Des nouvelles de Berne
Par Valérie Valkanap
()
À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Valérie Valkanap, autrice d'origine française installée à Berne, mêle activement écriture, théâtre, peinture et danse depuis plus de quinze ans. Membre de la troupe Aarethéâtre, elle a publié “Chroniques bernoises” (Glyphe, 2020) et plusieurs nouvelles en recueil. Ses premiers textes jeunesse paraîtront aux Éditions Plumes (Fribourg).
Lié à Des nouvelles de Berne
Livres électroniques liés
Chroniques bernoises: Autobiographie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn été à Maléon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMaison Chouette Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationJe t'ai choisie: Lauréate du Prix Pampelune 2024 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCobayes - Cédric Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRevenir...: L'étonnant destin de John Fisher Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTel est pris qui croyait pendre: Polar Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMystère Et Bonne Fortune: Le Journal D'Un Chat Fouineur Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMauvaises nouvelles: Récits humoristiques Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Coconut Pizza Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa bestiole Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationComme une tortue Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe fil d’Ariane Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTant que vie nous habite Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÀ tes amours Valentine ! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'ange de la Ratapignata Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'ours imaginaire: Français - English Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMrs Goodwine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes fantômes de Tarragone Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLA FRANCE PAS-A-PAS, COTE A COTE Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’enfer au paradis: En présence de ma petite fée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQuand le passé s’en mêle… Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLève la tête quand tu marches Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEntre parenthèses Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe chat qui aimait la mer Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMon voyage en Thaïlande Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQuand trépassent les autruches !: Les enquêtes ornithologiques de Louise van Sponkerverkrofchtenberg Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMémoire D’Une Idylle Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAux frontières de l'iréel Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMon histoire: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Biographies culturelles, ethniques et régionales pour vous
Heros Africains Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMa traversée de l'enfer: L'histoire terrifiante de la survie d'une jeune fille Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPossédé par un djinn: Une victime raconte son enfer Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Stick Action Spéciale: Un opérateur du 1er RPIMa raconte Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5S'aimer soi-même à l'image de Dieu: Un chemin de guérison Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation« Je veux divorcer » Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRois, Princes, Esclaves et Nobles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTellement gentil: Le lien pervers Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe vent dans le voile Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Je suis une maudite Sauvagesse Eukuan nin matshi-manitu innushkueu: EUKUAN NIN MATSHI-MANITU INNUSHKUEU Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Des nouvelles de Berne
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Des nouvelles de Berne - Valérie Valkanap
CAT-SITTER
J’AI RENDEZ-VOUS pour mon premier cat-sitting du côté de la Poste Universelle à Egghölzli. Ma fille m’a refilé au dernier moment un mandat qu’elle ne peut honorer. Le couple de propriétaires quarantenaires double income – no kid me reçoit dans son bel appartement en parterre, murs en béton brut décorés de toiles outrenoir, canapé en cuir blanc dedans, sofa en faux rotin dehors, baie coulissante et plantes vertes entre les deux. Caviar se pointe. Tous les regards convergent vers lui. Queue en point d’interrogation, moustache et collerette de tigre, oreilles hautes. Fourrure vintage à long poil argenté. C’est un chat de race, un Maine Coon. Ça vaut une fortune, ces bêtes-là.
Mine de rien, la maîtresse de maison me teste. Elle me fixe tandis que je bêtifie en complimentant Caviar qui pèse au moins dix kilos et ronronne de plaisir sous mes caresses. Oui, t’es un beau minou, toi ! Puisque je parle français à ce chat suisse-allemand, il va apprendre ma langue. J’aurais dû réclamer un supplément.
Dans la cuisine, sur un tapis persan protégé par un plastique transparent, cinq gamelles. Ça, c’est pour le poulet, celle-ci pour le bœuf, celle-là pour les croquettes fourrées quand Schatzeli¹ se lasse de la viande. Là c’est l’eau fraîche à changer chaque jour, ici c’est pour le « lait de chat ». Du lait de chat ? Bigre, une rareté. Un peu comme le lait d’ânesse quoi…
Je vous montre le placard des goodies. Goodies ? Comme pour nous les chips ou les sucreries. Elle ouvre. Sous mes yeux ébahis s’alignent une vingtaine de produits. Des sticks, des marmelades, des croquettes, de la mousse de saumon en tube… Tenez, vous allez vous exercer, asseyez-vous donc. Elle me tend un tube. À peine l’ai-je ouvert que Caviar saute sur mes genoux et se met à téter goulûment. Je presse un peu une fois, deux fois, puis j’arrête le gavage. J’interroge du regard la maîtresse. Caviar n’apprécie pas l’interruption. Il enfonce ses griffes dans mes cuisses et tente d’attraper le « biberon » au bout de mon bras. Madame me fait signe de continuer. Allez-y, c’est un jour spécial pour lui. Le chat s’enfile tranquillement la moitié du tube. Précision : aux repas, Caviar mange toujours « frais ». Alors, je jette ce qu’il a laissé ? Oh non, vous ouvrez la fenêtre et vous appelez Truche. Qui ça ? Truche. Un chat sans collier. La famille le nourrit en sus parce qu’elle aime trop les bêtes. Un citoyen de deuxième catégorie sachant se contenter des restes, en somme.
