Chroniques de Couraurgues

Non loin de la frontière du Comté de Nice qui vient d'être rattaché à la France, dans un coin isolé du monde, des patriotes italiens ont épousé les idées de Mazzini et déploient leur activité clandestine pour la cause de l'unité de leur Pays. Lorsqu'un cadavre est découvert dans la montagne qui surplombe le village, l'inspecteur Debrume est chargé de l'enquête. Ses observations le mèneront de déboires en aventure, à faire la rencontre d'une femme étrange. En apprenant à la connaitre il se trouve face à lui-même, un inconnu dont il essaiera de comprendre le mystère. C'est une histoire où l'on voit souvent les choses du bout d'une lorgnette, où l'on cherche à comprendre la vie en voulant oublier l'existence de la mort, où la réalité se défait peu à peu et tombe en lambeaux et où ne reste à chacun qu'à en réinventer une autre plus acceptable. C'est une histoire où seule l'évocation du désastre de Sapri en 1857 appartient à la réalité historique. Le reste étant pur fruit de l'imagination.

Des patriotes italiens, favorables à l'unité de l'Italie, se sont réfugiés aux abords du Lac Trasimene pour échapper à la police du roi du Piémont. Marthe Regardini qui est une patriote engagée. fait appel à l'ancien inspecteur Debrume pour qu'il lui vienne en aide lors d'une livraison d'armes. Debrume a toujours vu en Marthe la personne qui lui faisait le plus penser à sa défunte épouse et par conséquence il ne pouvait rien lui refuser. Mais assister une personne aussi pleine de vitalité et de courage n'est pas une partie de plaisir ! Il la regardait en coin. Et chaque fois, il recevait un coup dans la poitrine. Elle représentait la vie et la mort en une entité indissociable. Elle en était le symbole absolu. Il aimait tout d'elle, chaque geste, chaque regard, chaque syllabe qu'elle prononçait. Elle avait, par exemple, une façon bien à elle de bouger les mains. Il les observait à la dérobée, les devinait sous ses gants de cuir comme il devinait son corps de femme dans la fleur de l'âge sous ses vêtements de garçon. Plus tard, quand elle aurait repris son apparence de femme, il devinerait la nudité de ses formes sous ses dentelles et ses jupons. Il lui arrivait aussi de l'imaginer mère pour la première fois, tenant un enfant dans ses bras, le caressant de ses mains fines avec ces gestes qu'il aimait et qui n'appartenaient qu'à elle. Avec amertume, il pensait que Céleste eût été une mère douce et aimante. Mais la vie ne lui avait pas laissé le temps de le devenir.

En ce mois de Février le village a été recouvert d'une neige abondante, à tel point que le chantier de la maison Caserte avait dû être abandonné un certain temps. Profitant du retour d'un temps plus clément, le maçon et son fils décident de reprendre les travaux et découvrent un cadavre congelé sur le toit de la maison. Parallèlement à cette découverte macabre et peu banale, des agressions ont lieu sur des animaux de basse-cour. L'inspecteur Debrume comprend très vite que sa tranquillité va être une fois de plus perdue et qu'il ne pourra éviter d'être impliqué dans une chasse à l'homme. Pendant ce temps Marthe, l'amie de Debrume, s'est réfugiée à Paris, où elle assiste aux derniers jours de l'Empire qu''elle relate dans ses lettres. Les lettres de Marthe étaient arrivées régulièrement depuis son dernier passage à Couraurgues, après le long voyage qui, les avait menés sur les rivages du Trasimène et de là, jusqu'à la frontière des états pontificaux, parmi les garibaldiens en attente de délivrer Rome. Au bout de quelques mois de silence, elle avait donné de ses nouvelles, racontant le départ pour Amsterdam, puis le retour précipité à Paris. Depuis, la guerre avait sévi. Et Debrume avait reçu de loin en loin des lettres emplies d'espoir et de souffrance. Aujourd'hui, le courrier était interrompu, la neige ne permettant plus à la patache de passer le col. Mais il ne cessait de se demander si la neige était la seule responsable de ce nouveau et long silence, même si l'hiver qui en était complice n'en finissait pas...

Marthe a demandé à une équipe de maçons piémontais de reconstruire le domaine de Combeferre qui avait été précédemment détruit par le feu. Ils sont arrivés avec famille et outils. Cette nouvelle donne à l 'inspecteur Debrume l'espoir que Marthe viendra peut-être de nouveau habiter près de chez lui. En attendant, il se passe d'étranges choses au domaine d'Apreville. Aimé, le père, est parti pour acheter des taureaux en Camargue et depuis personne ne 'l'a revu. Sa fille Rosine disparait à son tour et son fils Basile s'adonne à d'étranges activités. Debrume va s'activer pour rechercher les disparus et surtout tenter d'en comprendre le pourquoi. C'est alors qu'il l'aperçut. Il la reconnut aussitôt. La voilà, se dit-il avec une sorte de joie, cette petite folie, tellement incongrue en ce lieu avec son toit en pagode. Il la distinguait pour la première fois parmi les arbres, sans doute à la faveur d'un éclairage qui la mettait tout à coup en évidence. C'était bien devant cette minuscule bâtisse construite autrefois par un ancêtre épris d'exotisme, qu'Honoré Deroure avait installé son trépied et fait poser les invités le jour du baptême de Rosine. Son toit, auquel il manquait aujourd'hui quelques tuiles de vernis coloré était facilement identifiable...

Après des années d'errance, ils avaient encore une fois quitté leur refuge hollandais pour Paris. C'est là qu'Elodie et Marthe, liées par le même engagement au sein de l'organisation de Corsan, avaient choisi d'établir leur quartier général. On était ici en contact direct avec tout ce que la ville comptait de patriotes italiens en quête d'action. Leur engagement ne faiblissait pas et Paris était la plateforme idéale de leur organisation. Ils y séjournaient depuis quelque deux années déjà lorsque la ville avait basculé dans les affres de la guerre, celles du siège. Cette guerre a laissé parmi la population de nombreux enfants orphelin dont certains seront pris en charge par Elodie et Marthe Corsan veut retourner en Italie pour se présenter comme député mais son épouse refuse de le suivre pour ne pas laisser les enfants. Une violente dispute éclate entre les deux époux Deux jours après le départ de Corsan, elle avait été terrassée par une fièvre subite. Elle s'était alitée. On en imputa la cause à ce violent affrontement entre les deux époux. Mais on n'eut jamais le fin mot de l'histoire ni la raison de cette altercation. Peu de temps après ils se trouvèrent prisonniers pendant la Commune, les vivres deviennent de plus en plus difficiles à trouver. Depuis Turin, Corsan, mis au courant de la situation, proposa aussitôt son aide pour les en faire évader. Dès qu'il les sut hors de danger, Corsan continua de solliciter Marthe et Utto pour intervenir auprès d'Elodie, sachant qu'il n'avait aucune chance de la convaincre sans leur intermédiaire. Remettre ses brebis égarées sur le chemin de la cause en laquelle il croyait encore malgré ses nombreux échecs était de première nécessité. Les harcelant de recommandations, il les mettait en garde sur la condition de ces enfants dont l'état civil ne pouvait que leur attirer des ennuis.