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La Soute du Roi
La Soute du Roi
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Livre électronique317 pages3 heures

La Soute du Roi

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À propos de ce livre électronique

Après La Route du Soi, récit d'un voyage initiatique à travers les montagnes et les âmes, Philippe Grégoire reprend la route — ou plutôt, il la quitte.
Car dans La Soute du Roi, ce n'est plus seulement la route extérieure qui compte, mais ce qu'elle réveille à l'intérieur.

De l'Himalaya aux rizières du Bangladesh, de l'Inde parcourue à moto jusqu'aux eaux turquoise de l'océan Indien, l'auteur poursuit sa quête de vérité, d'intensité et de liberté. Chaque étape devient un rite de passage : franchir des frontières réelles pour en abattre d'invisibles, défier la mort pour sentir la vie, aimer pour comprendre ce qu'est vraiment être vivant.

Des pistes poussiéreuses du Népal à la moiteur de Dacca, des nuits folles en Inde aux silences sous-marins de la plongée, Philippe raconte — sans filtre, mais avec une maturité nouvelle — ce que la route lui a appris : que le Roi qu'il cherchait à couronner n'était autre que lui-même, enfoui dans la soute.

Mariage sous l'eau, traversée d'un océan sur un vieux rafiot en bois, initiation à la plongée professionnelle… tout devient symbole d'une descente intérieure.
Ce livre est à la fois carnet de route et plongée mystique, cri d'homme libre et prière à la vie.

Mais La Soute du Roi n'est pas qu'une suite : c'est une mue.
Le voyage n'y est plus simple décor d'aventures, mais miroir du monde intérieur. Chaque pays traversé reflète un état d'âme : la poussière du Bangladesh, la confusion de l'Inde, la pureté des profondeurs marines.
Entre rencontres, épreuves, passions et révélations, ce récit montre comment, en perdant tout repère, on finit par retrouver l'essentiel.

C'est un voyage vers le dépouillement, vers la vérité nue, où l'homme apprend que pour toucher le divin, il faut d'abord descendre dans la soute : celle de ses peurs, de ses blessures, de ses désirs et de ses rêves brisés.
Car c'est là, dans les fonds de l'âme, que dort le Roi : le Soi véritable, l'être libre et souverain qui ne demande qu'à régner à nouveau.
 

EXTRAIT

Le bleu devient infini. Tout s'efface : le bruit, le temps, le monde.
Et soudain, il est là.
Un géant venu d'un autre âge, glissant dans la lumière avec la lenteur d'un rêve.
Un requin-baleine.
Je retiens mon souffle, non par peur, mais par respect.
C'est comme croiser Dieu sous la mer.
Ses taches blanches dessinent un ciel d'étoiles mouvant, et chaque battement de sa nageoire semble faire vibrer la planète entière.
Pendant quelques secondes, je ne suis plus un homme : je suis une particule du grand tout.
Quand il s'éloigne, avalé par le bleu, quelque chose en moi a changé.
Je viens de toucher le sacré, sans temple, sans mots, sans prêtre.
 

AUTRE PASSAGE

Nous descendons lentement. Les bulles montent comme des offrandes vers la surface.
Autour, le silence devient cathédrale.
Pas de curé, pas de témoins, pas de robe : juste la mer et deux âmes qui se disent oui, à douze mètres de fond.
Je lui passe un coquillage au doigt. Elle rit dans son détendeur, un rire de bulles argentées.
Et je me dis que c'est ici que commence la vraie vie, celle qui ne dépend ni des mots ni des promesses, mais du souffle.

LangueFrançais
ÉditeurPhilippe Gregoire
Date de sortie1 nov. 2025
ISBN9798232556877
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    Aperçu du livre

    La Soute du Roi - Philippe Gregoire

    1. Le Bengladesh ? Quelle drôle d’idée !

    Réveil lent.

    Les couches vaporeuses de mon dernier rêve s’estompent, et je reprends doucement conscience du monde.

    Nouveaux bruits, nouvelles odeurs... draps, murs, où suis-je ?

