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Le vieux mage des reves et autres nouvelles
Le vieux mage des reves et autres nouvelles
Le vieux mage des reves et autres nouvelles
Livre électronique305 pages4 heures

Le vieux mage des reves et autres nouvelles

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À propos de ce livre électronique

The Ancient Magus of Dreams leads us into the hazy, distant past of mankind, when the guardian of knowledge, the theory maker, and the thinker attempted to unravel the world’s secrets using telepathic abilities. Al-Mahmatall, one of the thinkers, was given the task of creating dreams, and while he is traveling about in the spirit of a child, he suddenly makes an astonishing discovery...

Certainty deals with the book of Ezekiel, the favorite of UFO fanatics, and provides a new point of view of the biblical events. Next to an insignificant disciple, who against his will is witness to the remarkable visions of the prophet and records them for posterity, the prophet himself becomes an almost secondary figure.

I’ll tell it to you myself, Lysias takes place in the world of Greek antiquity. The protagonist of the story, which is recorded in a series of letters, is Nikias, the tragic hero of the Peloponnesian War. The Athenians besiege Syracuse, and from the letters of the general Nikias we learn of his fate. We learn as well of the intrigue-ridden polticial life of ancient Athens. We meet Alcibiades and Socrates, but it all foreshadows the decline of Greek antiquity, the epoch of irresponsible political adventurism and senseless warfare.

Johannan evokes the time of early Christianity and attempts to reconstruct the origins of the book of Revelation. Johannan, banished to the island of Patmos, reflects on himself, his beliefs, and his fate. At the same time, he demands an accounting from heaven itself for the promised paradise and the Kingdom of Love of which the master spoke. While Johannan—like the Greek Nikias—submits to his fate, accepting the suffering that is apportioned to him, he nonetheless is already a rebel who, in contrast to Nikias, is prepared to doubt the righteousness of the divine order. Here the fantastic is but a means through which the unreal becomes more real and believable and approaches human experience.

Brother Marius’s Devil could be a classic Faust tale were it not for the unique viewpoint of the narrator. Brother Marius the novice prepares to make a journey with his superior, but something intervenes. Indeed, it is the devil who interferes, or rather the one who summoned him. However, who remains at the end and who summoned whom is revealed only in the course of the story. Here one feels capable of opposing his predetermined fate and taking another path. However, the devil has his own ideas.

The Island of the Strawdogs brings us into the present. A world-weary scientist moves to a lonely island, where he makes an incredible discovery. The two protagonists who come to the island on the invitation of the scientist are compelled to listen to the professor’s long explanations of human history in order that he finally, as if as a reward, initiate his guests into the secret of his discoveries.
This closing novella tells us that history, which began with Al-Mahmatall’s mind-reading, or even much earlier, has reached its end with the invention of the computer. Civilization is ossified, too addicted to the material, incapable of growing beyond itself. Man must begin again, as after the Flood. But mankind will not be alone, for as the devil in Brother Marius says, “I will be there, for I must be there when the last person on Earth vanishes...and then we shall meet again.”

LangueFrançais
Date de sortie29 sept. 2011
ISBN9783943434026
Le vieux mage des reves et autres nouvelles
Auteur

Róbert Hász

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    Le vieux mage des reves et autres nouvelles - Róbert Hász

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    Róbert Hász

    Nouvelles traduites du hongrois par Chantal Philippe

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    copyright Róbert Hász 2011

    published by S.Back agency for hungarian literature at Smashwords

    Couverture:

    S. Back d’après Le baiser de René Magritte

    Copyright:

    Tous droits réservés. Aucun extrait de l’ouvrage ne peut être reproduit, archivé ou communiqué sous quelque forme que ce soit, par quelque procédé envisagé (électronique, mécanique, photocopie, multimédia ou autre) sans autorisation expresse écrite préalable de l’auteur ou de son représentant:

    „S. Back agency for hungarian literature".

