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Un billet pour l'Écosse
Un billet pour l'Écosse
Un billet pour l'Écosse
Livre électronique411 pages6 heures

Un billet pour l'Écosse

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À propos de ce livre électronique

Plus de boulot, plus d'ami, plus d'appart. À presque quarante ans, Jo Müller n'a pas d'autre choix que de retourner chez ses parents. Une annonce pour un stage de jardinier-paysagiste en Écosse se présente à point nommé.
Déterminée, Jo s'envole pour les Highlands. Elle découvre sur place un travail harassant et rencontre un jardinier en chef, Duncan, bel homme mais irascible. Persuadé que Jo possède la formation requise, il l'accable de ses exigences et la pousse à bout.
En réalité cuisinière, Jo s'efforce par tous les moyens de cacher ses lacunes, ce qui se termine, bien sûr, par un désastre. Heureusement Nick, le jeune fils de Duncan, se montre plus compréhensif que son père, lequel se rend compte peu à peu que Jo sème aussi le désordre dans son cœur.
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie1 mai 2024
ISBN9788728033821
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    Aperçu du livre

    Un billet pour l'Écosse - Alexandra Zöbeli

    Alexandra Zöbeli

    Un billet pour l’Écosse

    Saga

    Un billet pour l’Écosse

    Traduit par Irène Imart

    Titre Original Ein Ticket nach Schottland

    Langue Originale : Allemand

    Copyright ©2015, 2023 Alexandra Zöbeli et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788728033821

    1ère edition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    CHAPITRE 1

    Le directeur des ressources humaines de la maison de retraite fixa Jo avec un air de fausse compassion. Puis son regard se reporta sur l’enveloppe, posée devant lui sur le pupitre.

    – Madame Müller, nous le regrettons infiniment. Mais vous savez ce que c’est… La situation économique est médiocre… Quoi qu’il en soit, la direction nous a demandé de réaliser des économies. Vous êtes la dernière à avoir intégré notre équipe, il nous a semblé juste que le choix se porte sur vous.

    Le choix ? Quel choix, s’étonna Jo tandis que le DRH poursuivait sur sa lancée :

    – Bien sûr, nous respecterons le préavis de trois mois.

    Un déclic finit par se faire dans sa tête. C’est qu’il ne s’agissait pas de l’élire « collaboratrice » de l’année, mais de la licencier.

    – Vous me mettez à la porte ? demanda-t-elle, sidérée.

    Désemparée, elle jeta un œil vers son supérieur, présent lui aussi dans le petit bureau du personnel. Certes, ils ne s’étaient pas toujours bien entendus et ne partageaient notamment pas la même vision de l’alimentation des personnes âgées. Elle s’attendait pourtant à ce qu’il la défende et intervienne dans la conversation, c’était son chef tout de même ! Mais il restait aussi muet qu’une carpe.

    Le directeur du personnel lui remit l’enveloppe.

    – Nous ne voyons malheureusement pas d’autre solution. La situation économique… vous ne voudriez pas qu’on fasse des économies sur le dos des résidents, n’est-ce pas ?

    Jo en eut quasiment le souffle coupé. Elle serait bientôt au chômage. Juste au moment où Markus lui aussi cherchait du travail. En vain !

    – Il y a certainement d’autres solutions… tenta-t-elle, mais son chef lui coupa aussitôt la parole.

    – N’enjolivons pas les choses, Madame Müller ! Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur la façon dont vous gérez les achats et le budget. Vous vous fichez de mes consignes. La seule chose que vous respectez, ce sont vos horaires de travail.

    Le directeur du personnel poussa un soupir et passa sa main dans ses cheveux bien lisses. Jusqu’à présent tout s’était déroulé au mieux, et voilà que ce vaniteux de chef cuisinier risquait de tout faire capoter. Le visage de Jo s’empourpra. Lentement elle se leva de sa chaise, saisit l’enveloppe que le DRH lui tendait et, sous les yeux des deux crâneurs, la déchira en deux.

    – Messieurs, dans ces conditions, vous pourrez vous passer de moi ces trois prochains mois. N’est-ce pas ?

    – Madame Müller, dois-je vous rappeler que vous avez signé un contrat et que vous êtes, vous aussi, tenue de respecter ce préavis.

