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Ce que je fais - Tome 1
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Livre électronique485 pages5 heuresCe que je fais

Ce que je fais - Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Jeanne, jeune comédienne de vingt-deux ans, se trouve entraînée dans une expérience qui transformera son existence le temps d’un week-end. Une rencontre inattendue lui fera découvrir les notions de foi, de paix et d’amour. À travers ses voyages et réflexions, elle partage son parcours avec humour et joie de vivre intense. Ce que je fais - Tome I vous mène au cœur d’une histoire romantique, invitant chacun de nous à saisir les merveilles insoupçonnées de la vie.


À PROPOS DE L’AUTRICE

Influencée par les écrits de Françoise Dorin, Daniel Pennac, Gilles Legardinier, Joseph Joffo et Patrick Cauvin, Laurine Damour découvre sa voie créative. Ces auteurs lui ouvrent les portes de Paris, une ville qui nourrit

LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie11 oct. 2023
ISBN9791042203948
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    Aperçu du livre

    Ce que je fais - Tome 1 - Laurine Damour

    Chapitre I

    Mercredi 4 mai 2022

    — Rome, l’unique objet de mon ressentiment, Rome à qui vient ton bras d’immoler mon amant, Rome qui t’a vu naître et que ton cœur adore, Rome enfin que je hais…

    — Non, Jeanne, non ! Tu dois faire ressentir au public la colère de Camille contre son frère, sa haine, et ça doit monter petit à petit, et à la fin tu lui en envoies plein la tête, tu exploses ! Tu comprends ?

    — Ok Jacques.

    Derrière les épais rideaux, le soleil de mai se couche sur les toits de Paris.

    Quelle heure est-il ?

    Depuis combien de temps suis-je dans cette vaste pièce transformée en salle de répétition ?

    Je n’en ai aucune idée. Avec Jacques, je n’ai plus la notion du temps.

    Jacques est mon prof de théâtre. 40 ans, œil vif, la Lucky toujours collée au bec et têtu comme on n’en fait plus, ancien de la Comédie française, c’est un passionné de théâtre.

    Ses cours sont réputés, habilités par le Conservatoire, l’entrée se fait sur audition.

    Il prépare les postulants aux concours de Grandes Écoles, de Conservatoires.

    Je reprends ma scène.

    — … Moi seule en être cause et mourir de plaisir.

    Ouf, j’en peux plus… Je meurs (c’est le cas de le dire !).

    Jacques garde le silence, il cogite.

    — Bien, Jeanne, c’est bien. Il te manque un petit je-ne-sais-quoi, mais tu progresses à t’ouvrir. Continue.

    — Ok, merci.

    Je reprends ma place parmi mes camarades de classe.

    Fred et Isabelle passent sur scène, pour les Fourberies de Scapin.

    Puis, c’est au tour de Christophe et moi, à nouveau.

    Christophe. Mon partenaire de scène dans N’écoutez pas Mesdames de Sacha Guitry. On s’est rencontrés au cours, mais on a fait plus ample connaissance lors de l’anniversaire de notre amie Joëlle. On a parlé et là, çà a fait tilt, enfin, tilt d’amitié pour lui, car pour moi…

    Bon bref, c’est pas grave, c’est pas la première fois que je tombe amoureuse de mon « meilleur » ami ! Il me suffit de mettre une bonne grosse sourdine à mon cœur d’artichaut, et me voilà transformée en la meilleure des potes !

    En attendant (en attendant quoi d’ailleurs ? qu’il ouvre les yeux et dise « what ? mais tout ce temps que j’étais à ses côtés et je ne l’ai point vue ? » Oui, bon, allez, arrête de rêver les yeux ouverts, ma grande !), donc « en attendant », eh bien, on se met en scène et j’entre dans la peau de mon personnage de Julie-Bille-en-Bois, ancienne danseuse du Moulin-Rouge (rien que ça !).

    Oh, mais comme elle est touchante ! Des personnages comme ça, qui vous touchent le cœur, je voudrais tout donner pour les interpréter dans le ton le plus juste.