    Smashwords Edition, License Notes:

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    Table des matières:

    Le vieux mage des rêves

    La certitude

    Lettre à Lycias

    Johannan

    Le diable de Frère Marius

    L’île des Chiens de paille

    Le miracle de Guilead

    Clips - Le prophète

    Le sosie

    Le crime

    Sécheresse

    Promenade en septembre

    L’auteur

    Remercîments dal représentant

    Le vieux mage des rêves

    Le vieil Al Mahmatall était assis au bord de la falaise, balançant avec insouciance au-dessus de l’abîme ses pieds nus dans des sandales usées.

    Le menton appuyé sur sa main, il regardait s’écouler le pourpre du soleil couchant, tout en méditant avec une morne indifférence sur la valeur de la théorie selon laquelle chaque soir, avant de disparaître sous la surface de la Terre, le soleil éclatait comme une outre de chèvre sous la lame d’un couteau, et son contenu se répandait comme le jus de raisins pressés – en fait, la lumière, l’énergie (Al Mahmatall ne parvenait toujours pas à se faire à cette nouvelle expression) s’en écoulait. Était-il vrai que ce qui reste du soleil, une enveloppe vide, contourne la terre par dessous au cours de la nuit, s’enfonce dans la „mer de lumière (ce qu’Al Mahmatall trouvait exagérément sentimental), comme pour se remplir, avant de réapparaître à l’aube de l’autre côté de la voûte céleste, régénéré, plein d’énergie"? Il secoua la tête, comme pour mettre en doute cette théorie impossible, mais haussa ensuite les épaules, en pensant à sa propre théorie des théories: quand il s’agit d’un phénomène encore inexpliqué, la théorie la plus faible, la moins crédible, valait encore mieux que rien du tout. Car un mystère ne commence pas d’exister au moment où il est élucidé, ni quand les cohortes des Penseurs remâchent les questions qu’il suscite, mais dès l’instant où nous en reconnaissons la possibilité, où nous distinguons ce phénomène de ceux qui sont déjà connus et expliqués; quand nous distinguons les vents des éclairs au sein de la tempête, le feu de la fumée, le corps de l’esprit dans l’être humain. Al Mahmatall rit dans sa barbe à l’idée de son savoir, puis il fit un geste désabusé comme si tout cela n’était que jeu d’enfant, et il força ses membres engourdis à se mettre en mouvement, mais sans hâte ni fébrilité, si bien que lorsqu’il se dressa au bord de la falaise, le soleil était déjà couché.

    Épuisé par sa longue méditation, il regagna sa grotte à pas traînants. Il jeta des brindilles sèches sur les braises qui rougeoyaient à peine et donna un coup de pied dans un tas de couvertures qui gisait à terre. Comme il n’obtint aucune réaction, il dut renouveler l’opération et au troisième coup de pied, quelque chose remua enfin sous les couvertures.

    Un jeune garçon à la peau brune et aux cheveux frisés émergea du tas de haillons. Il s’assit et s’étira longuement, puis il se leva de mauvaise grâce.

    – C’est bientôt le soir. Prends ta hache et va chercher du bois pour la nuit! lui ordonna Al Mahmatall. Levraut, mon garçon, tu passes les trois quarts de ton existence à dormir. Ne crains-tu pas de t’endormir une fois pour toutes et d’être emporté par les rêves?

    Le garçon ne répondit pas, il glissa son outil dans sa ceinture et se dirigea vers l’ouverture de la grotte. Al Mahmatall lui dit encore:

    – Et ne va pas t’aventurer trop loin! Je viens d’entendre des loups dans la vallée! Mais le garçon avait déjà disparu derrière la paroi de roche.

    Al Mahmatall, le vieux Penseur fit de nouveau un geste désabusé, comme il l’avait fait sur la falaise. „Quel gamin impossible ce Levraut, grommela-t-il dans sa barbe, pourquoi faut-il toujours que je tombe sur ceux de son espèce?" À la prochaine réunion du Conseil, il exigerait qu’on lui donne un nouveau serviteur. Il en avait le droit. Ce garçon était si paresseux et taciturne qu’il le dérangeait. Oui, il le dérangeait. Il l’empêchait de penser.

    Lorsque son précédent serviteur s’était enfui, il avait fait appel au Conseil. Celui-ci n’avait pas discuté et lui avait envoyé ce mouflet à la peau cuivrée venu d’on ne sait où, peut-être échangé, qui sait, contre quelques vieux pots de bronze sur un marché d’esclaves.

