Les oiseaux migrateurs
Par Michel Bernard
()
À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Bernard trouve des idées pour écrire en naviguant entre Nantes et divers villages du littoral morbihannais. Immergé dans cet environnement familier, il s’inspire des éléments qui l’entourent et des récits qui ont façonné sa vie pour enrichir sa créativité.
Lié à Les oiseaux migrateurs
Livres électroniques liés
L'académie de l'être: poésies - nouvelles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes papillons sont éphémères Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes graviers blancs Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNouvelle Histoire de Mouchette Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÀ l'ombre de la chouette Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationElle est trop grande, la mer !: Roman familial Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHistoires magiques Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne vie ne suffit pas Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Zorna !: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe monde selon Flambeau: Récit chaleureux Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPeinture coquelicot Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationArrachements: Thriller psychologique et haletant sur des disparitions d’enfants Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Enflammé Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Suppliciées de Kergaouen: Quand la pensée scélérate invite à commettre l'inconcevable Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe pommier, la pomme et le pépin Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDes petites histoires de rien du tout Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn double imparfait Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Impondérables Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn drame à la chasse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGrenade: Nouvelles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa divine providence tome 3 partie 1: Dans la lumière Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne ruse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHISTOIRES À RACONTER DANS LE NOIR: Des récits glaçants pour ceux qui aiment les nuits de peur et de mystère Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Visiteurs Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMémoire d’Elles: Lettres à nos mères Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSous les étoiles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAntoni Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe jardin faramineux du docteur Joyeux et autres histoires oniriques aux allures de réel Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationA l'école de la solitude: Témoignage philosophique et psychologique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation120 nouvelles de Guy de Maupassant – La Chevelure et autres histoires Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Vie familiale pour vous
Le Silence d'une Mère Incomprise Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEmprise: Prix Laure Nobels 2021-2022 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Demain nous Attend Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5LES SOEURS DEBLOIS, TOME 1: Charlotte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe mystère Valentin: Les enquêtes de ma Grand-Mère Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe souffle de mes ancêtres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSex&love.com: Petite parodie des sites de rencontres ! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa naissance du jour Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La Gouvernante de la Renardière: Un roman historique poignant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu fil du chapeau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationOutre-mère Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFables et contes de Kabylie: Contes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNani Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Les oiseaux migrateurs
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Les oiseaux migrateurs - Michel Bernard
1
La journée s’achevait…
Les heures tièdes du soir sentaient bon l’automne, à l’heure où le soleil ne dessinait plus sur les murs des maisons que des ombres floues aux contours pâlis, noyées dans la grisaille des pierres déjà empreintes de nuit…
Des champs alentour, montait une brume légère qui se mélangeait aux odeurs de cuisine échappées par les fenêtres grandes ouvertes…
Les rues peu à peu désertées se laissaient doucement envahir par la pénombre…
Village…
Village au milieu des terres…
Village encore suspendu au-dessus de la nuit à venir…
Village qui s’abreuve à la fraîcheur du soir…
Un vent léger, descendu des collines, s’enroulait autour des grands platanes, soulevant les feuilles jaunies qui, déjà, jonchaient la petite place…
Un banc de pierre…
Une fontaine couverte de mousse…
Bruit d’eau…
Gravier…
Le clocher de l’église par-dessus le lierre des murs…
Village presque endormi…
Un chien furetait de-ci, de-là, passant d’un trottoir à l’autre, suivant un chemin incertain, un chemin fait d’odeurs et de repères invisibles. Un chien banal, ne présentant d’autre intérêt que celui d’être là, à déambuler dans les rues…
Pourtant, quelque part, dans un jardin, dans une ruelle, un chat avait senti sa présence, un chat qui faisait le gros dos, crachant et soufflant. Quelque part dans la nuit…
À moins que ce ne fût le chat de Louise…
En effet, Louise avait senti que le chat installé sur ses genoux se hérissait. Il s’était tendu. Et lorsque le chien, s’étant aventuré jusqu’au pas de la porte, renifla les pots de géranium, le chat avait craché, tous poils dressés. Elle murmura, très douce, passant les mains dans le poil soyeux. Sage… Le chat se calma et se blottit à nouveau sur ses genoux. La main, distraite, le caressait, doucement, s’arrêtant, repartant. Distraite…
Elle frissonna. La nuit était tombée et la fraîcheur emplissait la pièce, apportant avec elle les dernières odeurs de feuille, de terre et d’eau. Et les moustiques… Il aurait fallu fermer la fenêtre. Il aurait fallu se lever, marcher. Exister… Elle n’en avait plus la force. Elle restait là, assise sur sa chaise. Avec son chat.
Au-dehors, un lampadaire diffusait une pâle lumière, tache claire sur le carreau, au pied de l’armoire.
