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Mourir de froid, c'est beau, c'est long, c'est délicieux
Mourir de froid, c'est beau, c'est long, c'est délicieux
Mourir de froid, c'est beau, c'est long, c'est délicieux
Livre électronique171 pages2 heures

Mourir de froid, c'est beau, c'est long, c'est délicieux

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À propos de ce livre électronique

Au fil des récits croisés, des corps enlacés, une femme nous confie comment elle est née comme amoureuse – marquée à jamais par ce jeune homme si lumineux qui sombrera progressivement dans une psychose – et nous transporte dans les corridors de son coeur de psy, qui soigne les âmes dans une maison victorienne de Sherbrooke. S’y dessine un rapport avec la nuit, les boisés, les chiens, les enfants, la musique (Frédéric Chopin, Richard Desjardins), et plus radicalement le deuil et le désir, qui révèle un monde possible en marge des jours policés.
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université de Montréal
Date de sortie16 sept. 2024
ISBN9782760651029
Mourir de froid, c'est beau, c'est long, c'est délicieux
Auteur

Nathalie Plaat

Nathalie Plaat est psychologue clinicienne, autrice, chroniqueuse au journal Le Devoir, en plus d’enseigner à l’Université de Sherbrooke.

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    Mourir de froid, c'est beau, c'est long, c'est délicieux - Nathalie Plaat

    Nathalie Plaat

    Mourir de froid,

    c’est beau,

    c’est long,

    c’est délicieux

    Les Presses de l’Université de Montréal

    De la même autrice

    Chroniques d’une main tendue. Courtepointes et autres récits de soi, Montréal, Somme toute / Le Devoir, 2023.

    Dessin en couverture: Iris Lévesque

    Maquette et mise en pages: Chantal Poisson

    Révision: Julie Loncin

    Titre de l’ouvrage et titres de chapitres: extraits de paroles de chansons de Richard Desjardins

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Mourir de froid, c’est beau, c’est long, c’est délicieux / Nathalie Plaat.

    Nom: Plaat, Nathalie, 1980- auteur.

    Description: Mention de collection: Collection Salicaires

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20240008332 | Canadiana (livre numérique) 20240008340 | ISBN 9782760651005 | ISBN 9782760651012 (PDF) | ISBN 9782760651029 (EPUB)

    Classification: LCC PS8631.L22 M68 2024 | CDD C844./6—dc23

    Dépôt légal: 3e trimestre 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2024

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada, le Fonds du livre du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    L’amour rend fou, l’amour est un véritable suicide, l’amour est du côté de la pulsion de mort1.

    — Jean-­Paul Ricœur, «Lacan, l’amour».

    — Mais je ne veux pas aller parmi les fous, fit remarquer Alice.

    — Impossible de faire autrement, dit le Chat,

    nous sommes tous fous ici. Je suis fou. Tu es folle.

    — Comment savez-­vous que je suis folle? demanda Alice.

    — Tu dois l’être, répondit le Chat, autrement tu ne serais pas venue ici2.

    — Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles.


    1. Jean-Paul Ricœur, «Lacan, l’amour», Psychanalyse, vol. 3, no 10, 2007, p. 11.

    2. Lewis Carroll, Les aventures d’Alice au pays des merveilles, traduit de l’anglais par Henri Parisot, Paris, Aubier-Flammarion, coll. «Bilingue», [1865] 1971, p. 171.

    Comme une vague trop grosse

    Tandis que je marche vers ma pièce rouge, celle où je recevrai mes patients du jour, tu t’accroches à chacune de mes pensées. Je marche sur les trottoirs de novembre, ton fantôme en bandoulière, bien calé entre la mallette de dossiers et la courroie du sac à main, près du cœur.

    Tu me traverses de bord en bord, encore.

    Le chemin se déroule seul sous mes pas.

    Le chien gambade à mes côtés, se faisant mon chien-­guide tandis que je deviens aveugle au réel.