    Me manquerait-il quelques années pour comprendre toute la dimension des sentiments de ce personnage ? Oh, comme j’aimerais avoir ne serait-ce que 10 ans de plus !

    Et nous voilà transformés en des personnages de 30 ans de plus que nous.

    Et nous voilà à déclamer des tirades, des vers, des répliques, en jouant aux anciens amants alors que je ne rêve que d’une chose, être la sienne actuellement…

    Et voilà, Jeanne, encore une fois, tu débloques !

    Allez, reprends-toi, joue, interprète, vis ta Julie !

    Je bute sur mon monologue.

    Jacques nous rattrape :

    — Ok, c’est bon, Jeanne tu dois plus te concentrer. Pour aujourd’hui, on va s’arrêter là. Jeanne, on travaillera le monologue de Camille un autre jour. Tu as encore du temps pour choisir tes scènes pour le concours.

    Puis, en s’adressant à toute la classe, il annonce :

    — Pour notre représentation qui aura lieu fin juin, vous allez interpréter Roméo et Juliette, et j’ai bien réfléchi, dit-il en se tournant vers nous deux, je ne vois que vous pour jouer les rôles principaux, car il y a une belle alchimie entre vous…

    Oh, mon Dieu, je vais défaillir…

    — … Et j’ai aussi réparti les autres rôles, chacun d’entre vous a son rôle, et souvenez-vous qu’il n’y a pas de mauvais rôle, juste des mauvaises prestations, et vous, vous avez le talent nécessaire pour faire de cette pièce un moment parfait ! Joëlle, tu peux afficher la liste de distribution des rôles, s’il te plaît ?

    — Oui, dit Joëlle en prenant la feuille.

    — Nous commencerons les répétitions dès la semaine prochaine, merci de commencer à apprendre vos textes ! Je vous rappelle qu’à titre exceptionnel, le cours de ce soir remplace celui de demain et que celui de samedi saute aussi, nous le rattraperons lundi soir. Bon week-end à tous !

    Tout le monde se lève et chacun découvre son personnage. Certains sont heureux, d’autres nettement moins, et je vois deux filles qui demandent à Jacques si elles peuvent être Juliette.

    Mais Jacques est sûr de lui quant à ses choix.

    Christophe, Joëlle (heureuse de faire la nourrice de Juliette) et moi ramassons nos affaires et sortons du cours.

    Dehors, elle nous quitte pour aller prendre son métro.

    Nos colocations ne sont pas éloignées l’une de l’autre, y en a pour quinze minutes de marche depuis le cours de Jacques. Christophe et moi rentrons ensemble à pied. La nuit est belle, une nuit de mai où, malgré le soir de semaine, les gens prennent le temps à la terrasse des bistrots, à parler, boire, rire…

    La fin d’un cours de théâtre est généralement bercée par une sorte d’engourdissement, comme une bulle ou une énorme fatigue, comme si l’âme était usée par l’interprétation de tous ces personnages, comme si…

    — Y a du monde chez toi ? me demande Christophe.

    — Heu… oui, mes deux colocs. Pourquoi ?

    J’avoue, je suis à la fois surprise, car je ne m’attendais pas à sa question et que j’étais perdue dans le flot de mes pensées.

    — Pour rien… Tu viens prendre le petit-déj chez moi demain avant de partir au boulot ? Il faut que je te parle d’un truc.

    — Oui, si tu veux. Y aura ton coloc ? (Histoire de savoir si on sera seuls, ou pas.)

    — Je sais pas, oui, peut-être. Je t’attends pour 8 h. Ça t’ira ?

    — Ok.

    On est arrivés en bas de chez moi.

    — À demain, Christophe.

    — À demain, Jeanne.

    La bise. Le cœur qui saute.

    Et je pousse la porte, n’attendant déjà qu’une seule chose : être demain matin…

    Qu’est-ce qu’il veut me dire ? Et… Qu’est-ce que je vais me mettre ?

    En montant les escaliers jusqu’au 5e étage, je pense, je fais valser toutes mes pensées, dans un beau boxon.