    Cessant de grommeler, il s’installa près du feu en repliant ses vieux os et se mit à manger. Le fromage de chèvre desséché et la galette dure comme la pierre apaisèrent passablement sa faim, sans même lui inspirer trop de dégoût, comme on eût pu s’y attendre au trente-troisième jour de méditation. Force lui fut toutefois de constater que ses provisions étaient quasiment épuisées.

    Cela signifiait que le lendemain matin, au moment où le soleil apparaîtrait à l’horizon, il descendrait avec Levraut dans la vallée, vers le village crasseux et galeux où, en échange de quelques bienfaits dus à la magie, les femmes des bergers iraient chercher dans leurs huttes viande séchée et fromage dont elles s’empresseraient d’emplir sa besace sans qu’il le leur demande, trop heureuses de pouvoir lui donner quelque chose. Il devait se mettre en route dès l’aube, car leurs maris menaient leurs chèvres au bord du torrent le matin de bonne heure, et ils ne voyaient pas toujours d’un bon œil ses tours de charlatan.

    Al Mahmatall aimait ces expéditions, bien qu’il en revienne généralement fatigué, mais au moins pendant ce temps, il n’était pas obligé, solitaire perché sur sa falaise, de se livrer à d’épuisantes spéculations sur le problème que le Conseil lui avait confié.

    Pourtant il aimait vraiment la question qu’il devait étudier, même s’il n’avait guère d’espoir de jamais la résoudre. Ce qui importait le plus, cependant, ce n’était pas la solution, mais la théorie. La solution viendrait bien un jour ou l’autre, si ce n’était pas maintenant, ce serait dans dix ans, dans cent, dans deux cents ans – cela n’avait aucune importance. Mais pour que la solution intervienne, il fallait une théorie. Un bonne ou une mauvaise, peu importe. L’essentiel, c’est qu’il y ait une théorie dont le germe contienne le problème, la question posée, et en conserve le mystère pendant des décennies, des siècles, tandis que se succéderaient des générations de savants dont les idées contribueraient à l’édifier; il traverserait les temps telle une boule de neige qui grossit au fil de sa course, jusqu’à ce qu’il rencontre un esprit de génie qui le prenne à bras le corps et le résolve enfin.

    Al Mahmatall ne se berçait pas d’illusions en s’imaginant qu’il faisait lui même partie de ces génies. Non, lui n’était qu’un travailleur ordinaire, un journalier de la Pensée, un parmi tant d’autres. Mais sa tâche n’en était pas pour autant négligeable, puisqu’il était le gardien des problèmes. Il s’efforçait d’y contribuer par son esprit, et même s’il remâchait désespérément la question, la tournant et la retournant dans tous les sens, même si ses efforts n’étaient pas couronnés de succès, il ne se serait pas battu en vain pendant des décennies: il était le gardien de la théorie.

    Il notait régulièrement les menus détails de ses pensées qu’il jugeait utile de conserver pour les générations futures. Les tablettes d’argile qui s’empilaient dans un coin de la caverne étaient les preuves mesurables et estimables de ses réflexions, et avec d’autres Penseurs, il devait les présenter à intervalles réguliers au Conseil où des têtes plus vénérables et bien plus savantes qu’eux examinaient patiemment les résultats obtenus, à la suite de quoi était notifié à chacun dans quelle mesure et avec quel succès il avait contribué à enrichir la Science Universelle.

    Al Mahmatall était chargé de l’étude des rêves.

    Il ne les étudiait pas sous l’aspect superficiel de leur interprétation, mais dans leurs rapports plus étendus et plus complexes. Les recherches des Penseurs concernaient trois problèmes fondamentaux: le Monde en tant que totalité de la matière entourant l’homme, l’Homme en tant que matière pensante, le Rêve en tant que troisième constituant indépendant de l’univers, pensée autonome, libérée du pouvoir de l’homme.