    – Traînez-moi en justice, répondit Jo d’un air provocant en agitant son index sous les yeux du DRH. Méfiez-vous, le menaça-t-elle, ses yeux verts étincelant de rage. Je ne garderai pas ma langue dans ma poche, la presse sera ravie d’apprendre comment vous traitez les résidents. La prise en charge à deux niveaux : la viande tendre pour les riches et la semelle dont vous ne voudriez pas vous-même pour les autres. Je suis sûre aussi que l’utilisation des denrées périmées à des fins d’économies en intéressera plus d’un. Il y a de quoi dire, je vous assure !

    – Personne ne vous croira, chuinta le chef cuisinier d’un air mauvais.

    – On essaie ?

    – Allons, allons, inutile de monter sur ses grands chevaux ! On respire un bon coup et tout le monde reste raisonnable. Madame Müller, si vraiment votre conscience vous interdit de travailler trois mois de plus chez nous, Monsieur Huber va vous reconduire à votre coffre. Prenez vos effets, s’il vous plaît, et une bonne fois pour toutes quittez notre établissement. Inutile d’en faire tout un esclandre.

    Vert de rage, le chef cuisinier leva les bras au ciel.

    – Mais qui fera le service ce soir ?

    – Ça, Messieurs, il fallait y penser plus tôt.

    À ces mots, Jo tourna sur ses talons et quitta le bureau. Furibond, Huber lui emboîta le pas. En route vers les vestiaires, ils tombèrent sur Heidi qui les suivit du regard, interloquée :

    – Qu’est-ce qui se passe ?

    Jo secoua la tête et lui fit comprendre qu’elles s’appelleraient plus tard. Elles avaient fait connaissance sur leur lieu de travail. Heidi avait vingt-neuf ans, Jo, presque trente-neuf ans. Malgré la différence d’âge, elles s’étaient rapidement liées d’amitié. Heidi était ce que les hommes appelaient une « bombe ». Avec ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus et une silhouette dont Jo ne pouvait que rêver, elle répondait aux canons de beauté les plus répandus. Bon Dieu, mais comment s’y prenait-elle ? se demandait Jo. Elle passait son temps à grignoter et elle gardait pourtant la silhouette d’une top model. Jo, elle, ne pouvait pas regarder une mousse au chocolat sans prendre aussitôt des hanches. Sans qu’elle soit franchement grosse, le moindre écart lui était fatal : elle devait constamment se surveiller. Avec son métier, ce n’était pas simple. Désormais, au moins, ce ne serait plus un souci. Par ailleurs, une jolie silhouette ne réglait pas tout, pensa Jo. Heidi avait elle aussi ses problèmes. Avec les hommes, elle n’avait jamais de chance. Elle les attirait comme des mouches, mais c’était toujours une catastrophe. Pour Jo, Heidi était trop confiante. Elle, au moins, vivait une relation stable avec Markus. Cela faisait dix ans qu’ils étaient ensemble. Certes, il n’était pas question de mariage, mais ils avaient encore du temps devant eux. Toujours sans dire mot, Jo arriva au vestiaire, Huber sur les talons.

    – La suite vous intéresse ? lui feula-t-elle au visage.

    – Je suis là pour vérifier que vous ne fauchiez rien, se justifia Huber.

    – Eh bien, vous me ferez les poches, si ça peut vous rassurer.

    Huber eut de la peine à se contenir, et Jo troqua sa tenue de cuisinière contre sa tenue de ville. Puis elle rassembla en hâte ses affaires. Au moment de quitter le vestiaire, elle ouvrit grand son sac sous le nez de Huber pour lui en montrer le contenu, et se dirigea en maugréant vers la sortie. Devant la porte coulissante, elle se tourna une dernière fois vers lui :

    – Voyez-vous, Monsieur Huber, je ne vous souhaite aucun mal. Mais lorsque vous aurez atteint l’âge de nos résidents, j’aimerais qu’on vous présente un plat que vos dernières dents ne vous permettent pas de mastiquer et qui vous pèse au fond de l’estomac comme du plomb.

    Elle tourna alors sur ses talons et quitta l’établissement.

    – Petite idiote ! hurla encore Huber, mais Jo n’en avait déjà plus cure.

