Concessions
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À propos de ce livre électronique
D’une guerre mondiale à l’autre, de Munich à Vladivostok et de Paris à Tientsin, des rencontres improbables, des amitiés indéfectibles, des amours impossibles, des trahisons et des concessions ponctuent ce récit haletant.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Journaliste pour la presse écrite et audiovisuelle suisse romande, Pierre-François Chatton a suivi pendant plus de 30 ans l’actualité internationale. Après "Les Partants", publié en 2021, "Concessions" est son deuxième roman.
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Aperçu du livre
Concessions - Pierre-François Chatton
1
1888 * Lausanne
Tout s’était enchaîné si rapidement. Lorsque son patron Jules Favre l’avait convoqué dans un coin du bistrot, Ferdinand craignait le pire. Le chef de cuisine de l’Hôtel de l’Ours à Lausanne avait la réputation de ne pas y aller par quatre chemins. Que pouvait-il lui reprocher ? Après trois ans d’apprentissage, Ferdinand Rosset estimait maîtriser plutôt bien le métier, même s’il reconnaissait avoir encore quelques lacunes dans la cuisson de certains poissons délicats. Il était d’humeur constante. Chaque matin, le sourire aux lèvres, il descendait de sa petite chambre située sous les toits de l’hôtel. Il aimait son travail, appréciait et respectait ce chef qui lui avait sérieusement mis un pied à l’étrier.
– Ferdinand, j’ai une drôle de proposition à te faire. Elle ne m’enchante pas, mais ça serait vraiment bien pour toi.
Anxieux, le jeune cuistot, qui n’avait pas encore vingt ans, croisait ses mains moites. Il ne voyait pas du tout où Jules Favre voulait en venir.
– Je viens de recevoir une lettre d’un ami avec qui j’ai appris mon métier à Genève. Ça remonte à loin, tu vois. Il est chef des cuisines du prince du Monténégro, un pays encore plus petit que la Suisse. Il cherche désespérément un jeune qui pourrait travailler avec lui. Alors j’ai pensé à toi, même si je n’ai vraiment pas envie de te voir partir.
Ferdinand était sidéré. Voilà que son patron, moustaches luisantes et petite bedaine bien enserrée dans sa veste de cuisinier, lui proposait de partir à l’autre bout du monde. Il n’avait jamais entendu parler du Monténégro et se demandait bien comment il pourrait cuisiner pour un prince.
– Vous croyez que je suis capable de faire ça ?
Hochant la tête, le chef sortit la lettre de sa poche et la remit à Ferdinand.
– Tiens, il y a plein de détails sur le travail et sur la vie là-bas. Tu peux également aller à la bibliothèque pour trouver une carte de l’Europe et, peut-être, un livre qui parle du Monténégro. Ou tu peux écrire à mon ami si tu as des questions. Mais réfléchis bien Ferdinand, des occasions comme celle-ci, il n’y en a pas souvent dans la vie. Et comme tu n’as plus personne, rien ne te retient.
La dernière phrase de Favre lui avait fait l’effet d’un méchant coup dans l’estomac. Oui, il était orphelin depuis ses douze ans, depuis que sa mère et son père avaient péri dans l’incendie de la ferme familiale au-dessus d’Aubonne. Brutalement, son horizon s’était assombri. L’enfant unique, espiègle et joueur, le garçon adoré de ses parents, était devenu adulte du jour au lendemain.
Il avait été placé dans une famille protestante, des connaissances de ses parents. Le père était devenu son tuteur. C’est lui qui avait déniché cette place d’apprentissage à l’Hôtel de l’Ours. C’est lui qui l’avait convaincu de se lancer sur cette voie. « Un métier d’avenir, un métier d’équipe aussi, c’est exactement ce qu’il te faut » lui répétait François Golay. Lors de son prochain congé, il irait lui parler de cette surprenante proposition.
François Golay était instituteur. Ferdinand lui avait fait lire la lettre de l’ami de Jules Favre. François avait tiré calmement sur sa pipe, s’était levé comme pour se dégourdir les jambes avant de retrouver son fauteuil aux accoudoirs recouverts de petits napperons.
