Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Le Chant des Aquadèmes - Tome 3: Les Perles de Conscience
Le Chant des Aquadèmes - Tome 3: Les Perles de Conscience
Le Chant des Aquadèmes - Tome 3: Les Perles de Conscience
Livre électronique490 pages5 heuresLe chant des Aquadèmes

Le Chant des Aquadèmes - Tome 3: Les Perles de Conscience

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Et si la conscience était la véritable clé de notre destinée ?

De retour en Mongolie, Balthazar et ses compagnons reprennent leur quête des ponts célestes. Mais ce voyage spirituel les conduit bien au-delà des montagnes : vers un univers insoupçonné, où la conscience n’est pas un mystère mais une force vivante. Entre révélations métaphysiques et phénomènes inexplicables, les Aquadèmes font leur apparition et avec eux, la possibilité qu’une intelligence venue d’ailleurs guide l’évolution humaine. Alors que la Terre gronde face aux ravages écologiques, les Orphéons lèvent le voile sur une ultime chance d’éveil collectif.

Une odyssée philosophique et écologique, à la croisée de la science-fiction visionnaire et du roman initiatique. Une lecture vibrante qui invite à repenser notre lien au vivant, à la planète… et à nous-mêmes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Lavie clôt avec "Les Perles de Conscience" une saga où s’entrelacent aventure, questionnements et espoir. Il nous entraîne cette fois au cœur de la conscience elle-même. Auteur engagé, explorateur des possibles, il signe un récit qui résonne avec les grands enjeux de notre époque, interrogeant notre lien à l’existence, à l’invisible et à ceux qui tentent d’éveiller l’humanité à un futur plus éclairé.
LangueFrançais
ÉditeurLa Compagnie Littéraire
Date de sortie12 juin 2025
ISBN9782876838383
Le Chant des Aquadèmes - Tome 3: Les Perles de Conscience

Autres titres de la série Le Chant des Aquadèmes - Tome 3 ( 2 )

Voir plus

En savoir plus sur Jean Lavie

Auteurs associés

Lié à Le Chant des Aquadèmes - Tome 3

Titres dans cette série (2)

Voir plus

Livres électroniques liés

Sciences occultes et surnaturel pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Le Chant des Aquadèmes - Tome 3

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le Chant des Aquadèmes - Tome 3 - Jean Lavie

    À mes parents.

    « Tout ce dont nous parlons, tout ce que nous considérons comme existant, postule l’existence de la conscience ».

    Max Planck

    L’énigme

    L’arche immaculée diffuse une pâle lumière blanchâtre au cœur de la nuit fraîche. Juste en dessous, l’eau argentée de la petite rivière s’agite soudain comme si un énorme poisson ou un monstre aquatique surgi du fond des âges, s’extirpait bruyamment de la vase limoneuse. Le lit du cours d’eau s’entrouvre, se déchire, comme écarté par les mains d’un démiurge d’une incroyable puissance. De cet informe amas composite de sable et de graviers s’échappe une silhouette qui lentement remonte vers la surface. Soudain, un trait lumineux jaillit de la base de l’arche et pénètre dans le corps de l’humain.

    À nouveau animé, ruisselant, tel un golem aquatique, le corps de celui qui fut Jack Johnson se hisse sur la berge du petit cours d’eau qui peu à peu retrouve son flegme habituel. Frissonnant au contact de la fraîcheur de cette nuit automnale, l’Aquadème se dirige vers une masure dont il pousse sans hésiter la porte.

    Après avoir mis un peu d’eau à bouillir sur le vieux réchaud à gaz abandonné à même le sol, il se prépare un thé brûlant, qu’il sirote lentement, à petites gorgées, absorbé dans ses pensées. Tengri, depuis plusieurs semaines, a pris l’habitude d’utiliser le corps de l’humain dont il a pleuré la mort il y a peu. Il a récupéré sa mémoire, puisant dans les souvenirs de l’homme d’innombrables connaissances et des sentiments inconnus qu’il s’efforce de partager avec le figeur, son compagnon Aquadème. Tous les deux occupent ce pont mystérieux, le dernier pont céleste, le seul à être demeuré sur la Terre après le Grand Bouleversement il y a maintenant vingt ans de cela.