    S’ils ne savaient pas tout du monde matériel, les Penseurs savaient beaucoup de choses, ils avaient des théories qu’il suffisait de démontrer, ou au sujet desquelles il fallait trancher avant d’en créer de nouvelles. Ils en savaient encore plus sur l’homme, en revanche très peu, presque rien au sujet des rêves. Tout le reste leur était saisissable et accessible: une forme visible du monde contenant l’homme qu’on pouvait aisément analyser et étudier; de même, les Penseurs se saisissaient aussi des pensées humaines, les disséquaient, les décomposaient en éléments.

    Seuls les rêves étaient indépendants et insaisissables. Comme de mystérieux animaux nocturnes qui se terrent le jour dans leurs cachettes, et ne s’aventurent que sous le voile de la nuit.

    Mais les Penseurs savaient qu’ils n’accéderaient aux solutions finales, aux réponses fondamentales à toutes leurs questions que s’ils parvenaient à trouver la trace des rêves, cet autre monde secret. De toutes leurs tâches, c’était la plus importante. Car l’âme humaine ne vivait pas d’eau et de pain, mais de ses rêves, qui la dirigeaient, même en dehors de sa volonté.

    Voilà le problème auquel Al Mahmatall vouait son existence, acceptant l’amère et décevante éventualité de ne jamais le résoudre. Et pourtant, la mise – sa vie si brève et éphémère – dérisoire en regard du gain possible, la Solution, la Connaissance, même si la probabilité en était infime, représentait encore moins qu’un grain de sable dans le désert.

    La frange rouge du soleil émergeait à peine de l’horizon quand Al Mahmatall et Levraut parvinrent aux abords du village.

    Les petites huttes de torchis enfumées étaient disposées çà et là, sans plan, chacun ayant construit ses murs comme cela lui venait. C’est pourquoi on ne pouvait parler de rues, et en revoyant cette misérable agglomération, Al Mahmatall ressentit une poignante amertume au tréfonds de son âme, une triste nostalgie, car il pensait aux magnifiques villes qu’on avait édifiées avec une précision quasi géométrique là-bas, sur le haut plateau.

    Ils commencèrent par scruter les environs pour voir s’il ne s’y trouvait pas d’hommes, puis quand ils eurent jugé que tout était en ordre, le moment vint pour Levraut de se mettre en quête de sa propre pitance. Il portait une besace ostensiblement vide dont il tira un tambourin, puis il pénétra dans le village en produisant un bruit assourdissant, et se mit à danser sur cette musique de sa composition, sur un rythme si endiablé que ses pieds soulevaient des tourbillons de sable doré.

    Il n’aurait même pas fallu tant de bruit pour faire sortir les femmes. Levraut attendit le temps nécessaire pour que toutes les curieuses se tiennent, les yeux écarquillés, sur le pas de leur porte, puis il cessa son épouvantable musique et récita le discours qu’il savait par cœur. Le destin, dit-il, venait d’envoyer ici, dans ce village, l’un des Penseurs des Dieux, et comme c’était avant tout la bonté et la volonté d’aider qui guidaient les pas des Penseurs, que veuillent bien s’avancer toutes les femmes dont la maison avait été touchée par le malheur, dont le mari, l’enfant ou l’âne était tombé malade, si elles souhaitaient le bien et la guérison des leurs, afin que le grand Penseur se rende dans leur demeure pour en chasser le mal par ses pouvoirs merveilleux!

    C’est alors qu’Al Mahmatall fit son entrée en scène.

    Ébouriffé, dans ses hardes élimées, ses sandales usées et son long bâton à la main, il avait l’air d’un vagabond qui avait parcouru un long chemin. Il pénétra dans le village la mine sombre, sans même lever les yeux. Les femmes se turent un instant, contemplant avec un profond respect le saint messager des Dieux. Certaines le reconnaissaient, puisque ce n’était pas la première fois qu’Al Mahmatall s’aventurait dans ce village pour faire étalage de son pouvoir miraculeux. Par bonheur, il fut reconnu par les femmes chez qui il avait exercé sa magie avec succès; pleines de reconnaissance, elles baisaient la trace de ses pas et s’inclinaient partout sur son passage. C’était juste ce qu’il fallait pour que celles qui avaient observé jusque-là une réserve prudente, se précipitent à sa rencontre en criant plus fort les unes que les autres, pour implorer sa pitié et lui demander de les aider dans leur malheur.

