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Tu perds ton temps
Tu perds ton temps
Tu perds ton temps
Livre électronique161 pages2 heures

Tu perds ton temps

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À propos de ce livre électronique

Grand-mère est morte. Nous n’étions que très peu autour du cercueil. Juste avant la cérémonie d’incinération, on me présenta une petite boîte. C’est pour vous, selon sa dernière volonté, que l’on me chuchota. Je me mis à l’écart et l’ouvris délicatement. Elle était là, soigneusement enveloppée, à me regarder droit dans les yeux. Désormais, cette montre m’appartenait. J’étais à la fois terrorisé et pourtant si curieux de lire l’heure sur son écran.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Marin-Pache partage son temps entre ses voyages, son travail et l’écriture. Ingénieur de formation, il s’est peu à peu transformé en conteur guidé par ses émotions. Il savoure les doutes et les souffrances de l’écriture, mais aussi ce plaisir si particulier du point final. Auteur du roman « "Le déséquilibre des masses" », il invite une nouvelle fois ici à explorer un imaginaire déroutant et captivant.
LangueFrançais
Éditeur5 sens éditions
Date de sortie6 mai 2025
ISBN9782889497300
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    Aperçu du livre

    Tu perds ton temps - Serge Marin-Pache

    Couverture pour Tu perds ton temps réalisée par Serge Marin-Pache

    Serge Marin-Pache

    Tu perds ton temps

    Ma grand-mère a mis un terme. Plus exactement, elle a choisi de baisser le rideau. Plus encore, elle a décidé d’en finir. Mamie est morte.

    Juste avant de partir, elle m’a confié être lasse. Pas de vivre, mais fatiguée d’enterrer les autres.

    Elle était une femme exceptionnelle. Vous allez me dire que toute grand-mère peut l’être du moment qu’elle gâte un petit-fils gourmant et rondouillard. Mais elle, c’était autre chose. Pas de gâteau sortant du four pour les papilles des jeunes. Exceptionnelle par sa solidité. Incroyable par sa longévité. Elle aurait vu naitre le premier Aborigène que cela ne m’aurait pas étonné.

    Malheureusement, elle est quand même partie à son tour. Elle n’avait plus le courage de rester sur le quai. Elle a enterré sa fille, son fils, tous ses amis, les amis des amis, ses amours, ses amants. Presque tous. Un surhomme, mamie. Elle ne voulait plus souffrir de toutes ces funérailles. Pour elle, la mort était sans doute un soulagement. Se libérer du poids de tous ces décès que son contrepoids ne pouvait plus équilibrer désormais, trop allégé d’une existence en partance.

    Nous lui rendions visite régulièrement. Papa, maman et nous, les enfants. Toute la famille. Ma grand-mère était déjà si âgée. Je n’ai de souvenirs que de sa vieillesse. Pour moi, enfant, mamie était celle qui allait bientôt disparaître, mais le bientôt n’arriva pas. Quand papa est mort, nous n’y allons qu’avec maman. Puis maman disparue, avec ma sœur. Enfin, juste moi.

    Pendant les visites, mamie restait assise, là, à nous écouter sans nous regarder. Tête baissée. Elle n’avait d’yeux que pour elle. Il se disait que c’était l’âge. Cette saleté de vieillesse rendait égoïste. Moi, voir mamie comme ça depuis que j’étais né, je pensais que c’était normal. Je n’y prêtais plus attention.

    Un vieillissement soudain, une perte de poids inexplicable en à peine une nuit, mais elle ne semblait pas souffrir. Juste un épuisement, un ralentissement jusqu’à l’arrêt vraisemblable. Alors, on me téléphona.

    Je me suis rendu à la maison de retraite. « Je vais te raconter quelque chose, me dit-elle. As-tu le temps ? » Je n’en avais pas. J’ai dit oui pour répondre quelque chose, pour lui faire plaisir. Cependant, mon temps est passé sans que je m’en aperçoive. Je suis resté jusqu’à la fermeture des visites, presque mis à la porte, tard, en fin de soirée. Il m’avait semblé, pourtant, n’avoir écouté que quelques minutes. Puis mamie est partie. Son temps était passé.

    Nous n’étions que très peu autour du cercueil. Juste avant la cérémonie d’incinération, on me présenta une petite boîte. C’est pour vous, selon sa dernière volonté, qu’on me chuchota. Je me mis à l’écart et l’ouvris délicatement. Elle était là, soigneusement enveloppée, à me regarder droit dans les yeux. Elle était mienne.