    Elle se dirigea vers son vélo et s’efforça de hisser son sac sur le porte-bagages. Celui-ci était cependant si gros et si informe qu’elle ne put l’y fixer solidement et dut traverser toute la ville en poussant son vélo. On était à la mi-mars, le trottoir était couvert de neige à demi fondue, et elle eut bien du mal à avancer. En chemin, elle s’arrêta devant un kiosque à journaux et acheta un journal d’annonces. Arrivée chez elle, elle commença par ranger son vélo à la cave, puis prit l’ascenseur jusqu’au quatrième étage de l’immeuble où elle partageait un trois-pièces avec Markus. Son compagnon serait certainement là et la prendrait dans ses bras pour la consoler. Elle fouilla au fond de son sac à la recherche de ses clés et ouvrit la porte.

    – Markus ? Tu es là ?

    Elle posa son sac avec ses vêtements sur la table de la cuisine et passa au salon. Soudain des bruits étranges attirèrent son attention. Elle se laissa guider jusqu’à la chambre et, avant même d’avoir atteint la porte, pressentit ce qui pouvait l’attendre. Ce qu’elle découvrit dépassa son entendement. Couché nu sur le ventre, la tête enfoncée dans l’oreiller, Markus se faisait fouetter le derrière à coups de cravache par une maîtresse dominatrice déjà rondelette, et gémissait de plaisir. Si la situation n’avait pas été aussi tragique, Jo en aurait volontiers ri. Mais Markus était son mec tout de même… ou bien… ?

    – Susi ? ! s’écria-t-elle, incrédule.

    Effrayée, la maîtresse au visage masqué sursauta. D’un bond, elle abandonna sa prétendue victime et disparut dans la salle de bains. Markus se tourna vers Jo et la regarda d’un air ahuri.

    – Ce n’est pas ce que tu crois ! fit-il d’une petite voix, conscient d’avoir mal choisi ses mots.

    Exaspérée, Jo éclata de rire.

    – Tu es vraiment gonflé !

    – Qu’est-ce que tu fais là ?

    Jo s’avança vers l’armoire et se hissa sur la pointe des pieds pour atteindre sa valise, rangée tout en haut. Un nuage de poussière s’envola lorsqu’elle la descendit. Puis elle ouvrit les portes de l’armoire et se mit à remplir sa valise.

    – Qu’est-ce que tu fais ? demanda Markus. Tu ne vas pas faire ton hystérique. Tu exagères. Susi et moi, on voulait juste se faire un peu plaisir.

    Tremblante de rage, Jo se tourna vers Markus :

    – Je t’en prie, je ne voudrais pas te gêner… mais ce sera sans moi ! Et ça dure depuis quand, votre petit jeu ?

    Markus la regarda avec un léger sentiment de culpabilité.

    – Quoique... Ne dis rien. Je préfère ne pas savoir. Mais pourquoi Susi ? Il fallait vraiment que ce soit notre voisine. Tu aurais pu appeler la première pute venue, si c’était si pressant !

    – C’est ça, pour choper je ne sais quelle maladie ? Tu aurais certainement apprécié ?

    Cependant, Jo continuait d’entasser ses affaires dans sa valise à vitesse grand V.

    – Décidément, je suis la dernière des imbéciles ! Moi qui croyais que tu cherchais du boulot ! Tu parles, Monsieur baise et, moi, je l’entretiens !

    – Alors ça c’est pas vrai, se défendit Markus. Simplement je ne peux pas passer toute la journée à chercher du boulot. Je peux bien m’accorder un peu de plaisir… pour le cas où tu saurais encore ce que c’est.

    – Ah bon, du plaisir ? Se faire tanner le cul avec une cravache. Merci, très peu pour moi !

    – Eh bien, tu vois ! Il fallait bien que je trouve une partenaire à l’écoute de mes désirs.

    – Et que, par la même occasion, tu trompes ton amie et le mari de Susi ? ! Vraiment je ne vous comprends pas !

    Comme sur un signal, Susi, rhabillée, sortit de la salle de bains.

    – Jo, je suis vraiment désolée. Tu ne diras rien à Hans, hein ?

    Jo la regarda d’un air dégoûté. Il y a une semaine à peine, ils s’étaient réunis tous les quatre pour une soirée raclette. L’idée que ces deux-là aient pu passer l’après-midi à leur petit jeu la révoltait.

    – Vous m’écœurez.

