Une improbable parenthèse
Par Camille Coudrier
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À propos de ce livre électronique
Secrète, sans cœur, égoïste, menteuse… Telle est Sophie, selon l'avis de tous.
Lorsqu'elle rejoint sa sœur Clarisse à Clères, près de Rouen, pour une semaine de vacances, elle est bien déterminée à dévoiler sa vérité.
Dès le lendemain, victime d'un accident, elle sombre dans le coma. Sa vie bascule, une parenthèse s'ouvre…
« Je suis là, au plafond, j'observe tout ce qui se passe au niveau du plancher. Je considère le corps allongé sur le lit blanc, celui d'une femme qui me semble familière, intime même… Et enfin, l'évidence m'apparaît : mais c'est moi ! Cette femme-là, c'est moi ! »
Clarisse découvre quatre cahiers écrits par Sophie dix années plus tôt et se plonge dans leur déroutante lecture. Elle dévoile les secrets d'une sœur inconnue, au travers d'un témoignage poignant. « Il n'y a pas de hasard, juste des circonstances, de bons et de mauvais choix… »
Et si on s'était trompé sur Sophie ?
Camille Coudrier aborde le thème intemporel de la vie, avec ses rêves, ses désillusions, ses bonheurs et ses déchirures, au travers d'une famille en proie aux affres de la violence, de l'alcoolisme et portée par le courage d'une femme, Sophie, qui tente de se reconstruire.
Il y a toujours, même dans les pires souffrances, une porte qui s'entrouvre, une lueur, une embellie. Un « après ».
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Aperçu du livre
Une improbable parenthèse - Camille Coudrier
UNE IMPROBABLE PARENTHÈSE
Camille Coudrier
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Copyright 2024 Éditions Hélène Jacob
Smashwords Edition, License Notes
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© Éditions Hélène Jacob, 2024. Collection Littérature. Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-753-3
1 – Prologue
Je traverse une prairie verdoyante piquée de fleurs des champs. Simon marche près de moi. Nous discutons de l’avenir, des enfants que nous aurons. Je parle, intarissable. Soudain, je prends conscience qu’il ne répond plus. Je me retourne, l’appelle, il a disparu. Devant moi, une forêt dense, hostile. J’accélère le pas, je devine une lumière au loin, une trouée dans les futaies. Paul me suit. Nous avançons à présent sur un chemin parsemé de pierres précieuses, de pépites d’or. Il progresse, courbé, emplissant ses poches de gemmes étincelantes. Nous atteignons une clairière au sol recouvert d’un sable doré qui colle à nos pieds. Il ôte ses chaussures et entreprend de les remplir. Face à nous se dresse une montagne, il faut l’escalader. Le sentier est aride, rocailleux. Paul, alourdi, peine à suivre. Je lui dis :
— Vide tes poches, tout ce que tu prends n’est que poussière.
Mais il continue, fait une besace de sa chemise, il n’avance plus. Je le distance, je ne l’attends pas, j’entame l’ascension en m’agrippant à la moindre aspérité. Mes mains saignent, mais je progresse, seule. Au loin, j’aperçois un trône de pierre. Je réunis tout ce qui me reste de force pour y accéder, c’est là que je dois me rendre. Lorsque je l’atteins enfin, je constate qu’une personne occupe déjà une place du siège sculpté dans la roche, en surplomb d’une immense vallée. Une main se tend pour m’aider, je me hisse sur le banc. Griffures et souillures disparaissent de mes mains. Je m’assieds et souris à Simon, qui ne lâche pas son étreinte. Nos doigts s’entrelacent, nos yeux se perdent dans la contemplation du panorama.
***
Plus tard dans la nuit, un autre rêve.
Je veux rentrer chez moi. Ma maison est en face, je la vois, mais je ne peux y accéder sans m’aventurer sur un pont de bois flottant, tanguant au-dessus d’une rivière tumultueuse. Les planches usées, disjointes, cèdent sous mon poids. Je m’agrippe à de fragiles rampes de corde effilochée. Le pont balance dangereusement, j’ai le vertige. Je dois pourtant le traverser. Enfin, j’y suis. Je pénètre dans une sorte de cube, le rez-de-chaussée, une pièce vide. Un escalier permet l’accès au premier étage, une pièce carrée, identique, meublée d’une table et d’une chaise. Je monte jusqu’au deuxième niveau. Là, juste un lit dans une pièce, toujours la même. Ma maison est faite de cubes superposés. Curieusement, une porte de la chambre donne sur la mer. Quelle mer ? Je l’ignore. Je sors et je me promène sur la plage. La nuit tombe, je décide de rentrer. La plage a disparu. À la place, une espèce de parcours. Je traverse un tunnel terreux, ascendant, dans lequel je rampe, puis une trouée. Je saute de branche en branche. Encore un tunnel hostile. Enfin, je retrouve mon lit, je m’endors. Je rêve que je rêve.