    9 heures, 50 minutes et 5 secondes

    Ma grand-mère me proposa de m’asseoir. Elle me demanda l’heure. Je lui répondis presque dix heures. Mais elle souhaitait l’heure exacte. Je retirai les minutes. Mais elle ne fut pas pour autant satisfaite et me gronda. Un peu confus, je lui précisai donc 9 heures, 50 minutes et 5 secondes.

    « Ah, maintenant, nous pouvons commencer ! dit-elle enfin. Il était arrivé ici deux jours plus tôt, directement en ville, prêt à en découdre avec qui le souhaitait. Malheureusement, en deux jours, plus de portes s’étaient refermées sur son nez qu’il n’en avait ouvert avec ses mains, voire avec ses pieds. Dans les ateliers de la place, on s’était moqué, on avait tant ri, pourquoi pas un croche-patte. On lui avait même craché dessus ! »

    J’osai intervenir : « Mais de qui parles-tu, mamie ? »

    « Tu verras, me répondit-elle sévèrement, pas de précipitation, veux-tu. Tu as tout le temps. Si quelqu’un est pressé, c’est bien moi. Je ne vais pas m’éterniser ici encore longtemps, cher Hubert. »

    Mais je… hasardai-je encore. Mais devant ce regard, je ne pus qu’obtempérer. Il était vrai aussi que je pouvais bien l’écouter, pour une fois, seuls, elle et moi.

    « Retourne dans les jupons de ta mère et restes-y ! qu’ils lui dirent donc.

    C’était bien ce qu’il était tenté de faire, mais au prix de la nuit d’hôtel mieux valait ne pas gaspiller. Il en avait réservé plusieurs et il comptait bien les consommer. De plus, encore fallait-il qu’il ait encore sa maman. S’ils savaient…

    Il était juste là, presque avec la même vue que nous maintenant. Il pouvait voir, au loin, les sommets enneigés. Il pensait que c’était peut-être là-bas, en Italie, là où le bon goût débordait des assiettes, qu’il trouverait son salut, même si l’horlogerie, c’était ici et pas ailleurs, disait-on. Pourquoi pas aussi l’Allemagne ? On devinait que la qualité au-delà du Rhin valait bien celle de Suisse. Et puis il lui restait encore un jour. Alors, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la tentative et frapper encore aux portes plutôt que de vouloir partir et essayer ailleurs ?

    C’était un passionné. L’heure, toujours l’heure. Et pour cela, il existait ce bel objet : la montre. Mais pour lui, les montres, celles des autres, en fin de compte, ne servaient pas à grand-chose si ce n’était de comptabiliser le temps qui avançait. Mais pourquoi donc connaître l’avancement du temps ? Le temps est éternel, cher Hubert, éternel. Alors savoir jusqu’où il ira n’a aucune espèce d’importance. L’homme, lui, au contraire, est si mortel. Il aurait fallu alors plutôt compter à rebours. Le temps qui reste est plus important que le temps qui file. Savoir quand arrive la fin, voilà à quoi devrait servir une horloge.

    Cependant, de fin, justement, lui n’en avait pas, ou presque. »

    « Mais de quoi parles-tu, mamie ? Tout va bien ? » demandais-je.

    Silence.

    Ce regard.

    Je n’insistai pas.

    « Le temps passe. Il passe et passe encore. Impossible de le rattraper. Aucune aiguille, d’or ou de plastique, ne peut l’atteindre, ni même l’effleurer. Avant que le moindre mécanisme ne se mette en branle, avant même l’intention, le temps a déjà déguerpi. Le temps court et nous échappe. Il gagne. Toujours. Le premier arrivé et le premier parti. Comment cela pourrait-il en être autrement ? Comment être en avance sur soi-même ? Une ombre peut-être. Mais une aiguille n’était pas une pénombre et encore moins une lueur temporelle. Juste une retardataire. Que nous trichions en fermant les yeux ou non, que nous le prenions à contretemps en forçant l’imagination ou que nous déployons toute l’énergie du monde, le temps est toujours le premier-né et le dernier survivant. Il sera toujours là, bien après nous comme il l’a été bien avant nous.

    Déjà à cette époque-là, la montre ne vouait son éloge que dans l’objet, à la limite peut-être dans sa technicité, mais jamais dans l’objectif divin : maîtriser le temps. Cela devrait pourtant être une prétention d’horlogers. Ils cherchaient sans chercher. Surtout à cette période. D’autres soucis sans doute. C’était certainement à cause de la peur de ce qui s’annonçait. Je te parle ici du temps juste avant la Première Guerre mondiale. On cherchait plus à se protéger qu’à tenter quoi que ce soit. Alors lui, avec son gousset minable et sa face d’adolescent puceau, on n’allait pas l’écouter. C’était perdu d’avance. Il était encore si jeune.