Le chat s’arrêta de ronronner et lança l’éclair lumineux de ses yeux à travers la nuit. Un éclat mouillé était tombé sur son dos. C’est Louise qui pleurait. Des larmes, en rangs serrés, venues du fond de ses yeux, perlaient au bord de ses paupières puis, après une légère hésitation, glissaient, brûlantes, sur ses joues. L’une après l’autre, cortège sans fin creusant des sillons mouillés dans ses vieilles joues ridées avant de venir s’échouer, glacées, dans son cou.
Louise pleurait. Sans bruit. Elle restait là, assise sur sa chaise, immobile, le chat sur ses genoux et elle pleurait. Dans le silence lourd, poisseux et hostile de la nuit, elle se retrouvait seule. Seule avec son chagrin, seule avec ses larmes, seule avec son immense peine. Seule… Et le chat qui ronronnait sur ses genoux n’y pouvait pas grand-chose. Il avait beau lui offrir la chaleur de son corps, la douceur de sa fourrure, le bruit continu de son ronronnement, c’était bien peu de choses au regard de cette peine immense qui, sans fin, creusait l’abîme qui allait l’engloutir toute entière.
Elle se leva brusquement et, voulant à tout prix s’éloigner de ce gouffre dont les bords s’effritaient sous ses pas, elle commença à arpenter la chambre, allant et venant, de long en large, passant du lit à la fenêtre, puis de la fenêtre à l’armoire, puis de l’armoire à la fenêtre, pour finalement revenir au lit avant de recommencer, le lit, la fenêtre, l’armoire, puis l’armoire, la fenêtre, le lit, les bras serrés fort sur la poitrine, comme si elle voulait tenter de se protéger des assauts de cette douleur inouïe, inconcevable et monstrueuse, cette douleur qui cherchait toutes les failles possibles qui lui permettraient de broyer sa résistance, de détruire le peu de forces qui lui restaient.
Fatigué par cette litanie dont il savait bien à quel point elle était dérisoire et vaine, le chat avait sauté par la fenêtre ouverte sur la nuit et Louise se retrouvait seule, définitivement seule.
On aurait dit que la maison tout entière s’était figée, épiant chacun de ses gestes, guettant le moment de sa défaite, de son abandon. Cette maison où chaque pièce, chaque meuble, chaque recoin était une partie de sa vie, cette maison devenait sourdement hostile, haineuse. Et même cette chambre où elle avait si souvent dormi, cette chambre qui avait abrité tant de nuits, cette chambre qui avait été la complice attentive et bienveillante de tant de moments de tendresse et d’amour, cette chambre, perdue au milieu de la tempête qu’avait déclenché la disparition de Pierre, sans plus aucun des repères qui, habituellement, jalonnaient leur vie, cette chambre, inconnue, terrifiante, maintenant se jetait sur elle avec une violence inouïe. Les murs se rapprochaient pour l’écraser. Elle sentait déjà le poids de la pierre sur son front. Terrifiée, elle porta les mains à son visage qu’elle serra fort, très fort.
Un cri… Un cri rauque… Comme une plainte, longue et continue… Un cri, sorti du plus profond de ses entrailles et jeté à la face du monde pour qu’enfin il arrête sa course folle, pour qu’enfin il daigne s’intéresser à elle, Louise, qu’il condescende à mettre de côté, pour une fois, rien qu’une fois, sa terrible, sa criminelle insouciance et qu’il accepte, pendant un court instant, même un très court instant, qu’il daigne enfin considérer avec émotion, avec empathie, avec un peu de compassion sa douleur à elle, Louise. Toute sa vie jetée dans ce cri…
Vidée de toutes ses forces, elle se laissa tomber sur le lit et, la tête dans les bras, les jambes repliées sous son ventre, elle pleura. Longtemps. Violemment. Goulûment. Hargneusement. Et c’était comme si elle avait voulu se vider entièrement à travers ces larmes, comme si elle avait voulu faire en sorte que son corps ne soit plus qu’une enveloppe vide, sans consistance, sans mémoire, sans vie. Une enveloppe morte qui ne ressentirait plus rien, qui n’attendrait plus rien, qui n’espérerait plus rien. Anesthésier tous ses souvenirs pour que la douleur enfin s’éloigne et qu’elle puisse continuer, elle, Louise, même à petits pas, même sans sortir de sa maison, de son jardin, à arpenter les chemins du monde qui était le sien. Car, si elle ne pouvait plus vivre sa vie qu’à travers le prisme de cette douleur-là, elle n’était pas bien sûr de pouvoir résister longtemps et peut-être que, au bout du compte, mourir à son tour était la meilleure chose, qui lui restait à faire.
Elle se releva brusquement, attrapa son téléphone sur la table de chevet, ouvrit toute grande la porte qui donnait sur la rue et, par les ruelles sombres, trébuchant sur les pierres disjointes du trottoir, elle gagna la petite place, aussi vite que ses jambes pouvaient la porter.