    D’un rapide regard, Al Mahmatall jeta son dévolu sur la femme dont les lamentations surpassaient en volume celles de ses voisines, et il lui fit signe d’avancer. Un silence général se fit, tandis que l’élue racontait ses malheurs en bafouillant – à présent pratiquement à mi-voix, tant elle était recueillie. Quand elle eut terminé, Al Mahmatall hocha la tête et la suivit.

    La cabane devant laquelle ils s’arrêtèrent ne se distinguait en rien des autres, sinon qu’elle était peut-être encore plus délabrée, plus pitoyable. À défaut de porte, elle était fermée par une vieille natte de raphia déchirée que la femme écarta. Al Mahmatall pénétra dans ce lieu sombre et exigu.

    Il attendit que ses yeux s’accoutument à la pénombre puis il regarda lentement autour de lui.

    Près du mur, une fillette maigre d’une dizaine d’années était étendue sur un lit bancal. Elle avait le visage rouge, sa peau était parcourue de frissons et de petites gouttes de sueur perlaient à son front.

    Al Mahmatall repoussa la couverture et défit le lacet de la chemise pour dégager la poitrine brûlante. Il reconnut immédiatement la maladie. Des taches bleuâtres à peine visibles apparaissaient sur le corps de l’enfant, pour le moment, il est vrai, seulement au bas de la cage thoracique, mais cette maladie se répandait comme le feu, sans qu’on puisse l’arrêter.

    L’air était étouffant, Al Mahmatall dit à la femme d’emporter la petite dehors, à l’air libre.

    La petite malade fut allongée par terre devant la cabane et Al Mahmatall s’assit à côté d’elle. Il savait combien son entreprise était risquée. Mais s’il ne tentait rien pour guérir la fillette, elle mourrait sans aucun doute dans quelques jours. S’il tentait quelque chose, il avait peut-être une chance de faire reculer la maladie, mais s’il n’était pas assez vigilant, s’il faisait mauvais usage de ses pouvoirs et se trompait de cible, ce ne serait pas la petite fille qu’il aiderait, mais la maladie à qui il donnerait un nouvel élan, ce qui serait alors fatal.

    Al Mahmatall ferma les yeux et posa sa main droite sur le front de la fillette, à l’endroit où naissent les pensées. Il s’efforça de les atteindre, d’entrer en contact avec elles, car le remède de tout mal est la force, cette force qui réside dans les pensées, et que les hommes simples appellent la vie.

    Cependant il devait d’abord faire le vide en lui. Il lui fallait chasser de sa tête toutes les idées inutiles qui pouvaient entraver sa démarche, les images perturbantes qui surgissaient à présent des recoins de sa conscience, sans autre raison que le pressentiment instinctif du danger, et luttaient contre leur disparition forcée – même si celle-ci ne devait être que temporaire. Mais Al Mahmatall savait s’en faire obéir, et il remit bien vite dans le droit chemin toutes les bribes de pensées qui s’étaient échappées, si bien qu’en peu de temps, son esprit libéré baignait dans une paisible pénombre, la force pure.

    C’est alors qu’il pénétra l’esprit de l’enfant. Il avança d’abord prudemment, comme un homme qui franchit une clôture inconnue et ignore sur quel terrain il s’aventure. La fillette était encore jeune, une enfant dont les expériences du monde n’étaient pas encore ordonnées, si bien que les nombreuses informations nouvelles, les connaissances acquises s’entassaient dans un désordre total où Al Mahmatall trébuchait constamment. Il s’efforçait de les éviter, de ne pas les toucher, afin de ne pas laisser de trace durable dans la mémoire de la fillette. Il n’avait pas le droit de modifier le déroulement de l’apprentissage, il laissa donc les erreurs et les souvenirs mal compris qu’elle avait engrangés. Il ne toucha même pas au dragon à mille têtes tel que la petite fille se l’était représenté d’après les contes, difforme et dépourvu de pattes, preuve que seules les têtes multiples du monstre avaient captivé son imagination. Il progressait imperceptiblement dans l’obscur labyrinthe. Il en cherchait le centre, la source d’où jaillissent les pensées. Il ne déviait pas de son chemin, bien qu’il fût parfois tenté de le faire pour explorer les ramifications, épier quelles sortes de pensées pouvaient bien se cacher dans une tête d’enfant. Mais il ne céda pas à la tentation. Il continua de suivre l’artère principale, un sentier sinueux, et ainsi ne rencontra que les images tapies à la surface; il s’agissait d’images fondamentales comme des souvenirs de ses parents, surtout de sa mère, remontant très vraisemblablement à sa petite enfance, suivies d’un enchaînement de toutes sortes de choses et de phénomènes concernant le monde, mais si déformés que seul un enfant est capable de se les représenter ainsi – une mouche au bord du lit, énorme, comme une chauve-souris; des hommes gigantesques, vus d’en bas, dont la tête n’est qu’un minuscule point tout là-haut; d’effrayants visages grimaçants qui surgissent brusquement: les premiers souvenirs d’un nouveau-né.