Je suis une enfant de 6 ou 7 ans, je me promène dans la forêt de Puizac, vêtue d’un manteau rouge, chaussée de bottes rouges. Je cueille des fleurs forestières, de toutes petites violettes odorantes. Soudain, je sens un danger. Je me retourne, le loup fonce sur moi à longues foulées. Je jette mes violettes, et je cours, cours… je trébuche, je tombe. Je veux me relever, fuir, mais je ne le peux. Je reste au sol, comme paralysée. Le loup approche, je mobilise toute ma volonté pour bouger mes jambes, en vain… Je hurle…
***
— Sophie ! Réveille-toi. Sophie !
Sophie sursauta et se redressa. Draps et couvertures gisaient au sol, elle transpirait. Benoit la secouait :
— Sophie ?
— J’ai fait un cauchemar, toujours le même, tu sais… Le Petit Chaperon rouge qui ne peut plus courir.
— Et alors ?
— Tu m’as réveillée avant que le loup ne me dévore.
— Je t’ai encore sauvé la vie !
— Oui… Juste avant, j’ai aussi rêvé de la maison inaccessible, celle…
— Où tu dois ramper et traverser des ponts infranchissables…
— Oui… Ça me fatigue, ces cauchemars… Pourquoi ces horreurs ?
— Parce que… je me demande si c’est une bonne idée de partir seule en Normandie. Je vais t’accompagner. De cette façon, si le loup attaque encore, je serai là.
— Non, Benoit. Je dois passer huit jours avec ma sœur. Juste elle et moi. On a besoin de parler, je dois des comptes à la famille. Alors j’irai, et seule ! Tu ne peux pas comprendre. Tu n’as eu ni père ni mère… Quand Papa était malade… La dernière fois que je l’ai vu, vivant, Maman a été très dure avec moi. Après le décès de mon père, et deux ans durant, j’ai fait énormément d’efforts. Au début, je l’appelais tous les jeudis. Elle décrochait. Ensuite, elle ne l’a plus fait. Elle savait que c’était moi. Alors j’ai téléphoné plutôt le mercredi, ou le vendredi, puis, découragée, j’ai cessé d’appeler. Curieusement, elle s’en est inquiétée et c’est elle qui m’a contactée. Tu te rends compte ? J’ai dû apprivoiser ma mère ! Tu imagines ça ? Ma mère qui me repoussait des deux mains, lorsque je voulais l’embrasser ! Ça m’a fait tellement mal ! Et pourtant, c’était ma mère… Alors, maintenant, je ne veux plus me défiler. Ça me coûte d’aller en Normandie, mais j’irai, Clarisse m’attend. Quelle heure est-il ?
— 6 h 30.
— Je me lève…
— Quoi ?
— Je me lève, je prends une douche, et je pars !
— Sophie, ce n’est pas prudent, après une nuit si mouvementée !
— Ce ne sont que des rêves…
— Des délires…
— Pousse-toi, s’il te plaît, je suis parfaitement éveillée, je sors du lit… Tu vois, je tiens debout !
***
Une heure plus tard, Benoit faisait le point :
— Tu as pris des pulls ? Un parapluie ? Ta sœur dit qu’il pleut là-haut.
— Oui.
— Ton téléphone ? Ton ordinateur ? Ta brosse à dents ? Le GPS ?
— Oui, oui, oui… Tout est coché sur ta check-list.
— Tu es sûre ?
— Oui. Laisse-moi partir et prends soin de toi… Salut !
Sophie, excédée, démarra en trombe, s’engagea sur la chaussée sans regarder à droite, ni à gauche, du reste… Un signal furieux déchira le silence matinal… Elle écrasa la pédale de frein, la voiture cala et glissa jusqu’au milieu de la route. Fort heureusement, l’autre conducteur roulait à vitesse modérée. Il évita adroitement le véhicule de Sophie en klaxonnant une nouvelle fois.
Sophie expira. Ouf ! Pas de mal. Elle recula pour regagner l’allée. Benoit se jeta sur elle, essoufflé.
— Tu es complètement inconsciente ! Complètement folle ! Tu aurais pu…
— Oui, c’est ça… Mais tu vois, tout va bien !
— Tu me fais peur.
— Bon, je le promets, je serai extrêmement prudente. Je t’appelle dès mon arrivée. D’accord ?
Sophie démarra, scruta à droite, à gauche, à droite encore, sourit à Benoit et s’engagea avec souplesse sur la route départementale. Dès qu’elle fut suffisamment éloignée, elle se gara sur le premier terre-plein, le temps de pacifier son cœur fou et de maîtriser les tremblements de son corps. J’ai eu sacrément peur !
Son portable sonna… Benoit… Elle le coupa et le jeta à l’arrière.
