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Au temps de la heaumerie: Pérégrinations dans la langue romane
Au temps de la heaumerie: Pérégrinations dans la langue romane
Au temps de la heaumerie: Pérégrinations dans la langue romane
Livre électronique659 pages10 heures

Au temps de la heaumerie: Pérégrinations dans la langue romane

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À propos de ce livre électronique

Le Moyen Age vous interpelle-t-il avec son cortège de mystères ?

N’hésitez pas, immergez-vous dans cette époque révolue à la remorque de Galtier, fils d’un forgeron et heaumier bourguignon ! Car au printemps 1215, cet artisan du vil métal, passé maître dans l'art de forger les heaumes, s'en revient chez les siens après avoir effectué quelques sombres pérégrinations en Languedoc chez les hérétiques cathares. Le valeureux Galtier part ensuite sur les sentiers de Bourgogne à la recherche de nouveaux procédés de fonte de l’acier, et, chemin faisant, le bonhomme entame une véritable quête spirituelle, parsemée néanmoins d’actes érotiques.

Or voilà qu’à Noël de l’année 1226, Eudes, neveu dudit Galtier, s’en retourne à Dijon, après avoir effectué, en compagnie d’amis trouvères et troubadours, moult pérégrinations dans le but de trouver l’ineffable trésor de la fameuse reine Guilhalmier. Finalement, le jeune poète va s’apercevoir que ce fabuleux trésor est lié à la vertu de l’inaccessible dame, vertu qui a disparu en volutes de fumée.

Puis en l’an 1391, Gui Lhelmier, parlementaire à la Cour de Dole, entreprend un périple sur la route du sel, entre duché et comté de Bourgogne ; il poursuit son itinéraire jusqu’en Suisse romande et dans le comté de Montbéliard. Ce faisant, il découvrira la diablerie qui se cache dans les couvents et les manipulations d’argent.

Enfin, au 15 août de l’an de grâce 1496, Johannes Guillemier vient d’être fait bachelier de l’Université de Paris. C’est alors qu’il prend part à d’étonnants ébats amoureux avec 3 ribaudes du Quartier Latin. Du coup, il s’en retourne à pied vers son chapitre d’Autun où on l’appelle pour prendre rang parmi les chanoines des Eduens.

En guise d’épilogue, Edme Guillemier, Garde de la Manche de Louis XV dans la Compagnie écossaise des Gardes du Corps du Roi, relate ses campagnes, tandis que la Révolution s’annonce.
LangueFrançais
Date de sortie26 janv. 2015
ISBN9782322023561
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    Aperçu du livre

    Au temps de la heaumerie - René Guillemier

    1759.

    Première partie

    Le heaumier du maréchal de Bourgogne

    Avant-propos

    De la purification en religion

    Ce récit moyenâgeux et rocambolesque, s’égarant à l’occasion dans de truculentes descriptions, se donne pour finalité première, non pas de donner quelques sévères leçons en la tradition religieuse qui fit rage ici ou là, mais bien de se gausser des exagérations que certaines intelligences, soi-disant éclairées, pour ne pas dire illuminées, ont pu ériger en dogmes variés. Rien de tel, en effet, que le trait caricatural pour lever le voile de l’absurdité faisant partie de notre héritage ! Et puis, si hommes et femmes ont toujours eu besoin d’une religion pour survivre, il n’est point obligatoire de bouder les grivoiseries qui donnent aussi de la saveur à notre vie ! Ne faisons donc pas nôtre cette maxime du grand Malachias, moine purificateur régnant en ses montagnes d’Athonie, qui affirmait catégoriquement que l’homme se perd dans la femme, comme le sel se dissout dans la mer !

    Attendu que la verve de l’auteur tourne à sa façon les jugements péremptoires de la gent cléricale, le canevas de son récit repose pourtant sur des faits réels, s’agissant de l’histoire générale de la France, des ducs de Bourgogne et des seigneurs de Palleau. Mais les personnages qui accompagnent suzerains et feudataires sont pour la plupart issus de fantaisies, voire de fantasmagories, de sorte que si, au travers des pérégrinations, conversations, observations et constatations de Galtier, le heaumier bourguignon, certains esprits éveillés venaient à découvrir quelques troublantes et inquiétantes ressemblances avec des personnes connues ou inconnues, ce ne serait vraiment que de pures coïncidences ! Or le hasard est-il issu d’un mauvais démiurge, ou bien une œuvre de la bonne Providence ? A voir ! dirait Galtier.

    Cela dit, certains mots de vocabulaire, usités par l’auteur, sont transcrits en langue française d’aujourd’hui, tels « eau », « seau », « heaume », « heaumerie », « Palleau »… Ils n’ont pas été utilisés, bruts de fonderie, comme ils étaient écrits et prononcés dans la région de langue d’Oïl, au cours du XIIIème siècle, c’est-à-dire sous les formes « iau », « siau », « hiaume », « hiaumerie », « Palliau »… Donc, soyez indulgents pour le poète vernaculaire de l’arrière-ban messianique, écrivain de souche bourguignonne, qui s’est bien esbaudi en écrivant cette satire, car « honni soit qui mal y pense » !

    I

    Retour de pèlerinage en pays cathare

    Galtier, le fils puîné d’un heaumier bourguignon, chevauchait lourdement, épuisé par deux journées d’errance qui l’avait mené successivement de Cîteaux à Seurre, où il avait trouvé le gîte pour la nuit, puis à Ecuelles, pour atteindre enfin Palleau, ce havre familial où sa progéniture avait grandi avec les fils des laboureurs du voisinage. Cette enfance paysanne était déjà si lointaine ! Seules quelques scènes épiques, dont il fut le héraut d’armes, lui revinrent en mémoire lorsqu’il se surprit à longer les trois rivières qui confluent à hauteur du Bourg de Palleau. Hé ! Ses deux fils y avaient pataugé par tous les temps avec d’autres gamins, n’hésitant pas à immerger leurs corps dénudés dans les eaux boueuses jusqu’à hauteur d’épaule ! Edme, l’aîné, avait eu la chance d’être doté par la nature d’une puissante stature, et Henry le cadet, était plus fluet mais finaud. Tous deux avaient été des passionnés de la pêche à la main, essayant d’attraper les gardons ou les brèmes qui nidifiaient dans des anfractuosités, sous les roches des bords d’eau parsemés, çà et là, de grosses touffes d’ajoncs. Et le cadet, plus malin que son aîné, avait l’art de fabriquer des nasses avec des roseaux qu’il entrelaçait. Il les cachait au fond des trous, tout près des tourbillons, pour y prendre les gros poissons tels les carpes ou les brochets. Henry devint ainsi un nageur de première catégorie, ce qui était loin d’être courant en ce début du XIIIème siècle.

