Autopsy
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Marie-Claude Bur-Bobin a écrit plusieurs romans portant sur des sujets aussi divers que variés. Parmi ses réalisations, elle compte des titres tels que "Les ailes des libellules", paru en 2016 aux éditions Do Bentzinger, et "La Mémoire en feu" publié par Le Lys Bleu Éditions en 2022.
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Aperçu du livre
Autopsy - Marie-Claude Bur-Bobin
Marie-Claude Bur-Bobin
Autopsy
Roman
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Marie-Claude Bur-Bobin
ISBN : 979-10-422-1856-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Première partie
D i v o r c é e. D i v o r c é e. D i v o r c é e.
Divorcée.
Rendue à moi-même.
Mais qui suis-je sans toi ?
Que suis-je ?
Tu as tout effacé de moi.
Passée au rouleau compresseur assorti d’un lavage de cerveau.
Et je suis très abîmée.
J’aimerais croire en Dieu. Il me semble que ça m’aiderait en ce moment. Comment on fait pour avoir la foi ? Personne ne m’a jamais expliqué. Et surtout pas toi qui ne crois en rien. Mais est-ce qu’on doit chercher la foi quand il semble ne rester que ça ? Ce ne doit pas être le bon chemin.
On n’a pas fait d’enfant. On n’en voulait pas. Tu n’en voulais pas. Je ne sais plus pourquoi, mais il devait y avoir de bonnes raisons puisque tu m’avais convaincue. On a bien fait. Je reste longtemps immobile, l’acte de divorce dans la main, sur les marches du Palais qui n’est que de Justice.
Ça me rappelle une ancienne chanson… Je me mets à chantonner : « Aux marches du palais, aux marches du palais, y a une tant belle fille, lonla, y a une tant belle fille »…
Comment on en est arrivé là ?
« Elle a tant d’amoureux, elle a tant d’amoureux, qu’elle ne sait lequel prendre, lonla, qu’elle ne sait lequel prendre »…
Je n’arrive plus à me sortir cette chanson de la tête. Je chante de plus en plus fort. Les gens me regardent bizarrement. Je m’en fous.
« C’est un p’tit cordonnier, c’est un p’tit cordonnier qu’a eu sa préférence, lonla, qu’a eu sa préférence… »
Ça finit par m’agacer cette chanson, mais, rien à faire, elle m’obsède ; j’arrive au couplet qui dit : « Dans le mitant du lit, dans le mitant du lit, la rivière est profonde, lonla, la rivière est profonde »…
C’est beau, cette image d’un couple si souvent enlacé dans leur lit qu’il en a creusé le matelas.
Le nôtre de matelas, il est resté bien plat. C’est sûrement à cause de la qualité de ses huit cents ressorts biconiques et ensachés, la Rolls-Royce du matelas, avait dit le vendeur le jour où on l’a acheté, parce que l’amour on l’a fait, souvent. Très souvent.
Et nous y dormirons ensemble, lonla, jusqu’à la fin du monde…
Pourtant, nous deux, c’était bien au début.
Quand on s’est vu pour la première fois, je suis tombée immédiatement amoureuse de toi. C’était un 8 août, le jour de mes vingt ans, comment l’oublier ! Tu étais venu acheter un disque à la FNAC des Champs-Élysées où je travaillais. Tu cherchais les variations Goldberg par un jeune organiste japonais que je t’ai trouvées et on a parlé de musique. Le soir même, tu m’attendais à la fermeture du magasin. « Je m’appelle Raphaël, j’aimerais bien que l’on continue notre conversation de tout à l’heure ! » tu m’as dit en avançant vers moi la main tendue, avec un grand sourire. On a été boire un pot, on a parlé comme si on se connaissait depuis longtemps. Tu es revenu le lendemain, le surlendemain et puis tu m’as raccompagnée chez moi. Je t’ai fait monter pour boire un verre. Sixième étage sans ascenseur. Tu m’as suivi en soufflant un peu.