    Pendant les dernières démarches qu’il avait effectuées auprès des fabriques, on le lui avait bien fait comprendre. Il était pris pour un gosse. Ils avaient aussi répondu qu’ils essayaient de faire plus petit, plus compliqué, plus beau, plus prestigieux, mais avec les soucis du temps présent… Alors, pour être polis, ils lui répondirent qu’il n’était là qu’au mauvais moment et au mauvais endroit. Ce fut refus sur refus. Il ne lui restait plus rien à faire et à ne songer qu’à la débâcle du retour, chez lui, perdant. »

    Mamie me demanda un verre d’eau. Elle prit tout juste le temps d’avaler une gorgée et de me tendre le verre pour que je le repose sur sa table de chevet, qu’elle continuait. Moi, je ne comprenais rien à cette histoire.

    *

    « Je te raconte ça comme on me l’a raconté. C’était dans un café, qui n’existe plus d’ailleurs. J’étais perdue, je ne savais plus quoi faire. Celui qui me l’a retracée était… mais c’est une autre histoire, plus tard.

    Alors donc, je disais que le jeune homme pensait rentrer chez lui. Il avait tout raté et même le sale temps s’y mettait. Tu sais bien qu’ici, quand il y a du soleil, c’est si beau. Mais tu sais aussi que quand le temps vire au mauvais, avec son plafond nuageux bas, c’est lourd, gris, sombre, tellement triste. C’est un temps pour procession mortuaire. C’est un pays de cimetières ici. J’en ai tellement vu, moi, des tombes.

    Pour revenir au jeune homme, pour ne rien arranger, il devait avoir cette migraine que tous ont à la contempler. »

    Contempler quoi ?

    Silence. Regard. Silence. Elle reprit son récit.

    « Il reçut une petite enveloppe discrète et sans fioriture, certes, mais de bonne facture comme on savait faire avant. Le papier était épais et doux au toucher. Une estampille, de celle faite pour de grandes familles, annonçait l’expéditeur. Il la déchira en un geste brusque et maladroit, erreur d’éternelle jeunesse sans doute. Il déchiqueta, en même temps que l’enveloppe, le mot d’invitation. L’opportunité de présenter ses travaux avait déjà bien failli partir à la corbeille. Pourtant, cette fois, il pensait que c’était la bonne. En un sens, il n’avait pas tort, mais c’était trop tôt. Cela a mis du temps, mais pas pour lui, pour les autres. »

    « Excuse-moi mamie, mais je ne comprends toujours rien à ton histoire », dis-je en me penchant vers elle, presque en me désolant.

    « Je ne suis pas folle, si c’est ça que tu penses, répondit-elle, tiens dans le tiroir, là, oui, là, au fond dans la pochette, oui c’est ça, regarde, la lettre dont je te parle est là. »

    J’en sortis la lettre, qui, comme elle le détaillait, était d’un ancien temps avec une date à moitié effacée, mais dont on pouvait deviner au moins le début : mille neuf cent…

    « On demandait au jeune homme de se présenter. Ce n’était pas lui l’initiateur du rendez-vous. Il ne pouvait qu’être optimiste. Une perspective différente. Voici la chance qu’il ne fallait pas laisser passer. Pour un peu, il l’aurait ratée et nous avec. Il avait eu raison de rester une nuit de plus.

    C’était donc avec une certaine joie et surtout avec la plus grande des expectatives qu’il se rendit à l’atelier pour y proposer sa découverte. Une jolie femme bien apprêtée et maniérée le reçut…

    Je m’y vois comme si j’y étais, imagine la conversation, me dit ma grand-mère, moi, je l’ai tant imaginée que c’est comme si c’était de ma vie dont je te parle ici. »

    J’essayais de l’imaginer à mon tour, bien qu’avec peu enthousiaste et surtout dubitatif. Ma grand-mère semblait comme emportée plus par son rôle d’actrice que de conteuse. Elle suscitait malgré tout ma curiosité. La voir ainsi si heureuse de parler. Je la laissai continuer. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut voir une si vieille personne avec cette joie si enfantine.

    *

    « Le jeune homme ne pouvait pas être pris au sérieux. L’âge, sa mine de malade, le mauvais moment, sa frange. Bref, tout. Mais aussi, comme tu peux voir, cette lettre déchirée. Tu imagines bien que présenter une invitation abîmée, c’était prendre le risque d’être sous-estimé. »

    « La frange ? Quelle frange ? »

    « Ah, oui, je ne t’en ai pas parlé, mais c’est un détail. »

    « Un détail, alors pourquoi en parles-tu ? » demandais-je encore.

    « C’était une sorte de mèche rebelle, trop longue et récalcitrante. Pas très jolie si tu veux

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