    Tengri, comme à chaque fois, a choisi de rester sur la terre ferme de l’oasis trois jours, avant de retourner se ressourcer à l’intérieur du pont. Trois jours durant lesquels il lui faudra nourrir ce corps humain en pêchant et en faisant griller les petits poissons de la rivière sur un feu de bois, accompagnés de ce qu’il dénichera dans les dernières boîtes de conserve abandonnées par Thomas et ses compagnons. Tengri a bien tenté dans un premier temps de respecter les principes qui guidaient la conduite de Jack Johnson en matière d’alimentation, lequel de son vivant avait adopté un régime végan sans compromis, mais la faiblesse des ressources de l’oasis l’a contraint à pratiquer la pêche dans la petite rivière, poissonneuse à souhait.

    Au cours des trois prochains jours, l’Aquadème surveillera, patrouillera aux alentours, à pied ou monté sur l’un des trois alezans mongols demeurés à proximité de l’oasis après l’attaque, s’efforçant d’accomplir avec sérieux la tâche qui lui a été attribuée.

    Tengri se remémore fréquemment l’attaque, le vrombissement des hélicoptères, les explosions, les rafales de mitrailleuses, les incendies. L’oasis en conserve encore les stigmates : les grandes palmes calcinées, les maisons en ruine, la piste jonchée des carcasses des véhicules détruits. Il avait bien cru alors que la mort allait les faucher tous, les Aquadèmes nichés dans le pont sur le point d’être détruit, et ses amis humains réfugiés dans les quelques masures en torchis. Cependant, un phénomène étrange s’était produit, un événement extraordinaire dont il n’était pas parvenu à percer le mystère. Au début de l’attaque, le pont où lui et son compagnon Aquadème attendaient l’inévitable trépas avait tout bonnement disparu. Il s’était volatilisé comme par magie pour réapparaître un peu plus tard.

    Plusieurs semaines après, Tengri n’y comprenait toujours rien. Il ne savait pas ce qu’il était advenu de lui et de son ami le figeur durant cette brève disparition.

    Avant de quitter l’oasis ravagée, à proximité de l’une des maisons réduites en cendres et en gravats, l’un des humains, en réalité un Orphéon appelé Balthazar Bianco, leur avait confié à tous les deux une mission qu’ils avaient acceptée de bonne grâce : surveiller l’oasis et les environs jusqu’à son retour.

    Le lendemain matin, lorsqu’il entend au loin un bruit de moteur, Tengri n’hésite pas une seconde et s’immerge aussitôt, confiant aux bons soins de son compagnon le figeur, le corps de Jack Johnson.

    Invisible, incrusté dans une minuscule anfractuosité creusée dans l’arche blanche chauffée par le soleil de midi, il guette. Le bruit s’est rapproché et amplifié, présageant l’arrivée de plusieurs véhicules.

    Le pont a commencé de trembler avant même qu’il aperçoive le nuage de poussière qui s’élève de la piste d’où émergent bientôt, comme de monstrueux scarabées, cinq camions roulant en file indienne.

    Le convoi de véhicules bâchés pénètre dans l’oasis. L’un après l’autre, les moteurs se taisent et des hommes ainsi que quelques femmes s’extraient des camions pour se mettre aussitôt au travail. L’oasis se transforme rapidement en une ruche ordonnée au sein de laquelle chacun effectue sa tâche. En quelques heures, cinq grandes yourtes blanches sont dressées dont l’une à proximité immédiate du pont. Ce ne sont pas des yourtes traditionnelles ; leur allure est moderne et leurs toiles blanches et jaunes sont neuves. Les panneaux qui en constituent l’ossature sont en aluminium au lieu d’être en bois.

    Une fois les tentes en place, les hommes retournent dans les camions pour en sortir des lits de camp, du matériel de cuisine et de la nourriture qu’ils installent dans trois des cinq guitounes.

    Dans les deux autres, installées à proximité du pont, d’autres hommes empilent des ordinateurs, des câbles, des écrans, et d’autres machines bizarres dont Tengri ignore l’usage.

    Soucieux de précision et souhaitant accomplir scrupuleusement sa mission, l’Aquadème entreprend de compter les humains qui viennent d’envahir son univers. Il y a dans l’oasis, sept hommes et trois femmes.