    Elle referma sa valise et la traîna jusqu’à l’entrée.

    – Attends, il faut qu’on parle ! s’écria Markus qui venait à peine de se lever et lui courait maintenant après dans son plus simple appareil.

    – Tu veux qu’on parle ?

    Furieuse, Jo se retourna vers son futur ex.

    – Maintenant ? Il aurait fallu le faire plus tôt, si tu veux mon avis. Pour moi, Susi peut bien te flanquer sa cravache dans le derrière, moi, je ne veux plus rien avoir à faire avec vous.

    – Mais où veux-tu aller ?

    – Ça, ça ne te regarde plus, mais dans un premier temps, chez mes parents.

    – Ah-ah ! Retour au bercail. Trente-neuf piges, et on rentre chez papa-maman.

    Jo reposa sa valise. Ses yeux lançaient des étincelles.

    – C’est ça, traite-moi de dégonflée tant que tu y es. Moi, au moins, mes parents tiennent à moi. Dans ma famille, on sait encore se tenir les coudes.

    – Je dirais plutôt que tu es encore pendue à leurs basques, ironisa Markus. Dans le fond, tant mieux si tu te tires. Je m’emmerde avec toi. Ras-le-bol !

    À ce moment-là Susi se glissa entre eux deux et prit la tangente.

    – Ah bon ! Parce qu’avec toi, c’est tous les jours l’aventure ?

    – J’essaie, moi, au moins. Alors que toi, tu ne sais que faire gentiment ce qu’on te demande. On est ponctuelle au travail, on fait le ménage, la cuisine et, en récompense, tous les dimanches matin, j’ai le droit de te baiser en missionnaire. Tu me sors par les yeux.

    Jo lutta vaillamment contre les larmes qui lui montaient aux yeux.

    – T’es vraiment le mec le plus dégueulasse que j’aie jamais rencontré, Markus. Je me demande bien ce que j’ai pu te trouver.

    Elle se retourna et quitta définitivement l’appartement.

    Une fois sur le trottoir, elle appela un taxi : elle n’avait vraiment pas le courage de retraverser la moitié de la ville avec sa valise. Elle était fière de ne pas avoir craqué devant Markus, ni maintenant dans le taxi. Mais quand sa mère l’accueillit les bras grand ouverts, elle ne put se retenir et éclata en sanglots.

    – Quel salaud ! grommela son père derrière elle. Je lui mettrais volontiers mon poing dans la gueule.

    Son père avait maintenant soixante-dix ans, mais Jo savait qu’il était tout à fait capable de lui coller une beigne .

    – Non… c’est moi, l’idiote. Je ne sais pas comment j’ai pu être aussi aveugle, laissa-t-elle échapper entre deux sanglots.

    Pour la consoler, sa mère, Maria, lui passa le bras autour des épaules et l’entraîna à la cuisine.

    – Viens, je vais nous faire un thé et tu me raconteras ce qui s’est passé. On verra après pour la suite. Tu sais bien qu’il y a toujours une chambre pour toi ici.

    – Merci ! répondit Jo en larmoyant.

    Quand elle eut raconté à ses parents sa triste journée, Jo posa les coudes sur la table et se prit la tête entre les mains. Elle lui semblait peser des tonnes.

    – Markus a peut-être raison, quand il dit que je suis emmerdante. À mon âge, on ne rentre pas comme ça en pleurs chez ses parents.

    – Où serais-tu allée ? La famille est faite pour ça. Quoiqu’il arrive, on se tient les coudes.

    Maria tapota affectueusement la main de sa fille.

    – Allons, reste à la maison le temps de te trouver un nouveau travail et un nouveau logement.

    – Tu as encore des affaires chez Markus que tu aimerais récupérer ? Je peux passer les prendre avec mes potes.

    À son expression, Jo devina qu’il en aurait bien profité pour lui dire ses quatre vérités.

    Jo secoua la tête.

    – Non, je ne veux rien qui me rappelle ce salaud. J’ai pris tout ce dont j’avais besoin.

    Puis elle se força à sourire.

    – Quand on y pense quand même, la scène était plutôt ridicule.

    Jo secoua à nouveau la tête, incrédule.

    – Ça me fait de la peine pour le mari de Susi.

    – Tu penses lui dire quelque chose ? s’enquit sa mère.