– Tu peux me croire Ferdinand, ce n’est pas une mauvaise proposition. Tu devrais écrire à ce monsieur pour lui dire que ça pourrait t’intéresser, mais que tu as besoin d’en savoir plus. Où seras-tu logé ? Combien seras-tu payé ? De qui dépendras-tu en dehors de ce chef de cuisine ? De quelle durée sera le contrat et qui paiera ton voyage ? Une fois que tu auras tes réponses, on en reparlera. Et si c’est convenable, je donnerai mon accord en tant que tuteur.
Sans en avoir touché un mot à ses collègues de travail, Ferdinand avait couché par écrit les questions suggérées par son tuteur. Quelques semaines plus tard, il reçut du Monténégro les réponses souhaitées. Il était rassuré et François Golay donna le petit coup de pouce nécessaire pour que le jeune homme ose faire le pas. Et là, tout s’était enchaîné rapidement.
Lors du voyage en train jusqu’à Trieste, Ferdinand avait accumulé plus d’émotions qu’au cours de toute sa vie. Jusque-là, son horizon s’était limité à Aubonne et Lausanne, avec une ou deux excursions au lac de Joux ou dans les Préalpes ainsi qu’une sortie sur le Léman à bord du Bonivard. Maintenant, il traversait une partie de l’Europe afin de rejoindre le port de l’Empire austro-hongrois sur l’Adriatique, pour s’embarquer à bord d’un vapeur de l’Österreichischer Lloyd qui desservait la côte dalmate.
Il était excité à l’idée de cette incroyable aventure dans un pays bien mystérieux, et impressionné par toutes ces choses nouvelles qui le frappaient pratiquement à chaque instant. Par la fenêtre du train, il découvrait une nature qui n’avait rien à voir avec ce qu’il connaissait. La lumière italienne faisait ressembler les paysages à des tableaux pareils à ceux que l’on peut admirer dans des musées. Dans le compartiment, ses voisins parlaient des langues étranges et leurs casse-croutes, déballés d’un panier en osier ou d’une besace, dégageaient des odeurs nouvelles pour le jeune cuisinier. Ferdinand n’en revenait pas.
Son aventure solitaire s’arrêtait à Trieste. Une fois le grand hall de la gare néo-Renaissance traversé, il tendit au cocher un billet avec l’adresse d’une pension. Là, il retrouva deux autres jeunes gens engagés comme lui pour la maison princière – Marcel, un Bourguignon plus âgé – et Rose, une Alsacienne de son âge. Tous trois avaient rendez-vous avec un émissaire du prince, un quinquagénaire qui parlait français avec un accent rocailleux. C’est lui qui allait les accompagner jusqu’à Cetinje, la capitale du Monténégro. Il se présenta : Nicolas, « comme le prince », précisa-t-il immédiatement.
Le bateau appareillait le lendemain à midi, un samedi. Nicolas emmena la petite équipe se restaurer dans une auberge. Le vin aidant, ils surmontèrent leur timidité et commencèrent à faire plus ample connaissance. Rose allait rejoindre l’équipe des gouvernantes. Elle venait d’un petit village près de Colmar et comme Ferdinand, elle découvrait le monde. Marcel avait déjà roulé sa bosse un peu aux quatre coins de la France. Il avait passé près de deux ans dans l’armée et c’est pour ses connaissances militaires qu’il avait été recruté.
Interrogé sur sa maîtrise du français, Nicolas expliqua que c’était la langue de la cour. Il y avait des Suisses et des Français au service du prince et l’homme qui organisait tout ce petit monde venait de Genève.
– Vous allez rapidement faire la connaissance de M. Piguet. Il s’occupe de tout. C’est lui qui m’a appris le français. C’est le professeur attitré de toute la famille. Leur vapeur paraissait bien minable par rapport aux navires qui assuraient la ligne des Indes et du Japon en traversant le canal de Suez, ouvert vingt ans plus tôt. Sur le coup de midi, les amarres étaient lâchées.