    Quittant l’atelier dijonnais de son père à la demande du chevalier Pierre, deuxième du nom et seigneur de Palleau, Galtier était alors devenu son forgeron et heaumier personnel. Il s’était installé en bordure de la forêt près d’un étang, au lieu-dit Les Courcausses, à une volée de flèche du château seigneurial. Il avait épousé là Béatrix, une paysanne de vieille souche, vigoureuse et ardente à la tâche. Deux fils étaient nés de cette union : Edme et Henry, qui avaient vécu l’essentiel de leur enfance à se vautrer dans les marécages et à parcourir les pâtures s’étalant entre les cours d’eau du Port de Palleau jusqu’à Champ, pâtures qu’on nomme ici pâquiers⁴. Or ce jourd’hui, en pénétrant dans le bourg, il avait délaissé volontairement la sente qui se hissait à dextre sur un coteau pour atteindre le château seigneurial, puisqu’il savait que Pierre de Palleau et ses hommes d’armes passaient le début du printemps aux côtés du duc de Bourgogne, en son hôtel de Beaune. Et chemin faisant, on l’avait prévenu que Yolande, l’épouse de son fils aîné, avait requis au Port les services de la bonne Béatrix pour panser son premier-né, un hardi garçon de sept ans qui souffrait d’une vilaine blessure à la tête, vu qu’une entaille profonde, due à quelque mauvaise chute au travers des taillis bordant la Dheune, suppurait depuis bientôt trois jours.

    La monture de Galtier hennissait et soufflait abondamment des naseaux, mais elle devait encore traverser les gués des trois cours d’eau, guidée fermement par les éperons de son cavalier. Car ce vieux Port de Palleau, tout couvert de marais, était envahi à la saison des pluies par les eaux de la Dheune, de la Bouzaise et du Meuzin. Le heaumier, voyant les flaques clapotantes qui scintillaient sous les derniers rayons du soleil, jubilait du haut de son palefroi, tout absorbé qu’il était par la beauté du paysage. Il distinguait au loin la Dheune, si calme pourtant en amont de Chagny, mais dont les flots s’accéléraient brutalement à hauteur du Port avant de se jeter dans la Saône à Verdun. Elle recevait à Palleau les eaux de la Bouzaise provenant des côtes de Beaune, et du Meuzin qui sourdait des alentours de Nuits. On eut dit que ces trois rivières prenaient plaisir à se diviser en plusieurs bras d’inégal débit, serpentant çà et là, se rejoignant parfois avant de se disjoindre pour quérir de nouveaux pâquiers à inonder.

    Une garenne de hérons, parsemée de roseaux, émergeait de l’onde assagie, près d’un bosquet de saules, tandis que des mouettes criaillaient en se posant près du groupe d’échassiers à l’affût. Or seul le cours du Meuzin avait pu être aménagé. Venant de Corgengoux, il traversait ensuite Palleau, du septentrion au midi, y actionnant la roue du moulin banal avant de jouxter un prieuré affilié à l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon. Et Galtier souriait aux anges ! Car il avait vécu avec son frère aîné Garnier une jeunesse laborieuse, hors du duché de Bourgogne, à la forge de Galdebert, leur défunt père, qui fut un des premiers heaumiers de la comté⁵ voisine. Mais cette contrée, à l’Est de la Saône, était une terre d’empire, une marche du saint empire romain germanique. Et le comte palatin de Bourgogne avait fait de Dôle sa capitale. Or en cette année 1215, Otton de Méranie, prince bavarois, avait reçu depuis une dizaine d’années la comté par mariage avec Béatrix de Franconie, petite fille de Frédéric Barberousse trépassé au Levant. C’est Otton de Franconie, troisième fils de l’empereur décédé et comte palatin de Bourgogne, qui avait fait immigrer des heaumiers bavarois en sa capitale de Dôle dans les années 1160. Galdebert fut l’un d’eux.

    Plongé dans un abîme de pensées, Galtier relâchait son étreinte, se laissant entraîner par son puissant cheval qui reconnaissait les lieux, du bout de ses quatre sabots. Son maître les lui avait fait poser maintes et maintes fois dans la glaise pâteuse, tout comme aujourd’hui, après ces quelques semaines où il l’avait guidé sur les chemins d’Occitanie. Car le heaumier des sires de Palleau s’en revenait d’un pèlerinage en pays cathare où il avait vécu des aventures fort étranges. C’est vrai qu’il avait été dans l’impossibilité de se joindre, en 1209, à l’ost d’Eudes III, le duc de Bourgogne, parti en Languedoc pour participer à la croisade contre les Albigeois. Et les croisés avaient été placés sous la houlette d’Arnauld Amalric, l’abbé de Cîteaux, qui fut nommé par le pape Innocent III légat extraordinaire et 1er inquisiteur, avec les pleins pouvoirs pour lutter contre l’hérésie albigeoise. Or en ce temps-là, Galtier avait souffert d’une méchante grippe qui l’avait cloué au lit, l’empêchant d’accompagner ni son frère Garnier, sollicité à Dijon en tant que heaumier ducal par le connétable de Bourgogne, ni surtout Pierre de Palleau qui suivait son duc pour deux bonnes raisons : il était tout d’abord chevalier et devait ainsi défendre l’Eglise en mettant sa lance à la disposition des princes, puis il avait souvenance lointaine de son aïeul paternel qui lui avait légué son prénom. Ce cher grand-père avait fini ses jours en tant que sénéchal de Carcassonne, afin d’y faire régner une justice équitable. Et le sire de Palleau souhaitait depuis longtemps admirer l’arrière-pays de langue d’Oc, du haut des remparts de la cité. Il ne fut pas déçu, puisque l’armée croisée, incluant l’ost bourguignon, était commandée par le vindicatif abbé de Cîteaux ; elle avait investi Carcassonne le 15 août 1209, après avoir néanmoins passé toute la population de Béziers au fil de l’épée le 22 juillet précédent. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous furent là égorgés ou brûlés. Pierre de Palleau, de retour en Bourgogne, avait raconté à sa maisonnée que ces meurtres avaient été organisés et perpétrés par une bande de ribauds, voire de routiers.

    Le heaumier palleaudin émergea brusquement de la torpeur qui l’envahissait car son étalon, après avoir forcé le pas, s’arrêta net au bord du gué de la Bouzaise. Galtier oublia un temps le massacre de Béziers pour concentrer son attention et conduire prudemment sa monture au travers des flots. L’eau s’écoulait tout autour du poitrail de l’animal qui s’évertuait à assurer ses pas. Quand tout à coup, il trébucha si maladroitement sur une souche que le cavalier, piquant du nez sous l’emprise de la fatigue, ne put se maintenir en selle et s’affala dans le lit de la Bouzaise. Après avoir disparu dans le courant, Galtier, bon nageur, réapparut à la surface de l’eau et, à grandes brasses, atteignit sans grande difficulté l’autre bord du gué où son cheval, penaud, l’attendait. Trempé des pieds à la tête, le malheureux heaumier lâcha un chapelet de jurons en direction de son étalon tout en lui saisissant les rênes. Il se remit en selle et guida son coursier sur le chemin du Port.