Il a été convenu que je passerai deux fois par jour à intervalles « raisonnables ». Mon premier jour arrivant, je me pointe à midi, comptant revenir vers 20 heures. Juste quand je tourne la clé, je reçois un message. « N’oubliez pas de rendre visite à Caviar. » Je reste dix minutes, le temps de caresser le fauve repu. À peine ai-je quitté le logis, un nouveau SMS m’adresse un rappel : « pensez à jouer avec lui ! ». Auraient-ils donc une caméra qui me filme ?
C’était le cas. Pas pour me contrôler, hein, juste pour voir si Caviar supportait la solitude, s’il ne souffrait pas trop de la séparation. Mince alors, ils auraient pu me prévenir. J’ai fait mes cinq jours et puis comme ils me redemandaient pour l’Ascension, j’ai prétendu que désormais, je consacrais mon temps aux chats errants. Non mais !
1. « Petit trésor ».
RASTA
IL EST ENTRÉ chez Coup de chapeau¹ et est venu se planter devant les rayonnages de panamas. Il m’a demandé s’ils venaient de Chine et puis il s’est laissé choir dans l’un de nos fauteuils en cuir noir. Panama, c’était bien une île au large de l’Asie, non ?
Je m’abstiens de donner des cours de géographie aux clients. Je m’enquiers de leur taille, du modèle et de la couleur souhaités. Puis je me mets en quête, certaine que je dégoterai le couvre-chef idéal, celui qui siéra aux personnes assez ouvertes pour s’en remettre à moi. Je me dépense sans compter et, sans vouloir me vanter, je ne me débrouille pas si mal. La plupart du temps, le client ressort le sourire aux lèvres, coiffé d’un chapeau parfait, et moi ravie d’avoir pu le contenter. Telle la costumière d’une troupe de théâtre imaginaire, j’habille les acteurs de leur vie. Je leur vends du rêve. Riez tant que vous voudrez, je suis heureuse d’exercer un si joli rôle, même mineur, dans l’existence des gens.
Las, le jeune cinquantenaire qui a échoué au magasin ne paraît pas être en mal d’un accessoire pour rebooster son estime. Sa souffrance semble toute autre. Forte carrure, cheveux aile de corbeau, sourire d’une blancheur éclatante sur sa peau caramel, il retire son anorak et pousse un gros soupir. Qu’attend-il de moi, celui-là ? Il arrive que certains visiteurs taillent un bout de causette après leur emplette et c’est volontiers que je recueille leurs confidences si l’occasion s’y prête. Vendre, c’est aussi écouter, et mon job comporte une part indéniable de réconfort psychologique. « Sie sind nicht von hier² », me fait-il remarquer en se moquant de mon accent. Je ris et lui rétorque qu’il ne s’est pas entendu… Lui, il est sri lankais et vit ici depuis 30 ans. Comme moi, quoi. Oui, sauf que lui, il travaille dans la restauration et n’a pas la vie facile. Il sort son téléphone, tout fier de me montrer des photos de son fils engagé dans l’armée suisse. Lui au moins, a réussi, responsable qu’il est de tout un régiment. Puis, soudain triste, il lâche je suis fatigué.
C’est alors qu’il me confie tout à trac sa situation. À la fin des mesures covid, son employeur, un hôtel situé à deux pas de la gare, lui a unilatéralement imposé 200 heures de rattrapage non payées. Einfach so. 14 heures de boulot par jour, dix jours d’affilée avant le prochain jour de congé. Il a interrogé ses collègues : il était le seul concerné. Il a tenu un temps, avant de rendre son tablier, exténué. Je le questionne. A-t-il retrouvé du travail ? Oui, mais pas la porte à côté et de nouveau avec des horaires démentiels. C’est simple, il quitte à 6 heures et rentre juste pour se mettre au lit, lessivé. Voilà, il a craché ce qui lui pesait, à moi, l’étrangère qui ne peut rien pour lui. Il repart, un brin soulagé.
J’ai googlé l’hôtel en question. Sur sa page Internet, l’établissement bernois se targue de prôner l’humour, à côté d’une passion pour la perfection au service des voyageurs. À l’heure où l’on fait un procès d’appropriation culturelle illégitime à de jeunes chanteurs d’ici qui ont eu le toupet, en juillet 2022, d’arborer des dreadlocks lors d’un concert à la Brasserie Lorraine (je veux parler de la formation Lauwarm, un groupe blanc de reggae), il est choquant qu’une telle injustice ait pu s’accomplir. Bon sang, ça « gêne » et crée un « malaise » autrement plus palpable que la coiffure rasta, vous ne trouvez pas ? Seulement ça ne se sait pas, ça ne se voit pas, ça ne rapporte pas de pouces sur les réseaux.