Puis tu es revenu. Plusieurs fois. Et enfin on a fait l’amour. C’était bien. Très bien même. Délicat, respectueux.
Mon studio me ressemblait, avais-tu dit. Un bric-à-brac sympathique, très coloré, rien d’étonnant, mon violon d’Ingres c’est la peinture. « C’est pas mal ton barbouillage ! » avais-tu dit en regardant mes toiles. Pas vraiment flatteur, mais j’avais déjà l’indulgence d’une femme amoureuse. Je te dis que mon rêve est de faire l’École des Beaux-Arts… pour que ma peinture ne soit plus du… barbouillage.
Par contre, tu t’extasies sur mon bonsaï que je bichonne comme un enfant. C’est un vrai arbre miniature avec un tronc blanc noueux et des branches vertes qui s’épanouissent en son sommet pour retomber avec grâce. Fragile. Hyper fragile.
Tu me disais que je ressemblais à un Tanagra. Jamais on ne m’avait fait un si savant compliment. Je t’aurais bien dit que tu étais beau avec tes yeux pervenche, ta masse de cheveux blonds un peu bouclés, ta haute stature, ta carrure d’épaules, mais ça ne se fait pas, une fille ne complimente pas un garçon. Enfin, je crois. Je n’ai pas eu beaucoup d’éducation. Et pour cause, je suis une enfant de la DASS.
Pas facile de dire qu’on a été abandonné à sa naissance. Pire. Que ses géniteurs l’ont abandonnée dans une boîte à bébé et qu’ils sont même allés jusqu’en Belgique pour ça, parce qu’en France, les tours d’abandon comme on les appelait, n’existent plus. Pourtant c’était plus efficace que l’accouchement sous X. Placé dans une boîte, on est sûr que jamais l’enfant ne retrouvera ses parents. Il ne reste aucune trace d’eux. Je peux en parler savamment.
C’est avec toi, Raf, que j’ai commencé à vivre. Tu m’apprenais l’amour et je t’apprenais la joie et l’insouciance, moi, une enfant de la DASS, ce que tu ne savais toujours pas.
C’est quand tu m’as dit que tu travaillais dans une banque et que tu habitais chez ta mère que j’ai compris qu’il y avait urgence. À ton âge, habiter chez ta mère et travailler dans une banque, quelle tristesse ! Niveau vestimentaire, tu étais un peu coincé, toujours en costume-cravate. Je t’ai fait acheter jeans, T-shirts, baskets et blouson ; j’aurais préféré du cuir, mais je ne voulais pas te faire dépenser trop d’argent, un beau skaï c’est pas mal non plus. Ça t’allait super bien.
Je t’ai rebaptisé Raf, c’est plus cool que Raphaël même si Raphaël est un très beau prénom. Je t’ai appris à marcher pieds nus dans la rosée du matin sur le Champ de Mars, pique-niquer sur un banc au bord de la Seine, monter aux arbres ce que – à mon grand étonnement – comme garçon tu n’avais jamais fait, fabriquer un lance-pierre avec juste une branche en Y et un gros élastique – ce que tu n’avais jamais fait non plus –, à souffler dans une herbe tendue entre les deux pouces pour en tirer des sons bizarres… tu riais. J’avais l’impression que tu étais passé à côté de ton enfance, un peu comme moi, mais sans doute pas pour les mêmes raisons.
Je t’ai aussi fait découvrir le cinéma, ou plutôt les bons films, car tu n’aimais que les westerns, bien qu’il y en ait d’excellents. Pour moi le cinéma – que j’ai découvert dans les salles paroissiales où c’était gratuit le dimanche après-midi – était devenu mon seul moyen d’évasion pour échapper au quotidien.
À quinze ans, mon film préféré était « La rose pourpre du Caire » de Woody Allen dans lequel l’héroïne du film mène une existence morne et tourmentée ; le cinéma est son seul refuge. (Tiens-tiens). Lors d’une projection, Tom Baxter, le héros d’un mélo, sort de l’écran et l’enlève… À chaque fois que j’entrais dans une salle de cinéma, j’attendais mon Tom Baxter.