    Avant de lui répondre, Jo but une gorgée du thé qu’on venait de lui préparer.

    – Non, qu’ils se débrouillent entre eux maintenant.

    Les jours suivants, Jo fut vraiment gâtée par ses parents. Un soir, son amie Heidi lui proposa de se retrouver dans un bar. Huber, lui raconta-t-elle, avait expliqué en deux mots à l’équipe que Jo avait été licenciée pour motif économique.

    – Tu sais, sans toi, ce n’est pas drôle. Je crois que je ne vais pas tarder à donner ma démission. Mais il faut d’abord que je me trouve un autre poste. Sinon, je ne saurai pas comment payer mon loyer.

    – Moi aussi, j’aurais préféré que ça se passe autrement. Mais je sais qu’une fois licenciée, je n’aurais pas supporté le regard suffisant de Huber.

    – Et maintenant ? Tu as trouvé quelque chose ?

    Jo secoua la tête.

    – Non, j’ai bien envoyé quelques CV, mais pour l’instant, ça n’a rien donné. En fait, je n’ai plus envie de bosser tard le soir. Malheureusement, dans notre branche, c’est souvent le cas. Je ne suis plus toute jeune !

    – Eh, ne te fais pas non plus plus vieille que tu ne l’es !

    – Markus a raison dans un certain sens. Je suis devenue emmerdante.

    Heidi la regarda, interloquée.

    – Ça va pas, la tête ? Pourquoi tu dis ça ?

    – Oui, il n’a pas tout à fait tort. Depuis quand je n’ai pas fait quelque chose d’un peu extraordinaire ? Pris des risques ? Tous les matins, je me lève à six heures et demie, je rentre le soir vers dix-huit heures trente. Et le week-end, je fais les courses et le ménage…

    Heidi l’interrompit d’un geste de la main.

    – Attends, stop ! Tu mènes la vie d’une femme active. C’est tout. En quoi es-tu ennuyeuse ? Il faut quand même bien que quelqu’un ramène le pognon à la maison. Autant que je sache, les courses ne nous tombent pas du ciel, et les propriétaires ne sont pas des mécènes désintéressés. Ce salaud de Markus t’a vraiment bourré le mou.

    CHAPITRE 2

    Le lendemain matin, Jo se trouvait seule à la maison. Une tasse de café devant elle, elle feuilletait sans entrain une revue de jardinage appartenant à sa mère. Seul un article sur des jardins en Écosse éveilla sa curiosité. Une pure merveille ! Après le long et sombre hiver qu’elle venait de traverser, cette explosion de fleurs lui faisait chaud au cœur. L’article était rédigé dans un style à la fois drôle et lyrique. Chaque mot témoignait de l’enthousiasme de l’auteur pour ce pays. Jo s’était rendue plusieurs fois en Angleterre, elle parlait couramment l’anglais, mais n’avait jamais mis les pieds en Écosse. L’une des photos montrait un jardin particulièrement beau ; la mer, d’un bleu profond, scintillait à l’arrière-plan. Jo soupira avec mélancolie. Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas humé l’air du large. Soudain, la vibration de son téléphone interrompit ses rêveries. Elle allait répondre, lorsque sa main effleura maladroitement l’anse de sa tasse, qui se renversa. Du café se répandit sur toute la table.

    – Merde ! fit-elle.

    D’une main, elle saisit la revue de jardinage éclaboussée par le liquide noirâtre et, de l’autre, son téléphone.

    – Allô, répondit-elle, agacée, en se dirigeant vers l’évier pour nettoyer l’article qu’elle était en train de lire.

    – C’est moi, Markus. S’il te plaît, ne raccroche pas ! C’est à propos de l’appart.

    Il avait de la chance. Elle aurait volontiers raccroché, en effet, mais se ravisa en entendant qu’il s’agissait de leur appartement.

    – Qu’est-ce qu’il y a ?

    – C’est pour le loyer… jusqu’à ce que je trouve quelque chose d’autre.

    Jo en resta bouche bée. Jamais elle n’aurait imaginé un tel aplomb.

    – Tu es cosignataire du contrat, ajouta Markus.

    – Tu as vraiment du culot, Markus !