    C’est alors qu’il éclata de rire, si fort qu’une bande d’étourneaux s’envola dans les hautes branches des peupliers en bordure du sentier. Galtier se remémorait une histoire dramatique qu’il avait vécue avec Garnier et leur père en Terre Sainte. Il avait atteint la trentaine lorsque l’armée chrétienne des rois s’était ébranlée en direction du Levant. Car l’empereur d’Allemagne avait pris la croix et tâchait de rejoindre Saint-Jean-d’Acre, lieu de rendez-vous fixé pour tous les croisés. Il avait emprunté un itinéraire terrestre, à peu près identique à celui qu’avait suivi Godefroy de Bouillon lors de la Première Croisade. Or Galdebert, le heaumier bavarois, avait été sommé par Otton, comte palatin de Bourgogne, de s’intégrer avec ses deux fils à l’ost de Frédéric Barberousse. Après avoir franchi les monts du Taurus, l’empereur du saint empire romain germanique s’était laissé aller, par une chaleur torride, à se rafraîchir dans l’eau d’un torrent qui dévalait des versants escarpés. Montant son destrier encore tout harnaché, il avait pénétré inconsciemment dans le courant dont la violence aurait dû pourtant l’alerter. Or le cheval perdit pied, entraînant son cavalier au fond du cours d’eau, de sorte qu’on ne put que repêcher le corps de Frédéric Barberousse qui venait de se noyer. Cette disparition tragique eut lieu le 10 juin 1190. Galtier, lui, se tirait sain et sauf du bain forcé où sa monture l’avait précipité. Mais Marquis, son palefroi bien nommé puisqu’il l’avait débourré au pays de sa jeunesse, en la palatine comté de Bourgogne, une marche d’empire, Marquis donc, forçant l’allure, sentait l’écurie toute proche.

    Le valeureux heaumier arrivait sur les Grandes Terres du Port, à hauteur des ruines de l’ancienne motte féodale qui avait été détruite depuis un grand siècle et demi lorsque le comte de Bourgogne Otte-Guillaume, en guerre contre le roi de France Robert le Pieux, avait tenté de s’approprier les terres à l’Ouest de la Saône, or ses échecs successifs l’avaient poussé à ravager la région. Une bande de corbeaux avait élu domicile en haut des restes de la tour, faisant retentir des croassements lugubres en cette chaude fin d’après-midi. Le spectacle lui rappela tous les bourgs ravagés, pillés et incendiés, qu’il avait traversés en Occitanie pour rejoindre l’ost des pèlerins du prince Louis. Car messire Pierre de Palleau lui avait enjoint d’y effectuer une pérégrination en cette fin d’hiver 1215, pour sauver son âme, affirmait-il, vu que Galtier n’avait pas pu l’accompagner en l’an 1209, afin d’y réparer les garnements, fourniments et autres pièces d’armure du ban et de l’arrière-ban du duc de Bourgogne. Entre-temps, Arnauld Amalric avait été élu archevêque de Narbonne, en l’an de grâce 1212, et remplacé par un autre légat du pape, plus futé celui-là, moins féroce et juriste éminent, le cardinal de Bénévent, dont les ancêtres tiraient leur origine de la ville de Benevento, située à douze grandes lieues de Naples, en Italie. Pierre de Bénévent attendit les pèlerins français à Valence. C’est en cette cité que Galtier se mêla à l’armée capétienne. Le prince Louis était le fils aîné du roi de France régnant, le rusé Philippe-Auguste qui fut vainqueur à Bouvines des Allemands de l’empereur Otton. Louis avait une suite de barons et d’évêques, digne de son rang, dont les comtes de Sées et d’Alençon. Et le heaumier bourguignon fut intégré à l’arrière-ban du comte de Sées, à charge pour lui d’y réparer les heaumes et cottes de mailles dans les forges seigneuriales des contrées qui devaient être passées au crible de l’inquisiteur et de ses acolytes. Or la croisade du prince de France ne fut qu’une promenade militaire dans le but d’impressionner le légat du pape, les évêques et les barons de langue d’Oc. Car Philippe- Auguste voulait mettre la main sur les comtés occitans. Arrivé à Narbonne, Galtier fut apprécié en loyal artisan qui œuvrait à proximité de la maison mère du Nouveau Monastère⁶, de sorte que l’archevêque Arnauld Amalric lui confia une missive à donner en main propre à Arnauld II, l’abbé de Cîteaux. L’épître en question détaillait le point de vue d’Arnauld I Amalric, quant à la querelle qui venait d’éclater parmi les moines blancs. Les premiers Pères s’opposaient en effet à leur abbé pour des motifs de préséance. Puis les croisés progressèrent en direction de Toulouse. Le prince Louis y prescrivit que les remparts et les tours de la ville fussent arasés, comme il l’avait fait faire précédemment à Narbonne. Or la quarantaine arrivait à son terme, et Louis de France quitta le Languedoc avec son armée. Galtier, lui, s’associa à la suite du cardinal de Bénévent, jusqu’à Vienne, d’où il prit le chemin de Cîteaux, puis de Palleau.

    Le heaumier croisait la course du soleil depuis qu’il avait traversé les gués. Arrivé à un embranchement de chemins limitant la basse-cour de l’ancienne motte du Port de Palleau, Galtier fit faire un écart à sa monture pour se hâter face à l’Est, laissant derrière lui le chemin qui filait à Chevigny. Les masures du village se blottissaient de part et d’autre du sentier. Du coup, il se remémora son arrivée à Cîteaux. Il connaissait de renom le Nouveau Monastère et sa maison mère, puisque le Père supérieur des moines bénédictins établis au prieuré de Palleau échangea quelques terres avec l’abbé cistercien, particulièrement le lieu-dit La Corvée aux Moines, qui jouxte la Bouzaise et le versant de Rugin jusqu’à la Croix Rouge. Ainsi avait-on surnommé ces terres rouges, vu leur forte teneur en minerai de fer. Et c’est bien là qu’il tirait tous ses charrois de matières premières. Bref ! Il avait eu maintes fois l’occasion d’apercevoir les moines de Palleau se démener pour ramasser du bois sec à proximité de Rugin. Or les cénobites de Cîteaux étaient des moines blancs. Lorsqu’il s’était rendu à leur hostellerie, il en avait heurté l’huis de son énorme poing. Deux frères portiers s’étaient précipités pour venir aux nouvelles. Aldric, le moins souriant, en quelques mots lui avait dit qu’ici on était au Paradis, et qu’il fallait être purifié avant de pénétrer dans les saints lieux, et ce assurément si, comme Galtier, on avait côtoyé des hérétiques cathares. Ce moine hautain était donc lui aussi un homme de purification, comme le courageux heaumier en avait entr’aperçu, lors de sa pérégrination au pays de langue d’Oc, traînant derrière eux un charroi de fagots prêts à être brûlés sous les pieds de malheureux condamnés. Le deuxième frère portier se nommait Patricius. Il était beaucoup plus avenant que son confrère, de sorte qu’il avait guidé le heaumier en une chambre pour y passer la nuit. Puis les hôtes, dont Galtier, s’étaient acheminés au réfectoire pour y avaler une soupe sommaire. C’étaient tous de bons bougres qui avaient leurs affaires avec le monastère. Leur repas expédié, les hôtes avaient été priés d’assister aux Complies avant de se coucher. Le lendemain matin, on leur demanda d’entendre les Laudes et la messe cistercienne. C’est ensuite que Galtier fut invité à converser avec l’abbé. Il lui avait remis le pli de l’archevêque de Narbonne. Puis il s’était cru autorisé à lui décrire, en sa manière, la cruauté des croisés en pays occitan. Arnauld II lui avait fait signe de se taire. Ainsi, avait dit l’abbé, devaient régner le pape et son Eglise Catholique sur les esprits malins des hérétiques. Ayant quitté le Nouveau Monastère, Galtier, chemin faisant en direction de Seurre, s’était demandé comment un moine ayant eu une si haute responsabilité d’âmes, et dévoué à Dieu, avait pu se transformer en la bête féroce qu’était devenu Arnauld Amalric.