    Comment donner plus de profondeur à Julie ? Quelles scènes vais-je présenter au concours ? Bon, en même temps, c’est dans neuf mois, mais vaut mieux que je m’y prépare longtemps à l’avance. Où est-ce que j’ai pu mettre mon exemplaire de Roméo & Juliette, histoire d’apprendre mon texte et de ne pas me lancer en pure impro, genre, je lui déclare ma flamme : « Ô Christophe, mon beau Christophe, pourquoi suis-je aussi débile ? ». Comment je m’habille demain matin ? Bon, pas de panique. C’est pas la première fois qu’on prend le petit-déj ensemble, vu la courte distance qui nous sépare, et puis il faut que ce soit aussi compatible pour aller bosser, hôtesse d’accueil dans un centre de santé – bien-être pluridisciplinaire, qui regroupe des kinés – ostéopathes – nutritionnistes – coachs sportifs – et profs de yoga. À côté de l’Étoile. Un vrai miracle d’avoir eu ce poste d’ailleurs, je pense que le fait d’avoir obtenu un BTS accueil m’a donné une sacrée chance, malgré mon manque d’expérience.

    Mes parents voulaient que je poursuive de hautes études supérieures dans la biologie comme eux, chercheurs-professeurs en microbiologie, mais je leur ai tenu tête en choisissant la voie des planches.

    Je voulais cependant avoir un métier dans les mains avant de me lancer dans l’inconnue du Théâtre, parce que je suis bien au courant qu’il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus et que je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche.

    Bref, c’est un beau bazar dans ma tête et je suis à la limite du pétage de plomb !

    Donc, je me calme, je respire en me concentrant sur les marches d’escalier.

    Quand je rentre, mes deux colocs sont là, en train de regarder Grey’s Anatomy.

    Je me laisse tomber sur le canapé à leur côté.

    Laurel et Soizic.

    J’ai eu de la chance de tomber sur elles !

    Et sur cet appart ! Situé à côté de la gare de l’Est, avec trois grandes chambres et un grand salon-cuisine, une vue traversante magnifique sur Paris, et surtout, le bailleur-propriétaire nous a fait un contrat de fou. Trois ans renouvelables, on part quand on veut (ça, c’est la loi) dès lors qu’on prévient un mois à l’avance, et surtout, un mois à demi-tarif à condition de libérer les lieux pour le mois d’août où il loue à la semaine pour des touristes, au prix du mois.

    En une semaine, il reçoit ce qu’il touche en un mois.

    C’est pour cela qu’il ne prend que des étudiants-étudiantes, et que moi, j’ai pu l’avoir, car mon travail est fermé tout le mois d’août !

    Depuis qu’on cohabite début septembre dernier, on a fait connaissance, on respecte l’univers de chacune, les habitudes et autres particularités qui font un être humain, qualités et défauts.

    Et top du top, on s’entend bien, on devient même très bonnes copines !

    Bien sûr, on parle (on est des Vénusiennes après tout !), on se confie nos vagues quotidiennes, elles sont au courant pour Christophe, je suis au courant des aléas de leur cœur. Elles connaissent Christophe et reconnaissent volontiers que c’est plus qu’agréable de le regarder, et moi, je ne peux qu’approuver, je me délecte de ses paroles, mais bien sûr, je ne peux le montrer, je reste dans mon personnage de bonne copine, d’amie même. D’ailleurs, je ne mens pas, je suis effectivement son amie… mais avec un cœur gros comme le Sacré-Cœur !

    Eh oui, je le reconnais pleinement, je me suis fait friendzoner en beauté !

    C’est pas grave, le tout, c’est que j’arrive à ne plus penser à lui toute la journée !

    Du coup, je leur dis pour mon petit-déj avec lui demain matin, et comme je m’y attendais un peu, leurs réactions ne se font pas attendre :

    — Non mais sérieux, Jeanne, comment veux-tu t’en sortir si tu n’arrêtes pas d’être à ses pieds ? balance Soizic.