2 – Lundi
La capuche de son imperméable bien serrée autour du visage, Sophie courut vers le hall du CHU en coupant par la pelouse spongieuse, éclaboussant de boue jean et chaussures, passa les portes vitrées sans prendre le temps d’essuyer ses semelles détrempées. Entraînée par l’élan de sa course, elle sentit son talon droit glisser sur le carrelage, tenta de rééquilibrer son corps d’un coup de reins. Ce fut un coup de rien qui dévia la trajectoire d’une chute inéluctable. Elle bascula en arrière, vit le plafond tournoyer, une branche de palmier…
***
Dix minutes plus tard, après avoir garé sa voiture, Clarisse pénétra dans ce même hall et s’immobilisa, hébétée : on amenait Sophie sur un brancard, une flaque de sang s’étalait au pied de la jardinière de pierres ornant le lieu d’un somptueux palmier Areca, originellement bienvenu en ce lieu.
Refoulée par l’équipe urgentiste, Clarisse se retourna vers l’arc de cercle des témoins :
— Mais que s’est-il passé ? C’est ma sœur qu’on emmène, là !
Une femme s’approcha :
— J’étais juste derrière elle quand elle est entrée. Comment vous dire… On peut être pressé, mais elle… J’avais l’impression qu’elle voulait passer au travers de tout, comme… Speedy Gonzales… ou Vil Coyote, vous voyez ?
Oui, Clarisse voyait bien. Sophie était comme ça depuis toujours. Sous une apparence de tranquille douceur, elle jugulait une énergie, une violence sous-jacente qui altérait son comportement. Elle s’en libérait à la façon d’un orage soudain, par un déchaînement de gestes aussi saccadés qu’une suite d’éclairs, un torrent de mots qui s’épuisaient subitement telle une averse drue. Puis, toute tension tombée, le corps et l’esprit apaisés, elle reprenait le cours de sa journée.
Le sac de Sophie gisait au sol, son contenu éparpillé. Clarisse récupéra le tout et se dirigea vers le bureau des admissions, où elle remplit les formulaires indispensables.
Elle ne pouvait rien faire de mieux pour le moment que de suivre les instructions de la secrétaire : monter en chirurgie où on l’attendait pour sa coloscopie. On se chargeait d’annuler le rendez-vous de sa sœur. Elle en aurait des nouvelles en fin de matinée au plus tard.
Dès son arrivée dans le service, Clarisse se prépara, selon les consignes qu’on lui donna.
On l’emmena au bloc. L’anesthésiste lui sourit :
— Bien que l’examen soit parfaitement supportable, on vous endort pour protéger votre mémoire… Comptez jusqu’à dix… Un, deux, trois…
À son réveil, ces mots lui revinrent : « On vous endort pour protéger votre mémoire. » Et elle se souvint de Sophie, de l’accident dont elle s’enquit auprès de l’infirmière, qui la rassura. Elle devait encore rester deux heures en observation, prendre une collation, ensuite, elle pourrait voir sa sœur.
***
Médecins et infirmières s’agitaient, discouraient autour du lit. Sophie entendait des bribes de mots confus, cela semblait venir de si loin. Elle luttait désespérément pour émettre un son, ouvrir un œil, lever un doigt comme une écolière. Mais rien ne fonctionnait, son cerveau envoyait à ses muscles des ordres qui se perdaient en route et ne les atteignaient pas. Tout un processus à mettre en marche et qu’elle ne parvenait pas à enclencher, malgré toute sa volonté.
Elle paniqua et l’un des moniteurs bipa plus rapidement.
— Elle revient peut-être, espéra le médecin en lui frottant doucement le visage.
— Madame Vallée, m’entendez-vous ? Sophie ?
Je m’appelle Sophie. Ce fut sa dernière pensée avant de sombrer plus profondément dans son coma.
— Elle se bat, en tout cas, voyez le tracé, il se passe quelque chose dans ce cerveau.
— Le rythme cardiaque revient à la normale, constata l’une des infirmières.
— Je veux une visite toutes les heures et consignez tous les détails de l’évolution de son état.
***
Je suis là, au plafond, j’observe tout ce qui se passe au niveau du plancher. Je ne me pose pas de questions, je ne m’inquiète pas. Je considère le corps allongé sur le lit blanc, celui d’une femme qui me semble familière, intime même. Oui, je la connais. Je me déplace légèrement pour me retrouver juste au-dessus d’elle. La dame doit avoir entre 50 et 60 ans. Elle paraît endormie. Des électrodes sont posées sur son thorax, sur son crâne en partie rasé et bandé ; ses bras, étalés sur les draps, la relient par tout un circuit filaire aux moniteurs qui mesurent moult paramètres : tension, pulsations cardiaques, taux d’oxygène au bout des doigts, activité cérébrale et que sais-je encore. Si, elle est aussi raccordée à trois goutte-à-goutte, sans doute pour l’hydrater, la nourrir, prévenir une possible souffrance, et une sonde recueille ses urines.