    Perdu dans ses pensées et laissant aller son cheval, Galtier arriva bientôt à la forge de son fils aîné Edme. Le forgeron s’était installé tout au bout du village. Car même si sa présence était indispensable pour ferrer les bœufs et les chevaux, pour façonner les outils des paysans, tels que socs de charrue, faux et serpes, les manants du Port le tenaient à l’écart et sa forge se dressait à l’extérieur du hameau, sur le versant des terres donnant sur la Dheune. Les lueurs rougeâtres et les gerbes d’étincelles qui s’échappaient de son atelier suscitaient l’effroi des paroissiens, vu les images que le clergé leur donnait de l’Enfer. Galtier mit pied à terre. Un martèlement sourd et saccadé provenait de la forge, tandis qu’un vol d’oies sauvages survolait le hameau. Le jars de tête emmenait une douzaine d’oies cacardantes, et quelques oisons à la traîne peinaient pour se maintenir à l’arrière. Le vol se posa brusquement dans les marais du Grand Pré. Tout près de là, un troupeau de vaches fauves et blanches broutait encore quelques touffes d’herbes d’un pâquier, avant de regagner les étables du Port en cette fin de journée. Le crépuscule allait bientôt tomber. Le soleil disparaissait à l’occident, teintant l’horizon d’une couleur rouge feu. On eut dit la forge d’un dieu prométhéen. Alors Galtier entraîna son étalon à l’écurie. Le cheval était si fourbu que son maître dut le bouchonner avec tendresse pendant un long moment, après lui avoir servi une copieuse ration d’avoine. Puis le heaumier, fatigué, se dirigea vers l’atelier.


    ⁴ Prairies du bourg, où paissent les bovidés.

    ⁵ Il s’agit de l’actuelle Franche-Comté, d’où l’emploi du féminin.

    ⁶ Il s’agir de la 1ère appellation de l’Abbaye de Cîteaux.

    II

    Une nuitée chez le favre⁷ du Port

    En approchant de l’antre du forgeron qui, en cette soirée naissante, était encore à son ouvrage, Galtier se rappelait, avec un mélange de joie et de tristesse, que Yolande fut l’unique enfant d’Eudes, l’ancien favre du Port - car c’est sous cette appellation qu’on désignait là le forgeron œuvrant pour les manants et paysans du village. Or Marguerite, l’épouse d’Eudes, n’avait pas survécu à ses couches, de sorte que la fillette fut élevée par la bonne Jacqueline, son aïeule paternelle, qui assuma courageusement cette responsabilité jusqu’à l’adolescence de Yolande, la pauvre grand-mère ayant été subitement terrassée par une pestilence issue des marais du Port de Palleau. Car la forge d’Eudes était installée à quelques pas de la Dheune, sur un versant pentu de la rive gauche, quasiment toujours sec, si bien que lorsque la rivière inondait la Prairie de Prêle et le Grand Pré, il arrivait parfois que des bestiaux crevés y pourrissent pendant de longues semaines. La jeune fille dut donc remplacer sa grand-mère aux marmites et devint rapidement une servante diligente, autant qu’absolument nécessaire au malheureux Eudes.

    Or si Edme, le fils aîné du heaumier de Palleau, était un adepte du marteau à forger, il n’avait par contre aucun talent pour pérenniser la fonderie de son père. Aussi avait-il abandonné l’héritage paternel pour épouser Yolande, perpétuant ainsi l’œuvre de son beau-père. L’installation ne possédait pourtant aucun four apte à couler du fer ou de la fonte à partir du minerai. C’est Galtier qui lui fournissait des lingots fondus à Palleau, lesquels on dénommait lopins vu leur médiocre poids de métal. Mais Edme tentait d’améliorer le rendement de la forge après avoir construit un des premiers moulins à martinet de la région, dans le but évident de battre les lopins de fer à chaud tout en économisant son énergie musculaire. Le moulin de Tapefort sur la Dheune, ainsi l’avait-on dénommé, se tenait là depuis quelques mois. Edme avait élevé des aisseaux⁸ en forme de barrage obstruant la moitié du lit de la rivière. Des lançoirs réglables permettaient d’ajuster le débit et la hauteur de la chute d’eau sur les aubes d’une grande roue dont l’axe en peuplier transmettait le mouvement de rotation à l’intérieur de l’atelier. Edme avait engagé un charpentier pour réaliser la roue à aubes et sa mécanique. Car il fallait transformer la rotation en percussion. Le savoir-faire du génial charpentier fit qu’un lourd marteau à bascule s’élevait suffisamment haut pour retomber sur une enclume, sous l’effet de son poids. La masse était mue par l’énergie d’un arbre à came fixé au bout de l’axe de rotation de la roue. Une seconde came, plus rapide mais moins puissante, pouvait être mise en action afin de battre les plaques de fer avec un petit marteau fixé à l’extrémité du levier. Galtier entendait les battements sourds et saccadés du martinet qui corroyait une plaque de fer rougeoyante, immobilisée par de longues pinces qu’Edme avait empoignées. Or ce nouveau procédé de martelage n’était pas encore au point.

    En ce printemps 1215, Eudes, l’ancien forgeron du Port, n’était plus de ce monde depuis bientôt cinq années. Il s’était éteint, épuisé par les durs labeurs d’une longue vie de forgeron. Et c’est Edme, le favre, fils de heaumier, qui avait repris ses activités. Galtier était pensif, car il avait apprécié Eudes, et une chaude amitié s’était nouée puis amplifiée avec le temps entre les deux artisans. Le heaumier s’avançait plus avant, longeant d’énormes tas de bois empilés qui attendaient pour servir de combustible dans un four de chauffe sans cesse en activité. Il apercevait maintenant son fils, dans une nuée de gerbes d’étincelles, qui s’appliquait à régler son martinet sur une plaque de métal. Le voyant ainsi à son ouvrage, Galtier s’exaltait intérieurement sur l’adresse des forgerons, car l’industrie des fers forgés avait était poussée assez loin en ces temps de croisades. Lui, Galtier, employait le charbon de bois que Martin, le charbonnier de Palleau, produisait au plus épais de la forêt. Car le charbon de bois donne au fer des qualités de souplesse et de ductilité. Mélangé au minerai de Rugin ou de la Croix Rouge, il en obtenait, dans son four chauffé à température de fusion du métal, des gueuses de fonte qu’il réduisait en fer aciéré par combustion lente. Le fer se formait peu à peu, et, par un corroyage répété, il passait de l’état de lopin à celui de barreau ou de plaque de fer, acquérant ainsi une forte ténacité en même temps qu’une grande souplesse. Moins criblé de parties de fonte, il ne se brûlait pas si facilement au feu, et se soudait plus aisément au rouge blanc. Car on réalisait les soudures de fers au marteau. Et il fallait être très habile pour assembler ainsi des pièces compliquées qui demandaient un grand nombre de passages au feu, sans les brûler. D’ailleurs, pour activer le foyer, le forgeron actionnait à la main un soufflet formé d’un sac en peau qu’il avait cloué sur deux planches et prolongé par une tuyère de métal donnant sur le brasier du four. Galtier savait bien que la fabrication des heaumes, des cottes de mailles et des armes offensives exigeait beaucoup d’adresse dans le maniement du fer.