    — Attends, t’es sûre qu’il s’est aperçu de rien ? questionne Laurel.

    — Heu, non, je crois pas…

    — Moi, je ne comprends pas pourquoi tu ne lui as toujours pas dit tes sentiments.

    — J’y arrive pas, je suis pétrifiée, je crains trop que ce ne soit pas réciproque. Au moins, là, on est amis, c’est déjà bien !

    Non mais quelle pitouze !

    — Et pourquoi il t’a demandé s’il y avait du monde chez toi ? Il voulait venir maintenant ? questionne Laurel.

    — Et c’est quoi ce truc qu’il veut te dire ?

    — Heu… Je ne sais pas… (impression d’être un lapin pris dans les phares d’une voiture). Peut-être me parler de Roméo & Juliette ?

    — Comment çà Roméo et Juliette ? Tu veux te suicider par amour ?

    — Non, pas du tout ! Notre prof nous a choisis pour interpréter Roméo et Juliette dans les rôles-titres.

    — Ah ben, ça va pas t’aider à te changer les idées ! balance Soizic.

    — Bon, admettons, et qu’est-ce que tu vas mettre ? dit Laurel plus pragmatique.

    — J’sais pas, un truc qui soit compatible avec mon boulot, parce que j’y vais juste après.

    — Oui, normal, Christophe est sur ta route.

    — Une robe, oui, ta robe bleue ?

    — Oui, je vais voir si je peux la mettre.

    Je me lève, les laissant à leur épisode qu’elles avaient mis en pause.

    Dans ma chambre, je me dis que non, je ne devrais pas me mettre en quatre. De toute façon, s’il avait eu le moindre penchant pour moi, je l’aurais vu ou il me l’aurait dit, je ne sais pas, ça me semble trop beau qu’il puisse me trouver à son goût.

    Comment ? Moi, manquer de confiance en moi ?

    Voyons donc ! Point du tout… À peine… Si peu…

    Eh oui, à vous, vous qui venez d’entrer dans ma vie, je vous invite au spectacle, installé/installée dans votre fauteuil ou sur votre lit, dans un bus ou sous la couette, sur votre transat de jardin ou sur votre serviette de plage. Venez assister à mes turpitudes intellectuelles. Bienvenue dans ma vie, moi, Jeanne Baland, 22 ans tout rond, hôtesse d’accueil qui rêve de vivre de l’art de la scène, auburn rousse claire (surtout l’été) et bouclée sur la longueur, yeux bleu-gris, 1 m 68, ni grosse ni mince, un peu sportive quand ça me prend (pas souvent), et toujours partante pour faire la fête, danser, rire, et boire un (petit) verre (même si, finalement, je n’en ai pas vraiment besoin).

    Mon visage n’est pas celui d’une beauté fatale, mais on peut dire que j’ai du charme, voire que je suis jolie, mais j’ai beaucoup de mal à le dire. Je préfère que ce soit les autres qui le disent, non pas par vantardise ou orgueil, mais juste que le fait que je le dise et j’ai l’impression d’être justement arrogante – orgueilleuse – vantarde…

    Mais quand je calme mes démons de sous-estime (pas souvent non plus), je reconnais que je me plais, que je m’aime bien, même si, des fois, j’ai juste envie de me mettre des claques !

    Comme en ce moment précis où je tergiverse, je me prends la tête, au lieu de retrouver Shakespeare…

    Bon, allez, la méthode est que je renverse tout pour trouver. De toute façon, c’est rangé de manière très aléatoire. Enfin, sous une pile de bouquins, je retrouve mon précieux ouvrage.

    Et sans perdre un instant, malgré l’heure tardive et le bordel environnant, je me plonge avec délectation dans cette tragédie.

    Chapitre II

    Jeudi 5 mai

    Ouh la… J’ouvre un œil… Mon réveil sonne, me hurle de me lever… Dur… Ouh là là…

    Je découvre que je me suis endormie, toute habillée au milieu d’un océan de boxon dans mon lit, Shakespeare imprimé sur ma joue gauche.