Et enfin, l’évidence m’apparaît : mais c’est moi ! Cette femme-là, c’est moi !
Lorsque le personnel s’éloigne, je reste un moment à contempler l’accidentée. C’est moi que je vois du plafond ! Moi, Sophie Vallée. Je suis sortie de mon corps. Et si je mourais ? Inquiète, je m’approche de l’endormie. Tout semble normal, elle respire régulièrement. Je tente d’entendre les battements de son cœur. La main que je pose sur la tête de lit traverse la matière. Surprise, je renouvelle l’expérience, puis je touche la table de chevet. Ma main s’enfonce dans le meuble sans laisser une trace, sans même déloger un atome de poussière. M’enhardissant encore, je défie le mur qui happe mon bras. Je me dégage vivement et reviens tout près de moi. Comment faire pour réintégrer mon corps ? Cette question à peine formulée, je me retrouve allongée juste au-dessus du lit, exactement dans la même position. Je descends délicatement en moi. Il me semble avoir un peu froid, mais je reprends ma place. Ouf !
***
La porte de la chambre s’ouvrit, un médecin entra, suivi de Clarisse :
— Votre sœur a eu l’excellente idée de s’accidenter dans le hall de l’hôpital. Nous avons pu intervenir immédiatement. Elle souffre d’un traumatisme crânien avec perte de connaissance, d’une fracture au niveau du cortex. Nous avons dû faire quelques points de suture. Il est probable qu’elle reste quelque temps dans le coma.
— Combien de temps ?
— Ça, c’est l’inconnu. Je n’ai pas de réponse. Peut-être quelques heures, quelques jours, plusieurs semaines.
— Elle souffre ?
— Je ne le pense pas, mais, dans le doute, nous lui administrons un antalgique léger par perfusion. Je ne peux non plus vous dire quel est son degré de conscience ni si elle nous entend. Vous pouvez toujours lui parler, mais ne restez pas trop longtemps.
— Merci, Docteur.
— Au fait, simple curiosité, que couriez-vous dans notre hôpital ? Les touristes visitent plus habituellement la cathédrale, les musées…
— Nous venions pour une coloscopie, préconisée par nos médecins respectifs après le décès de nos parents. Tous deux sont partis, à deux ans d’intervalle, emportés par un cancer du côlon. Je viens d’hériter d’une maison, à Clères. Nous avions convenu de passer cet examen ensemble avant de profiter d’une semaine de vacances, explorer la région, nous retrouver… et voilà.
— Excusez-moi.
— Je vous en prie, vous ne pouviez pas savoir. Vous croyez quand même qu’elle peut entendre ?
Oui, Sophie entendait. Elle voulait tendre la main, rassurer sa petite sœur. Mais elle restait toujours aussi incapable de mouvoir le moindre de ses muscles.
***
Je sors de mon corps sans même y penser. Clarisse se tient debout, à un mètre du lit. Elle me fixe tristement. Ses paupières lourdes de fatigue et de chagrin tombent sur ses yeux rougis. Je veux la réconforter, je caresse son épaule et ce geste a le curieux effet de la faire tressaillir. Je pousse jusqu’à tenter de la mener vers le siège des visiteurs. Elle hésite, puis se dirige vers la chaise qu’elle soulève et pose délicatement à mon chevet. Elle prend ma main.
***
— Tes mains sont fraîches, commença-t-elle. Le médecin dit que tu es dans le coma. Tu m’entends, Sophie ? J’espère que oui. Je ne sais pas trop quoi te dire. Il pleut encore. Mon examen s’est bien passé, j’ai déjà les résultats et tout va bien. Il en sera de même pour toi, sans doute. Mais tu devras répéter tout le protocole ! Je te plains. Huit jours de régime pour finir par avaler cette horrible préparation ! Nous nous encouragions, un verre pour toi, un verre pour moi, tchiiin ! Et quelle angoisse après ! La notice disait : si vous n’observez aucune réaction dans les trente minutes suivant l’absorption de la totalité de la première dose, contactez un service d’urgences. Suffisamment inquiétant pour que nous restions là, les yeux rivés à l’horloge. Dix minutes, quinze minutes, vingt-cinq minutes… et toujours rien. La frayeur nous gagnait et puis… tu sais ! Finalement, tout va bien pour moi. En conséquence, Jérôme renoncera au dépistage, tu peux en être certaine. Mais bon, il est plus jeune que nous, après tout… Enfin, tu as bousculé le programme, comme toujours ! Au fait, je dois annuler le restaurant. Tu te souviens que nous avons réservé pour demain ? Tu as beaucoup parlé hier, surtout de la période où rien n’allait pour toi. Si seulement tu t’étais confiée avant, si tu avais demandé de l’aide. Mais bon, tu ne l’as pas fait, et nous, toute la famille, on pensait que tu t’éloignais de nous, que tu nous méprisais. Comment aurait-on pu deviner ? Tu étais si hermétique, tu n’appelais jamais, tu ne venais jamais. Ne va pas croire que je te reproche quoi que ce soit, simplement, je regrette… Maman ne parlait plus de toi, Papa était trop malheureux. Il t’aimait tant, Papa, tu étais son trésor. Même quand tu as amené Simon à la maison. L’arabe comme il disait. Il a fini par l’accepter, il était si gentil, si amoureux de toi. Tu te souviens ? Bien sûr… Comment pourrais-tu oublier Simon ?