    Je sens ton souffle à nouveau; l’odeur de ton haleine du début de l’hiver, délicieusement chaude, que tu souffles sur mes mains pour les réchauffer. Illico, je redeviens ce petit koala accroché à tes flancs. Je t’aspire, t’inspire. Je me retrouve arquée au souvenir de ton corps, la trace encore vive de ton passage en moi, après toutes ces années, comme si tu venais à peine de me quitter.

    J’entends ta voix, ton rire qui me soulève, j’embrasse tes paupières en accéléré.

    En tournant le coin de la rue Belvédère, je ne crois plus à ta mort.

    Alors que ma vie de mère et de femme-­toujours-­un-­peu-­fatiguée me laisse oublier tant de choses, que des personnes adorées, des lieux et des circonstances bénies deviennent toujours plus enrobées d’un flou qui ne sait plus les honorer pleinement, toi, tu restes entier dans une pièce de mon musée imaginaire demeurée intacte, sons et textures en prime. Tu es mon installation permanente, mon festival charnel toujours à portée de pensée, pour peu que l’air de novembre me happe. Dès lors, tu surgis en moi comme un événement. Il me semble alors retrouver quelque chose comme mon plancher, ma structure de base, mon point de départ à toute élaboration du désir, ma névrose préférée, ma petite pliure originelle, le début, la fin et le milieu du mot «amour».

    Je te traîne comme un rappel de ma sensualité, tandis que je marche vers ce métier qui ne sait que faire du corps bien qu’il passe son temps à le penser.

    Marcher vers le bureau avec ta réminiscence en moi, c’est me souvenir que je suis aussi pulsations, cou qui s’offre, visage qui s’incline, sensations sans signifiant. Encore, tu déclenches en moi cette permission de ne plus prendre la vie par la tête, de ne plus réfléchir et de retrouver ce mouvement vital d’avant les grandes protections.

    Je passe tout droit devant le cabinet, faisant mine de ne plus appartenir à ce lieu étrange.

    J’y serai engouffrée toute la journée qui vient, au service d’un autre dont j’alphabétiserai les pertes, mais pour le moment, je décide plutôt de poursuivre la marche rue Belvédère. Comme Alice suivant le lapin blanc, j’emprunte l’immense brèche infligée au grillage, juste sous le pont. Je me retrouve sur le chemin qui longe la Magog, en dessous du monde qui s’active.

    Je ne sais plus très bien où je vais ce matin, qui je vois à 9 h, où sont mes enfants ni s’ils ont pris leur boîte à lunch.

    Je laisse le coup d’État se déployer. J’ai l’habitude de rendre les armes dès les premières secondes.

    Je retourne à ce jour-­là, celui où ta folie avait pris la tournure du sublime.

    Je ne réprime pas mon sourire, tandis que je me vois ouvrir la porte de ta chambre, comme si j’y étais.

    J’y suis.

    Devant moi se dresse un labyrinthe étrange. Tu as attrapé tous les draps des penderies de la maison et les as agrafés au plafond en une série de faux murs mouvants. Dans la remise de tes parents, tu as aussi déniché les lumières de Noël et les as accrochées par dizaines au plafond de la chambre. On croirait qu’il y en a mille, tant les lignes se croisent, s’entrecroisent, créant comme un vaste réseau chaotique et enchanteur à la fois.

    Les lumières et ton esprit parlent le même langage.

    Vous avez passé la journée à discuter, elles et toi.

    Moi, qui débarque ainsi dans l’après-­coup, je ne peux que deviner de quoi auront été composés tes gestes du jour, imaginer une frénésie, que tu auras su transmuter en orgie de luminosité.

    J’arrive dans ce camp de fortune, bancal, au-­dessus de ton néant.

    Je laisse courir mes yeux vers les motifs fleuris désuets, la pâleur des vieux draps, magnifiée soudain par ces douces lueurs jaunâtres, rougeâtres, verdâtres. En caressant l’étoffe, je ressens un peu de l’impulsion de tes doigts qui ont couru, dans une furie que tu ne cherchais plus à apaiser, depuis longtemps déjà.