    Impression d’avoir livré un combat contre les Capulet et Montague réunis.

    Oh là là, il faut que je me lève, je vais être en retard !

    Ok, bon, allez, une douche, un coup de brosse, un léger coup de maquillage, parce que quand même tu vas bosser après, et voili voilou, me voilà devant mon armoire.

    Bon, allez, zappe Christophe, même si les papillons dans le bidon me prouvent le contraire, et habille-toi, fonction hôtesse d’accueil.

    Haut classique, pantalon bien coupé, une paire de ballerines, et hop, je cours à la boulangerie.

    Ben oui, quand même, je vais pas y aller les mains vides, et puis c’est normal, on fait comme ça, les autres fois. Et là, là, précisément, si j’étais détachée et cool, je ne saurais exactement le nombre de fois où je suis venue, ou il est venu, pour qu’on partage le petit-déj, mais là, je suis tellement « papillonnée » quand je pense à lui, ou que je le vois, que je sais exactement : il est venu deux fois et moi une fois, deux avec celle d’aujourd’hui.

    Oui, bon, on peut pas dire qu’on soit de gros habitués. Mais c’est la première fois qu’un… copain ? ami ? mec ? bref, un bipède mâle avec qui je m’entends bien me propose des petits-déj.

    Il fait super beau dehors, un beau ciel bleu avec un vrai soleil. Différent du soleil d’hiver qui ne fait qu’acte de présence, d’un jaune… jaunâtre et surtout sans aucune chaleur.

    Lui, celui de ce matin, ah, ça fait du bien !

    Un vrai soleil de mai, plein de douceur et de promesses !

    Je regrette presque de n’avoir pas enfilé une robe ! (bleue)

    J’interphone.

    — Oui ?

    — C’est moi, c’est Jeanne.

    Au cas où il attendrait d’autres filles.

    — Ok monte !

    Oui ben, c’est sûr, je vais pas bouffer mon croissant sur le trottoir.

    Bon, ça fait partie des phrases qu’on dit de façon très mécanique, presque automatique, sans vraiment penser au vrai sens ou…

    Ok, son ascenseur est très rapide. Je suis devant chez lui. Et voilà, les papillons raboulent. Merde. Bon, allez, c’est un pote, c’est un pote, c’est un pote, c’est un…

    La porte s’ouvre sur Éric, le coloc de Christophe, sur le point de partir rejoindre son travail à la Bourse.

    — Salut Jeanne, entre. Il finit de se préparer. Moi, j’y vais. Bonne journée, salut !

    — Heu, salut, bonne journée ! (on va éviter de lui souhaiter « bonne Bourse », ça pourrait être mal interprété.)

    Je vais à la cuisine ouverte, séparée du vaste salon par un bar assez large pour servir de table.

    Je pose le sac de viennoiseries et me hisse sur un tabouret.

    — Salut, Jeanne, ça va ?

    Christophe entre, en enfilant un t-shirt (oh là là… cache-moi ces abdos que je ne saurais voir…) et se met à préparer les cafés.

    — Tu prends du sucre ou pas déjà ? Je ne m’en souviens plus.

    — Heu, non, ça ira, merci.

    — Merci pour les viennoiseries, c’est gentil.

    — C’est normal.

    Je bois en silence. Nous croquons dans nos croissants.

    Allez Jeanne, détends-toi, c’est ton ami après tout.

    — T’as bien dormi ? lui demandé-je.

    — Oui, ça va, et toi ?

    — Moi, ouh là, je me suis embrouillé la tête avec les Montague et Capulet, mais je suis contente, j’ai retrouvé mon livre de Roméo & Juliette !

    — Sérieux, tu t’y es déjà mise ? Regarde…

    Et là, il sort de la poche arrière de son jean son exemplaire à lui, tout tordu, genre j’ai dormi avec.

    — Je vois qu’on a eu les mêmes copains cette nuit, dis-je.

    — Effectivement, je vois qu’on est sur la même longueur d’onde, on va s’y mettre à fond !

    —Yes !