***
Clarisse ne me voit pas, ne m’entend pas, alors que je perçois tout, le son de ses mots, leur sincérité, l’amour qu’elle me porte, la beauté de son âme. Je suis bouleversée. Il me vient l’idée que je pourrais m’installer dans son corps pour qu’elle ressente ma présence. Non, impossible. Je peux traverser le mur, mais pas ma sœur. Je cherche un moyen de communiquer avec elle, quand elle reprend…
***
— Réveille-toi, Sophie, je t’en supplie, fais un effort, c’est trop dur de te voir comme ça. Tu as promis de tout me dire pour « qu’il ne subsiste plus de malentendus, que l’on puisse clore ce chapitre », ce sont tes propres mots… Alors je compte sur toi, il faut toujours tenir ses promesses… Jérôme est dans le train, tu as réussi à lui faire quitter Puizac. Bravo ! Je lui prépare la chambre de Mémé… J’ai appelé Mathilde, bien sûr, elle sera là demain. Elle va prévenir Benjamin. Ils pourront séjourner chez moi, ne t’inquiète pas. La dernière fois que j’ai vu ton fils, il devait avoir 10 ans… Si je ne me trompe pas, il a plus de 20 ans aujourd’hui. 22, je crois… Je serai heureuse de le revoir… Tu dis que, maintenant, il est bien dans sa vie, qu’il réussit… Je ne sais plus quoi te dire, je suis fatiguée. Je reste encore un peu…
Clarisse s’endormit dans son fauteuil et, très vite, un léger ronflement se fit entendre.
***
Tout le temps qu’a duré son monologue, et après l’échec de ma tentative fusionnelle, je suis restée assise en tailleur, sur le lit, au bout de mes pieds. Rien ne m’étonne, cette situation me paraît évidente, normale. Je ne suis donc pas surprise de voir Clarisse posée en face de moi, assise en tailleur, elle aussi.
— Je crois que je dors profondément !
— Moins profondément que moi. Toi, tu te réveilleras bientôt et tu partiras.
— Et voilà, ça recommence !
Nos mains se prennent. On s’observe, on se comprend.
— Es-tu bien consciente de ce qui nous arrive ?
— Oui, assure Clarisse. Nos corps sont assoupis, et nos âmes s’évadent un peu de leurs enveloppes. Elles s’aèrent.
— Ça m’est déjà arrivé avant que tu ne sois là. Et toi ?
— Je pense que cela survient durant le sommeil, mais qu’on ne s’en souvient pas bien au réveil.
— Alors, il est possible que Papa et Maman se soient retrouvés après…
— J’en suis persuadée, après et certainement avant, nous le pouvons bien, nous !
— Maman disait souvent qu’elle voyait Papa en songe, qu’elle lui parlait, que ça lui semblait si réel qu’elle se questionnait plusieurs heures avant d’accepter avoir rêvé.
— Nous nous poserons peut-être la même question à notre réveil. Écoute, Clarisse, je ne sais pas si je m’en sortirai. Voilà… Dans mon bureau, dans la maison de Brem-sur-Mer, sous le troisième tiroir, il y a une cachette. Tu y trouveras des cahiers, des notes. Personne n’a jamais lu ces pages, tu comprends ? Il s’agit d’un travail très personnel, d’une thérapie. Ainsi, tu vois, je tiens ma promesse. J’espère que tu t’en souviendras.
Je me rends compte que je soliloque, Clarisse a disparu.
***
Clarisse se réveilla, étira ses bras, consulta sa montre.
— Mince, déjà ! Je dois partir, Sophie, le pauvre Jérôme doit m’attendre sur le quai de la gare depuis plus d’une heure.
Elle posa une bise légère sur le front de sa sœur.
