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Sortie de scène à Charleroi
Sortie de scène à Charleroi
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Livre électronique206 pages2 heures

Sortie de scène à Charleroi

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À propos de ce livre électronique

Charleroi, fin 2023. Après de longs travaux, la ville renaît enfin. Au Palais des Beaux-Arts, la première d’un spectacle « engagé » tourne au drame. La victime est un comédien amateur à la personnalité double et méconnue. Chercheur au Biopark, il vouait une rare passion d’anthropologue aux chanteurs de rue d’antan. Et sa collection de « feuilles de chansons » a vite fait d’intriguer Stanislas Barberian. Des « vraies » reliques de l’authentique saint Valentin, le lumineux patron des amoureux, aux ombres mensongères des jalousies humaines, le cœur et la raison de Stanislas balanceront pas mal au Pays Noir…   

À PROPOS DE L'AUTEUR

Journaliste en presse écrite, radio et télévision, réalisateur de documentaires pour la télévision et scénariste, Francis Groff a écrit une douzaine de livres à caractère journalistique avant de se lancer dans l’écriture de fictions, en créant le personnage de Stanislas Barberian, un bibliophile distingué qui a l’art de fourrer son nez là où les flics ne l’attendent pas. Dans "Vade retro Félicien!", le bouquiniste belgo-français va vivre une enquête haletante dans les coulisses d’une ville que peu de Namurois eux-mêmes connaissent. "Morts sur la Sambre" est son deuxième roman et y étrenne une série d’enquêtes menées au hasard de ses rencontres dans diverses régions de Belgique, suivi d'"Orange sanguine" et de "Waterloo, Mortelle plainte".
LangueFrançais
ÉditeurWeyrich
Date de sortie3 oct. 2024
ISBN9782874899669
Sortie de scène à Charleroi

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    Aperçu du livre

    Sortie de scène à Charleroi - Francis Groff

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    Descriptif

    La collection de romans policiers Noir Corbeau bénéficie du regard averti de François Périlleux, Commissaire Divisionnaire (e. r.), ancien chef de la Crime à la Police Judiciaire Fédérale de  Liège.

    Prologue

    Venant du boulevard Jacques Bertrand, de l’avenue de l’ Europe, du nouveau parking souterrain et de la place du Manège new-look inaugurée à la mi-septembre, des grappes humaines se dirigeaient vers les portes vitrées du Palais des Beaux-Arts de Charleroi qui brillait comme un phare culturel. Les uns marchaient vite en raison de la petite pluie fine mais froide qui mouillait des vestes parfois trop légères ; les autres n’en avaient cure et s’embrassaient sur l’esplanade, dans une joyeuse ambiance de retrouvailles amicales.

    Réfugié sous l’auvent qui protégeait les sept grandes portes, Franco, le directeur technique du PBA – comme l’appellent familièrement les Carolos –, observait avec amusement cette foule qui grossissait à vue d’œil. En dégustant lentement le premier carré d’un chocolat qu’il venait de sortir de sa poche, il tentait de définir l’atmosphère particulière de ce soir. Certes, la fin des interminables travaux qui avaient étranglé le quartier pouvait expliquer cet engouement, mais il y avait autre chose. Une sorte de nervosité presque palpable qui faisait briller les yeux du public. Ou plutôt une excitation inhabituelle due aux nombreuses inconnues qui entouraient le spectacle dont c’était la première ce soir-là. Dans le genre minimaliste, la campagne de com’ orchestrée par la production avait été un modèle : un titre énigmatique – Vital Chaos –, une photo de décor vide de tout personnage et quelques mots annonçant une « comédie musicale comme vous n’en verrez plus jamais ». Tels étaient les seuls éléments qui avaient filtré durant quelques semaines, limitant à douze pour cent à peine les réservations. Inquiète, la direction des Beaux-Arts avait averti la production qu’elle allait se prendre un bide monumental, prévoyant d’ores et déjà l’annulation de la plupart des dates annoncées.