    Et je sens mon cœur qui fonce vers toi, mon Minotaure adoré.

    Il semble encore que je sois arrivée à destination, dans ce monde où rien ne compte à part le petit langage de nos corps qui savent assouplir les masses, leur dénouer le dos et leur rendre les jambes molles. Il y a dans cette chambre la juste dose de souffrance, de liberté et de beauté pour que quelque chose en moi veuille s’y installer pour le reste de mes jours.

    Tu es au bout du labyrinthe. «Comme une vague trop grosse, je m’en viens me briser», chante celui qu’on écoute en boucle.

    Je m’avance vers ton visage qui porte la fatigue laissée par l’affrontement du jour.

    Déjà, je sais reconnaître cet affaissement des traits qui te rendent un peu effacé derrière ton regard. Je sais que je marche vers un champ de bataille encore fumant, où il y a eu, un peu plus tôt, une guerre contre des forces dont je ne saisis pas tout à fait l’ampleur.

    Ton labyrinthe se dresse en remparts contre ce qui te tire vers le bas.

    Tu me serres si fort que j’en reçois une petite décharge au corps. Tes lèvres goûtent un peu le désespoir, ce qui me ravit. J’y suis presque habituée, déjà, à ce mélange exquis fait d’angoisse et de désir.

    Ce goût, c’est celui de l’amour, voilà tout.

    Je te caresse les cheveux longuement, te chuchotant de tenir bon, alors que tu viens de traverser un jour de plus à devenir fou.

    Nous nous couchons tôt et les doigts deviennent nos seuls possibles. Nos langues se taisent. Elles ne claquent que sur nos peaux, rendues jaunes, bleues, rouges sous les réverbérations de ton théâtre.

    Je te cueille au bout de toi, comme une ultime victoire sur ce qui ne nous aura pas noyés, encore. Et il me semble alors que je viens de te sauver la vie, un peu.

    Brusquement, j’ouvre les yeux et reviens au novembre d’aujourd’hui, sous ce ciel qui se prépare à nous écraser pour les six prochaines lunes. Je le vois s’accrocher au bas des fils électriques, jetant des invitations à la pendaison à tous ceux qui n’attendaient que l’hiver pour en finir. Je sais bien que novembre remplira à nouveau ma boîte vocale.

    Novembre: mois international des idées suicidaires, des grandes rechutes, de l’effondrement des structures défensives mises en place pour la rentrée, des travaux lourds, des urgences psychiatriques débordantes.

    Je reprends le chemin vers le bureau, mais juste avant, je m’arrête longuement devant la chute, elle qui scinde ma ville en deux, elle qui cueillera peut-­être un suicidé ce mois-­ci, elle qui me rappelle que les torrents ne sont causés que par une seule force: la gravité.

    On a le droit de tout dire ici, même la vérité

    Comme tous les matins, je descends dans ma pièce rouge, mon espace aux allures presque utérines, ce lieu de lumière qui n’a pas peur du noir, mon temenos3, lieu sacré où, au fil des heures et des séances, je m’adonnerai à cet étrange métier qui est le mien. Toute la journée, dans cet entre-­deux-­mondes, à égale distance du réel et de l’imaginé, je tenterai d’écouter une autre personne, installée sur la chaise d’en face, en oubliant le dehors, ses ondes qui tonitruent, ses calculs et ses erreurs répétitives, pour m’immerger dans du sens, boire des images à grandes lampées, cueillir des fragments et essayer d’en faire de grandes banderoles racontant des histoires qui donnent espoir en la suite du monde. J’aurai à nouveau le sentiment d’être enfermée dans une zone qui échappe au reste, et quand je sortirai, à midi, pour marcher jusqu’au café de la rue Montréal, j’aurai cette impression d’un intermède entre deux rêves.

    Il y a tant de phénomènes

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