    Ah oui, ça me revient : je suis dans cet hôtel au nom étrange dont j’ai déjà oublié le sens.

    Je reconnecte avec la réalité que j’ai façonnée hier.

    Je suis arrivé à Dhaka, capitale du Bangladesh.

    Qu’est-ce que je fais là, bon sang ?

    Qu’est-ce qui m’a pris de venir ici ?

    Au fond de moi, je savais que ce serait peut-être une épreuve, une de plus, un obstacle volontaire que je m’imposais sur cette route parfois tordue que je me construis.

    Et cette fois, je ne me suis pas raté.

    Je m’étais lancé un défi, du genre : « T’es capable de traverser le Bangladesh ? »

    Et bien sûr, mon petit démon intérieur, Jasper, perché sur mon épaule, avait répondu : « Bien sûr, facile ! ».

    Mouais... Maintenant que j’y suis, il va falloir avancer.

    Même si, aujourd’hui, la motivation me fait un peu défaut.

    Je suis arrivé hier de Mandalay, en Birmanie, et à la sortie chaotique de l’aéroport, j’ai cherché un coin correct où dormir. Premier contact avec la foule, la fourmilière humaine.

    Mais je me sens décalé, comme hors du monde.

    Aujourd’hui, il va falloir me jeter dans l’arène, affronter tous ces visages entrevus hier, aller vers eux.

    Je suis là.

    Autant l’assumer.

    Ma guesthouse se trouve à quelques rues du centre-ville.

    Un taxi m’y a déposé hier soir.

    Je n’ai pas encore bien vu les alentours.

    Je ressens un poids... quelque chose d’étrange et d’oppressant.

    Je ne saurais dire pourquoi, mais cette ville me semble lourde, dense, presque étouffante.

    Je ne suis pas à la fête.

    Mardi 12 avril.

    Deuxième jour à Dhaka.

    Je suis sorti me promener aujourd’hui, et c’est... déroutant.

    Très peu de femmes dans les rues, et la plupart voilées. Beaucoup d’hommes, partout.

    Grands, minces, au regard sombre et curieux.

    Et quand je dis « beaucoup », c’est peu dire.

    Le Bangladesh est l’un des pays les plus pauvres et les plus peuplés du monde.

    Résultat : les rues débordent de monde, du matin au soir.

    Moi qui n’aime déjà pas les foules, je me retrouve en plein bain humain. Impossible d’y échapper.

    Et en plus, je suis le seul étranger.

    Partout où je passe, des attroupements se forment.

    Ce matin, j’étais nerveux.

    Ils se massent autour de moi, silencieux, les yeux rivés sur l’inconnu que je suis.

    Pas un mot, pas un son, juste des regards.

    C’est déstabilisant.

    Et que faire ? Leur dire de partir ?

    Impossible.

    Ils ne me veulent aucun mal, ils regardent, simplement fascinés.

    Je suis, pour un instant, leur distraction.

    Leur curiosité.

    Mais cette pression constante, ces regards sans fin, vont être mon quotidien ici.

    Pas évident, pour moi qui déteste être au centre de l’attention.

    Eh bien, Phil, voilà une belle leçon d’humilité...

    Jeudi, 9h.

    J’ai trouvé un vieux guide de voyage oublié dans un coin de l’hôtel.

    Il y a quelques curiosités à voir à Dhaka.

    Je vais bouger, j’ai des fourmis dans les jambes.

    C’est la première fois que je me trouve dans un pays musulman, et certaines coutumes me déstabilisent.

    Par exemple, on mange avec une seule main, la droite.

    Pas de couverts ici.

    Les repas se prennent à la main, simplement, sans chichis.

    Sur le moment, j’étais un peu interloqué : où suis-je tombé ?

    Mais finalement, on s’y fait vite.

    Le plat typique, c’est du dhal, des lentilles avec du riz, accompagné de poulet, d’agneau ou de bœuf.

    On mélange tout, on forme une petite boule, et on la pousse dans la bouche avec le pouce.