    Un vol de passereaux rasa la tête du heaumier de Palleau, en s’envolant à tire d’ailes. Le voilà enfin sorti de ses pensées, le vieux Galtier. Il est grand temps pour lui de revoir les siens et de vivre au présent les heures qui courent. Alors il s’avance encore devant l’entrée de l’atelier, y aperçoit les outils pendus aux murs et fabriqués par son fils, qui, devenu héritier de l’ancien favre du Port, poursuit avec passion la tâche de son beau-père. C’est vrai que ces instruments témoignent aussi de l’habilité d’un simple forgeron. Car on y trouve tous les ustensiles d’artisans : marteaux, pelles, pioches, serpes, houes, faux, faucilles, besaigues et herminettes de charpentier, socs de charrue, haches et cognées de bûcheron, ciseaux de menuisier, enfin layes de tailleur de pierre.

    L’enclume posée par Edme sous son martinet est une masse aciérée qu’il a fichée sur une bille de bois. Mais il en possède une panoplie complète : des plates pour battre le fer à froid ou faire des rivets, d’étroites à faces inclinées pour commencer les pièces longues, d’autres encore qui ont les deux extrémités se terminant en cône horizontal afin de pouvoir arrondir les pièces de fer au marteau. Absorbé par son travail, le forgeron porte un tablier de peau devant sa cotte. Il a la tête enfouie sous un chapeau de feutre dont la visière lui permet de se garantir les yeux contre l’ardeur du feu de sa forge et les brûlures provoquées par les nombreuses projections d’escarbilles incandescentes provenant du martelage du métal chauffé au rouge.

    Quand, interrompant son corroyage, Edme aperçoit son père et se jette dans ses bras. Le visage du jeune favre est rayonnant malgré des traits qui commencent à se durcir, constamment exposé qu’il est à la chaleur des lopins chauffés au rouge. Par endroits, sa peau est parsemée de multiples crevasses dues aux brûlures des escarbilles de métal. Mais Edme n’a pas encore la laideur des vieux forgerons. Galtier, lui, est trempé. Il se place près du four pour sécher ses habits, enlevant ses gants et son large chapeau déformé par son récent bain forcé, puis, dégrafant sa cape imprégnée de boue vaseuse de la Bouzaise, il la pend à un clou d’une poutre à moitié calcinée. Quant à ses vêtements de dessous, à savoir bliaut, chemise, braies et chausses, ils sont tous gorgés d’eau. C’est alors que le heaumier enlève ses heuses de cuir pour les mettre à sécher en les éloignant de la fournaise ambiante.

    - Prends bien soin de ne pas attraper une fièvre quinte ! lui dit son fils.

    - Sois rassuré ! rétorque Galtier. Mais en attendant que je sois devenu sec comme ces bois destinés au feu, je vais t’apprendre un procédé qui nous est inconnu pour durcir le fer aciéré. J’en ai appris la technique dans les forges d’Occitanie. Car vois-tu, les natifs du pays de langue d’Oc ont commercé avec la lointaine Castille depuis des temps immémoriaux. Et on m’a raconté là-bas que les fers des castillans sont des plus résistants. Il paraît que ce sont les Maures du royaume de Tolède qui y ont parachevé notre art. Mais cessons là ce charabia et passons aux actes !

    - Que te faut-il donc, père ? demande le favre du Port.

    - A ta convenance mon bon Edme, tu vas me faire chauffer à blanc cette barre de métal que j’aperçois au pied de l’enclume étroite. Mais auparavant va-t’en quérir un plein sceau d’eau à la Dheune, et rapporte le ici ! rétorque le vieux Galtier.

    Edme enfourne alors la barre de fer, active le brasier en deux ou trois coups de soufflet, puis se dirige vers la rivière, muni d’un grand sceau. Après l’avoir rempli près des aisseaux de son moulin, le favre du Port est de retour peu après. Il pose alors son sceau d’eau sur la terre battue, enfile ses gants pour attraper une paire de pinces, puis demande à Galtier de lui montrer les gestes à faire.

    - Attends donc que ton fer soit porté au rouge blanc ! dit le père. Alors tu le saisiras pour le plonger brutalement dans l’eau du sceau. Tu observeras un refroidissement instantané de ta barre, accompagné d’un bruit chuintant et significatif de la mise en vapeur de l’eau !

    Une fois le fer chauffé au rouge blanc, Edme le saisit et le trempe dans l’eau. Le métal, au contact du liquide, le vaporise en jets sifflants qui s’échappent de sa surface, tandis que la couleur rouge du métal disparaît instantanément. Le jeune favre, stupéfait, sort la barre pour la poser sur une enclume.

    - Bien ! lui dit Galtier. Essaie donc de la tordre comme tu le pratiques couramment pour forger un outil !

    - Impossible ! s’étonne son fils en tentant désespérément d’incurver la barre à grands coups de marteau.

    - Voilà, mon garçon, ce qu’on appellera dorénavant une trempe à l’eau ! Sache cependant que le fer à utiliser doit être suffisamment aciéré, et donc contenir un faible pourcentage du charbon de bois utilisé lors de sa coulée !

    - Quelle merveilleuse opération ! s’exclame le favre du Port. Ce procédé nouveau de durcissement des fers tombe à pic pour façonner mes socs de charrues !

    Galtier sourit en voyant son fils si heureux. Il en profite pour philosopher en bon artisan ayant fréquenté les troubadours du pays occitan.

    - Des trois éléments : l’air, le feu, et la terre qui nous fournit notre minerai, nous coulons la « materia prima » que nous transformons peu à peu, à la force du bras et par la masse du marteau, en bons fers forgés. Or maintenant, nous pourrons les rendre beaucoup plus résistants grâce à la trempe à l’eau, le quatrième élément !

    - Sommes-nous alors devenus des demi-dieux travaillant sur les énergies primordiales pour façonner ainsi la matière ? interrompit Edme.

    - En quelque sorte ! répond le heaumier. Nous sommes les alchimistes du vil métal, car, depuis les temps ancestraux, nous apprenons à le transformer en outils, objets et ustensiles dont personne ne peut plus se passer. Et nous avons eu grand soin de transmettre cet art de génération en génération.

    - Pourtant, on nous rejette en dehors des hameaux comme sujets de Satan ? s’étonne le jeune favre.

    - C’est bien vrai mon cher fils, mais il nous faut dépasser cette assimilation grotesque. Comparons plutôt notre état d’alchimiste à ceux pour qui le feu de l’âme travaillant la matière brute du comportement humain permet de forger peu à peu un être qui s’accomplit ! conclut le vieux Galtier

    - Père, tu es devenu grand philosophe pendant ta quarantaine en Occitanie ! Mais tes habits sont bien secs à présent. Alors, je mets mon feu à couver et nous allons rentrer pour souper ! rétorque Edme.