— Ce petit somme m’a fait du bien. À demain, ma belle, tâche d’aller mieux… Nous t’aimons… même si on ne sait pas exprimer nos sentiments dans cette famille…
3 – Mardi
J’explore le plafond et la pièce des soins intensifs. Ce matin, j’ai osé traverser la porte, juste la tête, pour observer le couloir. J’ai surpris une forme qui ressemblait à la mienne, je parle de sa matière, pas de son physique. J’ai chuchoté : « Houhou ! » L’ombre a disparu dans une chambre voisine. Peut-être doit-on rester près de son corps ? J’ai compris rapidement que, dans cette dimension, tout passe par la pensée. Si je songe « je veux aller à la fenêtre », je suis aussitôt près de la fenêtre. Cela fonctionne systématiquement. Craignant de me perdre si je m’éloigne, j’exprime mon intention avec précision. Je ne m’ennuie pas, je me sens bien, dans une absolue plénitude. J’ai étudié mon apparence, une substance à la fois dense et légère, souple et fluide. Ma silhouette, blanche et lumineuse, épouse celle de mon corps. Telle l’ombre qu’il projette au sol, elle peut s’étirer ou rétrécir.
L’équipe soignante passe toutes les heures. L’infirmière a remplacé le bandage qui enserre ma tête, rasée du front jusqu’à la nuque. Ensuite, elle a consulté les moniteurs, vérifié ma perfusion, ma tension, pris ma température et noté tous ces renseignements sur la fiche accrochée au pied de mon lit : Sophie Vallée, née Vallée, le 12 août 1953. Admission le 18 juin 2011. Fracture au niveau du cortex. Traumatisme crânien, perte de connaissance. Cinq points de suture. Lésions cérébrales pouvant provoquer une amnésie. Possibilité d’hémorragie… J’examine les radios, curieusement, je les interprète. Enfin, je prends conscience du dispositif mis en œuvre : tout mon corps est sous haute surveillance.
***
Après une nuit réparatrice, le premier geste de Clarisse fut d’appeler l’hôpital pour prendre des nouvelles de sa sœur. Si son état n’empirait pas, elle serait transférée le lendemain dans une chambre plus calme et alors, oui, les visites seraient bienvenues à partir de 14 heures.
Clarisse ouvrit les volets, le ciel restait plombé, mais la pluie avait enfin cessé. L’humidité exsudait des vitres et tomettes, elle décida de faire un petit feu pour assainir l’air ambiant. Puis elle entreprit un grand ménage. Quand Jérôme apparut en fin de matinée, le soleil tentait une timide percée entre deux gros nuages gris.
— Tu as des nouvelles ?
— Oui, répondit Clarisse. Elle est toujours dans le coma. Le médecin paraît confiant. Si son état le permet, elle sera transférée demain dans un service de surveillance, si j’ai bien compris. Je suppose qu’il faut laisser du temps à son cerveau pour se remettre du choc.
— Que fait-on aujourd’hui ?
— On attend les enfants de Sophie. Mathilde et Benjamin. Ils viennent ensemble. Mathilde m’a envoyé un SMS pour me prévenir de leur arrivée, en début d’après-midi. Je les emmènerai à l’hôpital. Si tu veux bien, tu pourrais soigner le verger… Regarde… Ces arbres souffrent, dit-elle en entraînant son frère sur la terrasse.
La pommeraie descendait en pente douce jusqu’en bordure du chemin vicinal délimitant la propriété. Les branches supportaient trop de fruits qui poussaient en grappes, évoquant des raisins géants. Elles se fendaient sous le poids, et traînaient sur l’herbe grasse et spongieuse. Jérôme considérait le désastre :
— Tu as des outils, sécateur, scie, tronçonneuse ?
— Tu trouveras tout ce qu’il faut dans le garage. Tu vas tailler ?
— Ce n’est pas le moment idéal, mais on n’a pas le choix, si tu veux manger quelques pommes. Je vais éclaircir les fruits pour soulager les arbres et je supprimerai les branches cassées. J’ai besoin de seaux, pour les pommes. On les donnera au voisin pour son cidre ou ses cochons. Elles ne sont pas mûres.
Ils trouvèrent divers instruments dans la remise, près du garage. Jérôme, retrouvant son élément, se mit au travail avec allégresse – que peut-on faire de mieux que de sauver un verger ? –, tandis que Clarisse commençait à vider les armoires pleines de vieux draps datant du siècle dernier au moins.
Autrefois, au Bas Roc, dans l’Ariège, sa grand-mère ouvrait ces mêmes armoires pour y ranger le linge fraîchement repassé. La lessive prenait du temps, alors elle commençait la veille. Dans la cour de la ferme, mémé Angèle faisait chauffer de grands chaudrons d’eau dans lesquels elle râpait des lamelles de savon de Marseille. En attendant l’ébullition, elle déposait, une à une, sur la pierre du lavoir, toutes les affaires qui « trempaient » depuis plus d’une journée. Elle frottait, brossait, battait les tissus, courbée sur cette pénible corvée. Ensuite, elle les plongeait dans les bassines, les enfonçait délicatement avec une sorte de grosse fourchette en bois conçue pour ce seul usage. Dès que la température lui convenait, elle baissait le réchaud et entamait une autre tâche, revenant « tourner » le linge régulièrement. Pauvre Mémé. Aurait-elle apprécié l’avènement de la machine à laver ? Non, sans aucun doute. Elle n’aurait jamais confié ses effets à un tel engin. Tout comme elle n’aurait jamais voulu que ses meubles, pleins de son trousseau de jeune mariée, finissent ici, en Normandie, dans la résidence de vacances de tante Odile.