– On sait toujours quand on part, mais jamais quand on arrive. Il y a beaucoup d’escales et le voyage n’est pas très confortable. Il faut juste espérer que le temps reste beau et que la bora, ce vent qui vient des montagnes, ne nous secoue pas trop, expliqua Nicolas.
Ferdinand, comme ses compagnons, était impressionné par les manœuvres du navire pour quitter le port. Du large, il pouvait découvrir l’étendue de Trieste, une grande ville entourée de collines avec des immeubles de dimensions impressionnantes d’une blancheur éblouissante.
Contournant l’Istrie puis longeant la côte dalmate, le vapeur mit quatre jours pour atteindre Gravose, le port de Raguse (Dubrovnik). C’est que les escales étaient nombreuses et parfois longues car il fallait débarquer et embarquer, non seulement des passagers, mais également des marchandises ainsi que le courrier. Les ports étaient souvent étriqués et les manœuvres délicates, tout comme la navigation entre les îles qui se succédaient en chapelet. Pas question non plus de naviguer de nuit.
Les trois jeunes recrues avaient tous souffert du mal de mer. Rose avait été la première, Ferdinand l’avait suivie de peu. Peut-être plus solide ou plus vaillant, le Bourguignon avait tenu un peu plus. Finalement, au matin de la dernière journée en mer, ils étaient tous à nouveau sur pied. Le vapeur longea la côte puis bifurqua dans une sorte de défilé étroit. Soudain, la mer ressemblait à un fleuve ourlé par les montagnes avant de se transformer en une sorte de lac encaissé, bordé de quelques maisons dispersées et de petits villages. Deux petites îles, telles des bateaux ancrés, étaient disposées ça et là. Eglises et monastères entourés de cyprès y occupaient la moindre parcelle de terre.
– Nous avons encore une escale à Persato (Perast) mais nous sommes déjà dans les bouches de Cattaro (Kotor). C’est comme ça qu’on appelle ce bras de mer. Là-bas, au fond, c’est Cattaro où nous débarquerons. Le Monténégro, c’est juste derrière ces montagnes. On y sera demain, annonça Nicolas.
En fin d’après-midi, le vapeur avait accosté non loin des imposantes fortifications, souvenir de quatre siècles de domination vénitienne. Le retour sur terre ferme avait désarçonné Ferdinand et ses compagnons. Tout tanguait et leur vue se brouillait. Nicolas leur expliqua que ce mal de terre était tout à fait normal, que cela disparaissait en quelques minutes et qu’il ne fallait pas s’inquiéter.
– On va passer la nuit ici et on va manger dans une auberge que je connais bien. Ce sera bien meilleur que l’infecte nourriture du bateau. Qu’en penses-tu, toi, le cuisinier ? questionna Nicolas.
Ferdinand s’était bien gardé de critiquer la tambouille de l’Österreichischer Lloyd. Il avait pu jeter un coup d’œil aux cuisines et s’était senti pris de pitié pour les marmitons qui devaient jongler dans un espace minuscule, enfumé et sombre. Ceci expliquait cela, pensa-t-il.
Cattaro n’était qu’un gros bourg aux maisons en pierres, serrées les unes contre les autres. Certaines ruelles étaient si étroites que deux personnes ne pouvaient s’y croiser. Malgré sa taille réduite, la petite cité aux confins de l’empire austro-hongrois était un port de commerce très important, d’où une animation permanente. On y parlait allemand, italien, slave et d’autres dialectes balkaniques bien difficiles à identifier. Ce patchwork se retrouvait aussi dans les tenues des uns et des autres. Il y avait du pantalon bouffant, du petit gilet coloré, de la botte et de drôles de couvre-chefs pour les hommes.