    Au début, je m’en mets partout comme un gosse, mais certains hommes me sourient, amusés, d’autres s’en moquent complètement.

    C’est tout un art.

    Et surtout, attention à ne pas se tromper de main : la gauche sert à la toilette, pas à la table.

    Le jet d’eau, à côté du bidet ou du trou, remplace ici le papier.

    Bref, la main droite pour manger, la gauche pour se laver. Simple, logique, efficace.

    Mais vaut mieux ne pas confondre les deux...

    Et puis cette foule !

    Omniprésente, mouvante, inépuisable.

    Ici, le chaos est la norme.

    À la poste, au guichet, partout, c’est la même scène : pas de file, chacun se presse, parle fort, tente de passer le premier.

    Moi, habitué à mon petit espace personnel, je me sens envahi.

    Je pousse un peu, je me décale, mais rien à faire, ils s’entassent sans gêne.

    C’est leur manière de vivre.

    Leur monde n’a pas les mêmes règles que le mien.

    Et dire que ce pays subit, année après année, les inondations dévastatrices de la mousson.

    Chaque saison, l’eau revient, emporte les maisons, les vies, les souvenirs.

    Et pourtant, ils restent.

    Je les regarde et je me demande : qu’est-ce qui pousse ces âmes à revenir ici, à renaître encore et encore dans cette contrée rude et fragile ?

    Pourquoi se réincarner dans un lieu où la nature elle-même semble vouloir éprouver la patience des hommes ?

    ––––––––

    Sur ce fait précis, je pense que notre moi supérieur, cette part lumineuse et éternelle de nous-mêmes, suit une trajectoire naturelle d’évolution.

    De vie en vie, de corps en corps, elle cherche à s’enrichir, à s’affiner, à apprendre à aimer davantage, à comprendre plus profondément.

    Chaque incarnation n’est qu’une étape dans cette longue ascension vers la conscience pure.

    Dès lors, pourquoi choisirait-on de renaître dans un lieu de misère, de famine ou de désolation, si l’on a déjà traversé de telles épreuves dans d’autres existences ?

    Si notre âme a déjà connu la faim, la soif, le dénuement absolu, qu’aurait-elle encore à apprendre d’une répétition identique ?

    La logique de l’évolution spirituelle voudrait que, d’incarnation en incarnation, les expériences se diversifient, s’élèvent, se raffinent. Qu’aurions-nous donc à découvrir si, vie après vie, nous rejouions les mêmes scènes, revivant sans fin la peur du manque, la peur de mourir, l’attente d’un lendemain incertain ?

    Sauf, bien sûr, si un lien karmique particulier, une faute ou une fuite, nous y ramenait pour solder ce qui n’a pas été compris ou pardonné.

    La vie, dans sa grande sagesse, reste un jeu.

    Un jeu cosmique où les « Dieux lumineux », ces forces créatrices, ces énergies bienveillantes de l’univers, nous placent sur le plateau idéal pour progresser.

    Chaque incarnation est choisie, ajustée avec précision, pour favoriser notre expansion, notre ouverture, notre croissance intérieure.

    Rien n’est laissé au hasard, pas même ce qui nous semble injuste ou absurde.

    Et si, comme on le dit, les âmes se réincarnent souvent en groupes, alors il est naturel que nous retrouvions nos compagnons d’âme, nos familles d’hier, nos ennemis parfois, pour équilibrer, réparer, ou approfondir certains liens.

    Mais la Terre n’est pas seulement une école du cœur : c’est un vaste terrain d’expériences.

    Elle nous apprend à ressentir la sécurité, la peur, la confiance, la compassion, la liberté.

    À tisser des liens avec la nature, les animaux, les autres, et avec nous-mêmes.

    Ainsi, si j’ai déjà vécu la pauvreté matérielle, la soif et le manque, peut-être que cette fois, mon âme cherche à explorer d’autres dimensions : celles des émotions complexes, des relations humaines tordues et raffinées, des liens invisibles qui se nouent dans les sociétés modernes.