Serait-ce toi mon Tom Baxter ?
C’est alors que j’ai décidé de te parler, je veux être transparente pour toi, même si mes aveux vont sans doute sonner la fin de nous. On ne peut pas aimer une fille qu’on a abandonnée dans une boîte. Ma vie va donc se jouer quand tu sauras d’où je viens, c’est-à-dire de nulle part.
Nous étions dans mon studio, nous avions fait l’amour, nous étions bien quand, soudain, j’ai choisi de tout te dire. Ma vie va donc se jouer dans quelques instants.
Je me lance comme on se jette à l’eau sans savoir nager.
Raf, il faut que je te dise quelque chose d’important… Je n’ai pas de parents, je n’ai pas de famille. Pire, à ma naissance on m’a abandonnée dans une boîte et j’ai dépendu de la DASS jusqu’à ma majorité. Voilà. Je crois qu’il vaut mieux que nous en restions là de notre histoire.
Tu t’étrangles avec le bonbon que tu es en train de sucer puis tu restes sans voix. Tu t’éloignes même imperceptiblement. Mauvais signe. Mais tu te rapproches, me prends dans tes bras. Je te repousse.
Je ne veux pas que tu aies pitié de moi, je m’en suis très bien sortie ! Toute ma vie j’ai fait face. Et puis j’ai une nature foncièrement optimiste ; ça aide, tout va bien pour moi.
Tu es stupéfait. Sidéré. Puis enfin tu parles.
C’est quoi cette histoire de boîte ?
Tu n’as jamais entendu parler des boîtes à bébé ? Des baby-box ? C’est là-dedans qu’on m’a mise pour mieux m’abandonner, une baby-box c’est pire que d’accoucher sous X parce qu’avec la boîte, l’enfant n’a aucune chance de retrouver ses parents ! On a même été jusqu’en Belgique pour être vraiment sûr de me perdre… mais qui a eu le courage de me mettre dans la boîte et de la refermer en sachant qu’on ne me reverrait jamais ? Ma mère ? Mon père ou plus exactement mon géniteur ? Ma génitrice ?
Raf sent ma détresse. « Chuuuut, murmure-t-il… là, là, calme-toi… il me berce. Puis demande doucement : pourquoi en Belgique ? »
Parce qu’en France ce système n’existe plus depuis longtemps, il n’y a que l’accouchement sous X pour abandonner son enfant. J’ai tout lu sur les boîtes à bébé ! Au Moyen-Âge, ça s’appelait des tours d’abandon… tu veux que je te raconte ?
Je pourrais écrire une thèse sur les tours d’abandon dans toute l’Europe depuis le Moyen-Âge, alors je suis intarissable et au bout d’un moment Raf me demande d’arrêter.
Ce n’est pas l’histoire des tours d’abandon qui m’intéresse, me dit-il, c’est la tienne !
Mais je n’ai pas d’histoire ! Mon histoire a commencé le jour où je t’ai connu !
Ne dis pas de bêtises, raconte-moi l’avant, jusqu’où remontent tes souvenirs !
Alors je raconte. Nous sommes assis face à face et Raf m’écoute intensément en me tenant les mains.
Je ne connais pas ma vraie date de naissance, je sais seulement qu’on m’a trouvée dans la boîte d’Anvers un 8 août. Je ne devais pas être née depuis bien longtemps… le 6 ou le 7 à tout casser… J’étais langée et enveloppée d’un châle en laine crochetée auquel on avait attaché un papier avec une épingle sur lequel était écrit : « Cette enfant est française ». Sans doute parce qu’on m’avait abandonnée en Belgique et qu’il fallait me laisser ma nationalité, à défaut d’autre chose.
La DASS française où Anvers m’a réexpédiée (à chacun ses problèmes) m’a appelée du nom du saint du jour, Dominique. Si on m’avait trouvée le 9, aurait-on osé m’appeler « Amour » ? Quant à mon patronyme, Guillaume, c’est le prénom du soignant qui m’a réceptionnée en France. Tout bêtement. La DASS n’a aucune imagination.