    Je ne sais pas s’il fait ou non référence à la scène 5 de l’acte I, aux baisers que nos personnages échangent suite à leur coup de foudre. C’est vrai que ça me chamboule, le fait de savoir que je vais, pardon, que Juliette va embrasser Christophe, je veux dire Roméo.

    Mais je ne dois pas fantasmer là-dessus. Après tout, c’est du théâtre.

    Oh là là, je vais l’embrasser… !

    Respire Jeanne, n’oublie pas que c’est ton ami, qu’il te voit comme telle, donc, respire. Même si tu n’y arrives pas, fais semblant.

    On se regarde, complices, et on sourit.

    Parler avec lui redevient simple, fluide. Je mange avec délice ce croissant de bonheur, j’ai deux ailes que j’essaie en vain de ne pas déployer.

    — Ok, se lance-t-il, il fallait que je te parle de quelque chose…

    — C’est pour ça que tu m’as demandé s’il y avait du monde hier soir chez moi ?

    — Oui. Bon, alors, je ne sais pas comment je peux te dire ça…

    — Oui ?

    Mes oreilles s’ouvrent, mes ailes se figent, mon cœur s’enflamme, s’emballe, se met à danser la gigue irlandaise ; bon sang, Jeanne, calme-toi !

    — Peu de personnes sont au courant, car c’est une décision que j’ai prise récemment…

    Mon cœur s’arrête. Quelle décision ?

    — … Je vais partir pour les États-Unis. Je vais tenter ma chance à Hollywood.

    Le croissant ne passe plus, le sol s’écroule, s’ouvre en deux, juste en dessous de mon tabouret de bar et je tombe dans les méandres de la Terre, engloutie par les profondeurs du désespoir…

    J’ai la gorge étranglée.

    Ok Jeanne, ressaisis-toi, il est devant toi et il attend ta réaction.

    — Quoi ? Euh… wouah, c’est heu… génial !

    — Merci, je savais que je pouvais compter sur toi, me dit-il avec un grand sourire dévastateur.

    Bon, ok, mon ami, mon cœur se casse et toi, tu souris comme un abruti qui n’a toujours rien vu et rien compris.

    Pas grave. Je suis démolie.

    — Et du coup, tu pars quand exactement ? T’as un plan là-bas ? demandé-je, l’air totalement détaché. (Un vrai travail de comédie !)

    — Un copain d’Éric peut m’héberger, la cousine de son meilleur ami (rien que ça ?) travaille à la MGM et aussi, j’ai été contacté par une agence de pub franco-américaine, ici, à Paris, pour faire des shootings et castings à Hollywood pour leur boîte. Ils recherchent un profil français, parlant couramment l’anglais, mais avec l’accent français. Rien n’est encore signé, enfin, sauf ici en France, j’ai un contrat avec cette agence mais là-bas, c’est pas encore sûr que ça marche.

    — T’as un contrat depuis quand ?

    — La semaine dernière.

    Et tu ne m’as rien dit, lâche ?

    Inspiration, expiration.

    — Je croise les doigts pour toi.

    Non, c’est vrai, je lui souhaite de réussir et d’être heureux.

    Non mais regardez-moi, quelle poire !

    — Et tu pars quand alors ?

    — Dès que j’aurai de leurs nouvelles, dès que j’ai le feu vert, dès que j’ai mon passeport et autre document nécessaire pour aller aux États-Unis.

    — Ça peut prendre combien de temps ?

    — Entre un mois ou deux.

    — Et juste, comme ça, mais tu comptes être là pour le spectacle ? Parce que si Roméo se barre aux States, Juliette va se sentir un peu ballotte, toute seule sur scène…

    J’ai peut-être été un tantinet agressive sur ce coup.

    Là, il me regarde bien fixement et me dit :

    — J’aimerais partir juste après, c’est pour ça que je fais comme si, j’apprends déjà mon texte. J’ai pas l’intention de laisser tomber le spectacle, ni toi…

    (Mon cœur, je défaille…)

    — … Après tout, t’es une fille formidable, ma partenaire de scène, la meilleure pote que j’ai eue !