1. La boutique où je travaille en vieille ville de Berne.
2. Vous n’êtes pas d’ici, vous !
1er AOÛT
LA JOURNÉE a été une fois de plus caniculaire. Vers 18 heures, je décide d’aller me rafraîchir dans l’Aar. Las ! Jour de fête nationale oblige, le Muribad vient de fermer plus tôt. Voilà pourquoi j’ai croisé une telle foule en sens contraire… Il est vrai aussi que, cette année, en raison du risque d’incendie, les grillades sont interdites sur les places de pique-nique le long de l’Aar.
J’ai une solution pour pénétrer malgré tout dans la piscine en plein air. Je fourre robe et chaussures dans mon sac, et le balance par-dessus le grillage. Je le récupérerai tout à l’heure en sortant de la rivière au niveau des bassins. Ainsi, depuis la digue en béton qui sépare l’une des autres, je pourrai encore profiter du soleil couchant. Le Badmeister¹ est occupé à nettoyer la pataugeoire au jet d’eau, il ne voit pas ma manœuvre.
Je remonte la rive jusqu’à l’Auguetbrücke². En chemin, je passe devant un monticule de pierres où trône la photo d’un gamin. Ça fait des années qu’il est là, ce mausolée, mais ça me rend toujours aussi triste. Au début, il y avait aussi la trottinette du petit noyé, quelqu’un a dû la piquer. La rive est paisible. Pour une fois, pas de musique à fond l’enceinte, pas d’excités s’exerçant à la fumette, canette en main, pas de surfeurs luttant contre les flots au bout d’un élastique. Au pont, une dame fait trempette avec son chien, un vélocycliste remplit sa gourde à la fontaine, sinon personne. Je n’ai pas entendu un seul pétard de la journée, chapeau, les Suisses respectent les consignes.
Je m’élance dans la rivière, agrippée à mon ballon. Je vois un homme se tenir debout sur les flots. Non, je n’ai pas la berlue, ce n’est pas Jésus, l’eau est juste très basse. En arrivant au Muribad, un panneau d’affichage numérique indique 21° en chiffres rouges ; température exceptionnelle pour une rivière alimentée par les glaciers. Je m’extirpe sans problème du courant très faible.
À l’aide d’une longue pince, le maître-nageur est maintenant occupé à ramasser les emballages plastiques et autres déchets laissés par une frange moins disciplinée de la population. On se rebelle comme on peut. Ni vu ni connu, je vais récupérer mon sac. Je retourne encore une fois à l’eau, la période où l’on peut le faire est si courte…
J’ai déjà la chair de poule avant de m’y jeter. Autant la première baignade fut un régal, autant la seconde me glace. Nuque et clavicules m’élancent, une crampe m’enserre un pied, je claque des dents. Sauvée des eaux, je m’allonge sur le ciment encore chaud. Pas un chat, j’ai la jetée pour moi. La baignade, ça creuse ; je sors mon encas. Un type me souhaite « en guete³ » depuis son pneumatique flottant. Je réponds merci en agitant la main. Un autre, pacha affalé dans son château gonflable, une fille en bikini sous chaque bras, me lance, goguenard : « Alors, on s’éclate ? ». Mais mon garçon, à chacun ses plaisirs ! Heureusement qu’on n’a pas tous les mêmes. Les Asiatiques qui tiennent le restaurant de l’endroit fêtent la soirée entre eux. Ils ont dressé une longue table décorée d’une ribambelle de petits fanions rouges à croix blanche et ils se prennent en photo. So schön !
Je reprends mon vélo et remonte la côte. Il émane bien çà et là des odeurs de barbecue et les balcons sont dûment ornés de notre fier drapeau, mais quel calme tout de même. Rentrée chez moi, je me prépare un thé.
Canicule ou pas, moi, je n’arrive pas à me réchauffer.
1. « Maître-nageur ».
2. L’Auguetbrücke est un vieux pont, couvert et piétonnier, qui relie la commune de Muri bei Bern à celle de Belp
3. « Bon appétit ».
VERTIGE DE L’AMOUR
UN CAFÉ PRÈS DE LA GARE de Berne où je me suis réfugiée par une pluie battante. La fille se tient penchée sur un téléphone, visage dissimulé par un rideau de cheveux blond filasse, jambes écartées, jupette en élasthanne noir lui serrant le haut des cuisses telle la barde un rôti. Entre quarante et cinquante ans, voix forte et éraillée de fumeuse reconvertie au chewing-gum, l’accent graillonnant. N’est pas Arletty qui veut.
Lui, de dos, paraît plus jeune. Chevelure brune récemment taillée, chemise à fleurettes, jeans, baskets, une jambe en équerre sur l’autre. Affalé dans un fauteuil, il consulte lui aussi un écran. La main libre fourrage les cheveux, dans un tic à la James Dean.
Le café est bondé. Je m’assois à une table pratiquement collée à la leur. Ils sont silencieux, à l’image de ces couples