    Mais ce n’était qu’un rideau de fumée : quinze jours avant la date critique, un grand journal de la capitale avait consacré une page entière à Vital Chaos, dont les représentations n’étaient pourtant prévues qu’à Charleroi. Selon un plan soigneusement préparé, l’article avait été résumé et diffusé sur tous les réseaux sociaux. Dans la métropole du Pays Noir, les chroniqueurs attitrés, les rédactions des quotidiens et la télévision régionale Télésambre avaient peu apprécié le procédé. Auprès de la production, toutes leurs demandes d’interview s’étaient heurtées à un refus poli mais définitif. Cette stratégie déclencha une vague de protestations dans les différents médias qui appelèrent au boycott de ce spectacle dont on ne savait rien ou presque, en soulignant au passage le mépris de la production pour « la province ». Il n’en fallait évidemment pas davantage pour faire monter la mayonnaise, d’autant que des complices spécialisés dans la « guerre de réputation » s’ingénièrent à relancer la balle sur le Net, déclenchant des échanges musclés. Faut-il le dire ? Le résultat de ce ramdam provoqua une vague d’intérêt qui se transforma en un petit tsunami au niveau des réservations. Tout le monde voulait en être…

    Concrètement, l’article incriminé en disait pourtant très peu sur le spectacle. Celui-ci était l’œuvre d’un collectif éphémère, créé pour l’occasion par des micro-associations inconnues et d’autres artistes parmi lesquels figuraient quelques circassiens. Selon l’organisateur-producteur, un certain Bogdan Bukowski, la création finale était le résultat de confrontations organisées depuis plus de deux ans, en présentiel ou par vidéo, par l’ensemble des protagonistes, dans la plus parfaite tradition des groupes d’autogestion. À la question du journaliste qui lui demandait si cette forme de création n’avait pas abouti à une sorte de… chaos (suggéré par le titre), l’interviewé avait fini par admettre que la version finale avait été « légèrement retouchée par un professionnel de la mise en scène ». Ce remaniement avait été accepté par la grande majorité des acteurs/comédiens et seule une poignée d’entre eux s’était éloignée, soit trois sur une trentaine. « Mais la raison a prévalu et des remplaçants ont été immédiatement engagés ». Que dire du spectacle lui-même ? À en croire son producteur, il s’agissait d’un croisement entre « une opérette postindustrielle et une comédie musicale rock comme la célébrissime Hair. » Alors que le journaliste lui faisait remarquer que la guerre du Vietnam, les mouvements pacifistes, la révolution sexuelle et les hippies étaient passés aux oubliettes depuis longtemps, son interlocuteur ne s’était pas démonté : « À l’époque, le New York Times avait écrit que Hair était la première comédie musicale qui parlait enfin du temps présent. C’est en cela qu’elle a marqué les esprits et c’est ce choc que nous voulons reproduire avec Vital chaos. Le Vietnam, les hippies et tout ça, c’est bien fini, vous avez raison. Mais les problèmes de notre société sont bien plus vastes aujourd’hui, avec la résurgence de nouvelles formes d’esclavage, la disparition des abeilles, la montée des océans, la recherche effrénée du profit, le martyre des espèces animales, la surconsommation de viande, la malbouffe, l’obésité des enfants, la surexploitation des ressources, la persécution de la communauté LGBTQI+, la subsistance d’un patriarcat mortifère pour les femmes et la consommation dirigée. Vous saisissez les grands traits ? »

    Devant une telle accumulation, l’intervieweur avait tenté d’en savoir davantage, mais Bukowski avait botté en touche. Il s’était néanmoins confié sur la personnalité de quelques artistes, de leurs performances vocales, mais aussi des « acrobaties » folles qui avaient nécessité des aménagements délicats de la scène. Comme unique illustration, en plus de son portrait travaillé en noir et blanc rehaussé de zones rouges, Bukowski avait remis au chroniqueur bruxellois une déclinaison de l’affiche de Vital Chaos. Dans un décor faiblement éclairé qui laissait deviner un chœur d’église dont l’autel à l’ancienne aurait été remplacé par un mur de photos, une statue de la Vierge façon drag-queen tenait dans la main une tirelire en forme de porcelet. À ses pieds, dans une cage en bois constituée de morceaux de palettes, on devinait une forme humaine nue, couchée en boule sur un lit de paille. Sur la gauche du décor, une télévision grand format montrant un ours blanc était plongée dans une bassine transparente remplie d’un liquide saumâtre. À l’avant-plan, une tête de mannequin féminin était posée sur le plancher, surmontée d’une perruque rousse décorée de préservatifs.