    Et elle raccrocha. Elle appela alors le gérant de l’immeuble et lui exposa la situation. Elle voulait, lui dit-elle, envoyer son dédit au plus vite, règlerait scrupuleusement la moitié du loyer jusqu’à la fin du contrat, mais la seconde moitié restait à la charge du colocataire. D’un ton aimable mais ferme, l’homme à l’autre bout du fil lui rappela alors qu’elle était solidaire du second signataire sur la totalité de la somme. Si Markus ne réglait pas la seconde moitié, on se retournerait vers elle. Super !

    Après cette conversation déprimante, son regard se posa de nouveau sur la revue et l’article qu’elle était en train de lire. Un paragraphe retint son attention :

    « Envie d’une pause ? Nous vous accueillerons volontiers en stage. Vous apprendrez à entretenir un jardin d’agrément et participerez aux tâches quotidiennes. Si vous êtes intéressés, contactez les établissements Lochcarron Garden Estate. » Suivaient une adresse e-mail et un numéro de téléphone. Le début du texte restait malheureusement illisible : l’article était tâché, et tous ses efforts pour remédier au problème n’avaient fait que l’aggraver. Songeuse, Jo jeta un regard par la fenêtre. Ce serait peut-être pas mal : travailler au grand air, respirer l’air de la mer et sortir des cuisines ! Jardiner lui ferait certainement plaisir, même si elle n’avait aucune expérience en la matière. Autrefois, elle avait bien aidé ses parents à entretenir leur petit jardin, mais depuis qu’elle les avait quittés, elle n’avait jamais eu de jardin à elle. D’après l’article, cependant, la formation se faisait sur place. Aucun préalable n’était exigé. Jardiner était-il physiquement pénible ? Devait-elle franchir le pas ? L’Écosse n’était pas tout près, et comprendrait-elle ce dialecte réputé difficile ? D’un autre côté, l’occasion de faire une pause ne se représenterait pas de sitôt. Elle n’était plus liée par aucune obligation et n’avait plus ni appartement ni travail. Le visage railleur de Markus se représenta à son esprit, lui reprochant de ne pas savoir prendre de risques et de mener une vie trop pépère. Avant que son courage ne l’abandonne, elle prit place devant l’ordinateur de ses parents pour voir ce que pouvait être ce Lochcarron Garden Estate. C’était un chic hôtel cinq étoiles entouré d’un vaste jardin d’agrément. Les photos du jardin permettaient de voir des tapis de fleurs bleues au printemps, des roses et bien d’autres plantes, toutes plus belles les unes que les autres, et dont elle ignorait le nom. La propriété comprenait aussi un potager et un jardin de simples, et un sentier de lattes descendait vers la mer à travers un bois. Le lieu semblait idyllique. L’hôtel ne comptait que quinze chambres, mais s’y adjoignaient un restaurant gastronomique et un joli salon où l’on pouvait déguster un thé l’après-midi. Le salon de thé offrait aussi à la vente des plantes et de menus présents. Jo s’imaginait déjà jardiner dans la journée et passer ses soirées en bord de mer. Elle ouvrit sa boîte mail et rédigea un message à l’attention de la directrice de l’hôtel, lui faisant part de son intérêt pour ce stage et précisant qu’elle était libre.

    Quand ses parents rentrèrent de courses, elle s’excusa d’abord auprès de sa mère d’avoir abîmé sa revue, puis lui parla de l’annonce à laquelle elle avait répondu.

    – Ma chérie, s’inquiéta sa mère, n’est-ce pas un peu trop loin ?

    – Tu sais bien que les Écossais ont un drôle d’accent, difficile à comprendre ? renchérit son père.

    Déjà passablement tendue, Jo avait eu le temps de réfléchir à toutes ces questions.

    – Ma foi, si vraiment ça ne va pas, je pourrai toujours rentrer. Le monde n’est plus si vaste de nos jours.

    Son sourire restait hésitant.

    – On ne m’a pas encore répondu, de toute façon. Ils n’ont peut-être plus de place. Qui sait ? L’équipe est peut-être au complet.

    Lorsqu’elle consulta de nouveau sa boîte mail dans la soirée, une réponse, toutefois, l’attendait. On l’accueillait bien volontiers, pourvu qu’elle ait achevé sa formation. Il restait encore une place dans le logement réservé au personnel. Jo respira un bon coup. Devait-elle franchir le pas ? De nouveau la remarque ironique de Markus lui revint en mémoire.

