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Passeurs de rêve
Passeurs de rêve
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Livre électronique95 pages1 heure

Passeurs de rêve

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À propos de ce livre électronique

"Passeurs de rêve" est un recueil de nouvelles à la fois poignantes et délicates, qui explore avec finesse les multiples visages de l’enfance. Entre les rues animées des quartiers populaires et les horizons chimériques du conte, chaque récit esquisse le portrait d’un enfant universel – cette figure à la fois familière et insaisissable, « papillon pressé de brûler ses blanches ailes aux flammes de la jeunesse », selon les mots d’Aloysius Bertrand. À l’instar de ce « pont de douceur » que Léopold Sédar Senghor voyait relier l’enfance à l’Éden, ces fragments d’innocence et de trouble effleurent les frontières de la vie et de la mort. Et si, au détour de ces pages, se révélait le reflet troublant de notre propre enfance perdue ? Un voyage littéraire à la fois sensible et troublant, qui invite à redécouvrir ce qui, en nous, n’a jamais cessé d’être enfant.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Indissociable de la lecture, Claire Adélaïde Montiel conçoit l’écriture comme un dialogue intime : un acte solitaire tendu vers le lecteur, mêlant écoute de soi et attention à l’autre. Romancière, nouvelliste et dramaturge, elle invente des univers pour tous les âges, offrant à chacun la clé d’horizons insoupçonnés.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie19 août 2025
ISBN9791042277451
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    Aperçu du livre

    Passeurs de rêve - Claire Adélaïde Montiel

    Des voix de papillon

    Ce qu’on a pu consulter comme médecins et spécialistes durant cette première année où Clara a progressivement perdu la vue ! Tout ça pour s’entendre répéter à la suite de stations prolongées dans des salles d’attente, d’examens pénibles et de traitements douloureux, que c’était la suite logique de sa maladie !

    Tous les jours, maman s’installait face à elle et, les yeux dans ses yeux mourants, les mains sur ses genoux maigres, la suppliait d’une voix vibrante :

    — Bats-toi, ma fille, ne te laisse pas faire ! Ta vue, tu peux la retrouver si tu le veux vraiment ! écoute-moi, chérie, il ne faut pas te laisser aller !

    Qui croyait-elle tromper ? Comme si on ne la voyait pas inventer sans cesse de nouveaux tests pour mesurer les progrès de la cécité qui embrumait les yeux de notre Clara.

    C’est comme ça qu’on s’est retrouvées toutes les trois dans la salle d’attente de Madame Monsterlas, la guérisseuse. Puisque la médecine ne pouvait plus rien pour nous ! La voisine qui avait donné, en grand secret, son adresse à maman nous avait recommandé de partir tôt. Passée une certaine heure, elle n’a plus le fluide, Madame Monsterlas. Alors, si on est dans les derniers, on a attendu pour rien.

    Au petit matin, après cent kilomètres parcourus dans le noir, maman a arrêté la voiture devant la porte d’un pavillon mal tenu au fin fond d’une rue aux trottoirs constellés de papiers gras, aux caniveaux malpropres. Elle a vérifié le plan tracé par la voisine sur la page déchirée de l’un de mes carnets. C’était là.

    La grille entrebâillée invitait à entrer, aussitôt démentie par la porte obstinément close. Quand celle-ci s’est ouverte, de l’intérieur, sans qu’on puisse voir qui l’avait tirée, on s’est dépêché de rentrer tandis que, des autres voitures garées le long du trottoir, commençait à émerger tout un échantillonnage de la misère humaine : un vieillard squelettique que des femmes se mettaient à deux pour tirer et pousser, un jeune anormal qui se laissait mener sans comprendre, un infirme dans son fauteuil roulant…

    La salle étroite a l’allure d’un wagon de chemin de fer. Sur les murs irréguliers, le papier peint d’une horrible couleur grisâtre fait des cloques et se décolle par endroits. Des bruits menus montent des sièges hétéroclites : raclements de gorge, claquement sec des pages que des doigts nerveux tournent trop vite. Parfois, deux mains se rencontrent sur une revue aux bords cornés. Ballet de sourires et de hochements de têtes. Sans une parole. Clara se penche vers moi :

    — Raconte-moi ce qui se passe. Il va falloir qu’elle ait un sacré fluide, Madame Monsterlas, je crois bien que je suis devenue sourde aussi.