    Il poursuivait son chemin lentement, en tâtonnant. Il s’arrêtait à chaque tournant, afin de ne pas se heurter involontairement à un souvenir qui surgirait brusquement.

    Mais il ne fut pas assez vigilant et causa des dégâts. En se retournant, il vit derrière lui les contours presque effacés d’un tout petit agneau. L’ayant vu trop tard, il l’écrasa à moitié en marchant dessus. Du coup, il ne sut plus que faire. Il n’avait certainement pas provoqué de grands dommages – comme, j’imagine, cela eût été le cas s’il avait amputé un souvenir du père ou de la mère. Il eut l’idée qu’il ferait peut-être mieux d’effacer tout à fait le malheureux agneau de la mémoire de l’enfant, et ainsi de lui éviter cette troublante image confuse. Il s’apprêtait à le faire quand il se ravisa. Qui sait quels liens secrets, quels sentiments rattachaient l’enfant à cet agneau, il n’en avait aucune idée, le temps lui manquant pour explorer les couches inférieures – il n’avait par ailleurs pas grande expérience dans ce domaine. Il ne s’occupa donc pas davantage de l’agneau, pensant qu’un souvenir confus valait mieux que pas de souvenir du tout.

    Il poursuivit son chemin avec d’autant plus de précautions, et le couloir qui allait en se rétrécissant, les images de plus en plus obscures lui firent pressentir qu’il approchait de la source.

    Soudait tout disparut, même les images qui se dissolvaient en taches, et il vit, ou plus exactement il sentit devant lui l’obscure force vibrante, qui reposait là, inemployée.

    Par un souffle ténu de ses propres pensées, il effleura la source virginale de cette force... et il fut frappé d’étonnement.

    Il venait de rencontrer une résistance inattendue. Il avait cru qu’il pourrait mettre en œuvre la source encore inculte, donc influençable, des pensées de la petite fille, mais à présent, il était déconcerté, car il se trouvait confronté à un phénomène inhabituel qui lui était inconnu: la force tapie auprès de la source des pensées de la fillette s’opposait d’elle-même, sans aucune influence extérieure, à sa volonté!

    Il trouva tout cela proprement incroyable, mais ce qui l’agaça surtout, c’est de s’être laissé effrayer par un tel obstacle – vraisemblablement insignifiant. S’armant d’une plus grande force, il revint à la charge.

    Les femmes qui entouraient les corps immobiles de la petite fille et du saint homme, reculèrent avec effroi lorsque celui de la fillette, qu’elles croyaient déjà presque abandonné par la vie, fut traversé d’une soudaine secousse, comme si l’enfant avait été mordue par un serpent; elles virent le corps allongé s’élever dans l’air et flotter à deux pouces du sol, les membres raidis, puis s’effondrer par terre sans forces.

    Alors elles osèrent se rapprocher.

    Al Mahmatall crut perdre la raison. Pendant un moment qui lui sembla une éternité, il fut incapable de revenir de la frayeur qu’il venait d’éprouver.