    Le soir venu, plusieurs d’entre eux s’affairent autour de grands réchauds à gaz et les odeurs de cuisine envahissent progressivement le campement.

    L’une des femmes, vêtue d’un jean et d’un tee-shirt blanc s’est accoudée à la rambarde du pont pour admirer le soleil couchant, bientôt rejointe par deux hommes.

    Tous les trois demeurent silencieux, regardant disparaître peu à peu l’astre rougeoyant derrière les dunes du désert.

    Ce n’est que lorsque la nuit est totalement tombée qu’une conversation s’engage entre la jeune femme et les deux hommes.

    — Tu comprends leur langage ? questionne le figeur qui a rejoint Tengri.

    — Oui, ils conversent en russe.

    — Et de quoi parlent-ils ?

    — Des étoiles.

    Un peu plus tard, le trio rejoint ses compagnons pour un dîner qui s’annonce frugal. La fraîcheur envahit le campement et ici ou là quelques bouteilles de vodka apparaissent comme par magie, sorties des sacs à dos ou des camions. Les conversations s’animent peu à peu, bientôt concentrées autour d’un feu de camp improvisé dont les flammes virevoltantes s’élèvent vers le ciel noir.

    La foule grossit de minute en minute. Tout en psalmodiant leur prière leitmotiv, des femmes, des hommes, des enfants se frappent le front à l’aide d’un petit objet de métal ou de bois. Beaucoup ont le visage en sang, arborant un air de clown cauchemardesque et grotesque.

    Ils sont plusieurs milliers à s’être donné rendez-vous sur le Burnett Bridge¹. La foule est si nombreuse que le vaste treillis de métal vert oscille dangereusement au-dessus de la rivière aux flots gris.

    À l’avant du cortège, quelques dizaines de prêtres pontiques reconnaissables à leur longue tunique blanche ornée d’arches dorées, conduisent la marche, entonnant un chant religieux bientôt repris en chœur par la foule exaltée. La supplique retentit, monte vers les cieux muets, enfle tel un raz de marée sonore et puissant, étouffant les bruits de la ville, les hurlements des sirènes des voitures de police qui tentent de contrôler la masse des pèlerins suppliants ainsi que l’incessant bourdonnement des drones chargés de prévenir un éventuel attentat.

    Des cieux mystérieux vous êtes descendus

    Apporter en ce monde désolé et déchu

    L’espérance et la joie comme une folle fanfare

    Qui résonne encore sur notre monde blafard

    Revenez, Dieux des ponts vers nous pauvres mortels

    Nous rendre l’espérance disparue avec vous

    Revenez, Dieu des ponts posés tels des autels

    Sur nos fleuves et rivières, revenez parmi nous

    Nous nous purifierons, nuit et jour, jour et nuit

    Près de vos compagnons de métal ou de pierre

    De bois, de marbre ancien, posés sur nos rivières

    Nous vous vénérerons quand nos yeux éblouis

    Verront descendre enfin vos arches d’émeraude

    D’améthyste ou de jade, de quartz ou d’opaline

    De rubis, de saphir, d’agate, d’aigue-marine

    Nous recevrons la joie comme une vague chaude

    Alors nous entendrons venus pour nous sauver

    Les trompettes et les cors hurlant leur chant de joie

    Aspire à la sérénité, viens à moi,

    Partout retentira le sublime chant d’Orphée.

    Les manifestations comme celle qui se déroule dans la petite ville de Bundaberg ont lieu quasiment quotidiennement depuis plusieurs mois. Mais aujourd’hui, à l’avant du cortège se tient « l’Intercesseur ». L’homme grand, aux cheveux longs, à la barbe christique et aux yeux bleus exaltés, se nomme en réalité Brian Douglas. Ancien pasteur d’une petite église d’Ipswich, dans le Queensland, que le Grand Bouleversement avait vidé de ses fidèles, il se frappe consciencieusement le front à l’aide d’un minuscule pont métallique, montrant ainsi à ceux qui le suivent l’exemple de ce qu’il convient de faire pour complaire aux « vaisseaux dieux ». Grâce à son image holographique immense planant à quelques mètres au-dessus de la foule, tous peuvent voir le sang qui s’écoule de ses arcades sourcilières ouvertes, macule, sa longue robe blanche de tâches et de traînées rougeâtres, et dégoutte jusqu’à ses sandales de cuir. Levant les bras au ciel, il fait signe au cortège de s’arrêter. De la foule compacte s’extraient alors une dizaine de pèlerins au visage ensanglanté, portant une grosse pierre autour du cou accrochée à une corde grossière. Sans la moindre hésitation, ils s’avancent rapidement en direction du parapet pour en escalader le treillis de métal vert et sautent aussitôt dans la rivière.