    Là où la survie n’est plus le problème, d’autres formes de souffrance apparaissent, plus subtiles, plus psychiques, plus karmiques.

    Ceux qui meurent de faim n’ont pas le loisir de se perdre dans les drames affectifs ou les luttes de pouvoir.

    Ces tourments-là sont souvent les privilèges des sociétés rassasiées. Là où l’abondance matérielle existe, les âmes apprennent à se débattre dans les excès d’ego, les blessures de cœur, les manipulations silencieuses, les jeux de domination ou de dépendance.

    Les grands prédateurs émotionnels ne viennent pas des pays pauvres, mais leurs proies, elles, peuvent venir de partout.

    Et parmi les liens les plus puissants, les plus karmiques, il n’y a pas besoin d’aller loin pour les trouver.

    Il suffit de regarder sa propre famille.

    C’est là, souvent, que tout se joue : dans ce cercle restreint, intime, chargé d’amour et de blessures.

    Dans ma vie, je vois clairement où se trouvent mes nœuds les plus durs à défaire.

    Ce père absent, cette mère maltraitante, cette sœur autrefois si proche devenue lointaine...

    Voilà de beaux karmas bien solides, des fils tendus qui demanderont d’être apaisés, recréés, guéris.

    Je ne m’y attendais pas.

    Je croyais que mes grands apprentissages se feraient ailleurs, au contact du monde, dans les aventures ou les relations extérieures.

    Mais non.

    Tout se passe ici, dans le foyer d’origine, là où la lumière rencontre les ombres les plus anciennes.

    Papa, maman, ma sœur...

    Ce n’est qu’un au revoir.

    Nous nous retrouverons.

    D’une vie à l’autre, nous continuerons ce travail de réconciliation, jusqu’à ce que l’amour prenne enfin toute la place.

    Fait surprenant ici : il semble que le karaté soit presque un sport national.

    Je vois dans les rues quantité de jeunes vêtus de leur tenue blanche, ceinture colorée nouée fièrement autour de la taille, s’entraînant avec une rigueur impressionnante.

    Je suis entré dans l’un de ces dojos, fort de ma précieuse ceinture marron européenne... enfin, dans ma tête.

    Et, pendant quelques instants, je me suis cru un peu chez moi. Sauf que je ne l’étais pas.

    Tous les regards se sont tournés vers moi : l’étranger audacieux venu troubler la discipline sacrée de leur art.

    Quelle rigueur, quelle intensité !

    Chaque mouvement est précis, chaque cri – le fameux « kiaï » – jaillit du ventre, depuis le centre de l’être.

    On sent cette énergie vitale, ce chi, circuler puissamment à travers eux.

    Tous sont minces, concentrés, presque habités. Leur sérieux m’impressionne.

    Je me dis que cela colle parfaitement à leur culture, où la discipline et la foi semblent étroitement liées.

    Ici, tout est encadré, strict, mesuré.

    Pas vraiment l’endroit où l’on s’amuse.

    La rigueur semble être la prière nationale.

    Je me rends ensuite au marché du textile et de l’artisanat, tout proche.

    En chemin, halte dans un petit boui-boui pour un thé et un bakarkhani, ce pain plat et fade que tout le monde trempe dans son verre brûlant.

    Ça ne coûte presque rien.

    En vérité, ici, rien ne coûte grand-chose, ou plutôt, tout semble sans valeur marchande réelle.

    Et toujours la même chose : des hommes, encore des hommes, partout.

    Mais où sont donc les femmes ?

    Quelques rares touristes, bien moins qu’en Birmanie, et encore moins qu’en Thaïlande.

    Il faut être téméraire, ou un brin inconscient, pour venir visiter un pays aussi peu préparé à accueillir des voyageurs, sans véritables infrastructures, ni lieux de détente agréables.

    Je dois être un peu des deux.

    Je remarque aussi quelque chose d’étrange : les hommes se tiennent souvent par la main, marchent côte à côte, proches, souriants.