Au décès d’Odile, toutes ses possessions revinrent à sa sœur, la mère de Sophie, Clarisse et Jérôme. Justice fut rendue en fin de compte. Amélie Vallée avait hérité de la maison juste quelques mois avant son propre départ. Elle se savait malade et rédigea un testament qui partageait les biens ainsi réunis entre ses trois enfants. Comme elle l’avait promis à son mari, Éric Vallée, elle attribua la propriété familiale de Puizac à Jérôme. Celle de Brem, reçue des grands-parents paternels, revint à Sophie, qui vivait maintenant et depuis plus de dix ans en Vendée, à une quinzaine de kilomètres de Brem-sur-Mer. Clarisse, elle, obtint celle de Clères. Au début, elle pensait la vendre. Elle n’y avait aucun souvenir, la Normandie était à un bout de la France bien trop au nord, on en disait le climat froid et humide. Et puis elle découvrit la propriété, la vaste demeure à colombages entièrement restaurée, le parc, les vergers, les pâturages, que tante Odile cédait aux voisins pour leurs cheptels. Elle décida, en accord avec son mari, Laurent, de conserver la maison, de la louer en été. Toute la famille pourrait en profiter hors saison. Un tel capital immobilier ne pouvait se dévaloriser. Seules les dépendances agricoles seraient vendues, si les fermiers proposaient une offre intéressante, sinon ils resteraient en métayage.
Draps, torchons, serviettes s’accumulaient sur le grand lit en deux tas : à garder, à jeter. Ce n’était pas une armoire, c’était un gisement. Pendant qu’elle triait, évaluait ce linge séculaire, une idée s’insinua, persista dans son esprit : quand Sophie se réveillera, qu’elle sera rétablie, elle rentrera en Vendée et s’installera probablement à Brem-sur-Mer. Laissant son travail en plan, elle ouvrit son ordinateur portable muni d’une clef 3 G. Elle chercha sur Google : Brem-sur-Mer, Vendée. La ville localisée, elle demanda l’itinéraire le plus rapide, départ Clères, Seine-Maritime, arrivée Brem-sur-Mer, Vendée. L’information s’afficha : distance : 498 km, temps estimé : 5 h 39 minutes. Trois jours tout au plus, pour aérer, nettoyer, elle connaissait la maison. Il fallait que tout soit parfait pour le retour de sa sœur. Pourquoi pensait-elle sans cesse au bureau de Sophie ? « Sous le troisième tiroir, tu trouveras une cachette, des cahiers… Je tiens ma promesse. » Elle secoua la tête, se remit à son tri.
***
Vers 15 heures, une voiture, conduite par un jeune homme, s’engagea dans l’allée. Assise côté passager, Mathilde agitait le bras, criant :
— Tatie, c’est nous !
Clarisse les accueillit, prépara du café en relatant les événements. Elle observait Benjamin. Le petit garçon taciturne était devenu un bel homme, posé, souriant. Ses yeux verts, qu’il tenait de sa mère, pétillaient d’espièglerie. Mais pour tout le reste de sa personne, Dieu qu’il ressemblait à son père ! Même silhouette, même visage, surtout de profil. Après avoir bu leur café et croqué quelques biscuits, tous trois se dirigèrent vers le verger pour informer Jérôme qu’ils se rendaient à l’hôpital pour une visite rapide.
Personne ne parla pendant le trajet. Mathilde conduisait, Benjamin fixait le ciel lourd de nuages gris, presque noirs, menaçants. Les premières gouttes s’écrasèrent sur le pare-brise :
— Et voilà, ça recommence, soupira Clarisse. Si chez nous on se demande quand, enfin, il va pleuvoir, ici, on se demande quand la pluie cessera. Quel pays !
***
En longeant les couloirs de l’hôpital, ils se concertèrent. Mathilde entrerait la première, Benjamin ensuite, enfin Clarisse. Chacun d’eux ne resterait que quelques minutes.
Mathilde, debout près du lit, le cœur serré, regardait sa mère en silence. Les mots qui se bousculaient dans sa tête ne parvenaient pas à franchir le filet étroit de ses cordes vocales. Pour la première fois, elle la découvrait endormie, ou le paraissant du moins, pour la première fois encore, elle la voyait inactive, et si fragile. Fermant les yeux, elle inspira profondément, puis expira le plus lentement possible, afin de décontracter son larynx. Puis elle s’assit sur le bord du lit, caressa le front de Sophie.