    Tandis que Brian Douglas débute une prière pour les martyrs, aussitôt reprise par des amplificateurs puissants et la foule en délire, des vedettes de la police australienne, alertées par les images filmées à l’aide des drones, tentent de repêcher ceux qui par leur sacrifice espèrent faire revenir les « dieux vaisseaux » sur la terre.

    Enfin, obéissant aux consignes de l’Intercesseur, le cortège se désagrège très lentement. Nombreux sont ceux qui, parmi les manifestants exaltés, évitent de regarder si les bateaux de la police ont réussi à récupérer leurs compagnons.

    Le soir venu, on apprendra que sept d’entre eux ont pu être sauvés. Les trois autres sont portés disparus, probablement noyés avec leur pierre autour du cou quelque part au fond de la Burnett.

    De retour dans sa villa à la périphérie de Brisbane où l’attendent quelques dizaines de disciples qui n’ont pas participé à la cérémonie du jour, « l’Intercesseur » est à la fois satisfait et inquiet. Jamais son église pontique n’a été aussi puissante, rassemblant en son sein des fidèles que le doute n’habite pas, certains offrant même leur vie en sacrifice pour que reviennent les « vaisseaux dieux ».

    Cependant, Brian Douglas sait qu’il devra rendre des comptes à ceux, de plus en plus nombreux dans son pays, qui le considèrent comme un fauteur de troubles, un danger pour l’ordre public, voire un gourou illuminé et sectaire. Ce sera à son armée de conseillers et d’avocats d’organiser les réponses à ces attaques malveillantes qui avec les événements de cet après-midi risquent de redoubler d’intensité.

    Il sera temps de réfléchir à tout cela demain. En attendant, l’heure est au délassement en compagnie de quelques disciples, jeunes, belles et farouchement dévouées à « l’Intercesseur ».

    « Incroyable, songe-t-il en se prélassant dans un bain chaud accompagné d’une musique relaxante, de constater à quel point les jeunes filles sont attirées par le mystère ». Pratiquement chaque jour, ses disciples avertis et fidèles lui en présentent de nouvelles, toujours belles, désirables et soumises.

    ***

    Il tient à parcourir à pied les quelques centaines de mètres qui le séparent encore de la demeure de son hôte. Ce n’est pas qu’il affectionne particulièrement la marche, mais il souhaite emprunter le pont de la Sainte-Trinité, l’un des plus mythiques, l’un de ceux entrés dans la légende depuis que les hommes ont découvert l’existence des Aquadèmes. Thibaut Renoir, en s’engageant d’un pas déterminé sur le tablier de l’ouvrage encore en travaux depuis le dernier attentat, se remémore la rencontre historique de Ludivici, un des Aquadèmes de la Sainte-Trinité, avec un vieux savant florentin fantasque et facétieux, Balthazar Bianco. C’est Thomas, le vieillard qu’il avait autrefois considéré comme un ermite mythomane, qui après qu’ils aient appris à se connaître et à s’apprécier, lui avait conté cette rencontre qui remontait au dix-septième siècle. Le vieux savant florentin s’était par la suite uni à une Aquadème dont il était tombé passionnément amoureux, la belle Sabine, une des plus anciennes habitantes des ponts dont les souvenirs les plus archaïques remontaient à l’époque romaine. Thomas l’avait également fait rêver en lui narrant la romance passionnée entre la comtesse Victorina Palazzi et Ludivici qui s’était conclue par une nouvelle union entre un Aquadème et une humaine. Ainsi, après les premiers Unis, Maud et Thomas, deux autres couples avaient fusionné². 

    Rien de tout cela n’aurait été possible sans le génie d’un homme, celui-là même vers qui ses pas le guident aujourd’hui.