Pause. Je me mouche. Je me répète.
Tu sais, la boîte c’est encore plus sûr que l’accouchement sous X pour se débarrasser d’un enfant, il ne reste absolument aucune trace de son identité et, comme je te disais, ça va très vite pour trouver un nom et un prénom à un enfant abandonné. Sur les registres de la DASS je suis Dominique Guillaume. Bonne chance pour celui ou celle qui me rechercherait. Absolument aucun lien avec ce qui aurait dû être ma famille. On devait absolument effacer la tache que j’étais. C’est très dur de se dire qu’on est une erreur, une faute qui ne mérite que d’être jetée dans une boîte.
Ma gorge se serre. Moment de silence. Je me mouche.
J’étais un bébé souffreteux, qui se développait mal, pleurait beaucoup et mangeait peu ; je n’avais passé qu’une heure dans la boîte jusqu’à ce qu’on vienne m’y chercher, mais j’étais marquée, je suis devenue claustrophobe. Tu me diras que si c’est la seule séquelle qui me reste, ce n’est pas grave ! À trois mois j’étais adoptable, mais personne n’a voulu de moi, on peut comprendre, qui aurait adopté un bébé aussi malingre ? Je devins une enfant placée. Placée. Bien ou mal, c’était selon…
Ma gorge se resserre. Je me remouche.
J’ai connu onze familles d’accueil, oui, onze. Dans certaines, je ne faisais que passer, dans d’autres c’était à se demander comment ils avaient pu être accrédités pour accueillir des enfants ; je me souviens en particulier de ce couple à qui on avait confié six enfants de tous âges, qui laissait les plus jeunes dans leur chambre et qui avait la main très leste avec les autres pour se faire obéir. Quand je rentrais de l’école, j’aidais au ménage, à la lessive, à soigner les petits. Je n’étais bien qu’à l’école et j’ai rapidement appris à lire. La lecture m’a beaucoup aidée, mais, à partir de la sixième, quand j’ai eu des cours d’arts plastiques avec un professeur formidable, ce fut une révélation, c’est dessiner qui m’a tenu la tête hors de l’eau. J’utilisais tous les supports que je trouvais, même les sacs en papier des courses, je chipais des crayons de couleur là où il y en avait…
J’allais avoir douze ans quand Gaby et René m’ont accueillie et soignée, car je n’allais évidemment pas très bien. Un couple formidable qui avait consacré leur vie à élever des enfants abandonnés, de véritables héros. Comme ils n’étaient plus très jeunes, j’étais leur seule pupille. Ils furent ma chance.
J’avais ma chambre, des habits à la mode achetés rien que pour moi, du vrai papier à dessin et tout un matériel ; j’allais au collège comme toutes les filles normales et j’avais des copines. Je me suis enfin épanouie et j’étais une ado heureuse et même joyeuse. Ils m’ont gardée bien au-delà de mes dix-huit ans, jusqu’à ce que je trouve un job et un studio et que je me sente capable de voler de mes propres ailes, comme de vrais parents. Je les aime et ils m’aiment. Je les vois toujours, ils ont fait de moi celle que je suis même si j’avais un bon potentiel de résilience.
Voilà, tu sais tout. À 18 ans j’ai eu mon bac comme n’importe quelle fille et j’ai voulu être indépendante ; j’ai trouvé une place de vendeuse à la FNAC et dès que j’ai pu, j’ai loué un studio où je me suis installée tant bien que mal, mais j’étais libre. Libre surtout de croire en la vie et j’avais raison puisque je t’ai rencontré !
Long silence. Raf est assis en face de moi et son regard ne me lâche pas. Il m’écoute intensément et semble m’avoir suivie malgré mes propos un peu échevelés. « Tu n’as donc aucune famille ? ». Non, aucune. À part Gaby et René.
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