    Galtier et son fils quittent l’atelier. La nuit est là, en cette heure avancée de la soirée. Mais la lune est pleine et diffuse un halo de lumière blanchâtre sur le bourg et les pâquiers, tandis qu’une douce brise vespérale s’est levée. Portés par le vent d’Est et provenant de la forêt de Palleau, bien au delà du bourg, les hurlements plaintifs d’une bande de loups, qui rendent hommage à la lune, viennent mourir à hauteur de la forge du Port. Or, dans ce concert nocturne, Galtier identifie un timbre bien connu, celui d’un majestueux loup gris, qui, certains soirs, se poste à l’orée du bois, tout près de l’antre du heaumier. Le sauvage animal, dénommé Grison par le vieux Galtier, aurait-il pressenti le retour de son ami au pays ? Car un lien étrange s’est tissé entre l’homme et la bête. L’un et l’autre se comprennent sans pourtant rien n’échanger : ni paroles, ni attitude affective de la part du heaumier. Et il arrive que dans la nuit obscure, le mâle intrépide entraîne trois jeunes louves de la meute qui gîte dans les bois, pour se poster là, près d’un bosquet de chênes. Pourtant, le four rougeoyant devrait faire fuir l’animal. Galtier s’est plusieurs fois surpris à admirer les yeux de Grison qui brillent là-bas dans les ténèbres, tels deux grosses topazes éclatantes.

    Edme, précédant son père, pénètre dans une vaste pièce qui lui sert tout à la fois de cuisine et de chambre à coucher. La belle-mère du jeune favre, assise sur un tabouret près d’un berceau, bascule un petit lit posé sur deux morceaux de bois recourbés. Un bébé y gît, tout enroulé dans des bandelettes pour l’empêcher de se mouvoir. C’est Philippine, née depuis déjà un mois de la plantureuse Yolande qui, en cette veillée de printemps, brode une aube de drap blanc destinée à sa petite fille. Lorsque Galtier à son tour entre dans la salle. Les deux femmes sursautent à sa vue, se ressaisissent en un instant, et Yolande, la plus véloce, se précipite pour se jeter à son cou. Elle se blottit dans les bras musclés du heaumier, le couvrant de baisers.

    - Père, vous êtes enfin de retour ! lui dit-elle. Voici Philippine, votre petite-fille qui vint en ce monde alors que vous étiez en pérégrination hors du duché de Bourgogne !

    Or la bonne Béatrix s’est finalement penchée sur le berceau pour y prendre le bébé qu’elle présente à Galtier.

    - Sois le bienvenu, mon vieil ami ! s’exclame l’épouse dévouée.

    Et, embrassant à son tour le heaumier épuisé, elle lui dépose tendrement la petite fille dans ses bras. Philippine dort du sommeil des anges, alors que de grosses larmes coulent sur les joues burinées de Galtier.

    - Qu’elle est mignonne ! susurre le heaumier.

    Yolande le libère de son fardeau léger qu’elle remet au berceau. C’est alors que Girard, le fils aîné du jeune favre, bondit de derrière un bahut où il s’était caché, attendant l’instant propice pour faire son effet. L’espiègle enfant a la tête toute enrubannée. Il court lui aussi se blottir dans les bras de son grand-père, qui le saisit en le hissant très haut à la force de ses poignets de fer.

    - Qu’as-tu fait mon gars, pour avoir le front recouvert de bandes d’oripeaux ? lui demande Galtier.

    - C’est à cause d’une vache qui me coursait près de la Dheune, et j’ai dû m’échapper ! rétorque le gamin. Mais je me suis pris les pieds dans un lacis de ronces et je me suis étalé de tout mon long. Ma tête a heurté une grosse branche coupée qui dépassait du roncier !

    Ainsi s’exprime le jeune bambin, ayant, en sa septième année, la langue bien pendue. Tout en devisant avec l’enfant, le heaumier parcourt la pièce de son regard perçant. Elle est chauffée par une cheminée large et haute, où l’âtre, avec ses deux landiers supportant les bûches énormes qui y ont été jetées, émet des lueurs rutilantes, comme lutins ou farfadets en furie. De temps à autre, une gerbe d’étincelles éclate du foyer et se projette aux pieds de Galtier. Il aperçoit alors les crochets des landiers qui reçoivent les broches, et où sont accrochées des pincettes ainsi qu’une cuiller en fer pour retourner les viandes. Au-dessus du foyer, un chaudron de fonte est pendu à une crémaillère noircie par moult feux de bois, alors qu’un buffet ancien, qui est un soufflet pour activer le feu, attend d’être empoigné par l’épouse du maître des lieux. Le centre de la salle est occupé par une grande table de chêne contre laquelle deux bancs sont accolés. Un escabeau et des tabourets complètent le mobilier.

    En un tournemain, la belle et puissante Yolande vient de mettre le couvert, déposant ici et là quatre fourniments, comprenant écuelles, couteaux et coupes. D’un bahut, elle extrait une miche de pain, place un hanap de vin à proximité d’une jatte d’eau qu’elle tire d’un sceau, débouche un pot de cornichons pour accompagner les restes d’une poule à moitié dévorée. Elle invite son monde à prendre place à table, afin de se servir.

    On mange avec les doigts. Et Galtier raconte, après avoir englouti quelques bouchées, son étrange pérégrination. Béatrix lui demande ce que sont ces hérétiques cathares :

    - Sont-ils des humains comme nous, ou plus sûrement des suppôts du diable ? s’écrie l’innocente Yolande.

    Galtier lui répond que ce sont des hommes et femmes comme eux tous, qu’il y a, parmi ces cathares, des nobles et des bourgeois. Quand, sur ces entrefaites, Girard, qui est fort las de sa journée passée à courir les pâquiers, réclame son lit, car sa mère l’a fait souper en fin d’après-midi. Elle guide son garçonnet vers une couche placée dans un des coins de la pièce, puis, après avoir enlevé son bliaut et ses braies, le gamin enfile une longue camisole avant de disparaître sous les draps. Yolande retourne alors s’asseoir à la table commune et presse Galtier de poursuivre son récit.

    - Bien ! Très chères femmes, mon discours va être de longue durée ! annonce le heaumier. Aussi, soyez attentives et tâchez de ne pas trop m’interrompre, car je n’ai aucun talent d’orateur, ni non plus le bagout des commères ! réplique le heaumier.

    - Soit ! s’écrie Béatrix. Tenons nous coites, ma bonne Yolande !

    - Ayant rejoint Valence, j’y ai trouvé les gens du cardinal de Bénévent, légat du pape en cette folle aventure, tous attendaient la venue de l’ost du prince Louis de France ! poursuit Galtier. L’armée du capétien arriva le lendemain en fin d’après-midi. Vous auriez vu le fils du roi de France avec sa maisonnée, précédant une file d’évêques mitrés, ayant ceint l’épée, d’abbés et de moines encapuchonnés et hissant de lourdes croix de bois, suivis par les bans des puissants barons portant gonfanons⁹, pennons¹⁰, écus armoriés, lances, épées de taille, et tous bardés de fer de la tête aux pieds, entraînant avec eux une clique d’écuyers, d’hommes d’armes, de sergents et de piquiers. J’ai bien compté au moins une centaine de conrois¹¹ qui sont les bans des chevaliers bannerets¹², tous hauts seigneurs portant bannières et harnachés pour la bataille. Mais en fin de colonne suivaient aussi d’innombrables pèlerins, venant en terre de langue d’Oc non pas pour guerroyer, mais pour montrer aux Occitans la détermination des gens de France à ne point se laisser dévaster par les hérétiques albigeois, lesquels se multiplient comme des fourmis !