    « Tu pensais me connaître ! » murmura-t-elle entre ses dents, avant de répondre qu’elle acceptait la proposition et réservait son vol pour Glasgow.

    Une semaine à peine après ce premier contact, Jo prit place à bord d’un avion, l’estomac noué. Après l’atterrissage, elle se dirigea vers la gare avec ses deux valises et prit un billet pour Oban. De là, il lui fallait emprunter une liaison régionale par bus. Par chance, l’arrêt du bus se trouvait à proximité de l’hôtel. Le portail de fer forgé était grand ouvert et Jo, impressionnée par le caractère majestueux de l’entrée, s’engagea avec ses deux grosses valises sur le chemin qui menait à l’hôtel. Contrairement à ce qu’elle avait imaginé, elle dut encore marcher un bon quart d’heure et, malgré la fraîcheur de l’air, arriva en sueur. Épuisée, mais heureuse d’être parvenue au terme de son voyage, elle se présenta à la réception.

    – Vous êtes Joséphine Müller, j’imagine.

    Une jeune femme à la mise élégante vint à elle en lui tendant la main.

    – Vous avez parcouru toute cette distance à pied, avec vos deux valises. Nous aurions pu venir vous chercher.

    Jo sourit.

    – Ne vous inquiétez pas, ça m’a permis de découvrir une partie du jardin. C’est ravissant !

    – Merci ! Je m’appelle Miss Douglas. Suivez-moi, je vais vous montrer votre logement. Vous aurez ensuite le temps de vous rafraîchir. Ce soir, nous avons organisé un dîner de bienvenue pour vous permettre de faire la connaissance des autres stagiaires. Le jardinier en chef n’a pas pu se libérer, mais vous le rencontrerez demain.

    Miss Douglas l’entraîna à l’extérieur et se dirigea vers une petite voiture de golf.

    – Déposez vos bagages à l’arrière.

    Jo s’exécuta et prit place à côté de Miss Douglas.

    – Vous vivez ici depuis longtemps ? s’enquit Jo.

    – Depuis toujours quasiment. L’hôtel appartient à mes parents et j’en hériterai un jour.

    – Ah ! fit Jo.

    Rien de plus ne lui venait à l’esprit. Le trajet à travers un magnifique parc ne dura que quelques minutes. Finalement Miss Douglas stoppa la voiture de golf devant un second bâtiment.

    – Nous voilà arrivées. C’est ici que nous logeons nos employés.

    Jo descendit du véhicule et saisit ses deux valises. Miss Douglas ne fit pas même semblant de vouloir l’aider. Sans frapper, elle ouvrit la porte et fit signe à Jo de la suivre. Le rez-de-chaussée se composait d’une cuisine commune et d’un vaste salon, équipé d’une télévision et d’une cheminée. Chaque stagiaire disposait d’une chambre, lui expliqua Miss Douglas.

    – La vôtre, ma chère, se trouve à l’arrière, à côté de la cuisine.

    Elle ouvrit la porte de la chambre en question et fit entrer Jo dans une pièce sobre aux dimensions néanmoins généreuses. Le mobilier se composait d’un lit, d’une table, d’une chaise et d’une table de chevet, sur laquelle était posée une vieille lampe Tiffany. La salle de bain était située au même niveau, et Jo devait la partager avec trois autres personnes.

    – Je vais maintenant vous laisser tranquille pour que vous puissiez vous installer. Demain dans le courant de la journée, apportez-moi, s’il vous plaît, vos papiers d’identité que je puisse régler les questions administratives. Le travail commence le matin à neuf heures, les autres stagiaires vous montreront le lieu de rendez-vous. Si vous avez des questions, adressez-vous au jardinier en chef. Vous ferez sa connaissance demain. Le dîner vous sera exceptionnellement livré par l’hôtel. Comme je vous l’ai dit, un repas commun a été prévu en votre honneur. Je vous souhaite un très bon séjour parmi nous.

    – Merci, Miss Douglas.

    Une fois seule, Jo entreprit de vider sa valise, mais très vite des bruits lui annoncèrent le retour des autres stagiaires. Courageuse, elle ouvrit la porte de sa chambre et se porta au-devant de ses futurs collègues.

    – Salut !

    Une jeune femme aux cheveux teints en rouge l’aperçut la première.