    Thibaut Renoir a rendez-vous avec Balthazar Bianco qu’il n’a jusqu’alors, jamais rencontré. Orphéon de la première heure, uni à une Aquadème prénommée Claire, Thibaut utilise en ce moment le corps d’un quadragénaire bien fait de sa personne, à l’allure sportive, cheveux courts et regard volontaire.

    Cela correspond à l’image qu’il souhaite donner de lui-même. Thibaut, depuis le Grand Bouleversement, est devenu un entrepreneur riche et puissant. Diplômé de l’école des Ponts et Chaussées, il avait entrepris, après que les ponts célestes se soient soudainement évaporés, de faire construire partout où il le pouvait de nouveaux ponts. Les premières années avaient été fulgurantes. Thibaut, s’inscrivant dans la lignée des grands bâtisseurs, à l’aune d’un Henri Navier, d’un Michel Vilorgeux ou d’un Marc Seguin³ s’était attelé à la tâche avec ardeur. L’argent nécessaire affluait de toutes parts. De généreux mécènes finançaient des constructions espérant par leurs dons être appelés par le chant d’Orphée. Certains, à l’image de grands donateurs du Moyen Âge, lui demandaient de faire graver leur nom ou sculpter leur visage sur un pilier ou sur un mascaron, escomptant qu’ainsi les Aquadèmes songeraient à eux le moment venu.

    Les matériaux ne constituaient pas un problème. Ingénieur doué et intuitif, il concevait ses ouvrages aussi bien en métal, qu’en bois, en pierre ou en béton. Les ponts cantilever, les écoinçons, voussoirs, culées ou autres travées n’avaient pour lui aucun secret.

    Sa puissance de travail, son génie constructeur l’avaient placé à la tête d’une entreprise devenue en quelques années une multinationale, « Renoir Bridge », employant plusieurs centaines de milliers de personnes à travers le monde.

    À son frère Vincent, il avait confié la division américaine. Sa sœur Manon, unie à son moine bouddhiste Palang, gérait les filiales asiatiques.

    Bien qu’il soit devenu riche et puissant, Thibaut ne construisait ni pour l’argent ni pour le pouvoir. Il avait compris avant tout le monde que les Aquadèmes ne seraient jamais suffisamment nombreux pour combler le désir de centaines de millions d’humains pleins d’espoir souhaitant s’unir à eux. Les faits lui donnaient malheureusement raison. La sinistre pantomime du Burnett Bridge, diffusée dans le monde entier, témoignait dramatiquement de l’intensité de la frustration ressentie par certains.

    Modestement, il s’efforçait d’apporter sa pierre à l’édifice. Chaque pont construit donnait mystérieusement naissance à deux ou trois Aquadèmes, rarement davantage. Personne ne comprenait pourquoi.

    Hélas, les attentats commis par Human first aux États-Unis et les attaques commanditées par la maître du Poland⁴ avant sa chute avaient ralenti les ardeurs des donateurs. Les frais engendrés par la surveillance des travaux, devenue indispensable, renchérissaient encore les coûts.

    Thibaut n’était pas du genre à baisser les bras. Bien sûr, il n’y aurait jamais assez de ponts et les Aquadèmes ne seraient jamais suffisamment nombreux. Mais il demeurait convaincu que son œuvre avait un sens.

    Impatient de connaître les motifs de cette invitation imprévue, il sonne à la porte de la vaste et belle demeure florentine, ne pouvant s’empêcher d’éprouver un sentiment d’admiration mêlé d’une pointe de désir en découvrant la jeune femme au regard ironique et à la jupe très courte qui ouvre aussitôt. Bien que fugace, cet éclair d’admiration n’a pas échappé à Claire, son Aquadème incorporée, qui pour l’heure décide de ne pas en faire grief immédiatement à son amant humain.

    La jeune servante le conduit dans un petit salon auquel ils accèdent après avoir franchi plusieurs ponts magnifiquement ouvragés. Thibaut est enchanté par la demeure de son hôte et apprécie en connaisseur le dédale de ruisseaux enjambés par ces ouvrages d’art bâtis en marbre, en bois, en calcaire ou en métal. L’un d’eux d’un noir profond semble construit en obsidienne.

    — Bonjour, mon ami, installez-vous confortablement, Déborah, amenez-nous une de nos meilleures bouteilles.