Le village, perdu au milieu des collines, était une zone blanche et, le seul endroit qui permettait une connexion suffisante pour téléphoner ou pour aller sur internet efficacement, c’était la place du village, autour de la fontaine. D’ailleurs, les deux cafés installés sur la place ne s’y étaient pas trompés qui proposaient des petits box séparés, avec la possibilité de se connecter gratuitement au wifi, mais à condition de prendre des consommations sur place. Un service rendu qui en valait bien un autre. Et ça, Louise, elle le savait, car quand elle voulait appeler ses enfants, ses petits-enfants ou qu’ils avaient prévu un moment pour se voir, pour discuter, à travers l’écran d’un ordinateur, il valait mieux venir dans un des deux cafés que tenter une conversation chez elle. Et plutôt le Café du Centre que le Café de la Place. Ils y avaient leurs habitudes, Pierre et elle…
Debout au milieu de la place, elle sortit son téléphone de la poche de sa jupe et, après avoir hésité un instant, elle composa le numéro de téléphone de son mari. Elle savait qu’il ne répondrait pas, mais elle voulait entendre sa voix, entendre le son de sa voix. Au bout de quelques sonneries, le téléphone bascula sur la messagerie et elle écouta :
Bonjour.
Vous êtes bien sur le répondeur de Pierre S. Je ne suis pas disponible pour le moment, mais laissez-moi un message et vos coordonnées et je vous rappellerai dès que possible.
Cette voix… Cette voix qu’elle aimait tant. Cette voix qui s’était tue, mais qui résonnait encore, quelque part.
Elle raccrocha, composa à nouveau le numéro, écouta le message. Et, à nouveau, encore et encore, elle raccrocha, composa, écouta. Raccrocha, composa, écouta. Elle voulait entendre cette voix…
Et c’était effrayant. Son mari était mort depuis plusieurs jours, déjà, et, dans le téléphone, elle pouvait entendre sa voix. Sa voix stockée quelque part et qui lui survivait. Sa voix qu’elle pouvait faire surgir dans son téléphone à tout moment et autant de fois qu’elle le voulait. Mais sa voix, uniquement sa voix. Rien d’autre que sa voix… Et c’était une jouissance atroce et épouvantable, un plaisir vertigineux, que d’écouter encore et encore cette voix qui avait disparu et qui n’existait plus que dans des mémoires artificielles. Cette voix grave, douce et légèrement moqueuse qui avait jalonné toute sa vie à elle, Louise. Cette voix qu’elle guettait quand elle rentrait à la maison après sa journée de travail et qu’il l’attendait, cette voix qui l’avait rassurée tant de fois, et qui, chaque fois qu’elle avait eu besoin d’un refuge, d’un abri, l’avait enveloppée de ses volutes légères et rassurantes. Tellement rassurantes… Elle voulait se raccrocher à cette voix, l’entendre encore et encore pour qu’elle joue à nouveau le rôle qu’elle avait toujours eu, celui de la rassurer, de la réconforter, de bâtir autour d’elle un monde stable et apaisé.
Alors, des dizaines de fois, avec fébrilité, le cœur battant, elle composa le numéro. Et même si c’était toujours le même message, cela lui importait peu. Non, ce qu’elle voulait entendre, c’était la voix, uniquement la voix, avec ses inflexions, ses respirations, ses hésitations. La voix vivante…
Et quand son téléphone s’éteignit et qu’elle n’eut plus la possibilité de retrouver, d’entendre cette voix, perdue dans le silence et dans la nuit, frustrée, désarçonnée, épuisée, elle resta debout, indécise, au milieu de la place, les mains enfoncées dans les poches de sa jupe.
Le message tournait dans sa tête et elle aurait pu le répéter en respectant chacune des respirations, chacune des inflexions, chacune des hésitations. À la virgule près. Et c’était comme un baume, comme un mantra, comme une prière. Une litanie qui occupait son esprit et qui apaisait sa peine.
La fraîcheur de la nuit avait dissipé la chaleur moite qui collait à tous ses membres et, en séchant ses larmes, elle avait durci la peau de ses joues qui semblait avoir rétréci.
Un vent léger, venu des ruelles endormies, l’enveloppa. Elle repoussa ses cheveux que son chignon défait laissait couler sur ses épaules pour sentir la fraîcheur sur son visage brûlant.
Autour d’elle, silencieux, le village poursuivait sa course lente et immuable au milieu de la nuit, guettant, calme et serein, les premiers signes de la levée du jour. Seule présence vivante sur la petite place endormie et silencieuse, la fontaine coulait sa chanson d’eau, imperturbable et sereine.
Louise fit quelques pas et elle s’assit sur le banc de pierre. Espérant alléger le poids écrasant qui l’oppressait, elle resta assise un long moment, immobile, à regarder l’eau couler. Et c’était un peu comme si elle s’était assise près d’une amie bavarde et écervelée, une amie dont les babillages incessants, les bavardages légers et superficiels, lui auraient permis, en la noyant dans un flot de paroles inutiles et vaines, d’atténuer sa peine, sa si lourde peine.
Mais elle n’y pouvait rien, la fontaine. Elle était désolée, mais elle n’y pouvait rien. Et pourtant, elle en racontait des histoires.