    Fraternité ? Amitié ?

    Ou simplement coutume ?

    Difficile à dire.

    Moi, je ne comprends pas encore ces codes.

    Mais une chose est sûre : côté rencontres féminines, ça s’annonce compliqué.

    Peu de voyageuses, et les femmes locales sont invisibles, dissimulées sous les couches de tissus et de traditions.

    Mouais... mon Philou, dans quelle aventure t’es encore allé te fourrer ?

    Le marché des vêtements est un spectacle en soi.

    Des montagnes de tissus et de fripes venues d’ailleurs, sans ordre apparent.

    Des familles tiennent des étals à même le sol, les gens fouillent, marchandent, s’interpellent, se bousculent.

    C’est le chaos total, une symphonie d’odeurs, de couleurs et de poussière.

    Je me demande comment ils s’y retrouvent.

    Peut-être ne s’y retrouvent-ils pas.

    Je ressors épuisé par le bruit, la densité, le trop-plein.

    Vivement l’hôtel.

    J’ai besoin de calme.

    Cette capitale me pèse : trop de pauvreté, trop de misère, trop de visages tendus.

    Mon cœur se serre.

    Je pars demain.

    J’ai enfin trouvé une carte du pays : direction l’ouest.

    L’Inde n’est pas loin, mais ici, les transports sont rares, vétustes, lents.

    On sent que beaucoup de gens n’ont tout simplement pas les moyens de voyager.

    Samedi matin.

    Quatrième jour dans ce pays étrange et oppressant.

    Je n’arrive pas à m’y faire.

    La pauvreté me transperce.

    Elle me prend au ventre.

    Je n’ai jamais rien vu d’aussi désespéré.

    Les regards sont sombres, les visages fermés.

    Et le pire, c’est cette absence d’étincelle.

    Ces yeux noirs, sans lumière.

    Comme si rien ne s’y allumait, comme si la vie avait déserté leurs pupilles.

    Je me surprends à penser : « Allô ? Y’a quelqu’un là-dedans ? »

    C’est cruel à dire, mais cette sensation d’absence me glace.

    Parfois, j’ai envie de hurler.

    Quand quinze ou vingt personnes me fixent sans un mot, immobiles, pendant que j’attends un bus en retard.

    Le temps s’arrête, les secondes s’étirent, et moi, je me sens observé comme un animal de foire.

    Mais que faire ?

    Rien.

    Je garde contenance.

    Leçon d’humilité, encore une fois.

    Déjà quatre jours sous cette chape de plomb.

    Je me sens vidé, mais je dois avancer.

    Et puis, moi qui aime un minimum de confort, une chambre propre, un repas agréable, un peu de beauté dans ce monde, je suis servi : ici, tout est à l’opposé.

    Mais bon sang, qu’est-ce que je fous là ?

    Ce matin, j’ai rencontré dans le hall de la pension deux jeunes venus d’Inde : Franco et sa compagne.

    On échange quelques banalités, et bien vite on se rend compte qu’on se pose la même question : « Qu’est-ce qu’on fait ici ? »

    Alors on décide de partir ensemble visiter le quartier du vieux palais, au bord du fleuve Buriganga.

    Là, se dresse l’un des rares joyaux de Dhaka : un palais du XIXe siècle, ancienne demeure des nawabs.

    Sa façade rose pastel, ses dômes et ses salons fatigués respirent la nostalgie.

    Un lieu qui fut splendide autrefois, et qui garde malgré tout un parfum de grandeur.

    Quelques femmes non voilées s’y promènent, sans doute issues des classes plus aisées.

    Enfin un peu de légèreté dans ce monde austère.

    Et puis, une scène surréaliste.

    Nous sommes assis à une pseudo-terrasse, quelques tables en plastique posées de travers sur un trottoir bondé.

    Le vacarme est indescriptible : gens, animaux, moteurs, poussière.

    Des vaches passent entre les tables, des chiens faméliques fouillent les restes, des chèvres bêlent au milieu des conversations, et un ou deux rats filent, furtifs.