    Nos chuchotements, têtes rapprochées, résonnent de manière incongrue dans la lourde atmosphère, éveillant des sourires forcés sur les traits tendus.

    Vers neuf heures, une vieillarde au visage raviné sur un corps de naine fait le tour de la salle, se plante devant chaque groupe, observant chacun de ses larges yeux d’un gris métallique. Debout, elle se trouve tout juste face au visage de ses vis-à-vis. Le regard tranche, un sourire étroit tire vers le haut la joue et l’un des coins de la bouche mince. Elle attend. Sous l’acier qui les fouaille, les yeux finissent par se détourner. Elle tire alors de sa poche un bout de carton dur où est inscrit un numéro d’ordre et passe au groupe suivant. Quand maman écope du huit, je proteste. C’est pas juste ! On est arrivées les premières, pourquoi on a la dernière place ? Mais le regard métallique se visse sur le mien et les mots me rentrent dans la gorge.

    La salle est comble. Les derniers arrivés, restés debout, s’adossent au mur pour reposer leur dos. Les traits se tirent. Clara scrute le vide. Maman s’est fripée sur son siège.

    — C’est long, gémit une brune aux cheveux ternes dont le visage irrégulier se creuse de cernes olivâtres.

    Près d’elle, un vieillard pose sur ses genoux de longues mains presque sans chair. Le pli de son pantalon suit le tibia, mais le tissu se referme sur une absence de mollets. Dans le visage couturé de rides profondes, au milieu de poches et de replis, les yeux de batraciens fixent un point très éloigné de nous.

    — C’est toujours long chez Madame Monsterlas, répond, sans la regarder, la mère de l’infirme. Il faut qu’elle se concentre, le fluide ne vient pas comme ça.

    Sa main posée sur le fauteuil roulant de son malade, un immense gaillard au faciès brutal, paraît prête à le bercer au moindre cri.

    Les gens échangent des remarques à voix basse. La voisine de maman chuchote quelques mots dans notre direction :

    — On a de la chance. Les numéros, ça veut dire que Madame Monsterlas a le fluide. La consultation va commencer.

    La porte intérieure s’ouvre enfin pour laisser place à la naine brandissant le numéro un. Un frémissement court d’un siège à l’autre. La porte n’est pas plus tôt refermée que les langues se délient. Certains ont parcouru des centaines de kilomètres pour être sûrs d’arriver au moment où le fluide sera au rendez-vous. Dans la pièce close, les haleines fétides épaississent l’air. Je vois les yeux de notre mère s’égarer vers le jardinet mal entretenu, errer de touffe d’herbe en rosier chlorotique.

    La femme au fauteuil roulant pointe du menton vers son infirme que, seule, Madame Monsterlas parvient à soulager au moyen de rendez-vous télépathiques. À une heure convenue d’avance, cinq heures du matin, onze heures le soir ou même en pleine nuit, la guérisseuse se concentre sur les souffrances du malade. Il faut alors disposer des mouchoirs en papier imprégnés de son fluide sur les parties les plus douloureuses, et attendre. Je pense : attendre, encore attendre. Ils n’ont que ce mot à la bouche !

    À onze heures et demie, la salle d’attente est tout aussi pleine, mais, de la première vague, il ne reste que nous. J’ai épuisé tous les magazines. Clara se balance, refermée sur elle-même. Des cernes bistre marquent le visage de maman.

    Enfin, la naine brandit le numéro huit, nous ouvrant le passage vers un bureau mal éclairé. Les volets occultent l’extérieur. Tout au

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