    La guéguerre soigneusement entretenue entre réseaux sociaux, organes de presse régionaux et autres associations culturelles – parmi lesquelles étaient représentés le véganisme, la défense de l’environnement et le féminisme le plus militant –, avait créé un tel buzz que le résultat recherché par les organisateurs était atteint. En quelques jours, les réservations avaient explosé et le spectacle était déjà presque sold out pour la plupart des dates. La salle serait bondée ce premier soir et il y avait gros à parier que le spectacle ferait date. Quoique…

    En mangeant le dernier morceau de son chocolat, Franco s’interrogeait sur la réaction du public qu’il voyait maintenant pénétrer dans la salle en rangs serrés. Celui-ci était constitué en majeure partie de couples âgés de quarante ans et plus, des spectateurs « sages » qui risquaient d’être sérieusement secoués par ce qu’ils allaient découvrir. Rentré la veille de Biarritz où il avait passé quelques jours en famille, le quinquagénaire avait été accueilli par une équipe survoltée, hilare, excitée à l’idée de lui décrire le spectacle. Comme il s’agissait d’une production indépendante du PBA, les équipes du Palais n’intervenaient pas, à l’exception de quelques régisseurs chargés d’aider le personnel engagé par le producteur. Ceux-ci n’étaient donc pas présents lors des répétitions, mais ils n’avaient pas pu résister à l’envie de jeter un œil discret depuis le premier balcon. Tandis que le directeur technique parcourait le plateau à la découverte des éléments de décor et d’une machinerie complexe, ses deux collègues lui expliquèrent quelques-uns des temps forts de la scénographie. Leur description ne laissait pas la place au doute : ou ça passait, ou ça cassait ! Pour l’un, il s’agissait d’une énorme farce qui allait faire un flop dès le premier soir. Le second, lui, ne contestait pas le caractère profondément dérangeant du spectacle, mais soulignait une prestation artistique particulièrement originale et surtout très exigeante sur le plan du jeu des comédiens et de la mise en scène. Pourtant blasés, les rares témoins avaient été bluffés par l’audace et l’inventivité des artistes venus d’horizons très différents. À l’exception des quelques circassiens et des artistes de rue, tous étaient débutants. Une vraie prouesse ! « Je n’ai plus jamais vu cela depuis Tintin, le temple du soleil », souffla un des hommes. Il faisait référence à une comédie musicale qui avait demandé cinq semaines de préparation en 2002. On y manipulait soixante-quatre décors et il avait fallu concevoir une véritable chute d’eau de plusieurs mètres de hauteur, celle dans laquelle le reporter à la houppe et son chien disparaissaient avant de retrouver le capitaine Haddock et Zorrino dans une caverne. À chaque représentation, des tonnes de liquide étaient déversées sur un côté de la scène et recueillies dans une cuve de six mètres cubes au sous-sol ! À l’époque, le spectacle avait drainé des milliers de personnes. Mais quel serait leur accueil ce soir ? Franco replia l’emballage de son chocolat et se hâta de regagner la salle. Dans quelques minutes, la sonnerie allait annoncer la fermeture des portes. Il alla s’installer à la régie centrale, placée au milieu de la corbeille.

    Les lumières étaient à peine éteintes qu’un cri strident retentit dans la salle, une sorte de vagissement mêlé à des grognements d’animal, probablement un porc. Le rideau à l’italienne s’ouvrit lentement et tandis que les pleurs s’estompaient légèrement, un immense écran descendit à hauteur d’homme, montrant une succession rapide de berceaux, de cages à porcs, de couveuses néonatales, de bébés au visage crispé, de groins de cochon fouillant des excréments à la recherche de nourriture, etc. Puis l’écran se transforma en une sorte de théâtre d’ombres chinoises où des hommes et des femmes levaient les bras au ciel sur fond de lamentations. Depuis la régie, grâce à cet arrière-fond laiteux, légèrement éclairé, le directeur technique se rendit compte que le public s’agitait sur les fauteuils. Deux personnes s’étaient levées et semblaient se chamailler sur l’attitude à adopter, une autre regagnait la travée centrale pour quitter la salle. « Pas bon, ça ! » se dit Franco.