    Et vlan, remise à sa place de bonne vieille copine bien proprement. Adieu romance.

    — C’est gentil, merci, pour moi aussi, tu comptes beaucoup et je suis vraiment contente pour toi (si je fais abstraction de mon cœur).

    Et là, je regarde l’heure qui, pour une fois, me sauve la mise, car j’ai le cœur dans les chaussettes, pardon j’en ai pas, dans les ballerines et encore je suis gentille, il doit être à peu près au centre de la Terre, tellement il a chuté.

    Il n’est pas remonté depuis tout à l’heure.

    Je suis une morte vivante.

    — Bon, il faut que j’y aille, je te laisse.

    — Ok, bon on se voit quand pour commencer à répéter ?

    — Heu, chais pas, tu me dis tes dispos par sms ? (Juste incapable de réfléchir là, maintenant, tout de suite.)

    — Ok, à plus, et bonne journée, Jeanne, dit-il en me raccompagnant à la porte.

    — Merci, toi aussi.

    Je sors. Je suis sonnée. Non, je ne l’ai pas vu venir celle-là.

    Merci la vie. Sympa.

    Bon, allez, courage, ma Jeanne, positive.

    Même si là, présentement, c’est juste pas possible, car la tête trop dans le guidon, mais allez, hop, un éléphant se mange petit bout par petit bout. Pauvre bête.

    Et regarde, toute la journée, tu vas pouvoir t’entraîner dans un rôle de composition de : « nous-sommes-heureux-de-vous-accueillir-dans-notre-établissement » avec un grand smile collé sur ta figure !

    Oh, mon Dieu, il va partir… et je vais pleurer… et j’ai pas fini mon croissant.

    Chapitre III

    Jeudi 5 mai

    J’ai mal aux zygomatiques, tellement je me force de sourire à mon poste.

    Bon, pour l’instant, ça n’a pas l’air de choquer les gens ni ma collègue Monique ni les kinés – ostéopathes – nutritionnistes – coachs sportifs – et prof de yoga qui passent me voir régulièrement au sujet de rendez-vous et divers détails.

    Je ne sais pas comment j’ai fait pour venir jusqu’ici, ni comment, quoi, qui, ou que. Je suis complètement à côté de mes pompes.

    Je réponds aux questions de façon mécanique, limite robotique.

    On vient de m’arracher le cœur, de le donner en pâture à un troupeau de bisons des plaines américaines.

    Arrrgh. Non. Sont herbivores ces bêtes-là. Pas possible.

    — Centre de santé Saint Honoré, bonjour, que puis-faire pour vous ?

    Et voilà, je suis en mode mécanique, je souris, je renseigne. Quelle heure est-il, Madame Persil ? L’heure de me foutre en l’air, Monsieur Tortionnaire.

    Je ne vois pas comment je vais tenir toute la journée ainsi.

    Bon, allez, respire et relativise.

    Ok, il s’en va. Sans même savoir ce que je peux ressentir pour lui.

    Alors quoi ? Tu vas lui dire ou non ? Bien sûr, je n’ose pas !

    Ce serait tellement simple si j’avais ne serait-ce qu’un minimum de confiance en moi !

    Et puis quoi, serait-il judicieux de lui dire ?

    Après tout, que ce soit réciproque ou non, il se casse ! C’est son rêve, sa destinée.

    Et toi, quelle est la tienne ? Rester à ton poste bien sagement en continuant tes cours ?

    Ah ben non, bien sûr, il y a le concours du Conservatoire !

    Mais est-ce là toute ta vie ? N’y a-t-il pas d’autres options au cas où tu te plantes ?

    J’ai réellement mal. Bon, je fais quoi maintenant ? Deux options : la première, je m’effondre comme une masse molle, je m’anesthésie le cœur à grands coups de saucisson, baguette, chips et crème glacée, je squatte le canapé et me repasse l’intégrale de Grey’s Anatomy ou Jane The Virgin. Et après je pleure sur les kilos que j’aurais à perdre et le temps perdu.