    – Tu es la nouvelle sans doute.

    Un peu embarrassée, Jo sourit et lui tendit la main.

    – Cela m’en a bien l’air. Jo. Hum… excusez-moi d’avance, mon anglais est un peu rouillé.

    – Inutile de t’excuser pour ça. Je suis là depuis un bon moment et mon accent étranger s’entend encore de loin. Je m’appelle Marie et je viens des Pays-Bas.

    Puis Marie lui présenta successivement Agnès, Giovanni et Olav. La plupart d’entre eux étaient ici depuis déjà plusieurs mois.

    – Liz et Greg ne sont pas encore rentrés. Tu les rencontreras un peu plus tard.

    – Tous les employés de l’hôtel sont logés ici, dans la propriété ? s’enquit Jo.

    – Non, pas du tout. La plupart vivent au village. Audrey n’est là que dans la semaine. Elle vient juste de commencer sa formation et vit chez ses parents le reste du temps. Et toi, d’où tu viens ?

    – De Suisse.

    – Et tu veux vraiment faire une année de stage ici ? s’étonna Agnès. Tu n’es pas un peu âgée pour cela ?

    Jo aurait pu se vexer, mais elle se contenta d’éclater de rire.

    – Tu as sans doute raison, mais il n’est jamais trop tard pour apprendre, et j’avais besoin de faire une pause. Ce stage tombait à pic pour moi.

    Marie haussa les sourcils.

    – Une pause ? Avec le négrier qui nous fait bosser, je crois qu’il te faudra une pause après la pause.

    – À ce point ?

    – Pire, renchérit Giovanni. Excuse-moi, Jo, je suis ravi de faire ta connaissance, mais pour l’heure j’ai besoin d’une bonne douche chaude. On se parlera au dîner.

    Marie lui lança l’un de ses gants de jardinier au visage.

    – Si tu crois pouvoir nous prendre toute l’eau chaude, tu te mets le doigt dans l’œil, mon cher.

    Elle se précipita dans la salle de bains et claqua la porte derrière elle.

    Agnès s’esclaffa.

    – Ne prends pas cet air désespéré, Jo. Il y aura assez d’eau chaude pour tout le monde. Giovanni est simplement un bon vivant et, quand il est sous la douche, tu peux oublier la salle de bain pendant une bonne demi-heure. Bien, je vais te faire visiter la maison en attendant qu’elle se libère, à moins que Jane ne s’en soit chargée.

    Jo secoua la tête et suivit Agnès qui, de pièce en pièce, lui expliqua le fonctionnement de leur petit groupe. La cuisine était commune, mais ils n’avaient pas établi de tour de ménage. Tout se faisait spontanément. Pour les courses, chacun faisait les siennes.

    – Comment je vais faire ? Il y a un vélo quelque part ?

    – Tu n’as pas de voiture ? s’enquit Olav, surgissant derrière elles.

    – J’ai passé mon permis il y a des années, mais je n’ai jamais repris le volant depuis, je n’en avais pas le besoin. En plus, s’il faut que je roule à gauche, je serai complètement stressée. Franchement, s’il y avait quelque part un vélo, je préfèrerais.

    – J’ai vu une vieille bécane, je crois, dans la remise à outils.

    La porte d’entrée s’ouvrit, laissant passer Liz et Greg bras dessus bras dessous. Ah, ils formaient un couple donc. Comme Jo l’apprit plus tard, ils travaillaient ici depuis cinq ans et s’étaient même connus ici. Jo les trouva tout de suite sympathiques.

    Une ambiance détendue régna pendant toute la soirée. Quoique de loin la plus âgée, Jo se sentit vite à l’aise dans le groupe. Elle s’étonna seulement de voir que tant de monde était nécessaire à l’entretien du parc.

    Liz sourit à la remarque de Jo.

    – C’est vrai, c’est immense. Nous sommes aussi responsables des animaux élevés dans la propriété, et nous cultivons nous-mêmes la plupart de nos plants. On a une petite pépinière avec une boutique. C’est mon domaine.

    Greg regarda son amie avec fierté et s’adressa à Jo.

    – Demain, il faut absolument que tu ailles la visiter. Depuis que Liz s’en occupe, c’est un vrai petit bijou.

    – Le jardinier en chef

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