    Cette fois, ce n’était plus une résistance, mais une agression délibérée, ou plus exactement une mise en garde, et c’est cela, c’est-à-dire la concentration d’une force qui ne tue pas mais se contente de vous abattre d’un coup violent, choisissant sciemment sa cible, cette force dirigée avec une telle précision, qui fit trembler Al Mahmatall. Car si une telle force en avait eu l’intention – Al Mahmatall en était convaincu –, elle aurait aussi bien pu le tuer. Mais elle ne l’avait pas fait, elle s’était contentée de l’écarter, l’empêchant de pénétrer la zone interdite.

    Al Mahmatall réfléchit. Il est vrai que ce phénomène extrêmement mystérieux l’avait effrayé, mais ce n’est pas une raison suffisante pour qu’un Penseur recule devant l’inconnu, c’était au contraire une raison de plus pour qu’il le mette en lumière, bien qu’au tréfonds de son âme quelque chose lui dise qu’il s’aventurait sur un terrain interdit, même pour lui.

    C’est précisément pourquoi il n’osa pas réitérer sa démarche téméraire.

    Il pensa à la petite fille, à la maladie, et au fait qu’il disposait de peu de temps s’il voulait sauver la pauvre enfant, laquelle – ajoutons-le – n’avait pas conscience des capacités dont elle était douée. Al Mahmatall décida de sauver la fillette.

    Il voulait faire quelque chose dont il n’était pas sûr. Il se mit à reculer lentement jusqu’à ce que les premiers souvenirs diffus l’entourent à nouveau. Il chercha alors la prochaine bifurcation et se réfugia dans l’étroit boyau. Il ne savait pas exactement où il se trouvait, mais tout était vide, il n’y avait pas trace du moindre souvenir, pas même le plus lointain. Il ne percevait que de faibles vibrations qu’il prit pour des manifestations de la fièvre et qui lui firent comprendre qu’il n’avait pas de temps à perdre.

    Il accéléra le rythme, sa volonté poussa ses pensées en avant dans l’étroit passage sinueux.

    Lorsque assis en haut de la falaise, il réfléchissait sur les rêves, le monde et les hommes, c’est le même chemin qu’il suivait dans son propre esprit, parmi ses pensées – ce qui lui était considérablement plus facile, puisque au bout de tant d’années de méditation, il en connaissait les méandres comme d’autres leur poche. Il pouvait, s’il le voulait, faire de l’ordre dans sa tête en quelques instants, par conséquent les manœuvres qu’il effectuait à présent dans l’esprit de la fillette lui semblaient être un jeu d’enfant. Et jamais, lorsqu’il avait pénétré l’esprit de quelqu’un d’autre à des fins de guérison, il n’avait encore été forcé de quitter l’artère principale, le chemin des souvenirs fondamentaux, car jusqu’à ce jour, il avait toujours trouvé sans encombre la force qui se repose auprès de la source. Cette force était toujours nécessaire pour chasser le mal ou la maladie, une légère impulsion donnée par sa propre énergie suffisait à mettre en mouvement la force qui sommeillait parmi les pensées du malade, et à l’envoyer d’un coup bien placé au centre de la maladie qu’elle chassait par sa simple présence, comme l’eau chasse le feu. Mais cette fois, c’était tout autre chose: la force se trouvait dans un état de conscience qui ne permettait pas qu’on l’approchât. Elle le contraignait à recourir à la ruse et à s’aventurer dans des régions de l’esprit où il n’était encore jamais allé – sinon dans son propre esprit.

    Al Mahmatall savait, ou plutôt il avait l’intuition que dans le cerveau d’une petite fille de dix ans il y avait encore trop peu de surface utilisée, sur laquelle les faits de pensée et les représentations mentales enregistrés consciemment auraient laissé des traces durables – à l’exception de l’artère principale, mais ce chemin n’avait sans aucun doute encore jamais été exploré. C’est pourquoi il essayait des chemins vierges au sens propre du terme, inemployés, comme des tablettes d’argile encore humides, attendant que le temps et les expériences du monde extérieur s’y inscrivent. Al Mahmatall savait aussi que lorsqu’elle dirigeait son propriétaire, a force centrale était capable de prendre sous son pouvoir l’ensemble des voies libres, indépendamment du fait que l’esprit humain dispose de millions de ces sentiers. Al Mahmatall, comme tous les autres Penseurs, en était également capable, car il était initié à l’utilisation de la force vitale. Mais chez un être

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