    - Et vous père, qu’avez-vous fait ? lui demande Yolande, qui commence à s’impatienter.

    - Ayant été reconnu comme heaumier œuvrant pour le duc de Bourgogne, on me proposa de me mêler à la suite de messire Robert, comte de Sées et d’Alençon, qui manquait d’artisans pour réparer le fourniment de fer des hommes d’armes rangés sous sa bannière. Ce sire Robert est fils du comte Jean qui fut occis lors de la prise de Saint-Jean-d’Acre en 1191. Rappelez-vous bien, chères femmes, que lorsque le roi Philippe-Auguste y réclamait des gens à son service, le duc de Bourgogne, par l’entremise de notre seigneur Pierre de Palleau, vint nous tendre la main, à moi-même, à mon frère Garnier, mais surtout à notre père qui avait acquis une grande expérience en matière de heaumerie allemande. Mais pour la petite histoire, sachez aussi que ce comte Jean était fils d’un dénommé Guillaume Talvas, troisième du nom. Or, en langue romane d’Oïl, un talevas est un bouclier. Je fus donc, de ce point de vue, le bienvenu ! réplique le heaumier.

    - Certes, certes, mon bon ami ! interrompt Béatrix. Mais venons-en au fait !

    - Ainsi donc, chevauchant mon fidèle palefroi, j’ai suivi la colonne capétienne. Nous avons d’abord atteint Narbonne, où le prince somma les villageois et vilains d’en détruire les remparts. Ce fut rondement effectué sans aucun heurt armé. Puis Louis de France se dirigea sur Toulouse. Le comte Robert de Sées fut astreint à installer son camp en la bourgade de Lavaur, pendant que le prince Louis et le reste de son ost se portèrent au château narbonnais en la ville de Toulouse, où il commanda là aussi qu’on rase les murailles. Or, pour quelle raison impérieuse le comte de Sées dut-il s’installer à Lavaur ? Parce que ce fut une place forte des Albigeois, détruite le 3 mai 1211 par les hommes de Simon de Montfort ! Car depuis que les ducs, les comtes et les barons, français ou bourguignons tel notre sire de Palleau, l’ont abandonné au cours de l’année 1209, ce Simon est le chef du reste des croisés, faisant fi des consignes du cardinal de Bénévent. C’est un intrépide homme de guerre, féroce et cruel, avide de terres à conquérir. Ses ancêtres ont fait souche en Ile-de-France, dans le Hurepoix ! explique Galtier.

    - Et vous, père, où vous a-t-on installé ? lui demande Yolande.

    - J’y viens ma fille, j’y viens ! tempère le heaumier. Messire Guillaume, seigneur du Chalenge près de Sées, et vassal du comte Robert, me pria de m’associer au forgeron occitan d’un gros atelier sis au Port d’Ambres, sur l’Argoult qui est un affluent du Tarn. La forge se tient à une lieue au nord de Lavaur. Et le forgeron du Port d’Ambres tire ses lingots d’une fonderie installée à deux lieues à l’Est, dans les bois de Monferrier. Il se nomme Gaucelme. C’est un homme de l’art. Tout en martelant de concert nos ouvrages : lui ses outils, et moi deux ou trois heaumes à remettre en bonne forme, mon compagnon de forge me trouva discret et austère, de sorte qu’il se laissa aller à quelques confidences. Il m’avoua s’être converti lui aussi à l’hérésie !

    - Mais ne nous fait pas transir ! implore Béatrix.

    - Patience, mes gentes dames, vous saurez tout à point nommé ! entonne le heaumier. Gaucelme, donc, me raconta que leur évêque, un noble nommé Habert au baptême de notre Eglise, et appartenant à une puissante maison seigneuriale du pays, aurait pris le nom de Guile Habert, ou Guilhabert, de Castres, en rejoignant les rangs des Albigeois, pour que tout un chacun sache bien qu’il a quitté l’Eglise de Rome afin d’adopter les recommandations de la Contre-Eglise cathare. Il est le plus célèbre des Bonshommes d’Occitanie, qu’on nomme aussi Parfaits, ayant acquis une spiritualité dont je vais ensuite vous parler, de sorte qu’il fut fait diacre, puis évêque de Toulouse pour siéger à Lavaur. Or Gaucelme me conta une terrible histoire. Car à la Sainte-Croix de mai 1211, Simon de Montfort ruina cette place forte albigeoise. Il fit pendre le seigneur du lieu, un haut baron nommé Aimeric de Montréal, et jeter dans un puits sa sœur Guiraude qui fut couverte de pierres par les croisés. Ce fut un malheur, doublé d’un crime, car personne ici ne se serait éloigné de cette gente dame sans avoir reçu de quoi manger tant qu’et plus. Et le chef des croisés fit pendre encore au gibet plus de quatre-vingts chevaliers. Quant aux manants du bourg, ils furent plus de quatre cents réunis dans un pré avant d’être brûlés. Mais Guilhabert de Castres avait réussi à passer à travers les mailles de ce funeste filet, et, en cette année 1215 où je fus un heaumier en terre occitane, il siège de nouveau et prudemment dans les alentours de Lavaur !

    Quand, sur cette déclaration, Yolande s’adresse à son favre d’époux :

    - Mon bon Edme, Philippine crie pour sa tétée, or j’ai des frissons car le feu est tombé. Veux-tu bien le raviver pour que je puisse lui donner un de mes tétins qui sont enflés de lait !

    Le favre du Port de Palleau se lève, sort pour prendre quelques bûches qu’il jette ensuite dans le foyer, puis, saisissant le vieux buffet accroché à un landier, il active le feu. Le bois s’enflamme en crépitant, inondant subitement la pièce d’une lumière rougeâtre. Alors sa femme prend Philippine dans ses bras et lui présente un tétin rondelet que le bébé saisit à pleines mains tout en tétant goulûment le mamelon.

    - Père, vous pouvez poursuivre votre narration ! Parlez-nous donc de la religion de ces Albigeois ! clame la maîtresse de maison.

    - Fort bien ! lui répond Galtier. C’est donc Gaucelme, le forgeron du Port d’Ambres, près de Lavaur, qui m’exposa très secrètement la nature de sa religion. Au commencement des temps, il n’y aurait pas eu une, mais deux divinités : un Dieu bon qui créa l’univers et tout ce qu’il recèle d’amour, de pureté et de Bien, et un Dieu mauvais qui fut la source de tout le Mal apparaissant dans le cosmos. Ces deux créations disjointes se seraient ensuite mélangées pour produire le monde et son humanité tels que nous les connaissons. D’où la nécessité absolue de se purifier car le monde matériel serait mauvais. Du coup, les Cathares nient la réalité charnelle de Jésus-Christ. Ils prônent même l’ascension progressive de l’esprit vers le Bon Dieu au travers de réincarnations successives. Les simples croyants sont en bas de l’échelle, alors que parmi un petit groupe d’initiés, les Parfaits ou Bonshommes, sont choisis diacres et évêques. Les Parfaits sont soumis à une morale rigoureuse. S’ils sont mariés, ils doivent se libérer du lien charnel. L’homicide leur est interdit, ainsi que le meurtre des animaux où peut gîter l’âme d’un Cathare trépassé. Ils ne mangent donc aucun aliment carné, et leur nourriture n’est que poissons, légumes et pain. Il leur est défendu de faire la guerre et de participer à des lits de justice en l’Eglise romaine ou relevant de la hiérarchie féodale. Pour eux, les croisades, qui sont des guerres saintes dont le but est de libérer le tombeau du Christ de l’emprise musulmane, ne sont qu’une mystification puisqu’ils ne croient pas que le Fils de Dieu ait réellement vécu sur notre Terre. Et les simples croyants sont astreints à suivre les leçons des Bonshommes. Mais le catharisme n’est plus si solidement enraciné en pays de langue d’Oc, comme il le fut à la veille de la croisade contre les Albigeois en l’an 1209, lorsque leurs évêques et leurs diacres y étaient partout en place !