    Deuxième solution : tu te prends par la main, et tu te relèves, tu te bouges le popotin, tu invoques ce Dieu dont tu as vaguement entendu parlé, parce qu’après tout, il a l’air de s’occuper de cas désespérés, et tu vois ce qui se passe…

    Cécile, une fille de mon BTS, m’avait parlé de Dieu, de sa façon d’intervenir dans notre vie, de son existence, de son « action toute puissante ». Je ne disais rien à l’époque, parce que je ne me sentais pas vraiment concernée, je l’écoutais juste, un peu par politesse, beaucoup par respect de sa foi, puisqu’elle respectait mon athéisme, et aussi parce qu’elle était bien sympa, et que je m’entendais bien avec elle. Mais j’avoue que je n’étais pas du tout intéressée.

    Et aujourd’hui, je repense à ses paroles, à ce Dieu vers lequel on peut se tourner quand on a besoin de lui, qui nous écoute.

    Alors oui, je suis intriguée par cette deuxième option, il y a comme quelque chose de nouveau, de mystérieux, comme une nouvelle aventure, car malgré tout ce que Cécile m’a dit sur ce Dieu, c’est son expérience à elle, pas la mienne, et du coup, tout est à découvrir, c’est un nouveau voyage, et va savoir s’il peut faire quelque chose pour moi…

    Tiens, c’est curieux quand j’y pense, je n’ai même pas pensé à l’option « je me mets dans le théâtre et j’oublie tout, je ne pense plus qu’à ça ».

    Oui, c’est bizarre quand on sait à quel point je suis passionnée par le théâtre !

    Mais bon, le fait d’invoquer ce Dieu-dont-Cécile-m’a-parlé ne va pas m’empêcher de continuer à persévérer dans ma conquête des planches ! Et je ne parle pas de menuiserie (ouh, elle est costaud celle-là, Jeanne, franchement t’as pas honte ?) (Oui bon, je sais, je peux faire mieux, mais voyez-vous, je suis à bout !)

    « Heure » de ma pause. Envie de me retrouver seule, à ne parler à personne.

    Je ne vais certes pas invoquer Dieu maintenant, d’ailleurs, je ne sais vraiment pas comment faire. Ni s’il existe vraiment. Ni de perdre mon libre arbitre. Pas envie de perdre ma liberté.

    Mais suis-je libre ? (Ouh là, ça devient un peu trop philosophique pour une pause déjeuner.)

    Donc, pour l’instant, on met cette option de côté.

    Ok, bon, j’ai ramené mon Roméo & Juju, dans l’espoir d’apprendre, et c’est vrai que je n’ai pas franchement la tête à ça, ni le cœur, mais quoi, c’est pas cet abruti qui va me détourner de mon but, et ça passe par ce spectacle, par cette représentation du cours de Jacques, dans un petit théâtre du Xe arrondissement, pas très loin de son cours.

    Finalement, penser à cette pièce me fait du bien, me sort de mes idées noires.

    Et après tout, si je lui disais ? Oui ? Non ?

    Eh ben, j’en sais rien.

    Bon, on verra bien comment ça se présente.

    Alors, me voilà en train d’apprendre mon texte, de me répéter le rôle de cette jeune, plus jeune que moi, qui aime et est aimée en retour… elle.

    Téléphone. Joëlle. Ah oui, je ne dois rien dire, c’est encore un secret.

    Christophe m’a dit de ne rien dire. Donc, à mon amie Joëlle, je ne dois rien dire.

    Je décroche, juste pour voir ce qu’elle veut me dire, pas pour me confier.

    — Salut Joëlle.

    — Salut, ça va ? Je te dérange pas ?

    — Non, je suis en pause.

    — T’es en train de manger ? Je peux te rappeler plus tard si tu veux.

    — Non, non, t’inquiète pas (je me rends compte que je n’ai pas pris mon repas).

    — J’ai un truc à te dire, mais je ne sais pas comment…

    Décidément, ils se sont donné le mot.

    Quoique son ton à elle est bien plus léger, voire

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