    L’homme qui reçoit Thibaut porte un costume noir sur une chemise blanche de la même couleur que ses longs cheveux et de sa courte barbe. Ses yeux vifs et malicieux scrutent son invité qui s’est assis sur un grand fauteuil drapé de velours indigo.

    — Bonjour, Monsieur Bianco, je suis réellement ravi de vous rencontrer, Thomas m’a tant parlé de vous. Votre palais est magnifique.

    — Très heureux de faire enfin votre connaissance Monsieur Renoir, mais je suggère que vous m’appeliez Balthazar et je vous appellerai Thibaut. Merci, Déborah, vous pouvez nous laisser, je crains que votre séduisante silhouette n’empêche ce jeune homme de réfléchir et j’ai besoin qu’il soit en pleine possession de ses moyens. Je constate qu’en votre présence ses neurones opèrent une dangereuse migration vers le sud.

    Tandis que l’accorte jeune femme s’éloigne dans un gracieux haussement d’épaules, Balthazar remplit généreusement leurs deux verres.

    — Le meilleur chianti du monde, il vient de mon vignoble de Gaiole, vous m’en direz des nouvelles.

    Après une première gorgée, Thibaut répond.

    — Vous avez raison, il est divin, dites-moi, Balthazar, je suis très honoré que vous m’ayez invité, pourquoi l’avez-vous fait ?

    — Parce que j’ai besoin de vous. Thomas m’a parlé de votre rencontre il y a plus d’un siècle et m’a décrit votre courage, votre détermination et votre esprit scientifique et rationnel. Il m’a fait rire en racontant comment votre incrédulité a fini par s’effacer devant l’expérience vécue. Depuis, j’ai entrepris quelques recherches à votre sujet et j’ai pensé que vous pouviez m’aider. Mais d’abord je dois vous parler de ce qui s’est passé en Mongolie.

    Thibaut, concentré malgré son deuxième verre de chianti, écoute de plus en plus abasourdi, son hôte lui relater en détail les événements auxquels il a failli ne pas survivre⁵. Il ignorait tout de ces épisodes dramatiques qui avaient bien manqué d’aboutir à une victoire du tyran Dombrowski aujourd’hui emprisonné à Cracovie. Mais ce qui le fascine au plus haut point ne réside pas dans les péripéties des combats.

    — Ainsi, il reste un pont céleste sur la terre ?

    — Oui, mon cher ami, et c’est pour cela que vous dégustez ce délicieux chianti.

    — Vous souhaitez retourner là-bas ?

    — En votre compagnie Thibaut, vous êtes un des plus grands constructeurs de ponts du monde ; grâce à votre aide, nous pouvons espérer percer le mystère.

    Balthazar lui explique l’échec d’« Aglaé⁶ » incapable d’identifier la composition du pont, il lui relate la disparition momentanée de ce dernier à laquelle il a assisté incrédule, sa réapparition tout aussi inexplicable et lui avoue sa conviction qu’ils ont affaire à un objet non terrestre.

    La bouteille de chianti devant eux est à présent vide.

    — Je sais que cela semble fou, mais je ne vois pas d’autres possibilités. Nous devons y retourner pour tenter d’en apprendre davantage.

    — Je pense à une chose, lance Thibaut. Vous avez bien affirmé que le pont s’était volatilisé pendant l’attaque ?

    — Tout à fait, avant de réapparaître ensuite.

    — Cela peut sembler absurde, mais imaginons que cela soit le cas des autres ?

    — Des autres ?

    — Tous ces ponts célestes qui ont mystérieusement disparu, imaginez qu’ils soient toujours parmi nous sans que l’on puisse les voir, dématérialisés provisoirement en quelque sorte.

    — L’hypothèse est séduisante, je ne regrette pas de vous avoir prié de venir. Désirez-vous encore un peu de vin ? J’appelle ma gouvernante, préparez-vous à une accélération de votre rythme cardiaque.

    Après que Déborah a déposé devant les deux hommes un plateau de charcuterie italienne et des coupelles emplies d’olives, la conversation reprend.

    — J’observe que vous n’êtes pas devenu un adepte du véganisme, constate Thibaut.