    C’est le chaos absolu, la vie brute, sans filtre.

    On commande une bière et deux limonades, histoire de se fondre dans ce théâtre vivant.

    Et là, au milieu de tout ce brouhaha, une scène improbable : deux chiens, qui venaient tout juste de s’accoupler, restent bloqués l’un à l’autre.

    Impossible pour eux de se séparer.

    Ils restent ainsi, dos à dos, au milieu des passants, gênés, tandis que la foule observe, à la fois amusée et honteuse.

    Personne ne bouge, personne n’intervient.

    La nature, ici, s’exhibe sans pudeur, sous le regard indifférent des hommes.

    J’ai trouvé ça à la fois absurde, triste et incroyablement symbolique : cette humanité collée à elle-même, incapable de se détacher de ses instincts.

    Le soir, repas habituel : dhal et poulet, pour quelques pièces.

    Demain, je pars.

    Et c’est tant mieux.

    Je dois bouger, respirer, retrouver un peu de joie quelque part sur cette route.

    2. Champs de coton, et temps de cochon

    Cahin-caha, je suis ballotté de gauche à droite dans cette camionnette rouillée qui nous emmène, mes compagnons et moi, vers Pabna, petite ville commerçante sur la route de l’Inde, à environ trois cents kilomètres de Dhaka.

    On traverse des plaines désolées, parsemées de huttes où survivent des familles entières.

    La pauvreté ici se sent avant même de se voir.

    Elle a une odeur.

    Une présence lourde qui s’infiltre par les vitres entrouvertes et colle à la peau.

    Mon regard d’occidental cherche désespérément quelque chose de familier, un signe de beauté, un soupçon d’harmonie, un peu de réconfort.

    Mais non.

    Rien.

    Que la poussière, le vide, les visages creusés et les champs sans éclat.

    Je suis mal à l’aise.

    Mon cœur se serre sans que je puisse rien y faire.

    Comment peut-on vivre ici ?

    Comment grandir dans ce décor où tout semble figé dans la survie ?

    Dans le van, le silence s’est installé.

    Plus personne ne parle.

    On se regarde parfois, un peu honteux d’être si muets, mais que dire ?

    Les mots légers ne viennent plus.

    L’atmosphère pèse.

    Chacun semble absorbé dans une méditation triste et résignée.

    Heureusement qu’on a eu la bonne idée de louer un véhicule entier, juste pour nous, histoire d’éviter la promiscuité des bus bondés et des regards insistants qui finissent par épuiser l’âme.

    Marc et Sophie, un couple de Français, voyagent depuis plusieurs mois en Asie.

    Ils veulent remonter vers le nord du pays, paraît-il qu’il y a là-bas quelques sites intéressants.

    Je veux bien les croire... mais s’il faut encore se taper des dizaines d’heures de routes défoncées pour admirer trois vieilles pierres, très peu pour moi.

    Je ne suis pas ici pour écrire une thèse sur l’argile bengalie et la décomposition des temples.

    Deux Israéliens partagent aussi le trajet.

    Habillés comme des vagabonds, volontairement je suppose, pour mieux se fondre dans la foule ou se faire accepter.

    Ils ont l’air fatigué, presque fantomatique, mais étrangement paisible.

    Leur allure me dérange autant qu’elle m’intrigue.

    Au moins, ils ne sentent pas trop fort, alors on s’accommode de leur présence.

    Enfin... van, c’est un grand mot.

    Disons une caisse de métal bringuebalante, grésillante, qui avance dans une sorte de symphonie de grincements et de soupirs mécaniques.

    Mais elle roule, et c’est déjà un miracle.

    Nous traversons des villages sans ordre ni forme, amas de cases en terre battue, où les habitants s’affairent autour de tâches répétitives.

    Dans les champs, certains arrachent à la terre des brins d’herbe malingres, comme si chaque pousse représentait une victoire.

    Le paysage est triste.

    Même le ciel semble avoir perdu

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