    - Et ce Gaucelme, père, à quel seigneur était-il attaché ? questionne le favre du Port.

    - Au sire Aimeric de Montréal ! rétorque Galtier. Mais Gaucelme avait l’espérance, comme toute la petite société des vilains, bourgeois, marchands et artisans, que le catharisme affranchisse les dîmes, qu’un ordre économique nouveau soit instauré où ils pourraient s’enrichir en faisant fructifier l’argent, ce qui est vigoureusement condamné par le pape. Les femmes surtout sont gagnées à la cause de l’hérésie. Et leur libertinage fait opposition à l’ordre social établi. Car la féodalité est condamnée par les Cathares, pour sa transmission du pouvoir par les liens du sang. Cette civilisation originale du pays occitan est une autre manière de voir le monde, bien différente en tout cas de la nôtre. Et leur comte, Raymond de Toulouse et sixième du nom, est très favorable au catharisme !

    - Mais que va-t-il en advenir ! s’interroge le favre du Port.

    - Je vais te donner mon humble avis ! répond le vieil heaumier. D’après ce que j’ai pu vivre au cours de ma pérégrination, je crois que le catharisme est une lutte à mort contre notre manière de vivre, et de ce fait, les Cathares font l’objet d’une répression sauvage. La croisade vise à écraser cette culture naissante, et il me semble malheureusement évident que cette civilisation d’Occitanie sera bientôt détruite. Pour donner un exemple de la barbarie des croisés, j’ai pu moi-même assister à ces crimes. L’ost du prince Louis ayant quitté le pays de Montauban pour se diriger vers la France, j’abandonnai moi aussi mon ami Gaucelme, le forgeron du Port d’Ambres, et me rangeai dans la suite du cardinal de Bénévent qui rejoignait Vienne, accompagné de Simon de Montfort. Il fallait alors voir, mon fils, les inquisiteurs dominicains se démener en parcourant le pays en tout sens, pour y trouver des hérétiques et les brûler vifs par groupe de trois ou quatre, aidés en cette sinistre besogne par des moines fanatiques, grands pourvoyeurs de fagots. Et les hommes de Simon de Montfort ! Ils ne valaient pas mieux, car l’appât du gain les poussait à voler les vilains, à violer femmes et pucelles, et à assassiner impunément les malheureux occitans !

    - Père, tout cela est navrant, et, s’il vous plaît d’arrêter là cette triste description, je vous en serai bon gré ! s’écrie l’innocente Yolande. Vous allez faire tourner mon lait, et ce serait grand dommage pour notre Phillipine ! Voyez qu’elle ne tète plus. Et je m’en vais la remettre maintenant au berceau !

    - Parle-nous plutôt de ce Guillaume de Chalenge, vassal du comte de Sées, dans la suite duquel on te pressa de t’enrôler ! s’exclame le favre du Port.

    - Comme il vous plaira ! répond le vieil heaumier. Je fus donc mis à contribution pour réparer son bouclier bien joliment armorié. C’était un magnifique talvas normand, tout arrondi au chef, avec ça bien recourbé pour envelopper son homme, et possédant un fort umbo fixé aux deux tiers de la hauteur à partir de la pointe, afin de dévier et bloquer la taille des coups d’épée. Messire Guillaume de Chalenge avait emmené ses deux fils, dont Renauld le cadet qui est prêtre à la cathédrale de Sées. Ce Renauld s’est pris d’amitié pour moi et m’a raconté les origines normandes de son lignage, issu des Vikings provenant du Septentrion. Puis il m’a détaillé l’odyssée de son père, enrôlé sous le gonfanon du comte Jean de Sées lors de la Troisième Croisade, où nous fûmes aussi, moi et mon frère, accompagnant notre valeureux père. Ce haut baron était placé sous la bannière de Richard-Cœur-de-Lion, le roi d’Angleterre, qui avait la main mise sur la Normandie. Ils avaient rejoint la Terre Sainte par la mer, débarquant au port de Saint-Jean-d’Acre en mai 1191. Là, le comte de Sées avait recueilli dans ses rangs quelques seigneurs allemands qui ne s’étaient pas débandés après la mort de Frédéric Barberousse, atteignant ainsi les murailles de la ville de Saint-Jean-d’Acre aux mains des Sarrasins. Parmi eux se trouvait le sire Albrecht Junius, originaire de la région d’Utrecht en Hollande !

    Galtier souriait, tout en racontant ces faits d’armes, car lui aussi avait participé à la prise de la ville, en réparant les heaumes des chevaliers.

    - Nous avons oublié le déroulement de ta pérégrination en Terre Sainte, vaillant père ! Aussi serait-il judicieux que tu nous en rappelles le cheminement ! s’écria Edme, subjugué par le récit du vieil heaumier.

    - Tu as raison, mon garçon ! réplique Galtier. Sachez donc qu’après la noyade de Frédéric Barberousse, de nombreux barons allemands renonçant à leurs vœux s’embarquèrent pour retrouver leurs terres. Les plus fidèles poursuivirent leur pérégrination pour rejoindre l’armée chrétienne devant Saint-Jean- d’Acre. Or, le 4 janvier 1191, les rois de France et d’Angleterre partaient de Vézelay pour la croisade. Et le 30 mars de la même année, Philippe-Auguste débarquait au port de Saint-Jean-d’Acre pour camper en dehors de la ville aux mains des Sarrasins, attendant là impatiemment la venue prochaine de Richard-Cœur-de-Lion. Certes, le roi de France n’était pas demeuré inactif depuis son arrivée. Il avait rendu son moral à l’armée chrétienne, et, avec les spécialistes de l’ost, il avait fait construire des machines de guerre en attendant les assauts futurs. C’est au cours d’une sortie des musulmans que le comte palatin de Bourgogne, Otton de Franconie, troisième fils de Frédéric Barberousse, fut tué alors qu’il s’était placé sous la bannière de France. Or Philippe-Auguste avait grand besoin d’artisans pour ses préparatifs, si bien que mon père Galdebert, un des heaumiers du comte palatin de Bourgogne alors trépassé, fut engagé par le duc de Bourgogne, à la demande d’un de ses chevaliers, notre sire Pierre de Palleau. Mon frère Garnier et moi-même étions donc maintenant les ouvriers de Galdebert, à la solde du duc Hugues, troisième du nom. Puis le roi d’Angleterre débarqua à son tour, de

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