formidable effet sur l’imaginaire et la pratique des démocraties occidentales.
Il y a pourtant une différence notable entre le mouvement des années 1960 et celui que nous venons de vivre ; c’est la conception que chacun se faisait non seulement de la démocratie, mais aussi de son arrimage à l’institution politique. Cette différence nous permet de comprendre certaines pratiques que nous venons de décrire ; elle nous permet aussi de nous interroger sur les conséquences à plus long terme que de tels mouvements peuvent avoir sur la vie en société.
La contre-démocratie
Je voudrais ici relier le mouvement étudiant québécois à une mouvance plus large, particulièrement forte dans ce que l’on a appelé l’altermondialisme, dont le forum social mondial est la « grand-messe » annuelle. Cette mouvance s’est particulièrement rendue visible dans les grandes manifestations contre les réunions du Fonds monétaire international, les rassemblements des puissances économiques mondiales – telles que le Groupe des Huit (G8) et le Groupe des Vingt (G20) –, ou contre le grand party annuel des capitalistes à Davos en Suisse. On retrouve, dans les dernières années, cette tendance dans le mouvement des Indignés – réunissant des groupes de manifestation en Amérique (comme Occupy Wall Street/New York et Occupons Montréal) et en Europe (en Espagne et en Grèce, notamment). (En revanche, et pour des raisons qui deviendront évidentes, le Printemps arabe – qui était au départ un mouvement en faveur de l’élargissement des institutions rattachées à la démocratie libérale – n’est pas, lui, de la même texture que ledit Printemps érable.)
Quelle est la nature, en effet, de cette mouvance ? Ce sont des mouvements qui fonctionnent horizontalement, en réseaux, en rhizomes pour parler comme Gilles Deleuze, refusant en cela de s’inscrire sous une autorité quelconque, que ce soit celle d’un parti où celle du mouvement lui-même. Le Forum social mondial de Porto Alegre n’a jamais défini de ligne de parti politique. Il s’agit plutôt d’une nébuleuse qui se mobilise contre quelque chose, au nom d’un avenir autre… imprécis. On est, pour emprunter une expression à Pierre Rosanvallon, dans la démocratie du « rejet » et non pas dans celle du « projet⁶ ».
S’associer à un programme, à un projet, ce serait renouer avec une forme de verticalité, c’est-à-dire avec un mode de fonctionnement qui avait encore cours dans les mouvements des années 1960 – mouvements qui, malgré leur caractère libertaire, croyaient en une forme d’institutionnalisation et inscrivaient leurs luttes sous le chapiteau de l’utopie communiste et des partis qui promouvaient une telle idée. Les nouveaux sujets politiques refusent d’inscrire leurs actions dans une telle perspective programmatique (chaque constituante est rigoureusement maîtresse d’elle-même dans son programme comme dans sa praxis, comme le veut le concept de « pluralisme des tactiques »). À cet égard, ils sont rigoureusement libéraux : pour eux, le bien commun équivaut à la somme des protestations. Leur démarche est essentiellement négative, contestatrice : elle s’inscrit contre le capitalisme, contre le patriarcat, contre la technocratie bureaucratique, contre l’État, et même contre la démocratie libérale ; ce sont des mouvements qui pratiquent la « contre-démocratie », selon la formule de Rosanvallon.
La « contre-démocratie », qui est une variante radicale de la démocratie, exacerbe la dimension conflictuelle de celle-ci au détriment de sa dimension délibérative ou représentative. Elle souffre d’« impolitique », ajoutera Rosanvallon. Elle a, autrement dit, de la difficulté à transformer sa protestation en agir politique, trop préoccupée qu’elle est par sa méfiance envers les institutions-relais du politique.
Le mouvement des Carrés rouges participe d’une telle contre-démocratie, du moins ce fut son expression dominante. Depuis le Sommet des Amériques de Québec (2001), le mouvement altermondialiste québécois s’est radicalisé, il s’est mis à la contre-démocratie⁷. Abandonnant l’idée qu’il était désormais possible de négocier avec « l’État notre ennemi », une frange de ce mouvement a opté pour un syndicalisme de combat, vaguement anarchiste, utilisant des techniques d’action directe du type Black Bloc⁸. Il ne s’agit plus de défendre une cause particulière, mais de « démasquer l’État policier » de façon à rendre la libération possible.
La pénétration de ce type d’actions dans le mouvement étudiant a été facilitée par la pratique d’une démocratie directe qui rend les assemblées constituantes souveraines et qui défend de façon conséquente le « pluralisme des tactiques ». Rappelons-nous l’impossibilité, pour le porte-parole de la CLASSE au printemps 2012, de dénoncer les actes de violence dans les activités menées sous l’égide du mouvement. Cela aurait signifié nier la nature démocratique de certaines de ses assemblées. Comme le demandait Rosa Luxemburg, au moment de la Révolution russe, à propos du slogan bolchevique « Tout le pouvoir aux Soviets » : « Mais qui gouvernera les Soviets ? » Dans