    Sur la scène, le spectacle évoluait en puissance. Depuis quelques minutes, une trentaine de comédiens se croisaient en se déhanchant sur des danses tribales, vêtus pour la plupart de costumes improbables faits avec des tissus ou des objets de récupération. Seuls deux d’entre eux, plantés sur de courtes échasses, portaient un costume deux pièces-cravate impeccable et toisaient le peuple qui tentait vainement de les faire chuter. Sur divers écrans plus petits, dissimulés dans des éléments de décor inattendus, des vidéos se succédaient sur des thèmes parfois insoutenables comme l’abattage d’animaux d’élevage, la chasse aux baleines, le dépeçage d’ailerons de requins vivants, des forêts calcinées, des océans de plastique, des enfants fouillant des décharges à ciel ouvert. Entre ces tableaux horribles, des images superbes d’une nature en pleine vie marquaient des respirations au cours desquelles un homme et une femme à la voix sublime redonnaient un peu d’espoir dans ce monde apocalyptique. Soudain, les hommes en costume s’éloignèrent et les comédiens se couchèrent sur le sol en gémissant et en regardant le dessus de la scène. Tandis que les gémissements se transformaient en un chœur vocalisant subtilement sur Money des Pink Floyd, un personnage représentant Le grand Capital traversa la scène à plusieurs mètres de hauteur, glissant sur un câble invisible. Le bonhomme portait le chapeau claque des financiers d’autrefois, un costume à lignes et, tout en tirant de généreuses bouffées d’un énorme faux cigare, il jetait des dollars par poignées sur les humains étendus en dessous de lui. La performance était d’autant plus spectaculaire que, sans que l’on comprenne comment, il fit deux tours dans les airs, comme porté par l’obscurité soigneusement entretenue derrière lui. Puis la scène s’éteignit et le rideau se ferma. Le grand Capital réapparut au sol en écartant la lourde étoffe et s’installa à l’avant de la scène, se hissant sur un haut tabouret pour embrasser l’ensemble du plateau où d’étranges bruits témoignaient d’une activité fébrile.

    Lorsque le rideau s’écarta, le décor avait changé du tout au tout, au point que le directeur technique en fut soufflé : là où, quelques minutes plus tôt, trente comédiens évoluaient dans un décor chaotique mais sophistiqué, il n’y avait plus qu’un amas de terre ocre. En son centre, un trou laissait apparaître un bout d’échelle en bois bricolée avec des morceaux de planche. L’illusion était parfaite et lorsqu’un enfant africain sortit la tête d’entre les pierres, poussant devant lui un sac sans doute rempli de terre à minerai, un murmure d’admiration parcourut le public. Juché sur son tabouret, le Capital était légèrement penché et observait la scène avec délectation. Un projecteur éclaira son visage et lorsqu’il le tourna vers la salle, les spectateurs distinguèrent deux incisives de vampire colorées de sang. Tout en s’extrayant péniblement de son trou, le gamin ouvrit son sac et répandit sur le sol terreux un lot de téléphones portables. Le temps était comme suspendu et, dans son casque d’interphonie qui reliait tous les techniciens entre eux, Franco eut encore le temps d’entendre un ordre bref lancé par la régie de plateau située côté cour, à droite en regardant la scène. À ce moment, dans un bruit sourd, un immense rideau de fer s’abattit sur l’avant-scène, écrasant le personnage du Capital et son tabouret. Le comédien poussa un cri et l’on vit encore un de ses bras bouger tandis que sa tête disparaissait en partie sous le poids du volet métallique.

    Croyant à un effet supplémentaire, quelques spectateurs applaudirent, bientôt rejoints par d’autres, dont certains se mirent même debout. Cela ne dura que quelques secondes puis, après

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