    — Je n’ai pu m’y résoudre malgré l’influence de certains de mes amis, dont le regretté Jack Johnson. Mais je suis intraitable pour ce qui touche au bien-être animal. Toute la viande que je consomme provient d’animaux élevés et tués décemment.

    — Je vous approuve, pardonnez-moi si je passe du coq à l’âne, mais que pensez-vous des derniers événements survenus en Australie ?

    — Je déteste ces gens-là, des « illuminés mouillés », des obscurantistes idiots, bornés, fanatiques et dangereux. Les ponts ne sont pas des dieux ! Fichtre !

    — Je suis d’accord avec vous, mais ne pensez-vous pas qu’il s’agit du résultat inévitable d’une trop grande frustration ?

    — Hélas oui, pour beaucoup de gens la situation peut paraître injuste.

    — Et elle l’est, nous avons créé des inégalités pires que celles qui existaient auparavant.

    — Vous oubliez que les « appelés » ou les « séduits » le sont, car il s’agit de personnes dotées d’une forte empathie ?

    — Je ne l’oublie pas, bien au contraire. Il a toujours existé des inégalités entre les laids et les beaux, les privilégiés et les sans grade, les riches et les pauvres, les Blancs et les gens de couleur, les hommes et les femmes, les humains et les animaux et j’en passe.

    À ce millefeuille inégalitaire et multiséculaire, nous avons ajouté une couche, l’inégalité fondée sur l’empathie. En quoi les gens dotés d’empathie seraient-ils plus méritants que les autres ? Parce qu’ils ont eu le privilège de connaître une enfance heureuse ? Parce qu’ils ont reçu un don du ciel ? Tout le monde sait aujourd’hui, et les sciences psychologiques nous le martèlent quotidiennement, que les gens qui agissent mal ont souffert dans leur passé. La plupart ont connu une enfance difficile, parfois affreuse. Et voici que nous offrons une vie incroyablement longue et riche de tant d’opportunités à ceux qui ont déjà eu leur lot de chance et dont nous faisons partie. Nous avons créé une injustice flagrante qui menace de devenir insupportable à des millions de personnes dont ces illuminés manipulés par leur gourou, ce Brian Douglas, leur soi-disant intercesseur.

    Les propos de Thibaut plongent Balthazar dans une réflexion dont il n’émerge que plusieurs minutes après.

    — Il y a du vrai dans ce que vous dites, mais ce n’est pas NOUS qui avons créé cette injustice. Ce sont les Aquadèmes ou ceux qui ont présidé à leur naissance. Et puis imaginez qu’ils aient choisi prioritairement les gens dénués d’empathie, où en serions-nous ?

    ***

    Depuis bientôt un mois, Mustapha Driss est l’hôte de l’émir Farzal, maître absolu et incontesté du Califat des Purs. Poussé par une intuition qu’il ne s’explique pas, Mustapha a rejoint le Califat accompagné des deux moudjahidines que l’émir avait envoyés en Mongolie⁷.

    Assis en tailleur sur un simple coussin vert brodé de fils d’or, il écoute l’homme à la barbe grise dont les yeux marron, derrière les verres de ses lunettes, brillent d’un éclat malicieux qui lui confère un air de jeunesse contrastant avec ses rides et ses cheveux blancs.

    — Vous n’ignorez pas Mustapha, qu’autrefois les musulmans étaient les meilleurs savants du monde notamment en astronomie ?

    — Je le savais, Seigneur.

    — Avec mes modestes moyens, j’ai tenté de relancer ce savoir perdu ici. J’ai confié à tout hasard le tapis que vous avez choisi de me confier à mes meilleurs astronomes pour qu’ils l’étudient.

    — Ont-ils trouvé quelque chose ?

    — Bien sûr, ils avaient trop peur de me décevoir, ils m’ont proposé nombre d’explications plus farfelues les unes que les autres. L’un d’entre eux m’a affirmé qu’il fallait, lorsqu’une certaine configuration des planètes se mettait en place, une fois tous les dix siècles, orienter le tapis de façon à recevoir le premier rayon de lune à minuit. Un de ses confrères a cru bon de le corriger en indiquant qu’il fallait placer le tapis en direction de la Mecque. Je crains que nous ne soyons pas encore revenus à la hauteur des mécréants en sciences astrophysiques… Mais il existe un domaine où nous sommes les meilleurs.