Au petit matin, les trois recrues et Nicolas montè-rent à bord d’une diligence surchargée de paquets, de caisses et de malles qui les attendait à proximité du marché monténégrin, juste après le pont-levis. La lente montée commença. Les lacets se succédaient et à chaque virage en épingles à cheveux, la vue sur les bouches de Cattaro s’élargissait. Le spectacle était magique et laissait les jeunes passagers sans voix. Cette route extraordinaire, tracée par la double monarchie, avait déjà plusieurs noms : l’Impériale, la route de l’Empereur, la Serpentine… Elle avait été construite par les Autrichiens pour accéder aux batteries de canons qui devaient défendre Cattaro. Les Monténégrins s’en servaient pour atteindre Cetinje.
Nicolas se lança dans de longues explications, une fois la frontière passée sans aucune difficulté. Qui irait chercher des noises à un convoi « princier »… Il raconta l’importance du Mont Lovtchen où repose Peter Njegos, considéré comme le fondateur du Monténégro. « Vous aurez certainement l’occasion d’y aller. C’est un peu un lieu sacré pour nous ». A Njegusi, un petit village perdu au milieu de la caillasse, Nicolas annonça fièrement que c’est là que le prince régnant était né. Une halte était prévue pour se restaurer et laisser les chevaux se reposer.
Après l’incroyable montée à flanc de coteau, ils s’étaient enfoncés vers l’intérieur des terres et le paysage était devenu presque lunaire. Rares étaient les arpents d’herbe que se disputaient vaches et chèvres. Tout le reste n’était que caillou.
– Vous savez ce qu’on raconte à propos du Monténégro. On dit que lors de la création du monde, Dieu a trébuché, des tas de gros cailloux se sont échappés de son sac et sont arrivés ici. C’est peut-être pourquoi notre pays s’appelle Montagne Noire, Cerna Gora dans notre langue, Monténégro pour vous.
Nicolas rassura aussi ses compagnons. Cetinje se trouve dans une vaste plaine et le paysage y est plus doux. Cetinje qu’ils atteindraient avant la fin de l’après-midi.
Dans la descente vers la capitale, les appréhensions des uns et des autres revenaient. A quoi allait ressembler leur nouvelle vie dans ce pays perdu au milieu des montagnes ? Les villages traversés, la chaussée chaotique, les quelques habitants aperçus ça et là, tout suintait la pauvreté. Rose était la plus prolixe, avouant déjà presque regretter son choix. Marcel essaya de la rassurer, mais paraissait aussi un peu ébranlé. Ferdinand ne s’épanchait pas. C’était le moins loquace des trois.
L’estomac complètement noué, il se demandait pourquoi il avait accepté ce projet. Sans les encouragements de son tuteur, il serait resté sagement à Lausanne. François Golay lui avait tellement répété qu’il devait ouvrir son horizon, découvrir de nouvelles contrées et, pourquoi pas, apprendre d’autres langues, qu’il s’était laissé convaincre. Là, entre deux secousses, il s’en mordait les doigts mais, trop timide, il ne pouvait partager son angoisse avec ses compagnons. Après un virage serré, la plaine de Cetinje se dévoila. On pouvait distinguer la ville, une grosse bourgade plutôt, avec des maisons aux toits plats et quelques bâtisses plus importantes éparpillées. Nicolas désigna l’une d’elle, pas vraiment imposante : « Voilà le palais du prince ! »
2
1888 * Cetinje
La première lettre de Ferdinand était arrivée à Aubonne un peu plus de trois semaines après son départ. Les Golay l’attendaient avec impatience et un peu d’appréhension. Leur jeune protégé avait fait un grand saut dans l’inconnu et ils n’y étaient pas pour rien.
Cetinje, le 20 septembre 1888
Chère Madame Golay, cher Monsieur Golay,
Voici enfin de mes nouvelles. Le voyage a été long, surtout sur le bateau mais c’était beau. J’ai été malade comme les autres, néanmoins ça n’a pas duré. A Trieste, j’ai retrouvé deux Français qui allaient aussi travailler ici et on avait un Monténégrin qui parlait assez bien le français comme guide.
Le pays est perdu dans les montagnes, un peu comme la Suisse, seulement c’est encore pauvre. Il n’y a pas de train et les routes sont affreusement défoncées et poussiéreuses.
Cetinje, la capitale, est une bourgade de la même taille qu’Aubonne, sauf