— Maman, c’est moi, Mathilde. Je suis venue avec BenJ… Tu nous as fait peur, tu sais. Mais bon, les médecins sont confiants, tu es stabilisée. Selon eux, tu sortiras du coma bientôt. On va rester quelques jours chez Tatie. Les enfants sont en camps de vacances et Guillaume est encore à Paris. Il n’a pas pu se libérer, le boulot… On viendra te voir tous les jours et j’espère que tu vas nous revenir très vite… Je t’aime, Maman. On ne nous a permis qu’une courte visite aujourd’hui, alors je te laisse… J’appelle BenJ, maintenant.
Mathilde sortit précipitamment, elle ne voulait pas que sa mère devine son désarroi. Elle fit signe à son frère d’entrer à son tour.
Comme sa sœur, le jeune homme resta pétrifié. Pas plus qu’elle, il ne s’était attendu à ce déploiement de technologie pour la surveillance de sa mère, à tous ces moniteurs qui bipaient et affichaient des lignes ondulées ou hachurées, mais régulières, semblait-il. C’était plutôt rassurant. Lui non plus ne reconnaissait pas sa maman dans ce corps inerte, cet abandon qui lui ressemblait si peu.
— Alors, Maman ! Tu nous en as fait une belle, là ! Eh oui, c’est moi, ton BenJ adoré ! Je suis venu plus tôt que prévu, finalement… J’avais dit samedi prochain peut-être, aux Sables, et tu vois, c’est mardi, à Rouen. La vie est pleine d’aléas… Elle est sympa, ta sœur. Je ne me souvenais pas du tout d’elle ni de ton frère. À présent que nous avons renoué le contact, je promets de descendre à Puizac au moins une fois par an. On pourrait y aller ensemble, ce serait bien, non ? Ma petite maman, j’espère que tu m’entends et que tu es contente qu’on soit là. Ça va peut-être t’aider à te réveiller. Ce n’est pas ton truc de dormir comme ça… Et puis j’ai plein de choses à te raconter, tu seras fière de moi… tu verras.
Alors qu’il lui parlait, il enroulait une boucle de ses longs cheveux autour de son index. Il retira son doigt et arrangea le rouleau soyeux sur l’oreiller.
— Je t’aime, Maman. S’il te plaît, essaie… À demain.
À son tour, Clarisse entra dans la chambre.
— Je profite de la présence de tes enfants pour aller mettre un peu d’ordre dans ta maison à Brem. Je sais, cela peut attendre, mais je dois y aller, je ne sais pas ce qui me pousse… Je dois y aller. Mathilde et BenJ s’occuperont de toi jusqu’à mon retour. Jérôme aussi. Il ne repart qu’en fin de semaine. À bientôt, ma Sophie.
***
Ce même soir, Clarisse prépara son voyage. Elle en informa Jérôme et ses neveux :
— Demain, je pars pour Brem-sur-Mer, en Vendée. Il faut que tout soit prêt pour le retour de Sophie. Je vous confie la maison. Dites à votre mère que je serai de retour, voyons… on est mardi, demain mercredi… une journée sur place… Je serai rentrée vendredi soir au plus tard.
— Tu crois qu’elle comprend ? demanda Mathilde.
— Il faut faire comme si. Alors on décide qu’elle entend, qu’elle comprend et on lui parle. On fait des projets, on s’organise. OK ?
— OK. Compte sur nous, Clarisse.
4 – Mercredi
Sophie fut installée dans l’une des chambres du service de neurologie. Bien entendu, elle restait reliée à certains moniteurs, et sous perfusion. Elle ne souffrait pas. Elle hibernait. Par moments, elle sentait des picotements dans le cerveau, un peu comme des étincelles. Alors, elle se concentrait, visualisait sa main, et tentait encore de mouvoir l’index. Sans succès.
Enfin, le médecin autorisa les visites, les encourageant. Il fallait parler à la malade, la stimuler, car chaque cas de coma est atypique et nul ne peut déceler le degré d’activité cérébrale ou de perception sensorielle d’une personne inconsciente.
***
Avant de prendre la route, Clarisse décida de passer à l’hôpital avec, dans sa poche, une surprise pour Sophie.
— Bonjour, Sophie ! Ah, je vois que tu as changé de chambre, c’est bon signe, ça ! Je pars pour Brem. J’ai pensé que ce serait bien d’aérer ta maison et de vérifier que tout va bien. Je reviendrai vendredi. Regarde ce que je t’ai apporté. Non, ne dis rien, écoute !
Clarisse sortit son lecteur MP3, brancha les écouteurs