    — Lequel, Seigneur ?

    — La confection de tapis.

    Mustapha s’efforce de ne rien laisser paraître de sa déception. Il comprend qu’il est venu ici avec l’espoir secret et dérisoire d’en apprendre davantage sur son précieux tapis et il espérait naïvement que les astronomes de l’émir lui fourniraient au moins quelques pistes. Perdu dans sa rêverie, il regarde ce dernier frapper dans ses mains pour faire entrer un jeune garçon qu’il n’a jamais rencontré jusqu’ici.

    — Mustapha, je vous présente Sharam, un des meilleurs tisserands du monde. Sharam, veux-tu dire à notre invité ce que tu as découvert à propos de son tapis ?

    — Oui, Seigneur, mais il faudrait l’amener devant vous.

    Une nouvelle fois l’émir frappe dans ses mains. Deux hommes pénètrent aussitôt dans la pièce et déroulent cérémonieusement le bien le plus précieux de Mustapha, celui pour lequel il a parcouru des milliers de kilomètres et plusieurs fois risqué sa vie, qui lui a valu l’honneur de porter la zabiba⁸, celui dont il sait qu’il a contribué mystérieusement à la survenue du Grand Bouleversement.

    — Sharam, reprend l’émir, que peux-tu nous dire sur cet objet que nous ne sachions déjà ?

    Le jeune homme, intimidé, répond :

    — Seigneur, comme vous le voyez il s’agit d’un tapis à Mihrab⁹. Il n’est pas très grand, environ un mètre cinquante sur quatre-vingts centimètres. De part et d’autre du Mihrab, on trouve de larges bandes parallèles décorées de motifs floraux. C’est un tapis sûrement très ancien, confectionné en fils de laine teints en rouge et en brun, noués à la main bien sûr.

    — Rien de très particulier Sharam, as-tu une idée de sa provenance ?

    — Oui Seigneur, sûrement d’Afrique du Nord, mais il y a une… étrangeté. Ce tapis est en laine, mais les franges ne le sont pas.

    — En quoi sont-elles alors ?

    — Je l’ignore Maître, ni en coton, ni en soie, ni en rien que je connaisse.

    — Penses-tu qu’elles ont pu avoir été rajoutées par la suite ?

    — Impossible Seigneur, comme dans tous les tapis anciens fabriqués à la main, les franges font partie de la trame, dans la continuité des chaînes. Et ce n’est pas tout.

    J’ai essayé d’en brûler quelques brins, impossible. J’ai tenté d’en couper une extrémité avec le meilleur couteau qui soit, sans réussir à n’y percer, ne serait-ce qu’une minuscule entaille. Seigneur, j’ai même essayé de tremper une frange dans de l’acide, il ne s’est rien passé. Cette matière résiste à tout. Je connais les matériaux synthétiques, les fibres naturelles, mais là il s’agit d’une diablerie surnaturelle.

    — As-tu tenté de les teindre ? questionne l’émir.

    — Oui, et j’en tremble encore, les différentes teintures essayées ont tenu quelques secondes et puis la couleur d’origine est subitement réapparue.

    — Je te remercie Sharam, tu peux disposer à présent. Mustapha, nous avons à parler.

    — Tu me confirmes qu’il existe d’autres objets apparemment dotés de propriétés euh… spéciales.

    — Oui Seigneur, un parchemin très ancien, longtemps entre les mains d’un moine chrétien extrêmement âgé, Thomas, qui est aussi mon ami, et une peinture sur soie possédée par un disciple du Tao, un ami également. Je vous ai déjà expliqué comment, après avoir rassemblé ces reliques à côté de deux constructions éphémères, un mandala et une sorte de cône bizarre construit par un vieux savant italien, les vaisseaux-ponts ont brusquement surgi du ciel.

    L’émir, comme toujours lorsqu’il réfléchit, caresse longuement sa barbe grise.

    — Sais-tu ce que je crois, Mustapha ?

    — Non, Seigneur.

    — J’ignore si les constructions éphémères dont tu parles ont ou non joué un rôle dans ce qui est advenu. Par contre, ton tapis, cet étrange parchemin et la peinture sur soie pourraient être en partie constitués de matériaux non-terrestres qui, assemblés

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1